Texte intégral
- 1 Rosner, R. I., 1999, Between Science and Psychoanalysis. Aaron T. Beck and the Emergence of Cognit (...)
1Dans ce texte, publié une première fois en 2002 dans le Journal of Cognitive Psychotherapy, puis repris, en 2004, au sein d’un ouvrage avant tout destiné à des psychothérapeutes, la chercheuse indépendante états-unienne Rachael I. Rosner jette un regard nouveau sur le psychiatre Aaron T. Beck (1921-2021). Ce dernier est considéré comme le père des thérapies cognitives, une approche que l’on présente souvent – particulièrement en France – en l’opposant radicalement à la psychanalyse. Pourtant, comme l’historienne le montre dans ce texte et dans une série d’autres contributions sur le sujet1, cette polarisation caricaturale ne tient pas compte du contexte complexe dans lequel se sont développées les thérapies cognitives aux États-Unis. Loin d’être la simple expression d’une haine anti-freudienne, ce courant psychothérapeutique était conçu par Beck comme une forme de compromis entre les thèses psychanalytiques et les exigences scientifiques de la psychiatrie contemporaine, au point que Beck, lui-même formé à la psychanalyse, se considérait comme un néo-freudien. Mieux, il n’hésitait pas à reconnaître l’analyse des rêves – une pratique fortement associée à l’exercice de la psychanalyse – comme un outil de l’attirail de sa thérapie cognitive.
2Il nous a semblé crucial de permettre au lectorat francophone de prendre connaissance de ce texte, qui a inauguré une ligne de recherche fructueuse et critique sur le rôle du rêve dans l’histoire des psychothérapies.
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- 2 Beck, 1970a.
- 3 Lettre de l’auteure au Dr Aaron T. Beck (ATB à partir d’ici) du 8 juin 1995.
3En 1995, au début des recherches que je menais dans le cadre de ma thèse sur l’histoire de la thérapie cognitive, j’ai demandé à Aaron T. Beck s’il pouvait clarifier plusieurs énigmes que m’avait posées sa rupture avec la psychanalyse. L’une de ces énigmes concernait son flirt avec les rêves durant les premières années de la thérapie cognitive. L’année à laquelle remonte la dernière publication sur les rêves que j’ai trouvée est 1971, c’est-à-dire bien longtemps après sa rupture avec la psychanalyse et l’élaboration de la thérapie cognitive. Il s’agit de l’article intitulé « Cognitive Patterns in Dreams and Daydreams » (« Schémas cognitifs dans les rêves et les rêveries »). Beck a pourtant publié cet article dans un journal psychanalytique, lui qui avait soutenu un an auparavant2 que la thérapie cognitive devait être considérée comme une école distincte de la psychanalyse. Pourquoi a-t-il publié son article le plus important sur la thérapie cognitive et les rêves dans une revue psychanalytique ? Les données étant très rares, je lui ai demandé, presque sur un coup de tête, s’il était possible qu’il ait œuvré pour une psychothérapie intégrative dès les premières années de la thérapie cognitive3.
- 4 Lettre d’ATB à l’auteure du 20 juillet 1995.
- 5 Beck, 1991 ; Rosner, 1999.
4La réponse de Beck fut surprenante. Il avait en effet espéré trouver un terrain d’entente avec les psychanalystes durant les premières années de la thérapie cognitive et « se libérer de la servitude des approches prédéfinies de la psychanalyse et de la thérapie comportementale4 ». Cet article, a-t-il précisé dans sa réponse, s’inscrivait dans cet effort. Mais les psychanalystes n’ont pas répondu avec suffisamment d’enthousiasme pour encourager ses projets de collaboration. Mes propres recherches, fondées sur des entretiens personnels, sa correspondance privée et ses manuscrits inédits, confirment ses propos5.
- 6 Note des traducteurs (NDT) : La notion de « facteurs communs » (en anglais, common factors) renvoi (...)
5Il n’en reste pas moins que des questions subsistent sur la place des rêves dans la thérapie cognitive. Cet article de 1971 semble avoir eu peu d’effet tant sur la psychanalyse que sur la thérapie cognitive, car il est rarement cité dans la littérature. Après 1971, Beck a en outre abandonné tout travail sur les rêves et il est clair qu’il ne considérait plus par la suite que ceux-ci étaient particulièrement importants pour la thérapie cognitive. Même si Beck recherchait des facteurs communs entre les approches au cours de ces premières années, la valeur des rêves pour la thérapie cognitive reste incertaine6. Quel est donc l’intérêt, pour une historienne, d’accorder autant d’attention à un article de son lointain passé qui aurait autrement sombré dans l’oubli ? Comment une analyse historique des débuts de la théorie cognitive des rêves de Beck peut-elle être utile aux thérapeutes contemporains ?
6J’espère montrer que cet article pour ainsi dire inconnu présente les rêves comme des instruments essentiels dans le développement de la thérapie cognitive elle-même et que Beck n’a pas abandonné les rêves autant que l’on pourrait le croire. Je soutiendrai qu’il y a eu deux phases, ou chapitres, dans la carrière de Beck où les rêves ont joué un rôle central. Tout d’abord, les premières recherches psychanalytiques de Beck, qu’il a menées à la fin des années 1950 et au début des années 1960, alors qu’il s’efforçait à devenir compétent en matière de recherche quantitative en sciences sociales (large-sample social science research), portaient sur les rêves. Ces travaux l’ont incité à remettre en question la viabilité expérimentale et théorique de la théorie de la pulsion, ce qui l’a conduit à rejeter ce principe central de la psychanalyse et à développer en réponse son modèle cognitif.
7Ensuite, Beck est revenu à l’étude des rêves à la fin des années 1960, après avoir développé ce modèle, dans le dessein de trouver une communauté de thérapeutes partageant ses idées et d’y semer les graines de sa nouvelle approche. Dans ce contexte, il a élaboré une théorie cognitive des rêves rudimentaire qui mettait l’accent sur les facteurs communs entre les différentes approches. Beck expliquait aux psychanalystes que la thérapie cognitive était compatible avec les écoles néo-freudiennes comme celles d’Alfred Adler et de Karen Horney. À la même époque, il a utilisé ces idées cognitives sur les rêveries et les fantasmes pour illustrer la compatibilité de la thérapie cognitive avec la thérapie comportementale et il s’avère que la communauté comportementaliste a accueilli ce travail avec plus d’enthousiasme que la communauté psychanalytique. L’une des raisons pour lesquelles Beck a abandonné les rêves a sans doute été la pression qu’exerçait la thérapie comportementale contre la psychanalyse, trop forte pour s’accommoder avec sa philosophie unitaire. Néanmoins, cet article, une fois replacé dans son contexte, illustre non seulement la profondeur de la dette de Beck et de la thérapie cognitive envers les rêves, mais atteste également que les rêves ont favorisé le lien durable entre la thérapie cognitive, la psychanalyse et la thérapie comportementale, qui a refait surface dans l’esprit intégratif de notre époque. En ce sens, l’histoire de Beck peut encourager les praticiennes et praticiens en thérapie cognitive à franchir les frontières de leur territoire théorique familier et à explorer la valeur clinique des données oniriques.
8Beck a commencé à étudier les rêves à la fin des années 1950, alors qu’il était un jeune professeur au département de psychiatrie de l’université de Pennsylvanie et qu’il s’était porté candidat au Philadelphia Psychoanalytic Institute7. La formation psychiatrique de Beck ne l’a pas particulièrement préparé à la recherche. Dans les années 1950, les psychiatres étaient formés pour être des cliniciens et rares étaient ceux qui avaient des compétences en matière de recherche expérimentale. Pratiquement toutes les recherches psychanalytiques reposaient sur la méthode de l’étude de cas. Je mentionne la formation initiale – ou l’absence de formation – de Beck en matière de recherche expérimentale pour montrer que son travail sur les rêves est le fruit de son désir, devenu intense au début de sa vie professionnelle, d’acquérir des compétences dans le domaine de la science expérimentale et quantitative.
- 8 NDT : « Leon Saul était surtout connu pour son livre Emotional Maturity. The Development and Dynam (...)
- 9 Chapitre non publié et non daté intitulé « Schémas dans les rêves de patients déprimés », tapé à l (...)
- 10 Saul, 1940 ; Saul et al., 1954 ; Saul et Sheppard, 1956.
9Beck n’est cependant pas entré dans le monde de la recherche expérimentale sur les rêves complètement démuni. Il était l’héritier de la tradition proto-expérimentale d’étude des rêves de Leon Saul, son mentor à l’université de Pennsylvanie et psychanalyste-formateur, qui l’avait lui-même héritée de Franz Alexander8. Beck s’inscrit dans cette tradition assez unique qui utilise des méthodes quantitatives pour étudier le matériel psychanalytique. Ses mentors ont également été parmi les premiers analystes à étudier les thèmes manifestes des rêves (manifest dream themes), ces derniers pouvant être quantifiés et évalués plus facilement que les thèmes latents. Leur intérêt pour le contenu manifeste (manifest content) reflétait une attention croissante portée sur le moi plutôt que sur le ça et la libido. Dans les années 1950, Saul a approfondi certaines des mesures d’Alexander en élaborant une série de systèmes d’évaluation complets des fonctions du moi dans les thèmes manifestes des rêves9. Il s’intéressait en particulier à la façon dont le moi gérait l’hostilité en fonction de différents diagnostics, notamment l’hypertension10.
- 11 Beck et Hurvich, 1959.
- 12 Ibid. Cet article a été réédité dans un volume sur la psychologie anormale (abnormal psychology) e (...)
- 13 Beck et Ward, 1961.
- 14 Ibid., 70.
10Beck a mené sa première expérience scientifique sur les rêves en tant que membre de l’équipe de recherche de Saul11. Beck et un étudiant diplômé en psychologie, Marvin Hurvich, ont testé si, oui ou non, l’hostilité se manifestait dans la dépression, partant de l’hypothèse que la dépression était une forme d’hostilité retournée et que les thèmes de l’échec, du rejet, de la perte et de l’abandon apparaîtraient de manière statistiquement significative dans les thèmes manifestes des rêves de patients dépressifs. Ils ont élaboré la masochism scale pour déterminer la fréquence de ces thèmes et constaté que les rêves des patientes et des patients déprimés présentaient une fréquence relativement plus élevée d’affects désagréables par rapport à ceux des patientes et des patients non déprimés12. Ils en ont alors conclu que les rêves manifestes (manifest dreams) des personnes déprimées étaient compatibles avec le postulat psychanalytique de l’hostilité retournée. Beck a ensuite reproduit ces mesures dans le cadre d’une étude plus vaste sur les rêves, qui faisait partie d’un projet de recherche sur la dépression parrainé par le National Institute of Mental Health (NIMH)13. À ce moment, Beck et ses collègues d’alors ont suggéré que des rêves masochistes se produisaient chez des patientes et des patients déprimés, même en l’absence d’épisode dépressif aigu, et ils ont soutenu que les rêves masochistes pouvaient être « plus correctement considérés comme liés à certaines caractéristiques de la personnalité des individus susceptibles de développer des dépressions14 ». Ces deux études corroborent les propositions psychanalytiques selon lesquelles la dépression est une forme d’hostilité retournée et les patients dépressifs manifestent le souhait de souffrir.
- 15 Rosner, 1999.
- 16 Ibid.
11Dans ma thèse, j’ai soutenu que Beck avait lutté pendant ces années pour réconcilier dans son esprit les deux visions du monde de la psychanalyse et de la science expérimentale15. Alors qu’il avait été formé à élever la théorie psychanalytique au-dessus du niveau du doute, l’épistémologie de la science expérimentale l’obligeait à faire confiance aux données plutôt qu’à la théorie. En effet, l’une des caractéristiques les plus marquantes des premières recherches psychanalytiques de Beck sur les rêves n’était pas ses idées psychanalytiques en tant que telles, mais plutôt son engagement à moderniser la recherche psychiatrique avec les techniques statistiques et les méthodes expérimentales plus sophistiquées des sciences sociales. Il a notamment engagé Marvin Hurvich pour son expertise en matière de méthodes de recherche expérimentale sur de grands échantillons. À ce stade de sa carrière, Beck restait attaché à la théorie psychanalytique, mais ses études psychanalytiques sur les rêves cachaient une tension centrale dans son esprit entre la psychanalyse et la science, qu’il n’avait pas encore complètement résolue16.
12En fin de compte, j’aimerais soutenir que Beck a privilégié la science expérimentale au détriment de la psychanalyse ou, pour le dire autrement, qu’il a préféré la méthode à la théorie ; et cette décision a ouvert la voie à l’émergence de la thérapie cognitive. Dans les années 1960, Beck était extraordinairement attaché à une vision du monde qui accordait une place privilégiée au scientifique. Deux exemples illustrent particulièrement bien la profondeur de son engagement en faveur de l’expérimentalisme (experimentalism) durant les années 1960 et l’inséparabilité croissante de l’épistémologie de la science expérimentale et de ses innovations cliniques et théoriques : sa décision d’utiliser des techniques expérimentales dans son cabinet de thérapie à des fins cliniques au début des années 1960 et sa volonté, au milieu de la même décennie, de réévaluer et de réinterpréter les résultats de sa recherche psychanalytique sur les rêves.
- 17 Notes préparatoires pour un enseignement de deuxième année de psychodynamique, 9e séance, « Nuclea (...)
- 18 Beck et Stein, 1961.
13Les thérapeutes cognitifs connaissent parfaitement les techniques de base de la thérapie cognitive, mais ils ne sont généralement pas conscients des conditions historiques qui ont favorisé leur développement. Beck a fait des observations cliniques sur le rôle des cognitions dans la psychopathologie depuis la fin des années 195017. Il a même publié certaines de ces observations dans un article sur la psychodynamique en 196118. Or, j’aimerais suggérer que Beck a attendu d’avoir décidé que son avenir professionnel dépendrait de son adhésion totale à la vision du monde de la recherche scientifique pour lancer des innovations cliniques fondées sur ses observations, adhésion qui a été influencée par son grand projet de recherche sur la dépression parrainé par le NIMH et qui s’est concrétisée avec la publication, par Hurvich et lui, de leur monographie sur les rêves.
- 19 NDT : George Kelly (1905-1967) était un psychothérapeute états-unien. Principalement connu pour sa (...)
- 20 Lettre d’ATB à Seymour Feshbach du 18 janvier 1963. Collection personnelle d’ATB.
- 21 Beck, 1967, 569 ; Rosner, 1999.
- 22 Voir les lettres de patients à ATB des 4 février 1963, 25 octobre 1964 et 7 novembre 1964. Ces let (...)
14Les innovations cliniques fondées sur ces observations, qu’il a entreprises dans l’urgence à la fin des années 1960, ont introduit l’éthos du laboratoire directement dans le cabinet de thérapie. Au début des années 1960, Beck, comme George Kelly19 avant lui, a commencé à enseigner à ses patients à devenir des scientifiques dans leurs propres laboratoires mentaux20. Dès son origine, on pourrait dire que la thérapie cognitive était un programme de formation scientifique21. Beck apprenait d’abord à ses patientes et patients à identifier leurs distorsions cognitives, autrement appelées pensées automatiques (observation clinique), puis à reconnaître que ces distorsions étaient des croyances qui pouvaient être testées objectivement. Il les formait ensuite à réexaminer et à remettre en question les preuves (tests expérimentaux). Enfin, il les encourageait à adopter une nouvelle interprétation plus objective des faits (théorie)22.
- 23 Lettre d’ATB à Albert J. (Mickey) Stunkard du 26 septembre 1962. Collection personnelle d’ATB.
- 24 Lettre d’ATB à Leon J. Saul du 8 mars 1962. Collection personnelle d’ATB.
- 25 Lettre d’ATB à Seymour Feshbach du 8 mars 1962. Collection personnelle d’ATB.
15Le deuxième exemple est tiré d’un projet lancé en 1962, qui comprenait la recherche sur les rêves, sans toutefois s’y limiter. En 1962, une fois son projet de recherche sur la dépression pour le NIMH clos, Beck a décidé de résumer ses résultats, y compris ses recherches sur les rêves et certaines de ses toutes premières thèses cognitivistes, sous une forme monographique23. Cette monographie avait pour but de replacer ses recherches sur la dépression dans le cadre plus large de la littérature médicale et psychologique et d’indiquer la voie à suivre pour les théories et les projets de recherche futurs. Beck s’est de plus voué à cet ouvrage avec un zèle de missionnaire, dans l’ambitieux dessein de fournir à ses collègues psychiatres un guide sur la manière de mener des recherches expérimentales proprement scientifiques24. Il souhaitait donc que la monographie suive non pas la chronologie de ses découvertes sur la dépression, mais plutôt « la séquence des étapes du développement d’un projet de recherche […] dans les termes de ses problèmes conceptuels et méthodologiques spécifiques ». « Ceux-ci, a-t-il ajouté, [y] seraient abordés de manière systématique et les différentes techniques utilisées pour résoudre ces problèmes seraient discutées25. »
16En 1967, la monographie en question est devenue son livre Depression. Clinical, Experimental, and Theoretical Aspects, réimprimé en 1970 sous le titre Depression. Causes and Treatment26. La trame de l’ouvrage suit les jalons posés dans son premier sous-titre : Beck emmenait les lecteurs dans un voyage allant de l’observation clinique à l’émergence d’une théorie ancrée (grounded theory) avec des applications cliniques, en passant par l’expérimentation à grande échelle – soit les étapes nécessaires de la recherche expérimentale systématique. Il est regrettable que Beck ait modifié le sous-titre de son livre à l’occasion de sa réédition, le sous-titre original offrant une mine d’informations sur la centralité des considérations méthodologiques dans son expertise de la dépression. Or, la thérapie cognitive doit en partie son existence, selon moi, à la décision de Beck de donner plus de poids à l’épistémologie de la science expérimentale ; ce qu’il exprime dans son livre de 1967 en présentant la thérapie cognitive comme le résultat théorique (et clinique) des étapes de la recherche scientifique qu’il a suivies.
- 27 Beck, 1967.
- 28 Ibid.
- 29 Ibid., 171.
17La recherche sur les rêves poursuivie par Beck a été au cœur de la transformation scientifique qu’il a opérée sur lui-même. En effet, l’un des événements les plus importants dans l’évolution de la thérapie cognitive a été sa décision de réexaminer et de réinterpréter les données sur les rêves issues du projet du NIMH en 1962. Beck a découvert que ces données, qu’il a publiées en 196727, ne validaient pas nécessairement l’hypothèse de l’hostilité retournée, comme lui et ses collègues l’avaient cru auparavant. Bien que les sujets déprimés aient fait des rêves désagréables à contenu masochiste, les thèmes manifestes ne montraient pas de désir de souffrir28. Les données ne font que confirmer le fait que les personnes dépressives souffrent. Beck a alors précisé que, « étant donné que le souhait ne pouvait pas être démontré directement dans le matériel clinique, les formulations psychodynamiques ne pouvaient pas être soumises à un test direct29 ».
- 30 Ibid.
- 31 Ibid.
- 32 Ibid., 172.
- 33 Ibid., 318.
18Beck a décidé de s’attaquer à ce problème en apportant un changement méthodologique à ses recherches. « Au fur et à mesure que la recherche se développait, écrit-il, j’ai tenté de contourner ces problèmes méthodologiques en [restant] au niveau des expériences du patient [au lieu] de déduire un processus sous-jacent30 ». Beck a décidé de ne pas rechercher de souhaits du tout, mais plutôt d’émettre à partir des expériences des patientes et des patients des hypothèses qui puissent être facilement identifiées, quantifiées et vérifiées. Cette décision a entraîné des conséquences théoriques pour lui, qui ne s’est pas contenté de conclure que les souhaits étaient inaccessibles d’un point de vue méthodologique, mais a également soutenu qu’ils n’existaient tout simplement pas. Or, sans cette pierre angulaire qu’est le souhait, « toute la formulation du besoin de souffrir s’effondre31 ». Beck rejetait la théorie de la pulsion dans son ensemble, y compris l’existence de mécanismes de défense et d’un symbolisme. « La focalisation sur le matériel, écrit-il, dans les termes dans lesquels le patient perçoit la réalité extérieure et se perçoit lui-même a progressivement déplacé l’accent d’un modèle motivationnel vers un modèle cognitif32 ». Il a affirmé que sa nouvelle approche clinique, qu’il appelait la « Cognitive (Insight) Psychotherapy », reflétait plus précisément les données cliniques et expérimentales qu’il a recueillies33. Le livre de 1967 marque le premier aveu public de son éloignement de la psychanalyse pour celui qui se tournait alors vers une nouvelle thérapie cognitive ; et sa recherche sur les rêves et l’épistémologie de la science expérimentale ont joué un rôle central dans ce parcours.
- 34 Note dactylographiée non datée (env. 1968), intitulée « Étude no 2. Rêves et rêveries de patients (...)
- 35 Communication personnelle d’ATB.
19Beck a consacré bien moins de temps à la recherche sur les rêves après la publication de son livre de 1967 sur la dépression. Il a toutefois brièvement envisagé de mener une série d’expériences sur les rêves de personnes dépressives et suicidaires dans le cadre d’un projet plus vaste pour lequel il avait reçu un nouveau financement du NIMH à la fin des années 1960. Beck voulait également tester l’hypothèse d’une continuité entre le contenu manifeste des rêves et les enregistrements électroencéphalographiques recueillis pendant la nuit34. Or, ces études auraient nécessité l’utilisation d’un laboratoire du sommeil, ce qui dépassait le budget de sa bourse NIMH, et elles n’ont donc jamais été réalisées35. Pour ces raisons et d’autres encore, les rêves ont été relégués à la périphérie de son champ de vision scientifique.
- 36 Beck, 1969 ; 1971. L’autre texte que Beck a publié sur les rêves est une recension de trois pages (...)
- 37 NDT : Nous avons choisi de traduire broad-spectrum par éclectique. À l’aide de ce terme, qu’elle e (...)
20Beck s’est néanmoins appuyé sur son expertise en tant que clinicien et chercheur-psychanalyste sur les rêves (psychoanalytic dream researcher) pour atteindre son objectif plus large de trouver une communauté pour la thérapie cognitive. À la fin des années 1960, Beck a recommencé à publier sur les rêves, élaborant cette fois une théorie cognitive des rêves qu’il a utilisée, d’après moi, dans deux contextes distincts et à deux fins différentes : s’imposer comme un révisionniste néo-freudien et exposer aux thérapeutes comportementaux la valeur de la thérapie cognitive. Beck a travaillé sur cette théorie relativement peu de temps, de 1968 à 1971, et n’a publié que deux articles sur les cognitions et les rêves, dont le plus important est celui de 197136. Sa nouvelle théorie sur les rêves s’est néanmoins avérée un outil extrêmement précieux dans sa quête d’un public pour sa nouvelle école de psychothérapie. Il a utilisé les rêves pour démontrer les vertus des facteurs communs, ou ce qu’il a appelé une approche éclectique37. Cette philosophie a joué un rôle déterminant dans le succès de Beck, qui a réussi à attirer sur la thérapie cognitive une attention d’ampleur nationale.
- 38 Beck, 1971.
- 39 Ibid., 7.
- 40 Ibid.
- 41 Ibid., 6.
21Selon la nouvelle théorie cognitive des rêves de Beck, les rêves sont les cousins idéationnels des pensées automatiques et se situent le long d’un continuum de cognitions irrationnelles – également connues sous le nom de schèmes (schemas) – qui suivent un schéma (pattern) unique spécifique à des troubles particuliers38. Il pensait qu’il y avait une continuité entre les schémas cognitifs idiosyncrasiques de la vie éveillée qui prennent la forme de pensées automatiques et de rêveries, à la périphérie de la conscience, et les thèmes manifestes des rêves pendant le sommeil. En 1971, il écrit : « Une façon utile de formuler l’hypothèse est de la présenter sous la forme d’un continuum, comme suit : du verbal au visuel, nous avons les “pensées automatiques”-les rêveries spontanées-les hallucinations induites par les drogues-les rêves39 ». Beck a suggéré que la pression de la réalité (press of reality) met à l’épreuve le contenu irrationnel des fantasmes éveillés tels que les pensées automatiques et les rêveries ; pendant le sommeil, en revanche, alors que « les données extérieures sont suspendues, le schéma cognitif exerce une influence maximale sur le contenu des rêves40 ». Les rêves sont des exemples discrets des mêmes processus à l’œuvre dans la production de pensées automatiques et sont donc précieux en tant qu’ils sont une « sorte de biopsie des processus psychologiques du patient41 ». En affirmant que les rêves n’ont pas de fonction psychique, comme celle de préserver le sommeil, et qu’ils n’ont pas besoin d’une interprétation complexe pour être compris, Beck a pris ses distances avec l’analyse classique.
- 42 Lettre de Gerhart Piers, président du comité d’adhésion de l’American Psychoanalytic Association, (...)
- 43 Lettre de Harold I. Lief, président du comité de nomination, aux docteurs Frances Arkin, Robert A. (...)
- 44 American Academy of Psychoanalysis, boîte 1. Avec l’aimable autorisation de la bibliothèque Oskar (...)
- 45 Beck, 1970b
- 46 Ullman, Montague (non daté), Appel à contribution au colloque (meeting) de mi-hiver : les rêves (D (...)
- 47 Shainberg, D., 1971, « Discussion of Papers of Aaron T. Beck, M.D., and John L. Schimel, M.D », da (...)
22Beck a publié cette théorie dans les actes de l’American Academy of Psychoanalysis, un groupe dissident de l’American Psychoanalytic Association qui encourageait l’échange libre et scientifique d’idées psychanalytiques. Il est curieux que Beck ait décidé de réintégrer une organisation psychanalytique – même s’il s’agissait d’un groupe libéral d’analystes – avec ses idées cognitives. Non seulement avait-il rejeté la théorie de la pulsion, pierre angulaire de la psychanalyse conventionnelle, mais la « psychanalyse » semblait aussi l’avoir rejeté. Sa demande d’adhésion à l’American Psychoanalytic Association a été refusée en 196042 et il ne l’a jamais renouvelée ; sa présentation de la théorie du rêve était presque dépourvue de références à la théorie psychanalytique ; et pourtant, Beck est revenu avec un dévouement certain. Il a ainsi rejoint l’Academy en 1968, dont il a été élu administrateur en 196943 et dont il a présidé, l’hiver de la même année, une conférence sur la dépression et le suicide44, au cours de laquelle il a présenté un article sur la triade cognitive45. En 1971, Beck a répondu à un appel à communications pour une conférence hivernale sur les rêves (dreams and dreaming)46 et son article a été accueilli avec enthousiasme, du moins par le psychiatre choisi pour en fournir un compte rendu écrit47.
- 48 Beck et al., 1961.
- 49 Beck et Ward, 1961
- 50 Beck, 1963 ; 1964
- 51 Beck a reconnu sa dette envers Grinker en contribuant à des mélanges en son honneur (Beck, 1972).
23Comment comprendre le retour de Beck à la psychanalyse ? Son intérêt a pu provenir de la relation étroite que ses mentors et collègues entretenaient avec l’Academy. Leon Saul en était un membre fondateur, tout comme les disciples de Karen Horney et de Harry Stack Sullivan. Roy Grinker, rédacteur en chef des Archives of Psychiatry – qui ont publié de nombreux articles de Beck, notamment l’inventaire de la dépression48, son deuxième article sur les rêves49 et ses deux premiers articles sur la pensée et la dépression50 –, en était également un membre fondateur et un participant actif51. Beck s’est peut-être tourné vers la communauté qu’il connaissait le mieux pour obtenir un soutien pour son nouveau modèle.
- 52 Beck, 1990.
- 53 NDT : « Aaron T. Beck est né à une époque où la théorie psychanalytique était monolithique ; et la (...)
- 54 Beck, 1971. NDT : Voilà le passage de l’article de Beck auquel Rosner fait référence ici : « Les c (...)
- 55 Voir, par exemple, ses notes manuscrites datées des 19 mai et 7 novembre 1964. Collection personne (...)
24On peut ajouter, pour saisir l’importance de l’Academy dans son projet, que Beck a vu une relation étroite entre la thérapie cognitive et les écoles du néo-freudisme qui y avaient trouvé un foyer confortable, loin de l’orthodoxie de l’American Psychoanalytic Association. Beck se souvient : « D’abord, j’ai appelé cela la psychologie de l’ego, [puis j’ai senti que c’était] la psychanalyse des années 60, c’était la néo-analyse. Ce que je veux dire, c’est que [la thérapie cognitive] est cohérente aujourd’hui encore avec Adler, Horney, etc. Je me suis en quelque sorte identifié à ce que l’on appelle l’école néo-analytique52. » L’Academy accueillait de nombreux néo-freudiens, y compris des étudiants d’Adler, Horney et Sullivan, entre autres, qui avaient mis de côté la théorie de la pulsion en faveur d’approches orientées vers l’ego et l’environnement53. Beck a établi des analogies dans ses deux articles académiques entre son modèle et certaines caractéristiques des processus primaires et secondaires de Freud, soutenant par exemple dans l’article sur le rêve que le schéma hyperactif était analogue à l’état préconscient de Freud54. Dans des notes inédites, Beck avait imaginé un système de confrontation à la réalité (system of reality testing)55 analogue à l’ego, qui servirait de médiateur entre les pulsions primitives et la pression de la réalité. Compte tenu de l’orientation de ses propres travaux théoriques et cliniques, Beck pouvait raisonnablement supposer que les écoles néo-freudiennes seraient réceptives à ses idées sur les rêves.
- 56 Lettre d’ATB au Dr Robert Toborowsky du 11 janvier 1969. Collection personnelle d’ATB.
25Cette interprétation est cohérente avec un projet appelé « psychothérapie éclectique » dans lequel Beck était très actif à l’époque de sa collaboration avec l’Academy. La philosophie de l’éclectisme invitait les thérapeutes à chercher des facteurs communs et à dépasser les frontières théoriques pour rendre toutes les techniques accessibles à toutes et tous les thérapeutes. En 1967, Beck a créé un nouveau cours pour les étudiants en médecine à l’université de Pennsylvanie, intitulé « Broad Spectrum Psychotherapy » (Psychothérapie éclectique). Son objectif était de positionner les principales écoles de psychothérapie, parmi lesquelles il comptait désormais la thérapie cognitive, non pas en opposition les unes aux autres, mais en relation les unes avec les autres sur un continuum d’interventions spécifiques. Selon lui, les psychothérapeutes se sentaient obligés d’adhérer à une seule théorie et d’employer uniquement les techniques définies par cette théorie56. À l’inverse, voici ce qu’il proposait :
- 57 Texte inédit sur la « psychothérapie éclectique », non daté, mais intégré dans un fichier intitulé (...)
Nous essayons d’éviter les disputes théoriques… Nous partons de l’hypothèse que chacun des systèmes de psychothérapie a un certain mérite. Nous essayons de sélectionner le type général de psychothérapie qui semble indiqué sur la base des variables du patient […]. L’approche pragmatique est la suivante : si une forme particulière de thérapie fonctionne (et s’il n’y a pas de contre-indication à son utilisation), utilisons-la. Une fois que le praticien est libéré de son attitude conformiste à l’égard d’une école particulière de psychothérapie, il est libre de choisir la technique appropriée parmi une grande variété de techniques disponibles57.
26Le désir de Beck de considérer les différentes écoles de psychothérapie comme complémentaires, plutôt qu’antagonistes, pourrait bien l’avoir incité à rechercher des relations intellectuelles amicales avec les membres de certaines des ailes libérales de la psychanalyse.
- 58 NDT : Joseph Wolpe (1915-1997) et Arnold Lazarus (1932-2013) sont deux psychologues sud-africains. (...)
- 59 Mahoney, 1974.
- 60 Brown, 1967 ; 1969 ; Sloane, 1969 ; Ward, 1968.
27Or, son travail sur la psychothérapie éclectique l’a également mis en contact avec les plus éminents thérapeutes comportementaux de Philadelphie, notamment Joseph Wolpe et Arnold Lazarus de l’université Temple58. Wolpe n’était pas d’accord avec les idées de Beck sur l’existence de médiateurs cognitifs, mais Lazarus les trouvait très intéressantes. À la fin des années 1960, la jeune génération de thérapeutes comportementaux, emmenée par Lazarus, a élaboré une méthode que Michael Mahoney a appelée « l’inquisition cognitive59 ». Conscients des limites du paradigme strict stimulus-comportement (stimulus-behavior), qu’ils avaient hérité de Wolpe, ceux-ci ont commencé à explorer d’autres théories à la recherche d’un médiateur cognitif opérationnalisable qu’ils pourraient placer entre le stimulus et la réponse. Lazarus et une petite communauté de thérapeutes comportementaux ont rapidement émergé à la fin des années 1960 avec l’objectif commun d’utiliser cette philosophie éclectique pour trouver ce médiateur cognitif60.
- 61 Lazarus, 1968.
- 62 Ibid.
- 63 Lettres d’ATB au Dr Arnold Lazarus du 1er juillet et du 9 août 1967. Collection personnelle d’ATB.
28Beck a commencé à rechercher des convergences plus spécifiques entre la thérapie cognitive et la thérapie comportementale. Lazarus soutenait depuis plusieurs années que la thérapie comportementale gagnerait à reconnaître que certaines réactions de peur étaient non pas des réponses à des stimuli observables, mais des réponses à la signification potentielle de ces stimuli. Il a découvert que la technique de projection dans le temps avec renforcement positif, par laquelle le thérapeute incite le client à imaginer des activités agréables pendant des semaines consécutives, pouvait faire disparaître la dépression61 et insisté sur le fait que les clients qui réussissaient le mieux étaient « capables de se représenter des images vivantes62 ». Lazarus lui-même a peut-être offert le premier rameau d’olivier dans la quête d’une approche fondée sur des facteurs communs. Beck a été impressionné par sa capacité à manipuler l’humeur de ses patients par l’utilisation de fantasmes induits et il a remarqué une certaine convergence avec ses propres hypothèses sur l’importance de considérer tous les indices et d’examiner des pistes différentes63. Il a trouvé un point de jonction avec Lazarus en suggérant que sa propre théorie des pensées automatiques pourrait être étendue aux pensées visuelles, telles que les images induites dans les expériences cliniques de Lazarus.
- 64 NDT : La désensibilisation systématique est une technique développée par Wolpe, qu’il utilisait po (...)
- 65 Beck, 1970a.
29Beck a rapidement rédigé plusieurs articles comparatifs fondés sur sa philosophie éclectique, qui expliquaient comment la thérapie cognitive pouvait rendre compte des processus cognitifs à l’œuvre dans l’imagerie induite et la désensibilisation systématique64. L’un des articles les plus influents a été « Cognitive Therapy: Nature and Relation to Behavior Therapy65 », paru dans le premier volume de la revue Behavior Therapy, où il a écrit :
Une amplification substantielle de la nature des processus cognitifs est nécessaire pour rendre compte de manière adéquate des phénomènes cliniques et des effets de l’intervention thérapeutique. Mettre davantage l’accent sur les descriptions personnelles d’événements internes peut mener à une vision plus complète de la psychopathologie humaine et des mécanismes de changement de comportement. En utilisant des données introspectives, le théoricien cognitif a accès aux pensées, aux idées, aux attitudes, aux rêves et aux rêveries du patient. Ces productions idéationnelles fournissent au théoricien cognitif les matières premières avec lesquelles il peut former des concepts et des modèles66.
- 67 Ibid., 194. NDT : Beck utilise la plupart du temps le terme pictorial pour décrire les cognitions (...)
30Les données introspectives, poursuit-il, prouvent « l’existence d’organisations complexes de structures cognitives […] composées de systèmes primitifs consistant en des structures cognitives relativement grossières (correspondant à la notion de processus primaire de Freud), et de systèmes plus matures composés de structures raffinées et élastiques (correspondant au processus secondaire). Certains des éléments conceptuels peuvent être essentiellement verbaux, tandis que d’autres peuvent être essentiellement imagés67 ». Il conclut que la thérapie cognitive doit être considérée comme un système distinct de la thérapie comportementale, mais que les thérapeutes comportementaux pourraient tirer profit de certaines de ses hypothèses sur la nature et le rôle des cognitions dans la psychopathologie.
- 68 Manuscrit non publié de février 1968, « L’utilisation de l’imagination dans la psychothérapie écle (...)
- 69 Beck, manuscrit non publié, 1968, 2.
31Une partie de ces articles comparatifs portait spécifiquement sur le rôle des fantasmes, des rêves et des rêveries dans la psychothérapie. Le plus ancien d’entre eux est un manuscrit inédit sur les fantasmes dans la psychothérapie éclectique68. Beck y affirme que la description de la désensibilisation systématique proposée par Wolpe avait une portée trop limitée et ne parvenait pas à rendre compte du « large éventail d’utilisations potentielles de l’imagination en psychothérapie69 ». Il souligne ensuite les façons dont il utilisait les fantasmes spontanés et induits en thérapie cognitive, sans avoir recours à de la relaxation ou avoir besoin de se concentrer exclusivement sur l’anxiété, pour obtenir plus d’informations sur la nature des problèmes de ses patientes et de ses patients et pour entraîner des changements. Par exemple, Beck a formulé l’hypothèse suivante :
[En] discutant des fantasmes spontanés du patient vécus avant l’entretien psychothérapeutique, il est possible de déterminer plus précisément le contenu de son problème particulier. D’une certaine manière, cette procédure est analogue à celle qui consiste à raconter ses rêves et à produire des associations à partir d’eux. En se focalisant sur le matériel élaboré en association avec le fantasme, le thérapeute et le patient peuvent acquérir une grande compréhension du problème psychologique particulier70.
32Beck a démontré que cette technique était aussi utile en psychothérapie psychodynamique que dans d’autres thérapies, car le thérapeute, quelles que soient ses convictions, « peut recueillir des récits (reports) sur les fantasmes imagés du patient de la même manière qu’il recueille des récits sur les rêves et d’autres matériaux idéationnels71 ».
33Beck a présenté une discussion encore plus complète de ces idées dans un article sur les fantasmes dans le Journal of Nervous and Mental Disease72, qui présente des similarités frappantes avec l’article sur les rêves de 1971. Beck a dirigé cet article, comme le manuscrit non publié sur les fantasmes, contre les insuffisances du système de Wolpe, mais il y a présenté exactement les mêmes arguments sur la nature des cognitions et des rêves que dans sa communication à l’Académie américaine de psychanalyse. Il y a, par exemple, soutenu l’affirmation suivante :
[L]a similitude entre le contenu des cognitions verbales et imagées suggère qu’elles proviennent du même système conceptuel. La réponse cognitive à une situation est façonnée par le schéma cognitif spécifique qui a été activé. Si un schéma cognitif particulier est hyperactif (comme dans les divers états psychopathologiques), alors le contenu des cognitions verbales et imagées spontanées tend à être déterminé par ce schéma cognitif hyperactif73.
34Comme dans l’article de 1971, il suggère « une continuité dans le contenu manifeste des rêves, des rêveries et des cognitions verbales […]. Une construction théorique qui peut expliquer cette continuité entre les phénomènes idéationnels est qu’ils dérivent du même schéma cognitif hyperactif74 ». Beck a adapté cette discussion aux préoccupations des thérapeutes comportementaux en avançant « qu’il existe des preuves cliniques convaincantes que les images irréalistes exercent une influence significative non seulement sur l’affect et la motivation, mais aussi sur le comportement manifeste du patient75 ». Cet article, quand on le met en parallèle avec celui de 1971, montre clairement comment Beck a pu atteindre les deux groupes avec un modèle des processus cognitifs susceptible de mettre en évidence les facteurs communs qu’il partage avec chacun d’entre eux.
35Les circonstances historiques, plus que toute autre chose, ont rapproché Beck des thérapeutes comportementaux et l’ont éloigné des psychanalystes. Les thérapeutes comportementaux qui s’orientaient vers une approche cognitive ont réagi avec beaucoup plus d’urgence et d’enthousiasme à son travail que les psychanalystes. Beck a été invité à participer à de brèves conférences avec des thérapeutes comportementaux tels que Gerald Davison, ainsi qu’aux réunions annuelles de la Society for Psychotherapy Research (SPR) et de l’Association for the Advancement of Behavior Therapy (AABT). Les membres de l’AABT et de la SPR ont rapidement catapulté Beck à un rôle de leader au sein du mouvement national émergent des thérapies cognitives et comportementales (TCC). Il n’a tout simplement pas bénéficié du même type de relation enthousiaste et professionnellement stimulante avec les membres de l’American Academy of Psychoanalysis.
- 76 Notes intitulées « Panel sur les nouvelles tendances de la thérapie cognitive : présentation à la (...)
- 77 Entretien personnel avec le Dr David Barlow, mars 1999.
36La plus mémorable des sollicitations venues des TCC a sans doute été la suggestion de David Barlow de faire participer Beck à une table ronde sur la modification cognitive du comportement avec Donald Meichenbaum et Michael Mahoney à l’occasion de la réunion annuelle de l’AABT en 1974. Beck y a parlé des « nouvelles tendances de la thérapie cognitive » et reçu un accueil extrêmement enthousiaste76. Barlow se souvient que Beck avait apporté « peut-être vingt à vingt-cinq documents77 ». « Pensant qu’il était assez populaire, m’a-t-il raconté, nous l’avions placé dans une salle plus grande pouvant accueillir une centaine de personnes. Et quelque deux cents à trois cents personnes [sont apparues] […] et il a été absolument époustouflé. » Selon Barlow, l’attrait de Beck résidait dans son expertise clinique :
De nombreuses personnes pratiquaient la psychothérapie jour après jour et n’étaient pas satisfaites de la psychanalyse, mais, dans la salle de consultation, avec les normes en vigueur qui consistaient à voir les gens pendant une heure, [elles] ne pouvaient pas se contenter de les faire marcher de long en large dans la pièce et d’observer leur comportement. Il est évident qu’elles leur parlaient, qu’elles examinaient leurs suppositions (assumptions), les fondements cognitifs de leur psychopathologie. Et voilà qu’apparut un collègue qui n’était manifestement plus psychanalyste et qui proposait pourtant quelque chose que les gens pouvaient faire dans un cabinet de consultation, quelque chose qu’ils pouvaient adapter à leurs pratiques thérapeutiques habituelles78.
37Ce genre d’opinions a contribué à assurer à Beck une place permanente dans la communauté des thérapeutes cognitivo-comportementaux, une place qu’il a conservée jusqu’à aujourd’hui.
38Beck n’a pas publié d’autres articles sur les fantasmes ou les rêves après cet élan de la fin des années 1960. En effet, les rêves ont entièrement disparu de son modèle cognitif après 1971. Pourquoi en a-t-il été ainsi ? Une piste de réponse réside peut-être dans l’esprit pragmatique de Beck. Beck n’avait plus besoin d’étudier les rêves pour démontrer la valeur de la thérapie cognitive. Il avait offert aux thérapeutes comportementaux un argumentaire complet et convaincant sans compromettre leur engagement commun en faveur de la science expérimentale. Ces derniers lui ont offert une communauté de scientifiques et de praticiens qui le soutenaient, dotée d’une infrastructure solide capable de faire connaître la thérapie cognitive à l’échelle nationale. Il s’agissait d’un excellent mariage dont chaque partie bénéficiait énormément et Beck a simplement suivi la voie la plus pragmatique.
39Cette alliance avec les thérapeutes du comportement a également favorisé, je dirais, une forme de politique de « l’oubli ». Au début des années 1970, une animosité considérable subsistait entre les thérapeutes comportementaux et les psychanalystes, malgré les efforts des psychothérapeutes éclectiques. Les thérapeutes comportementaux n’auraient certainement pas encouragé Beck à explorer les caractéristiques les plus psychodynamiques de son modèle, et ce dernier n’était peut-être pas non plus très enclin à les mettre en évidence. Beck était en outre devenu extrêmement frustré par la politique psychanalytique de la loyauté personnelle qui avait imprégné le département de psychiatrie de l’université de Pennsylvanie au milieu des années 196079. Il était peut-être politiquement opportun pour Beck et les thérapeutes comportementaux, étant donné que leur alliance s’était avérée si fructueuse, d’ignorer tout simplement les éléments psychanalytiques de son travail. Je soutiens personnellement que sa philosophie éclectique n’a peut-être pas été suffisamment puissante – ou convaincante – pour surmonter les forces politiques de la thérapie comportementale qui se sont déchaînées contre la psychanalyse. Beck a cultivé les éléments de son modèle qu’il partageait avec les thérapeutes du comportement, tandis qu’il a laissé de côté d’autres éléments, tels que les rêves, jusqu’à ce qu’ils disparaissent de la vue du public. D’une certaine manière, Beck a bouclé la boucle. Il a privilégié la méthode à la théorie, comme il l’avait fait en 1962. En accordant ses faveurs aux thérapeutes comportementaux, il a choisi la communauté avec laquelle il partageait le plus d’intérêts scientifiques et méthodologiques et a laissé se dénouer les liens avec la communauté avec laquelle il ne partageait que des intérêts théoriques – qui plus est, de plus en plus ténus. Beck n’a jamais rejeté la valeur des rêves et ne les a pas abandonnés ; il les a simplement mis à l’écart.
40Les travaux de Beck sur les rêves ont joué un rôle extrêmement important dans le développement de la thérapie cognitive. Ses premières recherches psychanalytiques sur les rêves lui ont appris à mener des expériences scientifiques ; elles l’ont incité à réévaluer la viabilité expérimentale d’hypothèses psychanalytiques de longue date sur la dépression ; et elles ont catalysé son intérêt pour les processus cognitifs. Sa théorie cognitive du rêve, enracinée dans ses premières recherches sur le rêve, a été forgée dans l’esprit de sa philosophie éclectique, qui a démontré de manière convaincante que la thérapie cognitive pouvait fonctionner à la fois comme une forme de néo-freudisme et comme un allié de la thérapie comportementale. Beck, grâce à sa formation à la fois psychanalytique et scientifique, a été en mesure de répondre directement aux préoccupations des deux groupes.
41J’aimerais utiliser cette dernière observation comme point de départ pour discuter de la pertinence de cette analyse historique pour les thérapeutes contemporains. La plupart des thérapeutes cognitifs qui travaillent avec les rêves se situent au carrefour de la thérapie cognitive et d’autres systèmes, qu’ils soient psychanalytiques, gestaltistes ou interpersonnels. Or, Beck se trouvait dans une position similaire dans les premières années de la thérapie cognitive. L’histoire de son article de 1971 sur les rêves montre que la thérapie cognitive est le produit d’idées psychanalytiques, cognitives et comportementales sur la nature humaine et ses processus idéationnels, dont les rêves. Beck a obtenu une reconnaissance nationale pour son travail sur les rêves précisément parce qu’il a cherché des convergences entre différentes techniques thérapeutiques.
- 80 NDT : Les approches regroupées aujourd’hui sous la formule psychothérapie intégrative s’accordent (...)
- 81 Beck, 1991.
- 82 Ibid., 197.
42Les frontières actuelles entre les modèles thérapeutiques masquent souvent une mine de données cliniques précieuses pour les praticiens, quelle que soit leur école, en particulier les données qui pourraient provenir de l’élicitation (elicitation) et de l’élaboration à partir des rêves. Les facteurs communs et les philosophies de la psychothérapie intégrative de notre époque se sont attachés à rectifier ce problème80. Il n’est donc pas surprenant que Beck se soit trouvé, une fois de plus, à l’avant-garde du récent mouvement d’intégration des psychothérapies81, ayant reconsidéré son lien initial avec les néo-freudiens et poursuivi son engagement en faveur des « investigations cliniques et expérimentales » plutôt que de prendre parti pour une théorie ou une autre82. Son travail, hier comme aujourd’hui, a encouragé les praticiens à faire des données cliniques leur priorité absolue, quand bien même ces données – à l’instar des rêves, pourrait-on dire – ne s’intégreraient pas facilement dans leurs systèmes théoriques préférés. Pris dans son contexte, l’article de Beck de 1971 ouvre clairement la voie vers l’environnement intégratif de notre époque, qui a suscité un nouvel intérêt pour la thérapie cognitive et les rêves. L’histoire de Beck encouragera peut-être les thérapeutes cognitifs à sortir de leurs domaines familiers pour revendiquer le même type de créativité pragmatique qui a donné naissance à sa propre théorie cognitive des rêves.
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Bibliographie
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Notes
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Beck, 1970a.
Lettre de l’auteure au Dr Aaron T. Beck (ATB à partir d’ici) du 8 juin 1995.
Lettre d’ATB à l’auteure du 20 juillet 1995.
Beck, 1991 ; Rosner, 1999.
Note des traducteurs (NDT) : La notion de « facteurs communs » (en anglais, common factors) renvoie en psychothérapie à des caractéristiques non spécifiques, partagées par les différentes approches. Sur ce sujet, voir : Huibers, M. J. H., Cuijpers, P., 2015, « Common (Nonspecific) Factors in Psychotherapy », dans Cautin, R. L., Lilienfeld, S. O. (dir.), The Encyclopedia of Clinical Psychology, John Wiley & Sons, DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.1002/9781118625392.wbecp272.
Rosner, 1999.
NDT : « Leon Saul était surtout connu pour son livre Emotional Maturity. The Development and Dynamics of Personality (New York, Lippincott, 1947). Franz Alexander, la figure tutélaire de la psychanalyse de Chicago, a ouvert la voie à l’utilisation de techniques pragmatiques et de méthodes quantitatives. Le passage de Saul à Chicago est raconté dans l’ouvrage de Susan Quinn, A Mind of Her Own. The Life of Karen Horney (New York, Summit, 1987). » (Rosner, R. I., 2014, « The “Splendid Isolation” of Aaron T. Beck », Isis, 105, p. 734-758, notre traduction.)
Chapitre non publié et non daté intitulé « Schémas dans les rêves de patients déprimés », tapé à la machine vers 1968. Collection personnelle d’ATB.
Saul, 1940 ; Saul et al., 1954 ; Saul et Sheppard, 1956.
Beck et Hurvich, 1959.
Ibid. Cet article a été réédité dans un volume sur la psychologie anormale (abnormal psychology) et la masochism scale a été republiée séparément dans un volumineux ouvrage sur l’analyse des contenus oniriques (Hall, Van de Castle, 1966 ; Sarbin, 1961).
Beck et Ward, 1961.
Ibid., 70.
Rosner, 1999.
Ibid.
Notes préparatoires pour un enseignement de deuxième année de psychodynamique, 9e séance, « Nuclear Emotional Constellations », vers 1958. Dans ces notes, Beck parle « d’attitudes et d’attentes émotionnelles profondément enracinées, qui sont l’expression (a) d’un conditionnement précoce, (b) d’une réalisation de souhait, (c) de peurs irrationnelles ou (d) d’une défense contre une attitude plus profonde [et qui] constituent des évaluations et des attentes déformées de et envers soi et les autres qui n’ont pas été corrigées par l’expérience personnelle. [Elles] tendent à être extrêmes et absolues ; noires ou blanches, sans nuances de gris ». Collection personnelle d’ATB.
Beck et Stein, 1961.
NDT : George Kelly (1905-1967) était un psychothérapeute états-unien. Principalement connu pour sa théorie constructiviste de la personnalité (personal construct theory), il a joué un rôle dans le développement des psychologies cognitive et humaniste, sans jamais se ranger sous la bannière de l’une ou de l’autre. Sur Kelly, voir : Benjafield, J. G., 2008, « George Kelly. Cognitive Psychologist, Humanistic Psychologist, or, Something Else Entirely? », History of Psychology, 11 (4), p. 239-262.
Lettre d’ATB à Seymour Feshbach du 18 janvier 1963. Collection personnelle d’ATB.
Beck, 1967, 569 ; Rosner, 1999.
Voir les lettres de patients à ATB des 4 février 1963, 25 octobre 1964 et 7 novembre 1964. Ces lettres sont des devoirs manuscrits dans lesquels les patients énumèrent leurs sentiments et leurs réponses, rationnelles et irrationnelles, dans des tableaux. Voir aussi la lettre d’un patient à ATB du 28 septembre 1966. Collection personnelle d’ATB.
Lettre d’ATB à Albert J. (Mickey) Stunkard du 26 septembre 1962. Collection personnelle d’ATB.
Lettre d’ATB à Leon J. Saul du 8 mars 1962. Collection personnelle d’ATB.
Lettre d’ATB à Seymour Feshbach du 8 mars 1962. Collection personnelle d’ATB.
Beck, 1967 ; 1970d.
Beck, 1967.
Ibid.
Ibid., 171.
Ibid.
Ibid.
Ibid., 172.
Ibid., 318.
Note dactylographiée non datée (env. 1968), intitulée « Étude no 2. Rêves et rêveries de patients déprimés et suicidaires ». Collection personnelle d’ATB.
Communication personnelle d’ATB.
Beck, 1969 ; 1971. L’autre texte que Beck a publié sur les rêves est une recension de trois pages d’un chapitre sur les rêves et le sommeil à mouvements oculaires rapides écrit par Rosalind Cartwright, qui s’est affirmée comme l’une des figures de proue de la recherche sur les rêves au cours des trente dernières années. [NDT : Rosalind Cartwright est décédée en 2021, à l’âge de 98 ans.] Beck y a brièvement mentionné sa théorie cognitive du rêve.
NDT : Nous avons choisi de traduire broad-spectrum par éclectique. À l’aide de ce terme, qu’elle emprunte à Beck lui-même – qui a notamment intitulé l’un de ses cours de psychiatrie à l’université de Pennsylvanie « Broad Spectrum Psychotherapy » –, Rosner qualifie la « philosophie » ou « l’approche » qu’il a défendue jusqu’à la fin de sa vie, suivant laquelle les différentes psychothérapies et psychologies sont toutes situées sur un continuum, leurs concepts et leurs techniques pouvant selon lui être neutrement mobilisés par chacune. Le terme éclectique est pris ici dans son acception la plus générale et ne renvoie ni à l’école philosophique française de Victor Cousin, ni à l’eclectic psychotherapy américaine.
Beck, 1971.
Ibid., 7.
Ibid.
Ibid., 6.
Lettre de Gerhart Piers, président du comité d’adhésion de l’American Psychoanalytic Association, d’août 1957. Collection personnelle d’ATB.
Lettre de Harold I. Lief, président du comité de nomination, aux docteurs Frances Arkin, Robert A. Cleghorn, Ralph M. Crowley et Morton Enelow du 15 décembre 1969, American Academy of Psychoanalysis (comité d’histoire), boîte 1, ff. 6. Avec l’aimable autorisation de la bibliothèque Oskar Diethelm, Institut de psychiatrie DeWitt Wallace, Weill Cornell Medicine (New York).
American Academy of Psychoanalysis, boîte 1. Avec l’aimable autorisation de la bibliothèque Oskar Diethelm.
Beck, 1970b
Ullman, Montague (non daté), Appel à contribution au colloque (meeting) de mi-hiver : les rêves (Dreaming and Dreams), perspectives cliniques récentes, décembre 1970, American Academy of Psychoanalysis Papers, boîte 1, dossier 4. Avec l’aimable autorisation de la bibliothèque Oskar Diethelm.
Shainberg, D., 1971, « Discussion of Papers of Aaron T. Beck, M.D., and John L. Schimel, M.D », dans Masserman, J. H. (dir.), Dream Dynamics, New York, Grune & Stratton, p. 20-23.
Beck et al., 1961.
Beck et Ward, 1961
Beck, 1963 ; 1964
Beck a reconnu sa dette envers Grinker en contribuant à des mélanges en son honneur (Beck, 1972).
Beck, 1990.
NDT : « Aaron T. Beck est né à une époque où la théorie psychanalytique était monolithique ; et la psychanalyse, le traitement dominant. Ses années de formation en tant que psychiatre ont été marquées par son séjour à Austin Riggs, un hôpital psychiatrique privé de l’ouest du Massachusetts qui combinait la psychanalyse, dominante à l’époque, avec les exigences des sciences sociales […]. C’est là que Beck a été exposé aux principaux représentants de la psychologie du Moi, tels que David Rapaport, Erik Erikson, Margaret Brenman-Gibson et Roy Schafer. Tous ces psychologues accordaient autant d’attention aux processus rationnels conscients qu’aux pulsions et motivations inconscientes et luttaient contre l’insularité de la pensée psychanalytique de l’époque face à l’empirisme scientifique. » (Hollon, S. D., 2021, « Aaron Beck and the History of Cognitive Therapy », Oxford Research Encyclopedia of Psychology, DOI : 10.1093/acrefore/9780190236557.013.698, notre traduction.)
Beck, 1971. NDT : Voilà le passage de l’article de Beck auquel Rosner fait référence ici : « Les choses dont les rêves sont faits peuvent être reproduites en entraînant un patient à examiner non seulement son évaluation réaliste d’une situation, mais aussi les évaluations automatiques et irréalistes qui semblent être à la marge de la conscience. Je les ai décrites ailleurs comme des “pensées automatiques” ou des distorsions cognitives, un genre d’idéations probablement analogue à ce que Freud appelait le préconscient. » (Beck, A. T., 2004, « Cognitive Patterns in Dreams and Daydreams », dans Rosner, R. I., Lyddon, W. J., Freeman, A. (dir.), Cognitive Therapy and Dreams, New York, Springer, p. 27-32, notre traduction.)
Voir, par exemple, ses notes manuscrites datées des 19 mai et 7 novembre 1964. Collection personnelle d’ATB.
Lettre d’ATB au Dr Robert Toborowsky du 11 janvier 1969. Collection personnelle d’ATB.
Texte inédit sur la « psychothérapie éclectique », non daté, mais intégré dans un fichier intitulé « Psychothérapie éclectique : notes importantes ». Collection personnelle d’ATB.
NDT : Joseph Wolpe (1915-1997) et Arnold Lazarus (1932-2013) sont deux psychologues sud-africains. Le premier est une figure importante des thérapies comportementales et de leur développement aux États-Unis. Le second a d’abord été l’élève de Wolpe avant de rompre avec lui et de développer sa propre approche, baptisée la « thérapie multimodale » (Poppen, R., 1995, Joseph Wolpe, Londres, Sage Publications).
Mahoney, 1974.
Brown, 1967 ; 1969 ; Sloane, 1969 ; Ward, 1968.
Lazarus, 1968.
Ibid.
Lettres d’ATB au Dr Arnold Lazarus du 1er juillet et du 9 août 1967. Collection personnelle d’ATB.
NDT : La désensibilisation systématique est une technique développée par Wolpe, qu’il utilisait pour traiter ce que l’on appelait des « névroses » (phobies, anxiété, etc.). Elle consiste à présenter à une patiente ou un patient dans un état de relaxation profonde, sous hypnose ou légèrement sédaté un stimulus peu anxiogène autant de fois qu’il sera nécessaire pour qu’il ne suscite plus la moindre anxiété. La même procédure est ensuite répétée avec des stimuli de plus en plus anxiogènes, suivant un classement préalablement établi par la patiente ou le patient (Wolpe, J., 1961, « The Systematic Desensitization Treatment of Neuroses », The Journal of Nervous and Mental Disease, 132, p. 189-203).
Beck, 1970a.
Ibid., 193-194.
Ibid., 194. NDT : Beck utilise la plupart du temps le terme pictorial pour décrire les cognitions et les fantasmes visuels. Nous avons choisi de traduire ce terme par imagé, plutôt que par pictural (trop littéral) ou visuel (trop général), pour conserver la connotation artistique du terme d’origine sans créer de la confusion.
Manuscrit non publié de février 1968, « L’utilisation de l’imagination dans la psychothérapie éclectique ». Collection personnelle d’ATB.
Beck, manuscrit non publié, 1968, 2.
Ibid., 9-10.
Ibid., 28.
Beck, 1970c.
Ibid., 13.
Ibid.
Ibid., 15.
Notes intitulées « Panel sur les nouvelles tendances de la thérapie cognitive : présentation à la conférence annuelle de l’Association for the Advancement of Behavior Therapy du 2 novembre 1974 ». Avec l’aimable autorisation du Center for Cognitive Therapy de l’université de Pennsylvanie.
Entretien personnel avec le Dr David Barlow, mars 1999.
Ibid.
Rosner, 1999.
NDT : Les approches regroupées aujourd’hui sous la formule psychothérapie intégrative s’accordent essentiellement sur trois principes : elles partagent d’abord une « foi » dans la recherche scientifique ; elles admettent ensuite que chaque forme de psychothérapie est efficace sur certaines personnes et qu’aucune ne l’est sur toutes ; enfin, elles estiment que les traitements doivent être adaptés à chaque patiente ou patient pour produire les meilleurs résultats (Norcross, J. C., 2014, « Integrative Therapy. Adapting the Treatment to the Individual Client », cité dans Someah, K., Edwards, C., Beutler, L. E., « Schools and Approaches to Psychotherapy », Oxford Research Encyclopedia of Psychology, DOI : 10.1093/acrefore/9780190236557.013.69).
Beck, 1991.
Ibid., 197.
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