Un « modèle » pour la LPR ?
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- 1 Adopté en première lecture, sans modifications majeures, par l’Assemblée nationale le 23 septembre (...)
1Alors que le projet français de loi de programmation (pluriannuelle) de la recherche (LPR), en cours d’examen parlementaire1, suscite des inquiétudes légitimes dans le monde académique, on s’interroge rarement sur les sources d’inspiration qui ont guidé ses rédacteurs/trices. Pourtant, ce texte qui fragilise l’emploi scientifique statutaire, en introduisant des contrats dits « de mission » et des « chaires de professeur·e·s juniors » et qui généralise la recherche sur projets, introduit un modèle d’enseignement supérieur et de recherche (ESR) largement mis en œuvre dans d’autres pays européens depuis une vingtaine d’années et singulièrement en Allemagne.
- 2 « Réflexion sur les politiques de recherche en France et en Allemagne / Auseinandersetzung mit der (...)
- 3 « L’université allemande comme horizon de la LPPR ? », Mediapart, 12 juin 2020 : https://blogs.med (...)
2Comme le soulignait, dans une tribune récente, un collectif de chercheur·e·s franco-allemand·e·s créé à Berlin2, dont les auteur·e·s de cet article sont parties prenantes, les orientations de la LPR sont étrangement familières à celles et ceux qui connaissent bien le système d’enseignement et de recherche allemand3.
3Face à ce constat et fort·e·s de leurs expériences croisées de recherche en France et en Allemagne, ainsi que dans les réseaux académiques binationaux, les auteur·e·s de cet article souhaitent dresser un rapide tableau de l’ESR en Allemagne et questionner ses transformations au cours des dernières décennies.
- 4 Les données chiffrées utilisées dans cet article sont fournies à titre indicatif. Il est en effet (...)
4Dans cette réflexion sur ce qu’on pourrait appeler le modèle allemand implicite de la LPR, nous présenterons d’abord à grands traits le cadre institutionnel et le mode de financement du système d’enseignement et de recherche outre-Rhin4. Nous examinerons ensuite les structures de l’emploi caractéristiques de ce système et leurs évolutions récentes, qui mêlent traditions pré-démocratiques et logiques néolibérales. On s’interrogera enfin sur les effets de ce mode d’organisation de l’ESR sur les pratiques de recherche en sciences humaines et sociales (SHS) ainsi que sur les formes limitées de résistance et les mobilisations du personnel précarisé (le Mittelbau) pour tenter d’infléchir les grandes orientations des politiques de l’ESR en Allemagne.
Structure et financement de l’ESR en Allemagne
- 5 Par « organisme de recherche », nous entendons ici un groupement d’« Instituts extra-universitaire (...)
- 6 Dans leur rapport récent sur le financement de l’ESR en Allemagne, Dieter Drohmen et Lena Wroble n (...)
5L’enseignement supérieur et la recherche présente, en Allemagne, une structure duale : d’un côté, les universités assurent la totalité de l’enseignement supérieur et une partie de la recherche ; de l’autre, les instituts extra-universitaires (außeruniversitäre Forschungsinstitute), dont les fédérations sont analogues aux organismes publics de recherche en France5, se consacrent exclusivement à la recherche. Ils contribuent certes à la formation en accueillant des candidat·e·s au doctorat ou à l’habilitation, mais ils ne sont pas habilités à délivrer les diplômes correspondants. Libérés du poids de l’enseignement et employant un personnel scientifique contractuel, recruté principalement sur la base de projets de recherche, les Forschungsinstitute contribuent fortement aux succès de la recherche allemande dans les classements et palmarès internationaux, notamment en nombre de publications scientifiques6.
Les universités
- 7 Voir ibid., p. 20. Entre 2015 et 2016, les dépenses publiques de l’enseignement supérieur représen (...)
- 8 En 2015, on comptait ainsi en Mecklembourg-Poméranie antérieure un·e professeur·e pour 51,5 étudia (...)
6En Allemagne, les universités sont de la compétence exclusive des Länder qui sont responsables de leur financement de base (Grundfinanzierung), soit aujourd’hui environ 50 % des budgets universitaires7. Cette compétence régionale et ce mode de financement sont hérités de la période du Saint-Empire romain germanique lorsque les princes territoriaux (Landesfürsten) fondèrent les universités. Ceci explique l’existence de variations importantes d’un Land et d’une université à l’autre, par exemple dans le rapport entre nombre de professeurs et nombre d’étudiants8. Les universités ont le statut d’« établissement de droit public » (Körperschaft des öffentlichen Rechts) qui leur assure l’autonomie vis-à-vis des gouvernements régionaux.
- 9 Cette loi, plusieurs fois révisée, définissait les missions des universités (enseignement supérieu (...)
- 10 Appelée initialement « initiatives d’excellence » (Exzellenzinitiativen). Par de tels financements (...)
- 11 En particulier les trois « pactes pour l’enseignement supérieur » adoptés depuis 2007 : Hochschulp (...)
- 12 Tel est l’objet de la loi fédérale sur les contrats scientifiques à durée déterminée (Wissenschaft (...)
7La coordination des politiques en matière d’ESR est assurée à l’échelle fédérale par la Conférence des recteurs d’universités (Hochschulrektorenkonferenz). Jusqu’en 2007, le gouvernement fédéral (Bund) intervenait dans la gestion des universités par la loi-cadre de l’ESR (Hochschulrahmengesetz), dont la première version date de 19769. Cette loi-cadre a finalement été abrogée en raison des conflits de compétences entre Länder et Bund. Toutefois, le gouvernement fédéral continue d’orienter les politiques de l’ESR, en finançant notamment une « stratégie (nationale) d’excellence » (Exzellenzstrategie)10, en signant des conventions avec les Länder11 ou encore en définissant les contrats de travail du personnel académique, en particulier les contrats à durée déterminée12.
- 13 Les dispositifs d’excellence mis en place depuis 2007 apportent, d’une part, un soutien financier (...)
- 14 Gaehtgens, Peter/Simon, Dagmar, « Universitäre Exzellenz in der Begutachtung », Forschung. Politik (...)
8Les Exzellenzinitiaven (2005-2016) et la Exzellenzstrategie (depuis 2017) sont au cœur des politiques fédérales en matière d’ESR13. L’objectif de ces dispositifs n’est pas seulement d’apporter une contribution ciblée du gouvernement fédéral (Bund) au financement du système, en créant des écoles doctorales (Graduiertenkollege) ou des structures de recherche temporaires (Exzellenzcluster), mais aussi, explicitement, de renforcer la concurrence entre les universités pour, suivant des postulats néolibéraux largement partagés dans les mondes politique et académique, stimuler leur performance14.
- 15 « Deutschland sucht seine Spitzenuiversitäten », Frankfurter Allgemeine Zeitung, 26 janvier 2004 :(...)
- 16 Denis Eckert et al., « Les villes de la science contemporaine, entre logiques locales, nationales (...)
9En 2004, la ministre sociale-démocrate fédérale pour l’enseignement et la recherche, a introduit cette politique par la formule « Brain up! Deutschland sucht seine Spitzenuniversitäten » (L’Allemagne recherche ses meilleures universités)15. Volontairement calquée sur le titre de l’émission télévisée « L’Allemagne cherche sa super star » (Deutschland sucht den Superstar), cette formule prend le contre-pied des conceptions de l’université comme service public garantissant l’égalité d’accès de tou.te.s à l’enseignement supérieur, qui s’étaient imposées en RFA après 1968. Les politiques fédérales favorisent désormais l’émergence des universités d’élites – un concept jusqu’ici absent du paysage (ouest-)allemand où la réputation des universités était davantage fondée sur le prestige des professeurs (en majorité des hommes) et de certaines chaires. Comme le souligne une récente étude, ces politiques dites d’« excellence » reposent notamment, en Allemagne comme ailleurs, sur le postulat non démontré d’une « corrélation entre le dynamisme en termes de publication et le degré de concentration spatiale »16.
- 17 Entre 1995 et 2015, le nombre d’étudiant·e·s a augmenté de 40 %. Voir « Entwicklung der Finanzieru (...)
- 18 On distingue ainsi les Drittmittel publics et privés. Curieusement, dans les statistiques fédérale (...)
- 19 « Entwicklung der Finanzierung von Hochschulen… », op. cit., p. 20.
10Les financements externes, destinés à la recherche, les Drittmittel, représentent le deuxième type de ressource de l’ESR en Allemagne. On entend par là les crédits alloués temporairement aux chercheurs/euses par des institutions tierces dans le cadre d’appels à projets concurrentiels. Leur part dans le budget des universités n’a cessé de croître depuis 2000, ce qui marque une réorientation des fonds publics vers la recherche scientifique au détriment de l’enseignement supérieur, dans un contexte où le nombre d’étudiant·e·s est pourtant en hausse constante depuis vingt ans17. Dans leur étude sur le financement de l’ESR en Allemagne, D. Drohmen et L. Wroble notent que « près de [la moitié] des fonds des universités provient aujourd’hui de financements tiers ou temporaires, d’origine publique autant que privée »18. Ceux-ci « représentent 70 % de la croissance des budgets universitaires » de 1995 à 201519.
11En Allemagne, les fondations participent activement, et depuis longtemps, au financement de l’ESR en soutenant des projets scientifiques et en accordant des bourses aux étudiant.e.s et doctorant·e·s. La place accordée aux fondations découle de l’idée, déjà présente au xixe siècle et réactualisée après 1945 en RFA, que l’enseignement supérieur et la recherche doivent se développer, pour partie, en dehors de l’État et à l’interface entre les universités et la société civile. Dans les années 1950, le paysage de fondations a été considérablement transformé à l’Est comme à l’Ouest. En RDA, les fonds de ces entités ont été nationalisés et ont servi à financer le système public des bourses universitaires. En RFA, le « règlement de soutien financier pour la formation universitaire « (Honnefer Modell) institue, en 1957, les fondations des partis politiques, des communautés religieuses, des fédérations syndicales et patronales. Ces fondations disposent à la fois de fonds propres et de dotations publiques, notamment du ministère fédéral de la recherche. Outre le financement de bourses et de projets de recherche, certaines d’entre elles, comme la Hans-Böckler-Stiftung de la confédération syndicale (Deutscher Gewerkschaftsbund, DGB), la Friedrich-Ebert-Stiftung (Sozialdemokratische Partei Deutschlands, SPD) ou la Konrad Adenauer Stiftung (Christlich Demokratische Union Deutschlands, CDU) jouent un rôle important en matière de diffusion de la recherche (publications, organisation de conférences et journées d’études). Il existe par ailleurs des fondations établies par des entreprises ou des personnes privées, comme la Volkswagen-Stiftung. Ces fondations privées contribuent pour une part importante au financement de l’enseignement et de la recherche, aussi bien dans le domaine des sciences expérimentales et appliquées que dans celui des sciences humaines et sociales.
Organismes de recherche
- 20 Par exemple, la Max-Planck-Gesellschaft (MPG) qui a reçu, en 2019, une dotation de 1,86 milliards (...)
- 21 « Pakt für Forschung und Innovation », Bundesministerium für Bildung und Forschung : https://www.b (...)
12Quant au second versant institutionnel de l’ESR en Allemagne, il est constitué par des organismes regroupant des « instituts de recherche extra-universitaires » (außeruniversitären Forschungsinstitute). Les principaux d’entre eux en termes de dotations publiques sont la Fraunhofer-Gesellschaft (recherche dans le domaine des sciences appliquées), la Max-Planck-Gesellschaft (recherche fondamentale), la Helmholtz-Gemeinschaft deutscher Forschungszentren (recherche dans les domaines de la santé, de l’énergie et des transports), la Leibniz-Gemeinschaft et le Wuppertal Institut für Klima, Umwelt, Energie. Ces entités de droit privé, regroupant respectivement plusieurs instituts de recherche, ont le statut d’associations (elles relèvent du Vereinsrecht). Leur budget, variable selon les organismes, provient d’abord de dotations publiques de l’État fédéral et des Länder. À ces dotations s’ajoutent, dans des proportions très variables selon les organismes, des « ressources externes » (Drittmittel) permettant de financer une partie des projets de recherche. Ces ressources d’origine tant publique que privée proviennent des fonds de l’Union européenne et des recettes engendrées par les « transferts de technologie » de l’université vers l’industrie (Technologietransferbereich)20. Conformément au « pacte pour la recherche et l’innovation » (Pakt für Forschung und Innovation, PFI), le gouvernement fédéral (Bund) et les Länder s’engagent à augmenter leurs subventions de 3 % par année. Ce PFI, adopté en 2005 et renouvelé à plusieurs reprises, court en principe jusqu’en 2030. En contrepartie, les organismes de recherche s’engagent à créer des réseaux de recherche avec les universités, à développer des collaborations internationales, à nouer des partenariats avec les entreprises privées, à recruter les « meilleur·e·s » chercheurs/euses du domaine concerné et à « veiller à ce que les [procédures de recrutement] soient équitables et compatibles avec la vie familiale »21. La Conférence scientifique commune (Gemeinsame Wissenschaftskonferenz), réunissant les ministres de la recherche et des finances du Bund et des Länder, définit les objectifs du PFI et évalue les organismes de recherche sur la base de rapports annuels.
13Les deux versants du paysage de l’ESR en Allemagne – universités et organismes de recherche – sont étroitement imbriqués de par leur mode de financement, leurs contrats d’objectifs définis par les mêmes programmes et pactes fédéraux, mais aussi et surtout par leur personnel académique. Les enseignant·e·s-chercheurs/euses circulent en effet entre les deux univers et collaborent fréquemment pour répondre aux nombreux appels à projets.
La structure de l’emploi scientifique : entre traditions pré-démocratiques et logiques néolibérales
Un Mittelbau pléthorique
14En Allemagne, les chaires de professeur·e·s (Lehrstühle) et les directions d’instituts de recherche constituent les composantes de base de l’ESR, qui n’est donc pas structuré, comme en France, en unités de recherche dotées d’une direction généralement élue pour une période donnée et exerçant un pouvoir de type collégial.
- 22 Voir Silke van Dyk et Tilman Reitz, « Projektförmige Polis und akademische Prekarität im universit (...)
- 23 Voir les données de l’office statistique fédéral : « Frauenanteil in der Professorenschaft in Deut (...)
15Clés de voûte de la vie académique en termes organisationnels et hiérarchiques, ces chaires (et directions) sont occupées par des professeur·e·s titulaires (et directeurs/trices d’instituts), bénéficiant du statut de fonctionnaire22. En 2019, 24,7 % des chaires universitaires étaient occupées par des femmes23. Cependant, leur proportion varie fortement en fonction des disciplines : elle est de 38,3 % dans les sciences humaines, 34 % dans les disciplines artistiques, 30,3 % dans les sciences sociales et 12,9 % dans les sciences de l’ingénieur. Au sein des instances politiques et administratives des universités, la majorité des sièges est dévolue aux professeur·e·s titulaires. Ces dernier·e·s exercent ainsi un pouvoir considérable : ils et elles participent, notamment, à la définition des postes académiques, à la durée des contrats de « collaborateurs/trices scientifiques » (wissenschaftliche MitarbeiterInnen) et à la transformation (ou non) de ces emplois temporaires en positions pérennes.
- 24 Ces directeurs et directrices ont le grade de professeur·e·s sans être titulaires d’une chaire.
16Les professeur·e·s titulaires et les directeurs/trices d’instituts de recherche24 sont les supérieurs hiérarchiques du très nombreux personnel non-titulaire, appelé généralement le Mittelbau – soit, littéralement, le corps intermédiaire, situé entre le personnel administratif et le monde professoral. Ce personnel est notamment composé des « collaborateurs/trices scientifiques » (wissenschaftliche MitarbeiterInnen) dont le statut et la durée d’emploi sont très variables. Certain·e·s sont employé·e·s au sein des projets de recherche portés par le ou la professeure ; d’autres sont à la fois chercheurs/euses et enseignant·e·s ou bien n’exercent que des fonctions d’enseignement. Le statut de maître·sse de conférences ou d’assistant professor n’existant pas en Allemagne, le contrat à durée déterminée est la règle générale. Ce type de contrat – parfois de très courte durée (un an) – est en plein essor depuis le début des années 2000.
- 25 En 2017, environ 1600 postes de « professeur·e·s junior » ont été créés, sans option de titularisa (...)
17Par ailleurs, bien que leur dénomination prête à confusion, les « professeur·e·s juniors » (JuniorprofessorInnen) font également partie du Mittelbau. Créés en 2002 pour faciliter l’accès des post-doctorant·e·s aux chaires universitaires, ces contrats à durée déterminée débouchent en réalité rarement sur une titularisation25.
18Face aux critiques suscitées par cette promesse non tenue, un nombre limité de postes de professeur·e·s juniors ont été finalement ouverts à la titularisation après trois à cinq années d’exercice. Les conditions à remplir sont, en SHS, le pilotage de projets financés par des ressources externes (Drittmittelprojekte) et une activité de publication soutenue. Les candidat·e·s qui remplissent ces critères sont alors dispensé·e·s de l’habilitation qui, d’habitude, conditionne l’accès au professorat.
- 26 Kolja Lindner, « Le modèle allemand : précarité et résistances dans l’enseignement supérieur et la (...)
19Après avoir obtenu un doctorat, les aspirant·e·s à un poste stable sont souvent contraint·e·s d’enchaîner, pendant de nombreuses années, bourses (pour lesquelles l’employeur ne verse aucune cotisation sociale) et contrats postdoctoraux à durée déterminée, avant d’achever le travail de recherche donnant lieu à une habilitation. Comme le note Kolja Lindner, « [l]es jeunes habilité·e·s ne sont cependant souvent pas au bout de leur peine26 ». En tant que PrivatdozentInnen (habilité·e·s sans chaire), ils et elles sont tenu·e·s de donner un certain nombre d’heures d’enseignement non rémunérées (de l’ordre d’un à deux séminaires par an) pour ne pas perdre leur venia legendi, soit l’autorisation d’enseigner et de se porter candidat·e à un poste de professeur·e.
- 27 À cet ensemble, il faut ajouter les très nombreux employé·e·s exerçant un emploi principal en deho (...)
- 28 « Bildung und Kultur: Personal an Hochschulen », Statistisches Bundesamt, Fachserie 11, Reihe 4.4, (...)
20Nombre de PrivatdozentInnen et de chercheurs/euses contractuel·le·s sont également chargé·e·s d’enseignement (Lehrbeauftragte), en qualité de vacataires rémunéré·e·s. De 2009 à 2018, le nombre de PrivatdozentInnen a diminué de 10 % en Allemagne (on en comptait 3 715 à cette dernière date), tandis que, dans la même période, la proportion des chercheurs/euses contractuel·le·s (wissenschaftliche MitarbeiterInnen) a considérablement augmenté (+ 35 %, soit 193 500 en 2018)27. Dans le même temps, le nombre de professeur·e·s titulaires restait relativement stable (48 000 en 2018, soit environ 10 % du personnel de l’ESR)28.
- 29 Selon un rapport fédéral de 2017, « Bundesbericht Wissenschaftlicher Nachwuchs 2017 », Konsortium (...)
21Dans une tribune publiée par la Frankfurter Allgemeine Zeitung en 2018, un collectif d’historien.ne.s et de sociologues notait qu’« [e]ntre 2005 et 2015, le personnel académique employé à durée déterminée a[vait] augmenté de 59,2 % (passant de 91 046 à 144 928). Au cours de la même période, le nombre de professeur·e·s [titulaires] n’a[vait] augmenté que de 17,7 % (de 18 649 à 21 153). En 2015, ce chiffre était inférieur à celui de 1995, année où l’on comptait encore 21 860 titulaires ». Aujourd’hui, respectivement 93 et 85,3 % des chercheurs/euses employé·e·s par les universités et les organismes de recherche ont des contrats à durée déterminée, qu’ils soient financés directement par ces institutions ou par des ressources externes (Drittmittel)29. À titre de comparaison, dans l’ensemble du secteur privé allemand, seul·e·s 7 % des employé·e·s étaient en CDD en 2018.
- 30 Selon K. Lindner (« Le modèle allemand… », art. cité), cette loi est comparable à la loi Sauvadet (...)
22Cette croissance quasi-exponentielle de l’emploi précaire dans l’ESR allemand est le fruit d’une politique concertée, fondée sur une série de postulats partagés – mais jamais démontrés – par les élites politico-technocratiques à l’intérieur comme à l’extérieur du champ académique : l’idée, d’abord, que la flexibilité de l’emploi stimulerait l’innovation, la productivité scientifique, ainsi que des formations universitaires plus courtes et mieux adaptées aux besoins économiques et sociaux. Cette politique permet ensuite de satisfaire aux exigences néolibérales de maximisation du coût du travail par compression des salaires et renouvellement constant du personnel. La précarité de l’emploi scientifique du Mittelbau est renforcée, enfin, par un régime juridique spécifique, qui déroge au droit du travail ordinaire. En effet, la « loi sur les contrats scientifiques à durée déterminée » (Wissenschaftszeitvertragsgesetz), adoptée en 2007, modifie les règles en vigueur depuis 1985 pour ce type de contrats30.
- 31 Selon l’enquête de Gassmann et Emrich sur les appels à candidatures, la durée moyenne des CDD scien (...)
- 32 Voir par exemple https://cmb-wispo.hypotheses.org/category/deutschland, « Bundesbericht Wissenscha (...)
23Elle étend, dans le monde académique, la période maximale d’emploi à durée déterminée – sans obligation de titulariser l’intéressé·e – à douze années (et même quinze dans le cas de la médecine). Au terme de cette période, l’employé·e ne peut plus prétendre à un CDD. Ne lui restent ouverts, sur le marché académique, que les postes de professeur·e titulaire ou de directeur/trice d’un institut de recherche31. La proportion des contractuel·le·s dépasse les 90 % dans la plupart des domaines scientifiques, avec une surreprésentation féminine dans les disciplines linguistiques, les sciences naturelles, les mathématiques et la médecine32.
Graphique 1 – Personnel scientifique exerçant un emploi principal dans les universités : professeur·e·s vs collaborateurs/trices académiques, 1975-2018

D’après DeStatis (Hochschulpersonal 2018, dans « Bildung und Kultur: Personal an Hochschulen », Statistisches Bundesamt, Fachserie 11, Reihe 4.4, 2018, p. 34) et Ariane Leendertz e.a., « Akademischer Mittelbau: Flexible Dienstleister der Wissenschaft », Frankfurter Allgemeine Zeitung, 19 mars 2018, en ligne : https://www.faz.net/aktuell/feuilleton/akademischer-mittelbau-flexible-dienstleister-der-wissenschaft-15502492-p3.html (consulté le 9 février 2021).
Traditions pré-démocratiques et transformations néolibérales
- 33 Pour une analyse du milieu des mandarins au début du xxe siècle : Fritz K. Ringer, The Decline of (...)
- 34 Angela Graf, Maria Keil et Peter Ullrich, « Exit, Voice und Loyalty… », art. cité.
24Pour mieux comprendre les évolutions récentes de la structure de l’emploi, il est utile de dire quelques mots de l’histoire du système de recherche et d’enseignement supérieur en Allemagne. En raison des traditions mandarinales33, qualifiées par certains de « (néo-)féodales34 », l’emploi statutaire (de fonctionnaire) a toujours été limité. Après 1968, la démocratisation de l’accès à l’enseignement supérieur s’est accompagnée, en RFA, d’une augmentation du nombre de titulaires, en particulier dans le corps des professeur·e·s. Cette mutation est souvent décrite comme la fin d’une ère, celle du plein pouvoir des professeurs au sein de l’université (Ordinarien-Universität).
- 35 Sur cette institution, voir les analyses de Franz Schultheis, « Un inconscient universitaire fait (...)
25Le système de recherche et d’enseignement supérieur ouest-allemand a connu un développement important des années 1970 aux années 1980, dans le sillage des réformes consécutives au mouvement étudiant de 1968. Depuis les années 1990, l’augmentation continue des contrats courts, à durée déterminée, tend à réduire à la portion congrue le nombre de postes statutaires (professeur·e·s et directeurs/trices d’instituts de recherche). On connaît l’importance traditionnelle des PrivatdozentInnen dans le système académique allemand. Jusqu’à une époque récente, ces universitaires ayant obtenu leur habilitation délivraient des enseignements sans être rémunérés, dans l’attente d’une hypothétique chaire universitaire. Toutefois, les évolutions récentes de l’emploi scientifique et universitaire (2009-2018) marquent un déclin de ce statut35, au profit des « chargé·e·s d’enseignement » et des « collaborateurs/trices scientifiques » ayant un contrat à durée déterminée.
- 36 Peter-André Alt, « Wende an Universitäten und Bibliotheken: Viele DDR-Wissenschaftler verloren ihr (...)
- 37 Sur l’épuration de la faculté de droit de la Humboldt Universität, voir : Inga Markovits, Die Abwi (...)
- 38 Boris Grésillon, « Un mur peut en cacher un autre », Le Monde diplomatique, 1er novembre 2019.
26L’unification allemande a sans aucun doute accéléré ce processus en créant une situation paradoxale : d’une part, les organismes de recherche et les universités est-allemandes ont été profondément restructurés. Le modèle ouest-allemand a été étendu aux nouveaux Länder, une grande partie du personnel a été rapidement mise à pied à la suite d’une évaluation exclusivement conduite par des acteurs occidentaux. La moitié des 220 000 employé·e·s académiques de RDA ont perdu leur poste dans les mois qui ont suivi l’unification allemande. La proportion atteint même les deux-tiers dans le cas des professeur·e·s et seulement 15 % des 24 000 chercheurs/euses de l’Académie des sciences de RDA se sont vu offrir, après 1990, un contrat à durée indéterminée36. La réorganisation du paysage universitaire à l’Est a fait partie du processus général de « liquidation » des institutions publiques est-allemandes (qualifié fréquemment de Abwicklung)37. D’autre part, cette situation a ouvert brièvement le marché du travail académique à une nouvelle génération d’universitaires ouest-allemands jusqu’alors sans poste dans l’ancienne RFA et qui, bénéficiant d’opportunités de carrière inespérées, ont occupé les nouvelles chaires de professeur·e·s créées dans les nouveaux Länder. Cette situation, accentuant les structures socioprofessionnelles de type quasi-colonial observées, à l’Est, dans les premières années qui ont suivi l’unification allemande, a contribué à tendre les relations difficiles entre citoyen·ne·s de l’Est et de l’Ouest. En 2019, dans les nouveaux Länder, aucun président d’université ne venait de l’ancienne RDA38.
Les effets de ce type d’organisation sur les pratiques de recherche et l’action collective
Néoféodalisme et illusio académique
27Comme le soulignent plusieurs analyses récentes, l’actuel système allemand d’enseignement et de recherche présente des caractéristiques en apparence contradictoires, mais qui s’avèrent en réalité hautement compatibles : en effet, les structures pré-démocratiques héritées, comme on l’a vu, de l’ère impériale se marient parfaitement avec les logiques néolibérales et néomanagériales imposées depuis les années 1990. Selon Silke van Dyk et Tilman Reitz, ce mariage est au principe d’un « néoféodalisme » académique :
- 39 Silke van Dyk et Tilman Reitz, « Projektförmige Polis und akademische Prekarität im universitären (...)
Bien que [cette notion] ait été forgée pour décrire un contexte social très différent, elle rend bien compte de la chasse aux ressources externes (Drittmittel) et de l’incessante évaluation scientifique à travers les nombreux classements et la quantification des publications. […] L’ancien féodalisme universitaire était sans doute marqué par des excès […] hiérarchiques et une domination professorale plus importante, mais le néoféodalisme établit une concurrence pour l’accès au statut de professeur·e, un statut dont les coûts sont externalisés – au moins en partie – par l’asservissement pratique des « employé·e·s dépendant·e·s »39.
- 40 On peut supposer que cette intériorisation des règles du jeu est facilitée par un niveau de rémuné (...)
- 41 Voir, par exemple, Pierre Bourdieu, Raisons pratiques, Paris, Seuil, 1994, p. 151.
28Par ailleurs, on observe de manière tout à fait caractéristique, une forte intériorisation des règles du jeu au sein du champ académique allemand, tant de la part des dominant·e·s que des dominé·e·s40. Cette illusio spécifique, mise en évidence par Pierre Bourdieu dans sa théorie des champs41, constitue un puissant frein à l’analyse critique du monde social et, partant, à la subversion des règles du jeu. Ainsi les fréquentes critiques adressées au système allemand d’enseignement et de recherche par les professeur·e·s titulaires mettent rarement en cause les structures de domination en tant que telles. Ces dernier·e·s incriminent en effet régulièrement les conditions de travail dans l’ESR, notamment en sciences humaines et sociales où le nombre d’étudiant·e·s par professeur·e est particulièrement élevé. Ils et elles s’élèvent aussi contre les « conventions sur les performances et les objectifs » (Leistungs- et Zielvereinbarungen), qui exercent une pression sur les professeur·e·s titulaires en imposant des résultats chiffrés en termes d’examens (Studienabschlüsse), de projets de recherche et de publications. Il n’en reste pas moins que ces professeur·e·s contribuent, dans la pratique, à la reproduction des structures existantes :
- 42 Silke van Dyk et Tilman Reitz, « Projektförmige Polis und akademische Prekarität im universitären (...)
Lorsque [ils/elles] minimisent leur pouvoir réel et dénoncent les structures institutionnelles ou le marché académique tout puissant, leur critique, aussi juste soit elle, reste verbale, alors que dans leurs pratiques quotidiennes, ils récoltent souvent les dividendes d’un système qu’ils/elles reproduisent finalement de manière conformiste42.
- 43 Voir le bilan récent proposé par Agnès Arp et Elisa Goudin-Steinmann, La RDA après la RDA. Des All (...)
29Ce type d’organisation qui combine traditions pré-démocratiques et logiques néolibérales ne favorise guère l’audace, la créativité et, plus généralement, les questionnements hétérodoxes. On pourrait ici prendre de nombreux exemples comme dans le cas de la recherche historique sur la RDA, longtemps dominée par des questionnements normatifs et des approches de type politico-institutionnel43. La tendance au conformisme scientifique est renforcée par l’évaluation quantitative du travail des chercheur·e·s. Cette forme d’évaluation favorise la course aux publications, la standardisation des projets de recherche, la concurrence généralisée induite par les classements de divers ordres (chercheurs/euses, publications, projets, universités, etc.).
Actions collectives et mobilisations du Mittelbau
30Les structures de l’ESR allemand ne favorisent pas les luttes et les résistances. Il existe toutefois des mobilisations locales, ancrées dans des établissements en raison des structures fédérales du pays.
- 44 Angela Graf, Maria Keil et Peter Ullrich, « Exit, Voice und Loyalty… », art. cité.
31Le syndicat Unter_Bau a, par exemple, été fondé en 2016, à la suite d’une mobilisation à l’université de Francfort en 2015. Cherchant à fédérer l’ensemble des personnels (académique, administratif et technique), il mène une réflexion sur les conditions générales de l’emploi à l’université en Allemagne et porte des revendications de transformation du système. Les actions collectives menées par ce syndicat concernent cependant essentiellement l’université de Francfort. Unter_Bau se conçoit comme une alternative aux deux principaux syndicats à l’échelle fédérale : le « syndicat éducation et science » (Gewerkschaft Erziehung und Wissenschaft, GEW) et le « syndicat uni des employé·e·s des services » (Vereinte Dienstleistungsgewerkschaft, ver.di). Au sein de ces deux syndicats, le personnel académique est peu représenté. Seuls 10 % des membres de ce groupe professionnel sont syndiqué.e.s, comme le constatent les auteur·e·s d’un article sur les possibilités d’action collective à l’université44. Ceux-ci soulignent également que les enseignant·e·s-chercheurs/euses ne pèsent guère dans les négociations des conventions collectives à l'université. Les actions de ces deux syndicats se limitent en effet à un lobbying peu efficace et à des interventions surtout symboliques.
- 45 Voir le site internet du NGAWiss : https://mittelbau.net/ueberuns/.
32Le « réseau pour des conditions de travail décentes dans le domaine scientifique » (Netzwerk für Gute Arbeit in der Wissenschaft, NGAWiss) est un autre exemple d’action collective des personnels académiques en Allemagne, dans un contexte où les structures fédérales de l’ESR et l’autonomie administrative des universités ne favorisent pas les mobilisations nationales. Ce réseau fédère différents collectifs dénonçant les conditions du travail des collaborateurs/trices scientifiques dans plusieurs universités situées dans différents Länder. Suivant le mot d’ordre « nous sommes les 93 % ! », c’est-à-dire l’immense majorité précarisée des employé·e·s du système académique, les membres de ce réseau soulignent les conséquences néfastes de la compétition entre universités et de la course aux projets sur l’emploi et les conditions du travail des collaborateurs/trices scientifiques (wissenschaftliche MitarbeiterInnen)45.
- 46 Voir aussi la campagne dynamique « Frist ist Frust » (l’emploi à durée déterminée est source de fr (...)
- 47 Voir notamment Angela Graf, Maria Keil et Peter Ullrich, « Exit, Voice und Loyalty… » et Silke van (...)
33Parallèlement à ces actions collectives, qui mettent en avant des revendications locales tout en attirant l’attention de l’opinion publique sur la précarité du travail académique46, existent également des propositions qui visent à transformer les structures mêmes de l’ESR. Celles et ceux qui les avancent mettent en question, notamment, la relation hiérarchique entre professeur·e·s titulaires et personnels auxiliaires. Elles et ils entendent mettre fin à la sous-représentation des seconds dans les instances universitaires, rendre visible leur travail d’enseignement ou de recherche (dans le cadre, notamment, des projets financés par des crédits externes) et introduire davantage de transparence dans la manière dont les titulaires des chaires gèrent leurs ressources47. Ces mobilisations contre la précarité généralisée de l’emploi dans l’ESR débouchent finalement sur une critique de fond des pratiques et des finalités de la recherche ainsi que des modalités de valorisation de celle-ci.
Notes
1 Adopté en première lecture, sans modifications majeures, par l’Assemblée nationale le 23 septembre 2020, il est examiné fin octobre par le Sénat. Cet article a été rédigé avant l’adoption définitive de la loi par le Parlement, le 20 novembre 2020.
2 « Réflexion sur les politiques de recherche en France et en Allemagne / Auseinandersetzung mit der Forschungspolitik in Frankreich und Deutschland », WisPo : https://cmb-wispo.hypotheses.org/187. Nous tenons à remercier ici les membres de ce collectif pour leurs idées et suggestions, qui nous ont été très utiles pour préparer cet article.
3 « L’université allemande comme horizon de la LPPR ? », Mediapart, 12 juin 2020 : https://blogs.mediapart.fr/jeremie-g/blog/120620/l-universite-allemande-comme-horizon-de-la-lppr.
4 Les données chiffrées utilisées dans cet article sont fournies à titre indicatif. Il est en effet difficile de réunir des statistiques à l’échelle nationale compte tenu des structures fédérales de l’ESR en Allemagne.
5 Par « organisme de recherche », nous entendons ici un groupement d’« Instituts extra-universitaires » (außeruniversitäre Forschungsinstitute), comme la Max-Planck-Gesellschaft, bien que ce terme ait un sens quelque peu différent en France où il désigne des établissements de droit public. Nous y reviendrons.
6 Dans leur rapport récent sur le financement de l’ESR en Allemagne, Dieter Drohmen et Lena Wroble notent que les universités comme les Forschungsinstitute ont nettement amélioré leurs résultats en termes de publications de 1995 à 2018. Pour les premières, la progression est, en moyenne, de 70 %, pour les seconds, elles est de 96 %. Voir « Entwicklung der Finanzierung von Hochschulen und Außeruniversitären Forschungseinrichtungen seit 1995. Endbericht einer Studie für den deutschen Hochschulverband », mars 2018, p. 12 : https://www.hochschulverband.de/fileadmin/redaktion/download/pdf/FiBS_DHV_Hochschulfinanzierung_180328_final.pdf.
7 Voir ibid., p. 20. Entre 2015 et 2016, les dépenses publiques de l’enseignement supérieur représentent, d’après les données de l’OCDE, 82,7 % des dépenses totales d’éducation en Allemagne contre 77,8 % en France. Le privé contribue, en Allemagne, à 15,3 % de ces dépenses, contre 20,3 % en France. « Dépenses de l’enseignement supérieur », Données OCDE, 7 septembre 2020 : https://data.oecd.org/fr/eduresource/depenses-de-l-enseignement-superieur.htm. Selon Eurostat, l’Allemagne a consacré, en 2011, 4,98 % de son PIB à l’éducation. La même année, cette part était de 5,68 % pour la France. Tandis que la part du PIB français dédiée à l’éducation a baissé depuis 2002, la part allemande a légèrement augmenté jusqu’en 2010. En 2018, la part des crédits publics de recherche et de développement représentait 2,11 % du PIB en Allemagne, contre 1,06 % en France. « Part des crédits budgétaires publics de recherche et de développement », Eurostat, 2011 : https://ec.europa.eu/eurostat/databrowser/view/tsc00007/default/table?lang=fr.
8 En 2015, on comptait ainsi en Mecklembourg-Poméranie antérieure un·e professeur·e pour 51,5 étudiant·es, alors qu’à Berlin la proportion était de 1 pour 67,6 et, en Rhénanie-du-Nord-Westphalie, de 1 pour 99. Voir « Anzahl der betreuten Studenten pro Professor* in Deutschland nach Bundesländern im Jahr 2015 », Statista : https://de.statista.com/statistik/daten/studie/653256/umfrage/betreute-studenten-pro-professor-in-deutschland-nach-bundeslaendern/#statisticContainer.
9 Cette loi, plusieurs fois révisée, définissait les missions des universités (enseignement supérieur et recherche) et précisait tant leur organisation, leur mode de « gouvernance » que les conditions d’admission des étudiant·e·s.
10 Appelée initialement « initiatives d’excellence » (Exzellenzinitiativen). Par de tels financements, le Bund contribue, selon le site Uniturm.de, à environ 10 % du budget des universités. « Wie finanzieren sich Hochschulen? », Uniturm.de - Mitschriften, Skripte, Studienliteratur, Prüfungsvorbereitung : https://www.uniturm.de/magazin/finanzen/hochschulen-finanzierung-1467.
11 En particulier les trois « pactes pour l’enseignement supérieur » adoptés depuis 2007 : Hochschulpakt I (2007-2010), II (2011-2015) et III (2016-2020).
12 Tel est l’objet de la loi fédérale sur les contrats scientifiques à durée déterminée (Wissenschaftszeitvertragsgesetzt) du 12 avril 2007, dont la dernière modification date du 25 mai 2020.
13 Les dispositifs d’excellence mis en place depuis 2007 apportent, d’une part, un soutien financier aux universités ayant obtenu le label d’excellence, et créent, d’autre part, des Exzellenzcluster thématiques au sein d’une même université ou d’un groupement d’universités évaluées comme particulièrement « compétitives ».
14 Gaehtgens, Peter/Simon, Dagmar, « Universitäre Exzellenz in der Begutachtung », Forschung. Politik- Strategie – Management, 1, 2017, p. 21-30.
15 « Deutschland sucht seine Spitzenuiversitäten », Frankfurter Allgemeine Zeitung, 26 janvier 2004 : https://www.faz.net/aktuell/politik/bildung-deutschland-sucht-seine-spitzenuniversitaeten-1147112.html
16 Denis Eckert et al., « Les villes de la science contemporaine, entre logiques locales, nationales et globales. Une approche bibliométrique » dans Mina Kleiche-Dray (éd.), Les ancrages nationaux de la science mondiale xviiie-xxie siècles, Paris, IRD éditions, 2018, p. 37-64.
17 Entre 1995 et 2015, le nombre d’étudiant·e·s a augmenté de 40 %. Voir « Entwicklung der Finanzierung von Hochschulen… », op. cit., p. 19. Par ailleurs, D. Drohmen et L. Wroble évaluent « la part de financement de base des Länder, à un peu plus de 50 % en 2015, alors qu’elle était de 77 % en 1995 et, encore, de 73 % en 2005 » (ibid., p. 20).
18 On distingue ainsi les Drittmittel publics et privés. Curieusement, dans les statistiques fédérales, les financements de la Deutsche Forschungsgesellschaft (DFG) et de l’Union européenne, deux institutions pourtant publiques, sont considérés comme des ressources externes privées.
19 « Entwicklung der Finanzierung von Hochschulen… », op. cit., p. 20.
20 Par exemple, la Max-Planck-Gesellschaft (MPG) qui a reçu, en 2019, une dotation de 1,86 milliards d’euros, dépend davantage du financement public que la Frauenhofer Gesellschaft (FhG). La part des ressources externes dans le budget de la dernière s’élève à 70 % de son budget : « Grundfinanzierung », Startseite Fraunhofer-Gesellschaft, https://www.fraunhofer.de/de/ueber-fraunhofer/profil-struktur/zahlen-und-fakten/grundfinanzierung.html. Pour la MPG, voir aussi : Michel Werner, « La recherche face à l’action publique en France et en Allemagne. Regards croisés sur l’évaluation scientifique », dans Bénédicte Zimmermann (éd.), Les sciences sociales à l’épreuve de l’action. Le savant, le politique et l’Europe, Paris, Éditions de la Maison des sciences de l’homme, 2019, p. 177-208.
21 « Pakt für Forschung und Innovation », Bundesministerium für Bildung und Forschung : https://www.bmbf.de/de/pakt-fuer-forschung-und-innovation-546.html.
22 Voir Silke van Dyk et Tilman Reitz, « Projektförmige Polis und akademische Prekarität im universitären Feudalsystem », Soziologie, 46/1, 2017, p. 62-73, ici p. 64. Il s’agit de la prestigieuse revue de la Deutsche Gesellschaft für Soziologie (Association allemande pour la sociologie).
23 Voir les données de l’office statistique fédéral : « Frauenanteil in der Professorenschaft in Deutschland im Jahr 2019 nach Hochschulart », https://de.statista.com/statistik/daten/studie/479858/umfrage/frauenanteil-in-der-professorenschaft-nach-hochschulart/.
24 Ces directeurs et directrices ont le grade de professeur·e·s sans être titulaires d’une chaire.
25 En 2017, environ 1600 postes de « professeur·e·s junior » ont été créés, sans option de titularisation pour la plupart d’entre eux. Voir : Die Zeit, supplément « Forschung und Lehre », novembre 2017. Dans la majorité des cas, la durée du contrat est de six ans, ce qui distingue ce type de postes des tenure tracks dans le système anglo-saxon. Voir « Juniorprofessor werden: Voraussetzungen, Aufgaben, Besoldung », academics - der führende Stellenmarkt für Wissenschaft und Forschung : https://www.academics.de/ratgeber/juniorprofessur.
26 Kolja Lindner, « Le modèle allemand : précarité et résistances dans l’enseignement supérieur et la recherche d’outre-Rhin », Liberté de la recherche. Conflits, pratiques, horizons, 2019, p. 2, https://halshs.archives-ouvertes.fr/halshs-02496377.
27 À cet ensemble, il faut ajouter les très nombreux employé·e·s exerçant un emploi principal en dehors de l’université et de la recherche.
28 « Bildung und Kultur: Personal an Hochschulen », Statistisches Bundesamt, Fachserie 11, Reihe 4.4, 2018, p. 19 : https://www.destatis.de/DE/Themen/Gesellschaft-Umwelt/Bildung-Forschung-Kultur/Hochschulen/Publikationen/Downloads-Hochschulen/personal-hochschulen-2110440187004.html. La même année (2018), la Conférence des recteurs d’université proposait des chiffres un peu différents : elle dénombrait 100 249 enseignant·e·s vacataires, dont 6 784 PrivatdozentInnen contre 45 982 professeur·e·s titulaires.
29 Selon un rapport fédéral de 2017, « Bundesbericht Wissenschaftlicher Nachwuchs 2017 », Konsortium Bundesbericht Wissenschaftlicher Nachwuchs, p. 9 : https://www.buwin.de/dateien/buwin-2017-kurzfassung.pdf. Voir aussi Angela Graf, Maria Keil et Peter Ullrich, « Exit, Voice und Loyalty. (Un-)Möglichkeiten kollektiven Widerspruchs im akademischen Mittelbau in Deutschland », Leviathan, 48/2, 2020, p. 293-317.
30 Selon K. Lindner (« Le modèle allemand… », art. cité), cette loi est comparable à la loi Sauvadet de mars 2012 qui interdit le maintien dans la fonction publique des employés à durée déterminée au-delà d’une période de six ans. Pour la Wissenschaftszeitvertragsgesetz et la loi rectificative de 2016, voir : Freya Gassmann et Eike Emrich, « Wirkt die Novelle des Wissenschaftszeitvertragsgesetzes? Erste Evaluation der Wirkung des WissZeitVG auf Vertragslaufzeiten », Soziologie, 47/19, 2018, p. 7-25.
31 Selon l’enquête de Gassmann et Emrich sur les appels à candidatures, la durée moyenne des CDD scientifiques est passée de 19 à 26 mois de 2007 à 2016. Ibid., p. 19.
32 Voir par exemple https://cmb-wispo.hypotheses.org/category/deutschland, « Bundesbericht Wissenschaftlicher Nachwuchs 2017 », rapport cité, p. 129 (Statistische Daten und Forschungsbefunde zu Promovierenden und Promovierten in Deutschland : https://www.bmbf.de/files/buwin_2017.pdf, figure B38).
33 Pour une analyse du milieu des mandarins au début du xxe siècle : Fritz K. Ringer, The Decline of the German Mandarins. The German Academic Community, 1890-1933, Harvard, Harvard University Press, 1969.
34 Angela Graf, Maria Keil et Peter Ullrich, « Exit, Voice und Loyalty… », art. cité.
35 Sur cette institution, voir les analyses de Franz Schultheis, « Un inconscient universitaire fait homme : le Privatdozent », Actes de la recherche en sciences sociales, 135/1, 2000, p. 58-62. Voir aussi : K. Lindner, « Le modèle allemand… », art. cité.
36 Peter-André Alt, « Wende an Universitäten und Bibliotheken: Viele DDR-Wissenschaftler verloren ihre Stelle », Berliner Zeitung, 6 novembre 2019 ; Quirin Schiermeier, « UN stands up for East German scientists », Nature, 396/6712, décembre 1998, p. 605-605.
37 Sur l’épuration de la faculté de droit de la Humboldt Universität, voir : Inga Markovits, Die Abwicklung. Ein Tagebuch zum Ende der DDR-Justiz, Munich, C.H. Beck, 1995. Sur le cas de l’histoire comme discipline, voir le point de vue ouest-allemand mais toutefois informé de Konrad H. Jarausch, « “Déstruction créatrice”. Transformer le système universitaire est-allemand. Le cas de l’Histoire », Sociétés contemporaines, 39/1, 2000, p. 39-60.
38 Boris Grésillon, « Un mur peut en cacher un autre », Le Monde diplomatique, 1er novembre 2019.
39 Silke van Dyk et Tilman Reitz, « Projektförmige Polis und akademische Prekarität im universitären Feudalsystem », art. cité, p. 68-69.
40 On peut supposer que cette intériorisation des règles du jeu est facilitée par un niveau de rémunérations sensiblement plus élevé qu’en France. À titre indicatif, le salaire mensuel brut moyen d’un·e collaborateur/trice scientifique dans l’ESR allemand est d’environ 3 500 euros, celui d’un·e professeur·e junior de 4 500 euros et celui d’un·e professeur·e titulaire de 7 000 euros. Dans ce derniers cas, les variations sont importantes en fonction du grade (W2 ou W3), de l’ancienneté et du Land. Toutefois, les importants écarts de salaires dont témoignent ces chiffres contribuent à renforcer les inégalités de statut au sein de l’ESR allemand et leur perception subjective. Sources : https://www.gehalt.de/beruf/wissenschaftlicher-mitarbeiter et https://www.mystipendium.de/berufe/professor/gehalt.
41 Voir, par exemple, Pierre Bourdieu, Raisons pratiques, Paris, Seuil, 1994, p. 151.
42 Silke van Dyk et Tilman Reitz, « Projektförmige Polis und akademische Prekarität im universitären Feudalsystem », art. cité, p. 70.
43 Voir le bilan récent proposé par Agnès Arp et Elisa Goudin-Steinmann, La RDA après la RDA. Des Allemands de l’Est racontent, Paris, Nouveau Monde, 2020, p. 295-328.
44 Angela Graf, Maria Keil et Peter Ullrich, « Exit, Voice und Loyalty… », art. cité.
45 Voir le site internet du NGAWiss : https://mittelbau.net/ueberuns/.
46 Voir aussi la campagne dynamique « Frist ist Frust » (l’emploi à durée déterminée est source de frustration) en faveur d’une titularisation des personnels précaires, lancée en octobre 2019 par le NGAWiss et les organisations syndicales : http://frististfrust.net/.
47 Voir notamment Angela Graf, Maria Keil et Peter Ullrich, « Exit, Voice und Loyalty… » et Silke van Dyk et Tilman Reitz, « Projektförmige Polis und akademische Prekarität im universitären Feudalsystem », art. cités.
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Titre | Graphique 1 – Personnel scientifique exerçant un emploi principal dans les universités : professeur·e·s vs collaborateurs/trices académiques, 1975-2018 |
Légende | D’après DeStatis (Hochschulpersonal 2018, dans « Bildung und Kultur: Personal an Hochschulen », Statistisches Bundesamt, Fachserie 11, Reihe 4.4, 2018, p. 34) et Ariane Leendertz e.a., « Akademischer Mittelbau: Flexible Dienstleister der Wissenschaft », Frankfurter Allgemeine Zeitung, 19 mars 2018, en ligne : https://www.faz.net/aktuell/feuilleton/akademischer-mittelbau-flexible-dienstleister-der-wissenschaft-15502492-p3.html (consulté le 9 février 2021). |
URL | http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/rhsh/docannexe/image/5431/img-1.png |
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Pour citer cet article
Référence papier
Guillaume Mouralis, Camille Noûs et Nikola Tietze, « Un « modèle » pour la LPR ? », Revue d’histoire des sciences humaines, 37 | 2020, 261-274.
Référence électronique
Guillaume Mouralis, Camille Noûs et Nikola Tietze, « Un « modèle » pour la LPR ? », Revue d’histoire des sciences humaines [En ligne], 37 | 2020, mis en ligne le 01 avril 2021, consulté le 13 février 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/rhsh/5431 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/rhsh.5431
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