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L’essor actuel des sciences humaines

Conférence de M. Gabriel Le Bras, Professeur à la Faculté de Droit de Paris
The contemporary expansion of the Humanities
p. 211-234

Texte intégral

Gabriel Le Bras, L’essor actuel des sciences humaines, 1946

Gabriel Le Bras, L’essor actuel des sciences humaines, 1946

Conférence prononcée le 24 mai 1946 à Paris (vraisemblablement au Musée pédagogique) lors d’un cycle intitulé « Une politique française pour la science », organisé par l’Union française universitaire. Publiée en brochure en 1946, une note introductive précisait qu’elle y était « reproduite d’après la sténographie que le conférencier, n’ayant pas rédigé son discours, a simplement corrigée ».

  • 1 Voir en particulier : Ampère, 1834.
  • 2 Voir : Windelband, 1894 (trad. fr., 2000) ; Rickert, 1899 (trad. fr., 1997) ; Rickert, 1902. Et su (...)

1Tous les savants sont d’accord pour distinguer deux grandes catégories de sciences : les sciences dites exactes, au premier rang desquelles figurent les mathématiques, et les sciences, moins rigoureuses dans certaines de leurs parties, que l’on appelle sciences humaines, dont le secteur, très étendu, va de la biologie jusqu’aux frontières de l’art. Cette dichotomie : sciences exactes, sciences humaines, – se trouve déjà, en somme, chez Ampère lorsqu’il oppose les sciences noologiques (ou de l’esprit), aux sciences cosmologiques (ou de la matière)1 ; sorte de réplique de la distinction hégélienne entre philosophie de l’esprit et philosophie de la nature, qui devait avoir son prolongement et en quelque sorte son couronnement dans celle qu’ont établie Windelband et Rickert entre les sciences des valeurs (ou de la civilisation), et les sciences de la nature2.

2L’opposition de ces deux grands ordres de la réalité, l’esprit et la matière, se heurte à de très graves objections. Acceptons-la comme une tradition qui peut avoir son utilité didactique. Ce n’est que pour rencontrer une seconde difficulté : quelles sont les sciences humaines, à quel endroit s’arrête la frontière entre les procédures, les techniques, les recettes, les métiers, et d’autre part la science proprement dite ?... De quel côté, par exemple, placer le Droit ?...

3Enfin, si l’on se met d’accord, d’une manière toute empirique, pour tracer une frontière entre ces sciences de la nature et ces sciences de l’homme, surgit une troisième difficulté qui sera, je l’espère, la dernière : la classification soulève d’interminables débats dont vous apercevrez tout à l’heure les raisons, changements de dénomination, de contenu, de visée de chaque science, multiplication à un rythme accéléré, des objets et des rapports. Je me contenterai d’une énumération pratique, tout simplement de la division qui a été établie au Centre national de la recherche scientifique, entre géographie, anthropologie, linguistique et philologie, droit, économie, sociologie, littérature, histoire et archéologie, philosophie. Voilà les titres de nos commissions.

4Le développement de ces sciences que je viens d’énumérer est moins spectaculaire et sans aucun doute, moins productif que celui des sciences exactes, mais il n’est pas douteux que le crédit de la France et que le sort du monde, dépendent aussi profondément de l’apport des sciences humaines que de l’apport des sciences exactes.

5Or, pour vous parler de ces sciences, pas un homme n’est qualifié, ni en France ni ailleurs, pas un ! Chacun de nous connaît une ou deux d’entre elles, et pour être plus exact, je devrais dire : quelques secteurs d’une ou deux d’entre elles. Il n’est plus possible de les dominer comme faisait au Moyen Âge un Albert le Grand, et encore à l’époque moderne un Leibniz. Pour ma part – et je veux par là vous indiquer les limites de ma compétence et de ce que vous voudrez peut-être appeler mon autorité – pour ma part, historien et juriste de profession, quelque peu sociologue et légèrement géographe, dignitaire ou membre des Sociétés d’études latines et d’archéologie, de folklore et de musicologie, où je reçois plus que je ne donne, je ne vous parlerai des autres sciences qu’avec discrétion, comme un curieux moins éclairé que passionné. Sous cette réserve, j’oserai vous proposer quelques réflexions sur la vitalité des sciences humaines en France, et sur leur organisation rationnelle. Ce seront les deux parts de cette causerie.

I

  • 3 La formulation est un rappel de L’Esquisse d’un tableau historique des progrès de l’esprit humain (...)
  • 4 André Cholley (1886-1968), auteur pendant la guerre d’un Guide de l’étudiant en géographie (1942), (...)

6Il serait bien utile que nous eussions un tableau historique du progrès des sciences humaines depuis le début du xixe siècle3. Pour commencer, une esquisse de l’évolution de chaque science, comme celle que prépare en ce moment pour la géographie M. le doyen Cholley (qui nous donnera d’ici douze ou quinze mois un exposé de l’évolution de la géographie en France depuis une cinquantaine d’années)4. Ces monographies nous diraient les besoins qui font surgir une science, les milieux d’incubation, le rôle des personnalités (songez à un Saussure, un Pasteur, un Vidal de la Blache), les inflexions que commandent la croissance interne, les découvertes, les relations avec les autres sciences. Voilà quel serait le programme de chacune de ces monographies que nous posséderons, j’espère, sans trop tarder. Quand nous les aurions toutes, la vue d’ensemble deviendrait possible. Nous verrions l’ordre des naissances, des parentés, des emprunts. Ce serait un chapitre prestigieux de l’histoire de l’esprit, et en outre une précieuse leçon : car nous serions avertis du flottement des sciences, de la science, du danger des stéréotypes, des emprisonnements dans la cage des classifications ou des mots. Tout ce problème est à prendre par le fond : faute de ces analyses et de ces synthèses, qui serait assez présomptueux pour consacrer un véritable discours à l’état présent des sciences humaines ?...

7Je me bornerai à un regard circulaire ou semi-circulaire sur leurs royaumes dépeuplés, puis à identifier les tendances de leur vie et à prouver leur utilité bienfaisante. Tels sont les trois points sur lesquels je voudrais successivement appeler votre attention.

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  • 5 Jean-Berthold Mahn (1911-1944), diplômé de l’École des chartes (1935), agrégé d’histoire (1938) av (...)
  • 6 André Déléage (1903-1944), professeur à la faculté des lettres de l’université de Nancy, avait sou (...)
  • 7 Collègue à Strasbourg et ami de Marc Bloch (1886-1944), vice-président de l’Association Marc-Bloch (...)
  • 8 Autre collègue strasbourgeois, Maurice Halbwachs (1977-1945), mort en déportation à Buchenwald, av (...)
  • 9 Le philosophe Jean Cavaillès (1903-1944), fusillé, et le philologue Paul Collomp (1885-1943), abat (...)

8Je dis d’abord ces royaumes dépeuplés : les cataclysmes, depuis trente-deux ans, ont éprouvé les sciences humaines comme les sciences exactes au-delà de tout ce que nous avions vu à aucun moment de l’Histoire. Déjà la Première Guerre mondiale avait fauché la moitié des jeunes cohortes, des conditions mauvaises ont détourné de nos études nombre de survivants, enfin, la seconde guerre a décimé d’abord la magnifique élite des volontaires : Jean-Berthold Mahn (dont l’ouvrage posthume a été publié voici deux ou trois jours), tué devant Cassino5 ; André Deléage, notre espérance pour l’histoire rurale, tué en Lorraine6, et je me borne aux historiens, tandis que l’ennemi assassinait l’élite des résistants, décapitant les sciences historiques par l’exécution de Marc Bloch7, la sociologie par l’anéantissement progressif de Maurice Halbwachs8, supprimant des dizaines de savants plein d’œuvres et de promesses : Cavaillès, Pierre Daudet, Politzer, Collomp9… Arrêtons par nécessité cette liste funèbre.

9Malgré ces temps sombres et malgré les conditions exécrables du travail, les sciences humaines ont vécu, au ralenti sans doute, mais sans défaillir, et elles reprennent leur élan depuis la Libération. Chacune d’elles a ses chaires et ses instituts, dont vous trouveriez l’énumération par exemple dans le Livret de l’étudiant de l’Université de Paris ; elle a ses revues et ses sociétés, et si elle s’applique à des objets matériels, elle a ses musées et ses laboratoires. Des équipes solides font progresser l’ethnologie au musée de l’Homme, l’Histoire autour des Annales au nom changeant qui ont été fondées par Marc Bloch et Lucien Febvre… Dans un grand nombre de ruches parisiennes ou provinciales, toutes les recherches sont menées, que nous connaîtrions mieux si tous les directeurs de revues, comprenant leur mission, avaient soin de nous donner des chroniques qui fussent des sortes de panoramas des diverses sciences.

  • 10 Bloch, 1939 et 1940 ; Gilson, 1932 et 1922 ; Combes, 1942 ; Febvre, 1942 et 1944 ; Pintard, 1943 ; (...)

10Depuis 1939, beaucoup d’ouvrages importants, dont la liste et la valeur étonnent l’étranger plus que nous-mêmes, malgré notre vanité nationale, ont renouvelé ou enrichi notre vision du monde et de la vie… Je citerai presque au hasard dans le domaine des sciences historiques, du Moyen Âge à la Révolution, cette série d’œuvres où nos perspectives sur l’homme sont transformées depuis La société féodale de Marc Bloch, dont les deux volumes ont paru entre 1939 et 1940, jusqu’aux ouvrages plus récents sur la Révolution française, en passant par la deuxième édition de L’esprit de la philosophie médiévale et de La philosophie au Moyen Âge d’Étienne Gilson, les ouvrages de son disciple l’abbé Combes sur Gerson et Jean de Montreuil, la magnifique série qu’inaugurent Le problème de l’indifférence [sic.] au xvie siècle et Autour du Décameron [sic.] de Lucien Febvre et que continuent Le libertinage érudit de Pintard, le Mersenne du Père Lenoble – série qui n’est que suspendue et qui est une véritable histoire de la pensée moderne dont La géographie des humanistes, du P. de Dainville, La crise de l’économie française à la fin de l’ancien régime, de notre collègue Labrousse nous révèlent les cadres10.

  • 11 Wallon, 1945. Brièvement secrétaire général de l’Éducation nationale en août-septembre 1944, déput (...)
  • 12 Henri Piéron (1881-1964), vice-président alors de la Commission Langevin-Wallon, et Paul Guillaume (...)
  • 13 Sorre, 1943. Sur la trajectoire de ce géographe qui dirigera quelques années plus tard le Centre d (...)
  • 14 Professeur au Collège de France (chaire de géographie économique), président de la Fondation natio (...)
  • 15 Gaëtan Pirou (1886-1946), Charles Rist (1874-1955) et Bertrand Nogaro (1880-1950) ont été tous tro (...)

11Vous devinez par ce simple exemple – car je ne vous ai cité là que quelques grands ouvrages d’histoire et tous paru depuis sept ans, le dixième des noms que j’évoquerais dans un article ou un discours rédigé – vous devinez par cet exemple les proportions d’un catalogue de livres choisis dans chaque science. Quand j’aurai nommé parmi les psychologues Henri Wallon qui illumine – et je le dis en donnant à ce mot son sens plein – qui illumine Les origines de la pensée chez l’enfant11, quand j’aurai cité Piéron et Guillaume12, et parmi les géographes, Sorre, qui établit Les fondements biologiques de la géographie humaine13, et André Siegfried14, et parmi les économistes Pirou, Nogaro, Rist15, je pense que vous serez fondés à demander grâce, et je vous entendrai puisque vous êtes convaincus qu’au cours de ces sept années terribles ou dures, nos savants ont rempli en France et ailleurs leur tâche. Car je n’ai parlé que des savants français, mais il nous faudrait un tableau de l’activité des Français exilés en Amérique ou parqués dans les camps de prisonniers. Il faudrait que nous dressions aussi le bilan de toutes ces émigrations involontaires… Il y a donc eu un magnifique effort de la pensée française dans les conditions les plus dramatiques.

  • 16 La remise en cause des « vieux cadres universitaires », « vieux découpages de “sections” » est une (...)

12Cette bibliothèque que je viens de vous présenter – et je m’excuse pour toutes ces énumérations – cette bibliothèque est pleine de nouveautés fraîches. Vous avez remarqué – et ici encore je suis tout à fait d’accord avec Lucien Febvre16 – vous avez remarqué la rupture de tous nos cadres : ces historiens parmi lesquels j’ai cité des littérateurs, des philosophes, des économistes et même, ils me le pardonneront, j’espère, des géographes, ces historiens, on peut dire que dans ces dernières années, ils ont brisé les cadres du temps, prolongent l’antiquité jusqu’à Mahomet et même jusqu’à Charlemagne, rompant l’unité traditionnelle de la période féodale (c’est ce qu’a fait Marc Bloch qui a montré l’existence de deux féodalités), reliant la scolastique à Descartes sans asphyxier Luther, découvrant des continuités, des solidarités, des complexes qui avaient échappé à ce que nous pouvons bien appeler sans injures les historiens de l’accident, de l’individuel et de l’élémentaire. Nos psychologues ont déchiffré normaux et anormaux grâce au contact des sciences exactes, à l’observation clinique, à l’examen concret des sciences, des âges, des sexes, des conditions. Oserai-je ajouter que des aspects nouveaux de la sociologie religieuse ont été aperçus par des Français, qui cherchent à créer – c’est un des buts de ma carrière – une science de la pratique et même de la vitalité religieuse.

  • 17 Léon Ollé-Laprune (1839-1898), philosophe catholique, maître de conférence à l’École normale supér (...)

13Nous sommes donc en pleine effervescence. Quelles tendances pouvons-nous discerner ? C’est le second problème que je voudrais aborder dans la seconde partie de cette première partie. Je ne voudrais pas faire, si près de l’École Normale, une parodie d’Ollé-Laprune17, mais elle m’est venue aux lèvres tout naturellement…

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14Quelles tendances ?... Je pense que si nous regardons d’un peu haut les caractères généraux du développement de ces sciences humaines, nous apercevrons comme une triple série de mouvements pendulaires. Chacune d’elles oscille entre des tendances extrêmes, qu’il s’agisse de sa constitution, de ses relations ou de ses fonctions. Ce que je voudrais illustrer par quelques exemples.

  • 18 Ancien directeur de l’École coloniale (1926-1932), et recteur de l’académie d’Alger (1937-1940), G (...)
  • 19 La « géographie électorale » connaît un net essor dans les années 1940 autour d’André Siegfried à (...)
  • 20 Voir notamment : Le Bras, 1945 ; 1947b ; 1948a.

15La constitution d’une science contemporaine est toujours précaire à cause de la multitude de ses provinces. Il n’y a plus de science simple, toute science tend à se compliquer en conquérant de nouveaux domaines. Voyez le cas de la géographie. Au xviie siècle, géographie signifie cartographie. Puis l’école française, dans le cours du xviie siècle, pose les bases de la géographie physique. La géographie physique, à son tour, se partage en morphologie, climatologie, économique, structures agraires. La morphologie se décompose : actuellement il y a une morphologie des zones tempérées, une morphologie des zones tropicales, une morphologie des zones polaires. Plus nombreuses encore, la progéniture de la géographie humaine. Pour ne citer que ses trois dernières filles, il y a eu dans l’espace de quatre années la géographie psychologique qu’a proposée Georges Hardy18, la géographie électorale que cultive un groupe créé par Siegfried19, et enfin la géographie religieuse dont je peux réclamer pour le moins la copaternité20.

  • 21 La conférence à laquelle il est fait ici référence, non publiée semble-t-il, ne s’inscrivait pas d (...)

16Tandis que se multiplient les départements, un grand effort de centralisation s’accomplit en vue de maintenir l’unité de chaque province et l’unité de l’ensemble. « Pas d’autonomies, disait Sorre, dans une conférence, voici quinze jours. Il y a – et je reproduis ses expressions que j’ai transcrites fidèlement – il y a des aspects économiques de la géographie, et non une géographie économique ; une géographie humaine et non point des géographies des divers secteurs où l’homme se meut. La géographie – concluait-il – est une discipline de synthèse21. »

  • 22 Le premier tome de L’Anthropologie, fruit de la fusion des Matériaux pour l’histoire de l’homme (1 (...)
  • 23 Le Journal de la Société des Américanistes a été fondé en 1895, le Journal de la Société des Afric (...)

17En fait, ces deux tendances : centralisation et dissociation, se font une durable concurrence et dans certaines sciences, l’emportent tour à tour. Ainsi, l’ethnologie, tantôt rassemble ses forces, qui sont nombreuses et tantôt les disperse dans un ordre didactique ou territorial. Voyez ce qui s’est passé dans les cinquante dernières années : les trois revues qui étaient consacrées à la préhistoire, à l’anthropologie somatique, à l’étude des témoins matériels de la civilisation, ce que nous appelons l’ethnographie, ont en quelque sorte fusionné dans cette magnifique revue qu’est L’Anthropologie22. Mais à peine l’union était-elle faite qu’une nouvelle dissociation commençait. Les ethnologues ayant réalisé l’unité de leur science, qui exploite toutes les sciences de l’homme, se sont partagé la Terre : Américanistes, Africanistes et, depuis quelques semaines, Océanistes23. Il y a donc, vous le voyez, un double mouvement de rassemblement et de dissociation, qui est pour nous un premier sujet d’observation, et je dirai d’émerveillement ; c’est à ce mouvement pendulaire qu’appartient cette succession d’analyses et de synthèses auxquelles procèdent les sciences.

  • 24 Sans doute Gabriel Le Bras pense-t-il ici aux quatre grandes collections historiques lancées dans (...)
  • 25 Histoire de l’Église. Depuis les origines jusqu’à nos jours, placée d’abord sous la direction d’Au (...)
  • 26 Trois collections ont été créées dans les années qui précèdent la conférence : « Mythes et religio (...)

18Ces synthèses sont une sorte de coup de frein à la dispersion, et un essai de rassemblement, et nous sommes dans une de ces périodes de synthèse, je pourrai même dire dans une fièvre de synthèse. Voyez, pour l’Histoire, ces quatre collections24, et à l’intérieur de l’Histoire, toutes ces grandes collections d’Histoire particulières comme l’Histoire de l’Église dirigée par Augustin Fliche et feu Monseigneur Martin25 ; les Histoires des religions26.

  • 27 Cette caractérisation de l’ethnologie et de la sociologie comme sciences englobantes, et en ce sen (...)

19Il y a un second conflit de tendances qui est aussi remarquable que le premier, à savoir les tendances qui se manifestent dans la vie de relations, et je les caractériserai d’un mot : tendances successives ou concomitantes à l’impérialisme ou au contraire à la collaboration. J’en donnerai quelques exemples. Les sciences humaines, à mesure qu’elles progressent, sont amenées à empiéter sur les territoires voisins. Il y a des territoires qui n’appartiennent à personne et où elles s’installent pacifiquement. Mais il y a des territoires qui appartiennent à d’autres et où chaque science cherche à pénétrer. Voyez par exemple les ambitions de l’ethnologie : je vous l’ai dit tout à l’heure : personne ne conteste que la préhistoire, que l’anthropologie somatique, que l’ethnographie lui appartiennent, mais en outre, elle réclame le grand département de la linguistique, les grands départements de l’archéologie, du folklore et même de la sociologie, laquelle sociologie à son tour, prétend qu’aucune science ne lui est étrangère et – passez-moi l’expression – qu’elle les coiffe toutes27.

20Serons-nous scandalisés de cet appétit des sciences ? Mais c’est un signe de santé ! Une science qui se ramasse dans ses petites barrières, une science qui se contente d’un territoire occupé depuis le xiiie siècle, qui se vante même de l’occuper depuis le ive siècle, est admirable de fidélité, mais c’est le signe de la sénilité des sciences que de se recroqueviller, de trop s’enorgueillir de leur passé : c’est le signe de leur vitalité que de vouloir tout dévorer, tout conquérir. Elles ne dévoreront pas tout, c’est un jeu sans péril, mais qui n’est pas sans gloire et sans profit. Nous, juristes, qui sommes des timides – je parle du moins pour beaucoup de mes collègues – nous, juristes, qui sommes des gens ramassés dans un petit terrain, nous ne voulons pas qu’on vienne chez nous, nous ne voulons pas qu’on dise que nous allons chez les autres : c’est un signe de faiblesse, nous serons croqués !

  • 28 En l’absence de conflit référencé entre géographie et géologie, une hypothèse serait de lire « de (...)

21Une science est forte lorsqu’elle donne des signes d’impérialisme, de volonté de conquête. Mais quand de trop violentes collisions se sont produites – je rappelle avec tristesse la collision de la géographie et de la géologie, par exemple, celle de la statistique et de l’Histoire28 – ces collisions se terminent par des sortes de concordat, par des sortes de paix, dès l’instant où chaque science a reconnu sa propre originalité. Toutes ces sciences d’apparence agressive sont des sciences de rapports comme la géographie, ou de rassemblement comme l’ethnologie, ou d’explication comme la sociologie, et tous les points de vue ayant été distingués, la collaboration est assurée.

22Voilà le deuxième conflit auquel nous assistons entre les sciences, ou plutôt dans chaque science, entre cette volonté d’impérialisme, et cette modestie provisoire qui conduit à une sorte d’examen de conscience et à une retraite.

  • 29 C’est reprendre ici la division momentanée, au mitan des années 1930, entre la Caisse nationale de (...)
  • 30 Eugène Aubel (1884-1975), professeur de chimie biologique à la Sorbonne et directeur depuis 1933 d (...)
  • 31 Les deux maîtres de Gabriel Le Bras en matière de droit canon furent Paul Fournier (1853-1935) et (...)

23Il y a un troisième aspect de cette vie intérieure des sciences : à ce flux et à ce reflux dans le monde de l’esprit s’ajoutent le flux et le reflux dans le monde des choses ; chaque science, chaque savant, subit tour à tour et parfois dans le même temps, l’attraction de l’absolu et l’attraction de la réalité : science pure ou science appliquée29. La semaine dernière, Aubel nous a montré ce dilemme, ou plutôt cette succession dans l’œuvre de Pasteur30. Le spectacle n’est pas différent dans les sciences humaines. J’ai connu chez certains de mes maîtres le vertige de l’inactuel. « Ce qui est beau dans le droit du xiiie siècle, me disait l’un d’entre eux, c’est qu’il est totalement différent du nôtre et que nous l’étudions comme un mécanisme saturnien. » À côté de ce canoniste qui est malheureusement mort, il y avait un romaniste qui vit toujours et qui, lui, n’est préoccupé que des « leçons » de la science31. Ce sont deux vues de l’esprit, qui me paraissent également légitimes et discutables.

24Ces deux tendances se retrouvent à chaque instant, dans chaque science et dans notre vie quotidienne. Par exemple, il y a des économistes qui cultivent l’économie pure ; qui, juchés sur des tabourets inaccessibles, font des calculs, tirent des plans magnifiques, manient des instruments que l’on n’aperçoit pas de cette terre basse… Ce sont des économistes purs, et là se réfugient, à côté de quelques génies, de chercheurs laborieux, un certain nombre de calculateurs qu’il ne faut pas regarder de trop près. Loin de ces économistes purs, de ces êtres quasi divins ou au contraire quasi larvaires, il y a des économistes appliqués. Il y a ceux qui sont voués aux statistiques : c’est l’opposition entre la méthode conceptuelle et qui a de très éminents représentants, et la méthode concrète, statistique, toutes deux également indispensables et glorieusement représentées en France.

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25Voilà les divers mouvements entre lesquels se partage la science. Je voudrais maintenant – c’est un troisième point de cette première partie – vous rendre sensible l’utilité de toutes les sciences humaines. Qu’elles soient générales ou particulières, impérialistes ou démembrées, qu’elles soient pures ou appliquées, elles servent à trois choses – je ne le dis point par un fétichisme de la trilogie, mais par soumission à la vérité – elles assurent la connaissance, la prévision et l’action.

  • 32 Cette prévalence accordée, au sortir de la guerre, au temps long de l’histoire – au détriment de l (...)

26Je dis d’abord la connaissance. Considérez la plus pure des sciences, l’Histoire par exemple, cultivée par le plus détaché des contemplatifs, par exemple ce maître dont je vous parlais tout à l’heure : que nous montre-t-elle ? Elle nous montre des systèmes politiques, des modes de pensée, de petits univers où l’homme a vécu voici un siècle, voici un millénaire ou même davantage. En quoi ces antiquités vénérables peuvent-elles nous toucher ? Elles nous touchent parce qu’en tout événement historique, il y a ou il peut y avoir trois choses : d’abord une part d’éternel, ce qui est dans l’homme éternel. Puis une part de provisoire, mais de provisoire qui n’a pas encore cessé, de provisoire qui dure vingt, trente ou quarante mille ans, et enfin une part de cendre froide32. C’est dire que dans tout événement historique, vous rencontrez la nature, la survivance et dans les ruines mêmes, le milieu où l’homme a pu vivre.

  • 33 Au-delà du rejet de la figure du pur érudit, qui est déjà un topos du discours de l’histoire-scien (...)

27Cela revient à vous dire que l’Histoire faite d’une manière humaine se convertit en une sorte de psychologie collective, de sociologie générale. Et voilà encore une rupture de nos saintes barrières entre l’Histoire et les autres sciences. Tant pis pour l’érudit qui attendait d’elle un simple amusement, tant pis pour le savant de Moulins qui depuis trois ans est en train de gratter un bronze, pour avoir si la cloche date de 1520 ou de 1530… Peut-être est-elle de 1521 !... Ces termites ne sont pas des savants, et ils nous font le plus grand tort ; tandis que celui qui cherche dans les sociétés anciennes l’éternel ou le durable, tout au moins, la forme de ce qui n’est plus, mais qui a été, qui a pu être, celui-là fait un travail utile, en nous révélant tous les aspects de l’humain33.

  • 34 Rist, 1945, 2. L’économiste présente alors son livre comme un « précis de sociologie économique ».

28L’utilité d’une science nous paraît plus sensible quand elle nous découvre directement le monde où nous vivons, la vie que nous menons. Prenez par exemple le Tableau politique de la France de l’Ouest sous la IIIe République, d’André Siegfried, vous avez là une explication profonde de toutes les structures, de tous les milieux d’une vaste région, dont le comportement politique devient parfaitement intelligible. Prenez le Précis des Mécanismes économiques élémentaires que vient de publier Charles Rist, vous saisirez l’enchaînement des opérations proprement économiques, et pour reprendre ses termes, « comment se réalise cette circulation incessante de biens, de services et de revenus dont l’arrêt ou le ralentissement sont douloureusement ressentis34 ».

  • 35 Respectivement : Durkheim, 1897 ; Demangeon, 1920.
  • 36 Gabriel Le Bras annonce ici la publication des Cahiers internationaux de sociologie de Georges Gur (...)

29Cette connaissance que nous apportent les sciences humaines devient plus précieuse si elle nous permet d’estimer la vitalité d’un groupe social. C’est à mon avis un des grands rôles des sciences humaines et particulièrement de la sociologie, de nous permettre d’apprécier la vitalité d’un groupe social car alors elles nous permettent aussi de prévoir son évolution. Vous savez comment Durkheim avait prédit le nombre des suicides en certaines années. Vous savez comment Demangeon en 1920 nous a annoncé ce qui se passerait en Angleterre dans les décades suivantes35. On pourrait citer tous les bons ouvrages sur les mécanismes sociaux qui, sans contenir une vaticination finale, laissent entrevoir au moins la marche du destin. À mon sens, l’une des grandes tâches de la sociologie – et ce sera l’objet du premier article de la nouvelle revue qui va paraître36 – l’une des grandes tâches de la sociologie, c’est de rassembler toutes les données sur le potentiel des groupes, afin de calculer leurs chances. Et voilà la seconde fonction des sciences humaines.

  • 37 Alors dirigée par Henri Piéron, L’Année psychologique est divisée depuis sa création en 1894 en de (...)

30Leurs ambitions sont encore plus hautes : elles entendent guider la vie des hommes et des nations. Beaucoup d’entre elles présentent d’immenses programmes de leurs applications. La psychologie, par exemple, a des applications industrielles et sociales, pédagogiques et médicales. Elle souffle au stratège ses plans, au commerçant ses réclames, elle éclaire le jury d’Assises et le Tribunal pour enfants. Elle conseille l’orientation, la formation, la sélection professionnelle, le régime du travail, elle offre au guérisseur – et elle n’y réussit pas toujours très bien – les ressources de la psychothérapie. Je ne fais dans cette énumération que suivre la table des matières de ce magnifique instrument de travail qu’est L’Année psychologique, et je ne vais pas reprendre chacun de ses quinze panneaux, et vous montrer toutes les utilisations37… Je voudrais plutôt en peu de mots, rassembler quelques indications sur les services précis que rendent les sciences humaines à l’éducation, à l’organisation sociale et à la politique internationale.

31Peu de sciences ont un aspect moins éclatant que la pédagogie et pourtant, c’est elle qui détient les méthodes de formation humaine. Nous sommes ses tributaires : aucune science n’a de plus lourdes responsabilités. Elle a créé la Jeunesse hitlérienne, elle a créé la Jeunesse fasciste, elle a créé la Jeunesse soviétique, oserai-je dire qu’elle a créé la jeunesse des démocraties occidentales ? Ensuite, la propagande a généralisé, attisé le feu. Eh bien ! la pédagogie est une science, elle s’appuie sur d’autres sciences, elle doit à la psychologie, à l’histoire, à la sociologie, ses recettes dont nous avons assez vu qu’elles étaient fructueuses. Cette science, maîtresse des hommes et servante des puissances établies, est gavée de toutes les sciences humaines.

32Dans l’organisation de la société, presque toutes les sciences humaines ont leur rôle. Un État moderne exige des statistiques de toutes sortes et une monstrueuse réglementation, et si l’on fait appel plutôt qu’à des savants, à de simples praticiens, la culbute est assurée. L’organisation rationnelle de l’État est un des offices de la sociologie.

  • 38 Au sortir de la guerre, Gabriel Le Bras est très investi dans les activités du Centre d’études de (...)

33Enfin, aucune science humaine ne serait superflue dans le règlement des affaires internationales38. Comment organiser la paix sans le secours des principes et des techniques d’un droit intelligent ? Comment nos diplomates discuteront-ils sans une connaissance sérieuse de l’Histoire, de la géographie, de la psychologie, de l’économie ? Toutes ces exigences que je propose peuvent nous rendre un peu tristes, car ils ne sont pas nombreux, les hommes qui ont cette vaste culture, et vous imaginez quel danger il peut y a voir à confier nos affaires à des hommes de peu d’instruction, ou plutôt quelle responsabilité nous, universitaires, nous encourons, pour leur avoir donné si faible instruction : ce procès met en cause tout notre enseignement.

34Mesdames, Messieurs, nous avons entrevu les signes de vitalité des sciences humaines dans la France contemporaine, les ressorts de leur développement, la justification de leur rôle. Autant d’invitations à favoriser leur organisation rationnelle. Je dirai dans une seconde part de cette causerie, ce qui a été fait au cours des dernières années et ce qui me semble à faire dans les années prochaines.

II

35Voyons d’abord ce qui a été fait pour cette organisation rationnelle. L’essor des sciences humaines comme des sciences exactes dépend d’abord de l’activité de ceux qui les cultivent. J’ai connu des pays dans lesquels des hommes fort intelligents, mais qui se donnent pour mission de ne jamais travailler, de ne jamais écrire une ligne, n’ont rien fait pour favoriser cet essor. Je descendais un jour la colline du Generalife avec un chanoine de mes amis lorsque nous rencontrâmes un savant historien de l’Université de Grenade. Je lui demandai aussitôt quel était le sujet de ses livres lorsque mon ami me tira la manche et me dit : « Ce sont des questions qu’on ne pose jamais sous ce beau soleil ». En de tels lieux, la raison administrative ne saurait vaincre la nature.

36Je dis donc que l’activité des sciences dépend d’abord de l’activité des savants. Mais cette activité des savants dépend de l’organisation des études qui est l’œuvre des comités et des sociétés, des écoles, de l’éducation nationale et surtout de la recherche scientifique. Je dirai quelques mots de chacun de ces promoteurs, et je vous proposerai des vues simples sur les réformes qui me paraissent utiles.

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37Paris et les départements comptent plusieurs centaines de sociétés qui patronnent les sciences humaines. Chaque société a sa revue, son siège social. Il y a dans presque tous nos chefs-lieux une société d’émulation ou une académie qui ne sont pas nécessairement intimes ; dans beaucoup de villes importantes, une petite société scientifique et littéraire qui entretient la curiosité locale. Le Comité des travaux historiques à Paris, dont chaque section se réunit chaque mois, est comme la maison mère. Bien que je sois un de ses assistants, je peux bien dire que c’est une maison mère un peu dormante… L’Institut de France couronne les œuvres et les carrières des meilleurs érudits.

  • 39 Réglementés par décret, le 31 juillet 1920, les Instituts d’université sont pensés, dans la contin (...)

38Parmi les sociétés provinciales, il en est plusieurs florissantes et très actives, notamment en Bourgogne et en Normandie. Depuis quinze ans, j’assiste tous les ans à la séance d’ouverture ou de clôture des sociétés savantes de Normandie et de Bourgogne ; il se fait là beaucoup de travail et de travail sérieux. Le ministère de l’Éducation nationale couvre non seulement les universités, mais encore les établissements d’enseignement supérieur, l’École des chartes, l’École nationale des langues orientales et ces deux foyers de recherches que sont le Collège de France et l’École pratique des hautes études, qui préparent des recrues pour les sciences humaines. La contribution des Facultés des Lettres et de Droit par les travaux de leurs maîtres et de leurs meilleurs élèves reste importante ; les cellules actives sont les instituts, qui sont appelés, semble-t-il, à un grand avenir39. J’aimerais bien vous présenter toutes ces petites ruches inégalement peuplées et productives. Nous n’en avons pas le loisir.

  • 40 Sur l’activité frénétique du CNRS à la Libération, voir : Picard, 1990 ; Guthleben, 2013.
  • 41 Il s’agit de Georges Teissier (1900-1972), qui prononcera quelques semaines plus tard la conférenc (...)

39De tous les organismes, le plus important pour l’essor des sciences humaines est le Centre national de la recherche scientifique, le CNRS40 Ce Centre national se compose d’un Directeur, que j’ai l’honneur d’avoir à ma droite41, d’un directoire où les sciences humaines ont trois représentants : Henri Wallon, Lucien Febvre et moi-même. Il a des commissions qui tiennent deux sessions annuelles, sessions qui sont sérieuses, car je puis vous dire que ce matin nous avons été en séance de 9 h 30 à 13 h 40 ; le directoire se réunit chaque semaine, prend toutes les décisions : les commissions proposent et le directoire dispose. Il déclenche aussi les grandes initiatives.

40Je voudrais vous dire en quelques mots ce qu’il fait pour – je vous demande pardon : il y a encore trois termes ! – pour le soutien, pour la coordination et pour l’épanouissement des sciences humaines.

41Le soutien, il l’accorde sous deux formes : subventions et patronage. Subventions qui permettent aux jeunes savants de vivre, à des équipes de mener leurs travaux et à des auteurs de se faire imprimer. Voici quelques chiffres qui vous montreront l’importance de ces subventions : en 1945-1946, 229 bourses ont été accordées aux sciences humaines, sur un total de 1 145 ; 80 aides techniques, sur 715 et 7 millions 500 000 francs pour publications.

  • 42 Gabriel Le Bras, membre du Conseil de perfectionnement de l’Institut d’études politiques, y enseig (...)

42Le patronage, qui n’est pas exclusif des subventions, car il y a beaucoup de gens qui sont très honorés d’être sous le patronage de la Recherche scientifique (mais cela ne veut pas dire qu’ils soient absolument désintéressés), le patronage donc, qui n’exclut pas rigoureusement les subventions, qui les annonce très souvent, garantit le sérieux et l’impartialité de grandes initiatives. Il a été accordé à plusieurs centres d’études, et comme j’ai l’honneur de représenter le CNRS dans plusieurs de ces centres, je peux attester de l’opportunité d’un tel soutien. Il est bon que nous soyons présents à la nouvelle École des sciences politiques pour encourager son ardeur moderne, son ardeur d’entreprise42. Il est bon que nous soyons présents au Centre de politique étrangère où se font les seules études organisées sur les affaires extérieures… Voilà le premier rôle de la Recherche scientifique : subventionner, patronner.

43Beaucoup plus délicate est l’œuvre de coordination. Il s’agit en effet de provoquer la fusion de revues ou la coopération d’organismes qui ont une longue tradition d’autonomie et que la crise du papier, la crise de la monnaie empêchent de continuer leur carrière.

  • 43 C’est toutefois dans les Mémoires de la Société d’histoire et d’archéologie de Bretagne, et non da (...)
  • 44 Pour une mise en scène théâtralisée, et en partie ironique, de l’activité des sociétés savantes ré (...)
  • 45 Gabriel Le Bras parvient en ce sens à mettre sur pied en 1948 une Fédération des sociétés historiq (...)

44Les revues d’abord ! Ces sociétés locales dont je parlais tout à l’heure, publient en général un périodique : bulletin, annuaire, Mémoires… Il y a peu de ces périodiques qui pourront survivre à la secousse actuelle. Le moindre périodique sérieux a besoin aujourd’hui de 100 000 francs pour fournir à ses abonnés 150 pages annuelles. Il y en a peu qui soutiendront cette charge. Le plan du CNRS est de subventionner en chaque région une revue modèle (par exemple les Annales de Bretagne43), qui centraliserait les articles, de supprimer par conséquent l’aide à cette poussière de petites revues où chacun vient apporter sa petite œuvre. J’assistais, il n’y a pas très longtemps, à la réunion d’une société académique où le président, comme on lui proposait une communication sur un sujet de très grande envergure, tapait avec son crayon sur la table avec impatience, et lorsque l’importun eut terminé son discours, il dit : « Je vais lire mon sonnet à notre bibliothécaire universitaire… » Par cette image, j’ai évoqué devant vos yeux tant d’œuvres d’insectes qui se distraient44. Nous ne sommes pas les ennemis de la distraction ni des insectes, mais notre rôle est de favoriser les travaux vraiment scientifiques, et qui nous renseignent sur l’homme : synthèses ou monographies, issues des Universités ou des sociétés locales (qu’il faut développer, élever, fédérer). Voilà ce que le Centre a l’intention de soutenir dans chacune de nos provinces, et dans cette tâche il pourra être aidé par le Comité français des sciences historiques dont le dessein est d’encourager la naissance de fédérations nationales des sociétés savantes, renonçant à les unifier, parce qu’après tout, quand, dans une petite ville il y a place pour deux présidences et pour deux secrétaires généraux, ou même pour deux secrétaires perpétuels, comment voulez-vous que nous convainquions qu’il pourrait n’y en avoir qu’un seul ? Il y a donc là, vous le voyez, une besogne qui demandera beaucoup de doigté, de connaissance des hommes, d’adresse, d’autorité, de diplomatie. Mais si elle était menée à bien, cette œuvre, elle nous permettrait de coordonner toutes les initiatives. Il y a là des hommes qui sont capables de faire de bonnes petites choses : nous voudrions les empêcher de faire de mauvaises petites choses. Il y a des gens qui peuvent apporter leur contribution à nos travaux, à nos enquêtes de toutes sortes ; il faut que nous les dirigions45.

  • 46 L’Association des travailleurs scientifiques est mise sur pied à l’automne 1944 par le Front natio (...)

45Je dirai des organisations scientifiques ce que j’ai dit des revues : un des défauts évidents de notre organisation scientifique, ou plutôt l’une des conséquences de notre inorganisation scientifique est la coexistence d’organes qui se donnent le même programme. Résultat : plusieurs équipes qui accomplissent les mêmes travaux, dispersées en plusieurs lieux. L’unification ou la coordination des équipes, cela est clair, multiplierait le rendement et éviterait les doubles emplois. Le Centre national de la recherche scientifique participe notamment à la concentration des offices de documentation, et dans toute son œuvre de liaison entre les chercheurs, entre les disciplines, il est cordialement aidé par l’Association des travailleurs scientifiques46.

46Jusqu’à présent, le CNRS se présente comme un facteur d’ordre et cela est déjà bien. Mais son ambition va beaucoup plus loin : il prétend créer tous les instituts et tous les centres d’études qu’il juge nécessaire. Sa première fondation a été le Centre d’études sociologiques, dont la mission est de promouvoir et de diriger les recherches dans les différentes branches de la sociologie, de former les chercheurs, d’organiser des enquêtes en France et à l’étranger, de coopérer avec des sociologues étrangers, de publier des travaux originaux, les résultats des enquêtes et éventuellement, de préparer la publication d’un périodique, d’organiser des réunions internationales et nationales groupant les chercheurs qui s’occupent de problèmes sociologiques. Ce Centre est dirigé par un comité de quinze membres qui a choisi dans son sein un comité exécutif de trois membres : Georges Gurvitch, Henri Lévy-Bruhl et moi-même. Tout de suite, nous avons organisé dans les locaux de la Coopération intellectuelle une série de conférences d’initiation aux enquêtes. La grande salle où se donnent les cours est toujours bien garnie d’étudiants. Elle est pleine. Nous avons été surpris nous-mêmes de cet évident succès, remporté par une action soudaine, au milieu de l’année scolaire, avec des moyens de fortune.

47Nous nous proposons un but précis, à savoir : dès à présent – et vous allez voir que ce but est modeste – de faire un inventaire général de toutes les ressources de la France, une description aussi complète que possible du pays, de ses organisations ouvrières, de son habitat, de son état politique, de son état religieux ; bref, il n’y a rien qui échappe à notre curiosité.

  • 47 Le Centre de documentation cartographique et géographique est créé lui aussi en 1946, et se donne (...)

48Un centre de documentation cartographique a été adjoint par les soins du CNRS à l’Institut de Géographie sous la direction de M. le doyen Cholley, des fichiers se remplissent, les croquis s’accumulent, et surtout il se constitue une inestimable collection de cartes inédites ou imprimées47. Tous ces documents qui servent déjà à la documentation permettront de grands travaux et plus tard une revue cartographique sera peut-être fondée. Il est même possible que le directoire du CNRS soit prochainement saisi d’un projet d’Atlas périodique…

49Vous le voyez, de grandes impulsions et de grands secours sont donnés aux savants. Il reste encore beaucoup à faire, et cela est bien naturel. Ce n’est pas en deux années que l’on relève un pays qui a été abaissé comme l’a été le nôtre par ses occupants et par ses gouvernants. De grandes impulsions, de grands secours sont donnés aux savants. Il reste beaucoup à faire, et je voudrais vous proposer pour finir quelques vues élémentaires sur le programme des années prochaines. J’en grouperai les articles sous trois titres : organisation des cadres de travail, perfectionnement de la science et diffusion des résultats.

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  • 48 Cette dimension de « rivalité » internationale, de réaffirmation nationale et impériale, est centr (...)

50Je dis d’abord organisation des cadres de travail. L’enseignement et la recherche scientifique doivent être assurés en permanence dans tous les secteurs des sciences humaines ; cette proposition signifie que nous devons créer et maintenir tous les postes impliqués dans une représentation parfaite du savoir ; nécessité nationale, nécessité internationale. D’une part, la solidarité des sciences oblige à assurer un réseau complet, et d’autre part la rivalité des nations exige que nous ayons des spécialistes capables de nous faire honneur dans toutes les branches et dans tous les domaines des connaissances humaines48.

51Nous sommes loin encore de cette sagesse ; certaines sciences ne sont pas cultivées chez nous, d’autres sont en quenouille ou menacées ; pour m’en tenir à deux domaines de l’Histoire que je connais assez bien, nous n’avons dans les Facultés de Droit, pourtant si riches en personnel d’historiens, aucun papyrologue ou épigraphiste renommé, aucun égyptologue, hébraïsant, coptisant ou byzantiniste qualifié, aucun germaniste, aucun historien des droits étrangers ni même du Droit français depuis 1789.

  • 49 Henri Maspero (1883-1945), titulaire de la chaire de Langue et littérature chinoise au Collège de  (...)
  • 50 La génération des élèves d’Édouard Chavannes disparaît de fait en quelques années : Marcel Granet (...)

52L’Histoire des religions est un peu mieux partagée, cependant nous sommes très pauvres en exégètes de l’Ancien Testament, nous n’avons qu’un japonologue, il n’y a aucun sinologue pour remplacer aux Hautes Études le regretté Maspero (assassiné par les Allemands)49 que j’étais allé trouver un jour à l’issue de son cours au Collège de France, le suppliant de venir former des successeurs, car cette grande dynastie des sinologues qui a été représentée par mon prédécesseur à la présidence des Hautes Études, Marcel Granet, par Paul Pelliot, par Maspero, elle périclite50. Nous n’avons plus guère de sinologues et nous voyons arriver avec terreur le jour où plusieurs de nos collègues des Sciences religieuses prendront leur retraite sans avoir aucun successeur. Peut-il en être autrement puisque personne ne veille avec autorité, avec constance, sur ces vastes domaines du travail ? On dira qu’il appartient aux maîtres de former leurs successeurs : le fait est que beaucoup n’en ont aucun souci. Il y en a qui n’ont pas la vocation apostolique, il y en a qui estiment que ce n’est pas la peine que l’on continue leur œuvre et je connais un professeur qui a souhaité au moment de sa retraite, que l’on supprimât sa chaire en disant : « Il y a vingt-cinq ans que j’enseigne une chose inutile », et là-dessus il ferma la porte et ne fut point remplacé… Il y a des maîtres qui ont peur que des disciples scient les barreaux de leurs chaises. Il y a toutes sortes de catégories de maîtres… Il ne faudrait pas croire – et j’ose le dire devant la jeunesse respectueuse qui m’écoute – il ne faudrait pas croire que tous les professeurs ont un immense souci de la permanence de leurs sciences.

  • 51 L’ambition de ce plan, non retrouvé à ce jour, est caractéristique du souci d’organisation par le (...)

53Eh bien ! puisqu’ils ne s’en occupent pas tous assez, il faudrait un conseil permanent organisé par le Centre national de la recherche scientifique et la direction de l’Enseignement supérieur, animé par un secrétaire général qui aurait le feu sacré. Ce conseil tiendrait à jour la carte des sciences humaines, l’état des chaires et de leurs titulaires, le dossier des besoins urgents ; il susciterait des vocations, par la publicité qu’il donnerait aux vacances prochaines, aux créations éventuelles, par des bourses, par des ententes avec les professeurs dont il stimulerait le zèle… Voici un an que j’ai soumis à M. le ministre de l’Éducation nationale un projet détaillé en vue de la création de ce conseil de perfectionnement, et je dois dire que ce projet a reçu le plus parfait accueil verbal51

  • 52 Durant l’entre-deux-guerres déjà, Gabriel Le Bras se fait un partisan résolu de la méthode comparé (...)
  • 53 L’Institut de droit comparé de la faculté de droit de Paris a été fondé en 1931 par Henri Lévy-Ull (...)

54Voici donc les conditions d’une organisation heureuse de la science ; si elles étaient réalisées, l’essor de nos sciences humaines serait encore plus grand ; presque toutes les sciences humaines pourraient alors se renouveler, s’élever d’un ou plusieurs degrés. Elles pourraient s’élever par la méthode comparative ; aussi bien au CNRS qu’à la commission pour la réforme de l’enseignement supérieur, et surtout là, je n’ai cessé de répéter que l’avenir du Droit et des sciences religieuses était dans cette adoption52. Depuis cent quarante ans, nous ne cessons de morceler le Droit français, de le monnayer au profit des notaires, des avoués, des huissiers. De très rares spécialistes le confrontent avec les Droits étrangers, je veux dire avec les lois d’un ou deux pays étrangers. Dans un entresol de la Faculté, quelques ombres écoutent des conférences rares et disparates sur la femme turque ou sur le juge argentin53, alors que nous devrions posséder un puissant institut où tous les Droits : latins, slave, anglo-saxons, islamiques, seraient inventoriés, approfondis, enseignés. Si nous avions ce grand organisme, alors apparaîtrait le partage des solutions et mieux encore les familles d’esprit parmi les nations. Alors surgiraient le problème des traditions, le problème des emprunts, le problème des évolutions parallèles ; le rapport entre les conditions sociales et les règles juridiques se découvrirait. Une comparaison des institutions religieuses procurerait les mêmes avantages. Que l’on songe à l’universalité des confréries, des fondations, des temples, du sacrifice… J’ai tenté dans ces dernières années de réunir chez moi des spécialistes de toutes les disciplines en vue de créer précisément ces intérêts communs, de poser des problèmes, par exemple le problème de l’ascétisme dans les diverses religions, de faire toutes les confrontations, d’arriver ainsi à des conclusions qui dépasseraient celles de simples tenants de telle ou telle religion particulière. Il y a eu quelques résultats, mais il est bien évident qu’il faudrait une impulsion qui vînt de quelques hommes, il faudrait qu’une impulsion vînt d’en haut.

55Beaucoup de disciplines humaines, que j’appelle ainsi parce qu’elles sont des procédures, des recettes, des techniques, des métiers, deviendraient des sciences si nous avions ces animateurs, si nous avions ces conseils, ces organisations qui les inviteraient, dans des cadres plus larges, à prendre conscience de la grandeur des problèmes.

  • 54 L’Institut de droit romain est néanmoins fondé en novembre 1946, sous la direction d’Henri Lévy-Br (...)

56Enfin, toutes les sciences devraient être enseignées dans des écoles et dans des instituts convenablement disposés. Nos sciences humaines étouffent dans des locaux dignes d’un État de l’Amérique centrale et encore, je ne ferai pas plaisir au Nicaragua ! Me croirez-vous quand je vous dirai que la section des sciences religieuses de l’École des hautes études, institution unique au monde – il n’y a qu’une école des sciences religieuses au monde, c’est celle qui se trouve dans les bâtiments de la Sorbonne, et on nous l’envie dans bien des pays plus que ne nous l’envient les Français qui la connaissent si peu –, vous dirai-je que cette École des hautes études, qui a vingt-quatre professeurs, dix chargés de conférences, quatre cents élèves qui se destinent en général à la recherche, dispose exactement de deux salles et d’un petit cabinet ? Il lui faudrait au moins trois salles de cours, trois salles de travail, deux cabinets. Le logis de nos instituts de Droit est aussi déplorable, et l’Institut de Droit romain ne peut pas naître faute d’endroit où s’abriter54.

  • 55 Très énigmatique, la formule est difficile à déchiffrer – Le Bras était en tout cas renommé pour s (...)

57Aucun de ces centres n’a une bibliothèque suffisante. En revanche, de grandes collections de livres sont détenues en des bibliothèques hantées par le bibliothécaire et un quarteron d’araignées, d’araignées véritables. Je vous citerai des exemples : à Paris il existe pour l’histoire des religions quatre bibliothèques spéciales : l’une derrière un tableau noir, et personne n’en sait de quel côté est la serrure55 ; à la Sorbonne, les fonds Loisy et Reinach que nous n’avons pas pu accepter aux Hautes Études parce que nous n’avons pas la personnalité morale, et qu’il n’y a pas de place ; la bibliothèque du Musée Guimet ; un cabinet au Collège de France : quatre bibliothèques, pas une qui serve à une équipe de travailleurs animée par des maîtres. Pour le Droit comparé, trois fonds séparés : à l’Institut de droit comparé, quelques rayons insuffisants pour les vocations qui se déclarent parmi nos 20 000 étudiants ; à la Société de législation comparée, une collection magnifique, sans usagers ; au ministère de la Justice, un trésor pillé que masque aujourd’hui la poussière. Résultat : des doubles, des lacunes, la nécessité de circuits interminables pour tout atteindre, des salles désertiques… Si tous ces fonds étaient unis et aussi les budgets, nous aurions sous la main des collections complètes.

58Pas plus que les livres, les hommes ne feraient défaut si on savait les attirer et les retenir. Faisons-nous tout le nécessaire pour essayer d’éveiller les vocations, et quand elles sont nées pour les entretenir ?... Nous avons des auxiliaires pleins de bonne volonté mais qui cherchent en général une autre carrière parce qu’ils ne sont pas encore assez rétribués ; nous avons des collègues qui font des besognes accessoires qui les détournent de leur mission scientifique parce qu’on n’a pas encore révisé leur traitement, et je ne parle pas pour mon saint, je parle pour mes collègues non-cumulants de l’École des hautes études.

59J’en aurai fini avec ce programme qui, vous le voyez, n’est pas en tout point rafraîchissant, lorsque je vous aurai dit que les découvertes des sciences humaines ne sont pas le pécule des savants. Nous avons à organiser leur diffusion dans les établissements secondaires et même supérieurs, dans la masse de la population et à l’étranger. D’abord dans les établissements secondaires ; j’ai eu l’occasion de dire, à la Sorbonne, dans une conférence qui s’imprime depuis un peu moins de quinze mois, sous le titre : Université de Caen, Université nouvelle, que l’idéal de culture complète, c’est-à-dire à la fois intellectuelle, humaine et physique, devrait être proposé à notre jeunesse, quels changements profonds appellent des programmes mal équilibrés et surtout des méthodes archaïques ! J’ai eu l’occasion d’insister sur le rôle de l’Université dans la distribution cantonale des résultats de nos sciences, sur le rôle que nous devrions avoir dans cette petite société des villes, des chefs-lieux de canton où, au lieu de laisser faire du commérage qui n’est même pas rétrospectif ni introspectif, il nous faudrait propager notre savoir, nos découvertes, nos préoccupations. Et je me borne à évoquer l’urgence de nos contacts avec les instituteurs, avec les universités populaires. Quant à l’étranger, il attend avec impatience de connaître nos ouvrages. Je l’ai constaté voici quelques mois en Angleterre et en Belgique. En Europe Centrale, en Amérique, en Scandinavie, les dispositions sont pareilles ; mais nous ne sommes pas encore prêts à répondre à tous ces appels. Il serait urgent de créer, par exemple, un bulletin périodique dont nos attachés culturels assureraient la distribution, je l’espère du moins, et peut-être la traduction. Nous avons ainsi projeté à Londres un Progress in History.

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60Mesdames et Messieurs, si nous jetons un regard d’ensemble sur le passé proche, sur le présent et sur l’avenir des sciences humaines en France, l’impression sera, me semble-t-il, optimiste. Malgré la saignée des guerres, malgré les déperditions de forces, malgré les erreurs de nos programmes et de nos méthodes, nous demeurons une grande puissance intellectuelle.

61Ce n’est pas un prestige négligeable, car les sciences humaines ont devant elles un prodigieux avenir. Sociologie et psychologie, économie et politique nous apprendront un jour sur l’homme autant que la physique et la géologie nous ont appris sur la nature.

62Notre idéal doit dépasser toutes les frontières des pays et des sciences, notre idéal doit être la création d’un homme nouveau. Toutes les sciences seront vaines si elles n’aboutissent à ce bien suprême, et notre monde d’iniquité périra, victime de l’action combinée des sciences exactes et des sciences humaines, les premières fournissant la matière et les secondes, la forme, si nous ne créons pas cet homme nouveau.

63Hâtons-nous de créer l’homme nouveau. Ses caractères seront une curiosité universelle, qui le préservera des étroitesses de la spécialité, une générosité lucide qui l’arrachera aux égoïsmes de la propriété, une passion de la justice qui éteindra les causes des guerres.

64Si les sciences humaines ont pour objet de nous révéler toutes les misères et les grandeurs, toutes les possibilités de l’homme, leur plus haute mission est de nous mettre en mesure de former, par une éducation et une politique sage, ce nouvel Adam qui serait le père de l’humanité véritable. (Applaudissements)

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Notes

1 Voir en particulier : Ampère, 1834.

2 Voir : Windelband, 1894 (trad. fr., 2000) ; Rickert, 1899 (trad. fr., 1997) ; Rickert, 1902. Et sur l’histoire de cette distinction, entre France et Allemagne : Feuerhahn, 2015.

3 La formulation est un rappel de L’Esquisse d’un tableau historique des progrès de l’esprit humain (1795), livre posthume de Condorcet, qui tient communément lieu de symbole de l’affirmation d’une pensée du progrès.

4 André Cholley (1886-1968), auteur pendant la guerre d’un Guide de l’étudiant en géographie (1942), doyen de la Sorbonne de 1945 à 1956, dirige alors l’Institut de géographie de Paris ; le projet ici évoqué par Gabriel Le Bras n’a semble-t-il pas eu de suite.

5 Jean-Berthold Mahn (1911-1944), diplômé de l’École des chartes (1935), agrégé d’histoire (1938) avait rejoint le Maroc en 1943. Auteur avec Louis Halphen, d’une Initiation aux études d’histoire du Moyen Âge (1940), ce dernier se charge de la publication en 1945 de L’Ordre cistercien et son gouvernement, des origines au milieu du xiiie siècle, 1098-1265. Voir notamment : Breillat, 1944.

6 André Déléage (1903-1944), professeur à la faculté des lettres de l’université de Nancy, avait soutenu en 1941 une thèse consacrée à La vie économique et sociale de la Bourgogne dans le Haut Moyen Âge.

7 Collègue à Strasbourg et ami de Marc Bloch (1886-1944), vice-président de l’Association Marc-Bloch à sa création en 1947, Gabriel Le Bras aimait à se dire « associé » au travail des Annales d’histoire économique et sociale.

8 Autre collègue strasbourgeois, Maurice Halbwachs (1977-1945), mort en déportation à Buchenwald, avait notamment accueilli, dans la série des Annales sociologiques qu’il dirigeait, un mémoire sur l’enquête sur les pratiques religieuses entreprise par Gabriel Le Bras (1937).

9 Le philosophe Jean Cavaillès (1903-1944), fusillé, et le philologue Paul Collomp (1885-1943), abattu lors d’une rafle, sont tous deux passés par l’université de Strasbourg, avec laquelle Gabriel Le Bras continue à entretenir des liens étroits après sa nomination à Paris (1931). L’historien du droit Pierre Daudet (1904-1945), lui aussi résistant, mort en déportation, fut l’un de ses premiers élèves parisiens (Le Bras, 1947a) ; le philosophe Georges Politzer (1903-1942), fusillé, est un des initiateurs du Front national universitaire, mouvement de résistance dans lequel Le Bras s’engage durant la guerre, et qui donne naissance en 1945 à l’Union française universitaire.

10 Bloch, 1939 et 1940 ; Gilson, 1932 et 1922 ; Combes, 1942 ; Febvre, 1942 et 1944 ; Pintard, 1943 ; Lenoble, 1943 ; Dainville, 1940 ; Labrousse, 1944.

11 Wallon, 1945. Brièvement secrétaire général de l’Éducation nationale en août-septembre 1944, député du PCF en 1945-1946, le psychologue Henri Wallon (1879-1962) occupe alors, comme Gabriel Le Bras, un rôle clé dans la réorganisation de l’enseignement et de la recherche, notamment par sa présidence de la Commission ministérielle d’études pour la réforme de l’enseignement, débouchant sur le « plan » qui son nom et celui de Paul Langevin.

12 Henri Piéron (1881-1964), vice-président alors de la Commission Langevin-Wallon, et Paul Guillaume (1879-1962), sont en France les principaux représentants de la psychologie expérimentale durant l’entre-deux-guerres.

13 Sorre, 1943. Sur la trajectoire de ce géographe qui dirigera quelques années plus tard le Centre d’études sociologiques, voir : Simon, 2017.

14 Professeur au Collège de France (chaire de géographie économique), président de la Fondation nationale de sciences politiques, André Siegfried (1875-1959) est de longue date en relations avec Gabriel Le Bras, qui reconnaissait à son Tableau politique de la France de l’Ouest sous la Troisième République (1913), un rôle séminal dans le développement de son enquête sur les pratiques religieuses.

15 Gaëtan Pirou (1886-1946), Charles Rist (1874-1955) et Bertrand Nogaro (1880-1950) ont été tous trois professeurs d’économie au sein de la faculté de droit de l’Université de Paris durant l’entre-deux-guerres. Les deux premiers président aux destinées de la Revue d’économie politique, tandis que l’économiste Bertrand Nogaro a connu dans les années 1920 une carrière politique le menant brièvement au ministère de l’Instruction Publique et des Beaux-Arts (1926).

16 La remise en cause des « vieux cadres universitaires », « vieux découpages de “sections” » est une antienne sous la plume de Lucien Febvre, et ce dès l’entre-deux-guerres. Voir par exemple : Febvre, 1932, 47.

17 Léon Ollé-Laprune (1839-1898), philosophe catholique, maître de conférence à l’École normale supérieure était notamment réputé pour son « sens hellénique de la forme », sa « méthode de logique à outrance et d’alternative inflexible » (Boutroux, 1907, 228, 239). Sur l’exercice de la dissertation et la méthode canonique de la division en trois parties, voir : Cabestan, Feuerhahn et Trochu, à paraître.

18 Ancien directeur de l’École coloniale (1926-1932), et recteur de l’académie d’Alger (1937-1940), Georges Hardy est recteur de l’académie de Lille lorsqu’il propose, dans un volume publié chez Gallimard en 1939, l’établissement d’une « géographie psychologique », croisant et couronnant géographie humaine, ethnologie et psychologie collective (voir notamment à ce sujet la note ironique d’Albert Demangeon (1940), et sur sa trajectoire : Singaravélou, 2011). À l’heure où parle Le Bras, il a été révoqué de ses fonctions, sans pension, avec interdiction d’enseigner, en raison de ses positions pétainistes.

19 La « géographie électorale » connaît un net essor dans les années 1940 autour d’André Siegfried à l’École nationale des sciences politiques puis à l’Institut d’études politiques, sous l’impulsion notamment de François Goguel (1909-1999). Voir notamment : Goguel, 1947 ; Le Bras, 1947b ; Goguel, 1949. Sur la « carrière symbolique » d’André Siegfried : Blondiaux et Veitl, 1999.

20 Voir notamment : Le Bras, 1945 ; 1947b ; 1948a.

21 La conférence à laquelle il est fait ici référence, non publiée semble-t-il, ne s’inscrivait pas dans les activités de l’Union française universitaire. Sur les relations de la géographie avec les différentes sciences de l’homme, telles que les concevait Maximilien Sorre, voir néanmoins : Sorre, 1948.

22 Le premier tome de L’Anthropologie, fruit de la fusion des Matériaux pour l’histoire de l’homme (1864) au titre changeant, de la Revue d’anthropologie (1872) et la Revue d’ethnographie (1882) paraît, sous la triple direction d’Émile Cartailhac (1845-1921), Ernest Théodore Hamy (1842-1908) et Paul Topinard (1830-1911), représentant chacun l’une des anciennes publications, en 1891.

23 Le Journal de la Société des Américanistes a été fondé en 1895, le Journal de la Société des Africanistes en 1931, tandis que le premier tome du Journal de la Société des Océanistes est publié à la fin de l’année 1945.

24 Sans doute Gabriel Le Bras pense-t-il ici aux quatre grandes collections historiques lancées dans les années 1920 et encore actives en 1945. Soit, par ordre d’apparition : « L’Évolution de l’Humanité », dirigée par Henri Berr (débutée en 1920 à La Renaissance du livre puis poursuivie après-guerre chez Albin Michel), l’« Histoire du Monde » d’Eugène Cavaignac (aux Éditions de Boccard, à compter de 1922), l’« Histoire générale » commencée en 1925 par Gustave Glotz (Presses universitaires de France) et « Peuples et civilisations » placée sous la responsabilité de Louis Halphen et Philippe Sagnac, auxquels a succédé Maurice Crouzet (débutée en 1926 chez Alcan puis aux Presses universitaires de France).

25 Histoire de l’Église. Depuis les origines jusqu’à nos jours, placée d’abord sous la direction d’Augustin Fliche (1884-1952) et Victor Martin (1886-1945), poursuivie par Eugène Jarry (1900-1974) et Jean-Baptiste Duroselle (1917-1994) a compté vingt-cinq tomes publiés par Bloud et Gay entre 1934 et 1964. En 1945, Gabriel Le Bras doit depuis près de dix ans sa contribution à la série, finalement publiée en deux volumes en 1959-1960.

26 Trois collections ont été créées dans les années qui précèdent la conférence : « Mythes et religions », sous la direction de Paul-Louis Couchoud, chez Ernest Leroux, lancée en 1939 avec un volume de Georges Dumézil, lequel a ensuite poursuivi la collection aux Presses universitaires de France ; « Mana. Introduction à l’histoire des religions », lancée aux Presses universitaires de France en 1944 par René Dussaud et Henri-Charles Puech ; et, la même année, Histoire générale des religions, dirigée chez Quillet par Maxime Gorce et Raoul Mortier.

27 Cette caractérisation de l’ethnologie et de la sociologie comme sciences englobantes, et en ce sens rivales, est fidèle aux orientations défendues d’un côté par Paul Rivet dans les années 1930 (Rivet, 1936 ; Laurière, 2008), et de l’autre par les sociologues durkheimiens tout au long des premières décennies du siècle (voir en particulier : Durkheim, 1909 ; Mauss, 1933).

28 En l’absence de conflit référencé entre géographie et géologie, une hypothèse serait de lire « de la géographie et de la sociologie », ce qui expliquerait par ailleurs la formulation de la deuxième collision entre « histoire » et « statistiques ». Dans cette hypothèse, Le Bras penserait ici à la double controverse qui se déploie dans les premières années du siècle, dont François Simiand (1873-1935) est un acteur central (voir notamment les interventions réunies dans Simiand, 1987). Sur le débat entre sociologie et géographie, Le Bras avait par ailleurs coutume de renvoyer à la position de synthèse défendue par Lucien Febvre (1922).

29 C’est reprendre ici la division momentanée, au mitan des années 1930, entre la Caisse nationale de la recherche scientifique (1935) et le Centre national de la recherche scientifique appliquée (1938), dont la réunion donne naissance en 1939 au CNRS. Voir : Picard et Pradoura, 2009 ; Guthleben, 2013.

30 Eugène Aubel (1884-1975), professeur de chimie biologique à la Sorbonne et directeur depuis 1933 du laboratoire de Biochimie des fermentations, militant communiste, membre du Front national universitaire, a précédé Gabriel Le Bras d’une semaine dans la série « Une politique française de la science », en prononçant, le 17 mai 1946, une conférence intitulée : « Pasteur ou l’évolution d’une pensée dans le domaine de la science pure et dans le domaine de la technique » (publié elle aussi en brochure : Aubel, 1946).

31 Les deux maîtres de Gabriel Le Bras en matière de droit canon furent Paul Fournier (1853-1935) et Robert Généstal (1872-1931), auxquels il succéda, respectivement à la faculté de droit et à la IVe section de l’École pratique des hautes études (EPHE), en 1931. Quant au romaniste, Gabriel Le Bras pense sans doute à Henri Lévy-Bruhl (1884-1964), qui fut son concurrent lors de la succession de Paul Fournier, et avec lequel il collabore notamment au sein du Centre d’études sociologiques et à l’Institut de droit romain.

32 Cette prévalence accordée, au sortir de la guerre, au temps long de l’histoire – au détriment de l’événement – n’est pas sans affinité avec la théorisation par Fernand Braudel des durées historiques (Braudel, 1958). Les deux hommes ont eu l’occasion de collaborer pendant plusieurs années au sein de la VIe section de l’EPHE.

33 Au-delà du rejet de la figure du pur érudit, qui est déjà un topos du discours de l’histoire-science, ce passage témoigne de l’attachement de Gabriel Le Bras à l’histoire comme science intégratrice, dont il faisait relever durant l’entre-deux-guerres, ses études d’histoire du droit comme son enquête sur les pratiques religieuses ; ce n’est qu’en 1945 qu’il s’affirme, en partie, comme sociologue.

34 Rist, 1945, 2. L’économiste présente alors son livre comme un « précis de sociologie économique ».

35 Respectivement : Durkheim, 1897 ; Demangeon, 1920.

36 Gabriel Le Bras annonce ici la publication des Cahiers internationaux de sociologie de Georges Gurvitch, dont le premier numéro, programmatique, marque en partie le basculement de la sociologie vers l’étude du temps présent (Gurvitch, 1946). Le Bras y publie pour sa part un texte intitulé « Secteurs et aspects nouveaux de la sociologie religieuse », qui marque la nouvelle labellisation de ses études sur la pratique religieuse comme travail de sociologie (Le Bras, 1946a).

37 Alors dirigée par Henri Piéron, L’Année psychologique est divisée depuis sa création en 1894 en deux parties principales, les « Mémoires originaux » et les analyses bibliographiques (selon un modèle repris par exemple par L’Année sociologique). Pour l’année 1944, cette seconde partie est divisée en seize sections (Le Bras omet la dernière, « Divers »), les quatorze et quinzième font une large place aux utilisations pratiques de la psychologie.

38 Au sortir de la guerre, Gabriel Le Bras est très investi dans les activités du Centre d’études de politique étrangère (créé en 1935) dont il rejoint le conseil d’administration en 1946 (il en devient vice-président en 1948).

39 Réglementés par décret, le 31 juillet 1920, les Instituts d’université sont pensés, dans la continuité des réformes universitaires de la fin du xixe siècle, pour favoriser la recherche scientifique à l’université (voir Barbillion, 1921).

40 Sur l’activité frénétique du CNRS à la Libération, voir : Picard, 1990 ; Guthleben, 2013.

41 Il s’agit de Georges Teissier (1900-1972), qui prononcera quelques semaines plus tard la conférence de clôture du cycle « Une politique française pour la science » (Teissier, 1946).

42 Gabriel Le Bras, membre du Conseil de perfectionnement de l’Institut d’études politiques, y enseigne à partir de 1947, notamment un cours, partagé avec François Goguel, sur « La société française contemporaine » (Le Bras, 1948b).

43 C’est toutefois dans les Mémoires de la Société d’histoire et d’archéologie de Bretagne, et non dans la revue rattachée à l’université de Rennes, que Gabriel Le Bras publie en 1946 son étude sur « La vitalité religieuse de la Bretagne depuis les origines chrétiennes jusqu’à nos jours » (Le Bras, 1946b).

44 Pour une mise en scène théâtralisée, et en partie ironique, de l’activité des sociétés savantes régionales, voir Le Bras, 1938a.

45 Gabriel Le Bras parvient en ce sens à mettre sur pied en 1948 une Fédération des sociétés historiques et savantes de Bretagne, qu’il préside, réunissant au départ six sociétés (Société d’histoire et d’archéologie de Bretagne, Société d’émulation des Côtes d’Armor, Société archéologique et historique d’Ille-et-Vilaine, Société polymathique du Morbihan, Société archéologique du Finistère et Société archéologique et historique de Nantes et de Loire-Atlantique).

46 L’Association des travailleurs scientifiques est mise sur pied à l’automne 1944 par le Front national universitaire : au-delà de la défense des intérêts des travailleurs (qui est aussi la tâche du Syndicat national de l’Enseignement supérieur), elle se donne pour but de participer à l’organisation de la recherche scientifique (Pinault, 2006).

47 Le Centre de documentation cartographique et géographique est créé lui aussi en 1946, et se donne pour but de rassembler des cartes de toute nature de tous les pays du monde, de dresser une bibliographie des croquis parus dans les revues et de participer à des recherches d’ordre physique ou économique. Il publie à partir de 1949 des Mémoires et documents.

48 Cette dimension de « rivalité » internationale, de réaffirmation nationale et impériale, est centrale dans le redéploiement de la recherche dans l’immédiat après-guerre (voir, par exemple, Joliot-Curie, 1945).

49 Henri Maspero (1883-1945), titulaire de la chaire de Langue et littérature chinoise au Collège de France, a été arrêté, en représailles d’actes de résistance imputés à l’un de ses fils, le 28 juillet 1944 à Paris, puis déporté à Buchenwald où il est mort le 17 mars 1945.

50 La génération des élèves d’Édouard Chavannes disparaît de fait en quelques années : Marcel Granet en 1940 (Le Bras lui succède à la tête de la Ve section de l’EPHE), Henri Maspero et Paul Pelliot en 1945. Le japonologue Charles Haguenauer succède à Henri Maspero à l’EPHE – la conférence « Religions de la Chine » étant renommée « Religions de l’Extrême-Orient (Chine et Japon) » –, tandis que Paul Demiéville, dernier élève de Chavannes en activité, lui succède à la chaire de Langue et littérature chinoise du Collège de France en 1946. La chaire de Paul Pelliot, « Langues, histoire et archéologie de l’Asie centrale » est quant à elle transformée en 1946 en chaire d’« Archéologie byzantine et paléochrétienne », occupée par André Grabar.

51 L’ambition de ce plan, non retrouvé à ce jour, est caractéristique du souci d’organisation par le CNRS de la recherche et de l’enseignement supérieur (le Comité directeur des sciences humaines dresse ainsi en 1945 des listes des principales chaires à créer à l’Université), selon la large mission qui lui est officiellement confiée et qu’il n’a jamais eu les moyens administratifs et financier de remplir.

52 Durant l’entre-deux-guerres déjà, Gabriel Le Bras se fait un partisan résolu de la méthode comparée dans ces deux domaines de recherche, et même pour le droit canon (notamment Le Bras, 1938b).

53 L’Institut de droit comparé de la faculté de droit de Paris a été fondé en 1931 par Henri Lévy-Ullman (1870-1947).

54 L’Institut de droit romain est néanmoins fondé en novembre 1946, sous la direction d’Henri Lévy-Bruhl. Gabriel Le Bras en est le vice-président (Le Bras, 1947c).

55 Très énigmatique, la formule est difficile à déchiffrer – Le Bras était en tout cas renommé pour savoir « se faire ouvrir des bibliothèques réputées inaccessibles » (Gaudemet, 1970, X).

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Table des illustrations

Titre Gabriel Le Bras, L’essor actuel des sciences humaines, 1946
Légende Conférence prononcée le 24 mai 1946 à Paris (vraisemblablement au Musée pédagogique) lors d’un cycle intitulé « Une politique française pour la science », organisé par l’Union française universitaire. Publiée en brochure en 1946, une note introductive précisait qu’elle y était « reproduite d’après la sténographie que le conférencier, n’ayant pas rédigé son discours, a simplement corrigée ».
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Pour citer cet article

Référence papier

« L’essor actuel des sciences humaines »Revue d’histoire des sciences humaines, 37 | 2020, 211-234.

Référence électronique

« L’essor actuel des sciences humaines »Revue d’histoire des sciences humaines [En ligne], 37 | 2020, mis en ligne le 01 avril 2021, consulté le 18 février 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/rhsh/5426 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/rhsh.5426

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