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« Songes et exemples » (manuscrits)

Pierre Prévost
p. 125-133

Texte intégral

Fig. 1 : Pierre Prévost, « Pensée en songe », coll. manuscrite « Songes et exemples » conservée à la Bibliothèque de Genève, Ms. sup. 1067/10, fol. 404.

Fig. 1 : Pierre Prévost, « Pensée en songe », coll. manuscrite « Songes et exemples » conservée à la Bibliothèque de Genève, Ms. sup. 1067/10, fol. 404.
  • 1 Prévost, P., 1834, « Quelques observations psychologiques sur le sommeil », Bibliothèque universel (...)

1Le savant genevois Pierre Prévost publie en 1834 « Quelques observations psychologiques sur le sommeil1 ». Indépendamment de cette publication, Prévost a conservé une petite collection manuscrite intitulée « Songes et exemples », qui se trouve à la Bibliothèque de Genève (Ms. sup. 1067/10).

  • 2 Voir des analyses de ces textes dans Carroy, J., 2012, Nuits savantes. Une histoire des rêves (180 (...)

2Les feuillets en sont ici transcrits in extenso. Les parties soulignées dans le texte original figurent en italiques et l’orthographe a été modernisée2.

3[fol. 404] Pensée en songe

  • 3 Benjamin Thomson, comte de Rumford (1753-1814), tout d’abord citoyen américain, choisit de rester (...)
  • 4 Mathématicien genevois (1750-1840).

4Cette nuit (du 16 au 17 août 1803) j’ai fait un de ces songes assez rares où l’on paraît réfléchir. Préoccupé de l’arrivée prochaine du Gal Rumford3 dont je m’étais entretenu la veille avec M. Lesage, j’ai cru dîner avec lui. J’ai mis sur le tapis la théorie de la chaleur et nommément les expériences du Cte Rumford dans lesquelles il a fait bouillir de l’eau par le frottement et desquelles il est porté à conclure que la chaleur n’est qu’un mouvement et non un corps sui generis. Je lui ai proposé contre cette conclusion deux objections qui me paraissaient péremptoires et très réfléchies. Il les a écoutées très attentivement malgré les petits mots de flagornerie que Lhuillier4 lui soufflait à l’oreille. Or voici ces deux arguments auxquels je donnais tant de poids qu’il me paraissait impossible d’y rien répondre, surtout au 1er. – 1t, disais-je, vous supposez que le mouvement que vous excitez dans l’eau produit l’espèce de mouvement que vous nommez chaleur. Mais cela est impossible, car l’un est un mouvement en grand et général et l’autre un petit mouvement oscillatoire de molécules. Je ne songeais pas qu’au contraire, dans les expériences de Rumford, c’est un frottement qui produit la chaleur, lequel est de métal sur métal et paraît propre à exciter les vibrations de l’éther. – 2t, je prétendais qu’en continuant le mouvement ou friction calorifique, on devrait (selon l’hypothèse de Rumford) faire croître indéfiniment la chaleur. Or je soutenais que cela n’arrivait et n’arriverait point si on le tentait.

5Voilà bien exactement les deux arguments que je me rappelle comme si je rêvais encore et auxquels j’avais une pleine confiance.

6Le Cte Rumford avait bien la figure que j’ai vue gravée et ouïe décrire et que je ne connais point encore. Vu grand homme assez maigre, une figure noble et où la bienveillance se peint. Il portait un uniforme.

7Tout cela m’a fort occupé, amusé, et me paraît en effet assez amusant.

  • 5 Les Pictet sont une grande famille genevoise dans laquelle figurent des banquiers et des savants. (...)

8P. S. Du 21 août. Je viens de voir pour la 1re fois le Cte Rumford chez Pictet5 à un déjeuner. La figure est bien telle que je l’ai vue en songe (et précédemment en portrait et sur description). Il n’avait pas d’uniforme. C’est la seule différence. Il m’a parlé de son mémoire sur le froid positif.

9[fol. 405] Du 17 décembre 1814

10Très joli songe que j’ai fait la nuit passée.

  • 6 NDE : [Ajout de Prévost : « brun »].
  • 7 NDE : [Ajout de Prévost : « Tout cela se faisait assez lentement (en 2 ou 3 minutes) »].

11Dans une soirée agréable, on racontait une invention nouvelle, dont même on répétait l’expérience ; et après quelques épreuves, on me la fit répéter à moi-même. Voici comment cela se faisait. Une femme spirituelle, placée à l’extrémité d’une très longue table, tenait en main une petite boîte en bois brun6 (cubique, d’environ 3 pouces de côté) et profitant d’une assez petite ouverture pratiquée dans cette boîte, elle y prononçait tout bas (sans être entendue) deux mots (il me semble que l’on disait deux syllabes, mais on verra bientôt que c’étaient deux mots). Cette femme passait la boîte à une autre femme de la société, placée à l’autre extrémité, et celle-ci placée en face de moi, livrait la boîte dans mes mains. Tout cela se faisait assez lentement (en 2 ou 3 minutes)7. Alors je l’approchais de mon oreille et j’entendais la boîte me répéter tout bas et d’une voix féminine et douce le mot dont on l’avait chargée. La première et (il me semble) la 2de fois, elle me souffla à l’oreille ces deux mots : Un indiscret. À une épreuve suivante, où j’attendais le même mot, je fus tout surpris de l’entendre changer ; et la boîte dit : Une souris. Je fus émerveillé, ravi, heureux, d’être témoin d’une si jolie découverte ; et plaisantant à ce sujet, je dis aux dames : « Il y avait deux choses à faire pour que l’esprit humain ne fît aucune perte, la première est faite, car à présent que l’on peut transmettre pour un peu de temps deux syllabes, il en coûtera peu d’en transmettre trois, mille, tout un discours. La seconde reste à faire, mais elle est bien avancée, il ne faut qu’étendre le temps ; je ne demande que mille ans. Et maintenant qu’un homme, avec sa boîte, soit dans une île déserte. Qu’il fasse une découverte. Il la soufflera à l’oreille de la boîte et il est bien difficile que dans l’espace de mille ans elle ne trouve pas quelqu’un pour l’écouter. » Voilà exactement le sens (et je présume presque les paroles) de mon petit discours de plaisanterie qui, quoique badin, me paraissait laisser entrevoir de grandes espérances. – J’oubliais une 3e chose, c’était de donner à la boîte la faculté de parler (dans le cours de mille ans) au moment le plus opportun.

12Ce rêve m’a tellement amusé, et avant et immédiatement après le réveil, que je ne me suis pas refusé le plaisir de l’écrire, dès que j’ai été levé, quoique fort pressé d’affaires.

13[fol. 406] 16 janvier 1821

14Il arrive quelquefois que l’on songe que l’on satisfait un besoin que pourtant on ne satisfait pas. Le sphincter ne se relâche point. Comment cela dépend-il de la volonté ? Est-ce que la volonté, nécessaire pour opérer le relâchement, est impuissante (d’après la théorie de D. Stewart) – ou la volonté agit-elle constamment pour opérer la contraction du sphincter ; et est-ce la cessation de cet acte permanent qui, dans le sommeil, ne s’opère pas ?

15Un rêve de cette nuit est l’occasion de cette remarque.

16Dans ce même rêve, je voulais fortement m’abstenir de quelques mouvements, mais je ne pouvais pas ; et je sentais ma main arrêtée et gouvernée par une puissance comme magique. Cela est explicable.

17[fol. 407] 5 décembre 1821

18Dans mon dernier sommeil de la nuit, j’ai fait un songe fort amusant. Je recevais la visite de Cicéron. Il m’était recommandé et je jouissais pleinement du plaisir de voir ce noble débris de l’Antiquité. Il parlait français mais c’était un Cicéron de ma façon très peu éloquent, froid et dédaigneux. J’étais transporté de joie et d’admiration au souvenir de son consulat. Je le pressais dans mes bras. Entr’autres questions, je lui demandai : Quand César, au retour des Gaules, rentra dans Rome, quelle impression y fit-il ? – Assez peu, me répondit-il ; on n’y mettait pas beaucoup d’importance. Peu à peu j’en vins au latin et je le sollicitais de questions, lorsque je m’éveillai.

19Mais tout en le sondant ainsi, je faisais pour lui l’office de cicerone dans une espèce de château où je demeurais. Je l’introduisais dans des appartements où le propriétaire avait placé des ateliers pour son amusement et pour l’encouragement des arts. Je lui demandais si, dans l’ancienne Rome, on avait l’usage de placer ainsi dans les villas quelques travaux de manufacture. Il me dit que non, et ajouta avec dédain : « Je ne vois pas pourquoi à la campagne on se ferait les paysans des paysans. » Je lui montrai un beau site champêtre. Il n’y parut peu sensible.

20N. B. Ce souvenir m’amuse, comme il m’a amusé en songe. Et c’est pour cela seul, que je l’écris.

21[fol. 408] Du 15 août 1826 Songe

22Ce matin, en m’éveillant, je sortais d’un songe qui m’a fait rire. On m’avait persuadé de concourir à un prix par un tableau de ma façon. En conséquence j’avais loué une chambre pour y travailler. Tout à fait ignorant que je suis dans l’art de peindre, je ne laissais pas de suivre < à > cette entreprise avec assez de confiance. J’en causais avec le propriétaire de mon petit atelier, qui était homme du métier et d’un caractère ouvert et bienveillant. Je lui exprimais quelque inquiétude sur le succès. Il me rassurait et me dit : « Peut-être votre tableau sera un peu bardé, parce qu’il n’y aura personne pour le lécher. » Je méditais là-dessus, et je pensais à tracer d’abord le dessin de mon sujet, lorsque l’entrée assez brusque de quelqu’un vint interrompre mon sommeil.

23Sur quoi je remarque que le sens de l’opinion de mon interlocuteur n’est pas douteux. On sait ce qu’est un tableau léché. Quant au mot bardé il est de mon invention ; ce qui, dans mon rêve, ne me parut point tel. Au contraire ce mot, prononcé sans aucune hésitation, me semblait fort clair et technique.

24Éveillé, je ne sais pas s’il y a un mot technique pour dire ne pas lécher assez, ou un tableau non léché. J’admire aussi mon courage nocturne de faire un tableau de concours.

25[fol. 409] 4 octobre 1826

  • 8 Allusion à un passage sur les rêves du livre IV du De rerum natura du poète latin Lucrèce, souvent (...)

26Les anciens philosophes vantaient surtout la philosophie comme préservatif contre les superstitions. Virg. Georg. Felix etc. Lucret. Edita doctrina etc.8.

27En pensant aux superstitions attachées aux rêves (dont encore aujourd’hui on retrouve des traces) ; il m’a paru dès longtemps qu’elles doivent principalement leur origine à cette circonstance, qu’en rêvant il semble que l’on est deux et que certains propos que l’on entend tenir excitent en nous un sentiment imprévu.

28C’est en effet un phénomène curieux ; et c’est aussi un motif d’en recueillir occasionnellement des exemples, dans l’espérance que d’un tel recueil pourra naître quelque clarté sur la cause. Tel est le rêve de cette nuit fait pendant mon dernier sommeil (du 3 au 4 octobre).

29Étant dans la rue, je voyais un assez long rang de fileuses assises devant leurs portes. Je passais sans trop y prendre garde, lorsque d’une porte vacante est sortie une nouvelle fileuse, plus aimable que les autres, jasant beaucoup, et qui s’est mise à chanter des paroles que j’écoutais (sans en faire semblant) avec attention et avec autant de plaisir que de surprise. Elle paraissait improviser. C’était un chant léger, de petits vers badins, et un court refrain fort gai. Je les mis dans ma mémoire le mieux que je pus. Mais en m’éveillant je n’en ai retenu que ceci : « Il n’y a rien qu’un fil »… Refrain oublié. Après quoi au 2e couplet… « La foi n’est rien. » Refrain… Ces deux couplets étaient précédés d’un autre dont je n’ai rien retenu.

  • 9 Les crochets sont de Prévost.

30Quelque temps après (toujours dans le même rêve) je retrouvai cette chanteuse, en sa qualité de bonne ; et en caressant son enfant, je lui rappelai les couplets : elle me répondit de suite, en badinant et me répétant le commencement du 2e : « Oh oui » « Il n’y a qu’un fil » [prononcé i n’y a]. Je me réjouissais de l’entendre répéter. Mais je n’en eus que cela, et je m’éveillai [peut-être par l’effort même que je faisais pour opérer le rappel]9.

  • 10 Il s’agit probablement de Marc-Auguste Pictet qui a travaillé, comme Prévost, sur la chaleur.

31Du reste cette aventure, qui avait pour moi beaucoup de charme, n’était guère qu’un incident, dans une suite d’idées très bien liées, où entr’autres il était question de Pictet10 et de la société des arts. Cette suite liée, donnant à tout de la consistance, a fait qu’à mon réveil, j’ai eu besoin de quelques moments pour reconnaître que ce n’était qu’un rêve.

32[fol. 410] 24 avril 1830 Songes

  • 11 Joël Cherbuliez est un libraire genevois (1806-1870).
  • 12 Les Dassier sont des graveurs genevois, célèbres pour leurs médailles.

33J’étais fort songeur la nuit dernière et occupé de pensées plutôt agréables que tristes. J’ai, dans un premier songe, éprouvé une parfaite illusion et grande surprise de me trouver où j’étais. Dans un songe subséquent, j’étais chez Cherbuliez11, libr., occupé à voir ajuster un ouvrage que je publiais en grand format d’atlas, composé de plusieurs traités. Je m’informais des autres exemplaires, et on m’apprit qu’ils étaient déposés chez Ladot. Je m’empressai de m’y rendre pour hâter la publication. Je me sentais satisfait de cette entreprise terminée ; mais en y songeant je m’étonnais de ne pouvoir me rappeler, ni le titre, ni le sujet de mon ouvrage, pas même un seul mot. Sur ces entrefaites, je rencontrai dans la rue un commissionnaire chargé d’un volume format d’atlas, que je crus être le mien ; mais l’ayant examiné, je ne m’y reconnus point, et le porteur m’apprit que c’était un recueil de traités fait par M. Aug. Dassier12 ; cette entreprise, parfaitement conforme à la mienne, par un auteur que je n’aurais jamais soupçonné, me jeta dans l’étonnement. Je feuilletai de nouveau le volume et m’arrêtai à un endroit que me montrait le commissionnaire, où je vis le mot utilité en gros caractères, et en le parcourant très rapidement, je compris que c’était un petit abrégé de morale utilitaire, tout pareil au mien. J’ai perdu la suite du rêve.

34En le consignant ici, je n’ai (comme dans tous les rêves qui le précèdent ici) d’autres vues que de recueillir quelques faits, propres à jeter du jour sur les phénomènes du sommeil et des songes ; et cela sans aucune arrière-pensée, et sans aucune prétention que de me faire réfléchir sur ma propre constitution mentale, non d’une manière vague et ambitieuse, mais logique et expérimentale. Ainsi, dans celui-ci, je vois l’illusion qui subsiste quelques instants après le sommeil ; et le défaut de souvenirs sur mon livre.

35Songe [fol. 411]

36Du 26 novembre 1831, de 7 à 8 du matin, je me suis endormi de nouveau et j’ai fait un songe doux et agréable (faisant un contraste étrange avec les épouvantables nouvelles de Lyon).

37Hier je passai quelques heures à lire avec une vive satisfaction deux petits cahiers de mon cher petit fils Alec contenant des compositions en anglais, entr’autres le récit de deux petits voyages en Suisse. Mon rêve de ce matin est tout à fait lié à cette douce occupation. Plusieurs de mes collègues académiques et autres étaient assemblés pour faire chacun à leur tour une composition sur un sujet donné, qui se lisait ou débitait ensuite devant l’assemblée. Le sujet se donnait et la composition se faisait dans une chambre à part, sous l’inspection d’un ou deux des membres. On venait d’en tirer une sur l’œil, puis sur quelques questions qui sont sorties de ma mémoire. De Candolle me présidait, je soufflai le mot auris, et en effet j’entendis que l’on me donnait l’oreille pour sujet. J’en fus charmé. Je me mis à l’ouvrage avec plaisir. J’écrivis quelques lignes ; je commençais par dire que je ne m’arrêterais pas à décrire longuement l’organe. Cependant ce devait, dans mon intention, être le début. Puis je devais parler du son ; puis du son chanté, et surtout de la parole. Ma seule peine était d’écrire lisiblement, pensant à pouvoir le faire honorablement avec mes mauvais yeux (car je les sentais dans l’état où ils sont réellement). J’allais continuer en améliorant mon écriture, quand je m’éveillai… riant un peu de cette scène d’écolier et avec le souvenir d’un travail d’amusement fort agréable.

38Question. Des jugements relatifs au temps ; et des formes de raisonnement [fol. 412]

39Dans l’état de veille, les temps se distinguent par des circonstances qui, pour être reconnues requièrent quelque attention. En conséquence cette distinction doit échapper dans les songes. Les raisonnements que l’on doit faire dans les songes doivent donc être le plus souvent de simples réminiscences de ceux de la veille, des raisonnements tout faits, des souvenirs, quelquefois aussi des raisonnements apparents ; dont (par un souvenir imparfait) on se trouve satisfait, peut-être [en] vain ; et qui, jugés au réveil, paraîtront ridicules.

40Ex. 1 Quant au temps c’est une remarque devenue triviale que le songeur le mesure fort mal, attribuant une longue durée à un sommeil de quelques minutes, confondant les époques les plus éloignées etc. Cicéron 1821.

41Ex. Quant au raisonnement apparent, entre plusieurs exemples, je citerai celui-ci : Rumford. 1803.

426 avril 1811 [fol. 413]

43Il m’est arrivé en dormant d’être pris du besoin d’uriner et de songer que je voulais le satisfaire et que je le satisfaisais en effet ; et toutefois je ne le satisfaisais pas. Ne dirait-on pas qu’on a deux âmes ; l’une locale qui veut satisfaire son besoin local ; l’autre générale et douée de l’empire, qui préfère la retenue ? Ou, au contraire, l’une générale qui veut et croit satisfaire ; l’autre locale qui par habitude désobéit et ne satisfait point ?

4416 juillet 1833 [fol. 415]

45Sommeil

46Dug. Stewart inventa de bonne heure, et resta constamment attaché, à cette hypothèse sur le sommeil.

47Ce qui le distingue de la veille est l’impuissance de la volonté. Cette faculté est en action dans le sommeil ; on veut ; mais l’empire de la volonté cesse. Cet empire s’exerce sur le corps et sur l’esprit. Sur le corps on reconnaît aisément la suspension dans les rêves, où l’on veut mouvoir les bras, les jambes, et où l’on reste immobile. La suspension de l’empire de la volonté sur l’esprit est moins facile à discerner.

48Dans le somnambulisme, je ne vois pas bien ce qui se passe.

49Dans l’état nerveux, il y a quelquefois une suspension de l’empire de la volonté. Un bon observateur disait à… que, dans cet état morbide, le jugement peut subsister et la volonté de sortir de l’espèce d’apathie mélancolique où est le malade ne lui manque pas ; mais sa volonté est impuissante. Il sait qu’il est déraisonnable de se livrer à tel sentiment qui l’agite ; il voudrait en écarter la pensée ; mais il ne peut pas le faire. Il est inutile de l’y engager ; il veut aussi fortement que si vous ne lui en parliez pas. Cela ne sert même qu’à l’affliger en lui remettant sous les yeux l’objet qui le trouble en lui faisant sentir toujours plus sa propre faiblesse.

50Quelle indication curative pourrait-on tirer de là, en supposant ces faits et l’hypothèse même mentionnée admis comme constatés ?

51Indépendamment du traitement négatif indiqué ; il faudrait étudier les ressorts de la volonté. Comment cette faculté exerce-t-elle son influence, tant sur le corps que sur l’âme ?

52Pour répondre à cette question, ne pourrait-on point trouver quelques utiles aperçus en observant le sommeil au moment où il commence et au moment où il finit ? En particulier dans l’instant où l’on s’éveille au sortir d’un rêve bien présent au souvenir ?

53Anticipons quelques conséquences pratiques ? – Si une, ou plus d’une, idées principales obsèdent le malade, ne faudrait-il pas l’engager à ne pas lutter directement ; mais plutôt l’exercer à combattre contre celles de ces idées importunes qui l’obsèdent le moins et auxquelles le malade même donne le moins d’importance ; afin que subjuguant celles-ci, il apprenne à subjuguer les autres. Car les actes de la volonté demandent un effort pour devenir efficaces ; et cet effort exige un exercice habituel. C’est un art pratique.

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Notes

1 Prévost, P., 1834, « Quelques observations psychologiques sur le sommeil », Bibliothèque universelle des sciences, belles lettres et arts, t. LV, Genève, impr. de la Bibliothèque universelle, p. 225-248.

2 Voir des analyses de ces textes dans Carroy, J., 2012, Nuits savantes. Une histoire des rêves (1800-1945), Paris, Éditions de l’EHESS, p. 31.

3 Benjamin Thomson, comte de Rumford (1753-1814), tout d’abord citoyen américain, choisit de rester britannique, puis de servir l’électeur de Bavière. Il est internationalement connu non seulement pour ses recherches sur la chaleur, mais aussi pour toutes sortes d’inventions. La venue de ce personnage flamboyant à Genève a pu faire sensation (voir Brown, S. C., 1979, Sir Benjamin Thomson. Count Rumford, Cambridge, MA, MIT Press).

4 Mathématicien genevois (1750-1840).

5 Les Pictet sont une grande famille genevoise dans laquelle figurent des banquiers et des savants. Prévost lui-même est apparenté à cette famille.

6 NDE : [Ajout de Prévost : « brun »].

7 NDE : [Ajout de Prévost : « Tout cela se faisait assez lentement (en 2 ou 3 minutes) »].

8 Allusion à un passage sur les rêves du livre IV du De rerum natura du poète latin Lucrèce, souvent allégué par les onirologues du xixe siècle comme défendant une position non superstitieuse. Quant à la référence aux Géorgiques de Virgile, son lien avec les rêves est plus obscur.

9 Les crochets sont de Prévost.

10 Il s’agit probablement de Marc-Auguste Pictet qui a travaillé, comme Prévost, sur la chaleur.

11 Joël Cherbuliez est un libraire genevois (1806-1870).

12 Les Dassier sont des graveurs genevois, célèbres pour leurs médailles.

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Table des illustrations

Titre Fig. 1 : Pierre Prévost, « Pensée en songe », coll. manuscrite « Songes et exemples » conservée à la Bibliothèque de Genève, Ms. sup. 1067/10, fol. 404.
URL http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/rhsh/docannexe/image/9347/img-1.jpg
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Pour citer cet article

Référence papier

Pierre Prévost, « « Songes et exemples » (manuscrits) »Revue d’histoire des sciences humaines, 44 | 2024, 125-133.

Référence électronique

Pierre Prévost, « « Songes et exemples » (manuscrits) »Revue d’histoire des sciences humaines [En ligne], 44 | 2024, mis en ligne le 28 mai 2024, consulté le 22 janvier 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/rhsh/9347 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/11qtg

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