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Dossier

À quoi sert l’organisation des sciences ?

L’émergence de la catégorie « sciences humaines » en français (1880-1950)
Why organise the sciences? The emergence of the category of ‘sciences humaines’ [humanities] in French (1880-1950)
Serge Reubi
p. 143-162

Résumés

Partant du constat que l’organisation des savoirs est, d’une part, le produit de contingences spécifiques, de projets politiques et d’agrégations d’intérêts particuliers, et, d’autre part, lourde d’effet sur les connaissances qu’elle contribue à constituer, j’examine la catégorie supra-disciplinaire « sciences humaines ». Mal connue mais efficace, elle forme une spécificité française qui naît dans son acception actuelle au cours de l’entre-deux-guerres pour devenir hégémonique dans l’après-guerre. « Sciences humaines » s’impose comme catégorie savante non pas tant en raison d’une valeur classificatoire plus élevée que ses concurrentes de l’entre-deux-guerres, mais parce que, peu marquée comme syntagme, elle est mobilisée par un groupe de scientifiques et de politiciens proéminents pour promouvoir une conception humaniste, libérale et internationale de la science, qui trouve un terreau fertile dans le paysage institutionnel et scientifique de l’après-guerre.

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Texte intégral

Je remercie Wolf Feuerhahn et Olivier Orain, ainsi que les trois relecteurs anonymes pour leurs commentaires avisés et leurs suggestions précieuses.

  • 1 The Public Mission of the Social Sciences and Humanities: Transformation and Renewal, Transatlanti (...)

1En septembre 2011, au cours d’un colloque qui se tenait à Berlin en anglais où l’on examinait les usages publics des social sciences and humanities1, un participant interpella les organisateurs sur ce qu’ils entendaient par ces termes. La question était légitime puisque les conférences présentées s’étaient concentrées sur la sociologie, l’économie, l’histoire, les sciences politiques et les relations internationales, et il n’était pas impossible que cette acception restrictive des social sciences and humanities ait servi un plan particulier. Pourtant, la réponse qui lui fut faite parut difficile et tenait à la fois de l’argument d’autorité et du sens commun : quelle nécessité y a-t-il à définir ce qui va de soi ? L’évocation de cette anecdote ne doit pas servir à pointer du doigt les faiblesses du colloque en question ; elle illustre en revanche assez la difficulté que rencontre une grande partie des chercheurs du domaine que l’on nomme en français les « sciences humaines » lorsqu’ils se risquent à définir cette catégorie supra-disciplinaire.

  • 2 Schlanger, 1992 ; Blanckaert, 1995.

2Contrairement aux disciplines, et bien qu’elle constitue un mode d’organisation de la recherche et serve de référent identitaire pour la communauté de chercheurs qui la compose, la catégorie « sciences humaines » reste largement non-questionnée. Pourtant, tout comme les disciplines2, les systèmes de distinction supra-disciplinaires sont eux aussi efficaces en ceci qu’ils influencent les représentations de soi des scientifiques et, de ce fait, la manière de concevoir et de pratiquer la recherche. Ils constituent à ce titre des objets légitimes pour les historiens, objets que les injonctions de réflexivité critique ont déjà depuis longtemps invité à explorer pour identifier et se prémunir des biais institutionnels et scholastiques. Je me propose de mener cette exploration en deux temps. Je m’interrogerai d’abord sur ce que recouvre cette catégorie en la comparant à ses divers équivalents en langue anglaise et en suivant en particulier le sens attribué à human sciences. Dans un deuxième temps, je reconstituerai les conditions politiques, idéologiques et institutionnelles de possibilité de l’émergence et de l’établissement de la catégorie « sciences humaines » dans le champ académique français pour identifier les modalités selon lesquelles elle en est venue à signifier un ensemble que la plupart des praticiens des disciplines qu’elle englobe reconnaît comme pertinente. Je conclus en cherchant, de façon exploratoire, à identifier les effets structurants de l’éclosion de cette catégorie sur la recherche et les chercheurs.

Humanities, social science, behavioral sciences ou human sciences. Comment parler de sciences humaines à un anglophone ?

  • 3 Dortier, 2008.

3Pour tout locuteur francophone, la catégorie de sciences humaines peut sembler aller aujourd’hui de soi. Réunissant des disciplines aussi diverses que l’anthropologie, la démographie, l’économie, la géographie, l’histoire, la linguistique, la philosophie, la psychologie (sociale), les sciences cognitives, les sciences de l’éducation, les sciences de l’information et de la communication, les sciences politiques et la sociologie3 auxquelles s’ajoutent parfois l’histoire de l’art, l’archéologie ou les études littéraires, elle constitue une catégorie structurante de la recherche. Comme dispositif, elle apparaît en effet à la fois dans les institutions, l’organisation des bibliothèques, les sociétés savantes, les organes nationaux et internationaux de la recherche, mais vaut également comme marque de reconnaissance identitaire. Elle demeure cependant invisible comme catégorie construite et c’est, comme souvent, par la comparaison que l’historicité de ce processus de construction collectif est mise au jour. Dans le cas de « sciences humaines », l’analyse comparative éclaire ainsi les conditions de possibilité d’émergence de ce qui peut sembler une évidence nationale mais dont les limites de validité s’avèrent le plus souvent posées par le cadre politique, institutionnel ou linguistique. Une rapide lecture croisée des sens contemporains donnés à cette catégorie entre mondes francophones et anglophones permet, à titre d’exemple et sans même prendre ici en considération les conditions politiques ou institutionnelles d’adoption, puis d’usages de ces mots, de débanaliser ce qui semble aller de soi.

  • 4 Ainsi, en 1966, dans le cadre de la rédaction des Tendances principales de la recherche dans les s (...)

4De fait, la catégorie « sciences humaines » est peu significative outre-Manche et outre-Atlantique où les scientifiques n’ont pas cru nécessaire de développer cet hyperonyme. Voilà qui permet déjà de mieux comprendre ce que nous disons lorsque nous disons « sciences humaines ». Lorsque le terme est employé, le locuteur francophone identifie comme ayant quelque chose en commun des disciplines que son collègue anglophone considère comme distinctes. Mais la comparaison avec les usages anglais permet aussi de mieux saisir ce que nous comprenons sans le dire puisque les variations de l’anglais disposent de quatre termes concurrents là où nous n’en avons qu’un. En anglais il est ainsi possible de distinguer les différentes acceptions que peut recouvrir le terme et de déterminer si, lorsque nous écrivons « sciences humaines », nous pensons humanities, social science, behavioral sciences ou human sciences. Car ces catégories, qui n’ont guère fait l’objet d’enquêtes historiques, ne se recoupent pas entièrement. Par commodité, je me fonde ici sur les définitions conventionnelles des termes que proposent les usuels. Il va pourtant sans dire que ces catégories sont controversées4 et, si je me sers ici de l’opus operatum, c’est que ces catégories sédimentées, lorsqu’elles sont examinées dans une perspective comparative, suffisent pour éclairer en première approximation la contingence de leurs définitions.

5Humanities regroupe les disciplines examinant les êtres humains et leur culture, soit le développement et les réalisations des groupes humains. En partie héritières des humanités classiques, elles incluent l’étude de la littérature, la philosophie, l’histoire et des arts5. Social science partage en partie cet objet : elle unit l’histoire à la géographie, l’anthropologie, l’économie, la science politique, la psychologie, et parfois la linguistique, le droit, et les sciences du management, et porte son attention aux dimensions culturelles et sociales des comportements humains6. Certaines disciplines ressortissent ainsi aux deux groupes, sans cependant qu’un accord général ne puisse se trouver. Les behavioral sciences, dans lesquelles l’on compte certaines parties de l’économie, de la psychologie ou du management, semblent principalement se distinguer de social science en raison de leurs méthodes expérimentales7. Enfin, human sciences, la traduction littérale de « sciences humaines », demeure peu usité et n’est mentionné dans les dictionnaires de référence qu’au titre de son emploi par Wilhlem Dilthey après qu’il a été choisi pour les éditions étasuniennes récentes de son Einführung in den Geisteswissenschaften8. À première vue, « sciences humaines » semble donc généralement se traduire par social science ou humanities et souvent social sciences and humanities. Il sera question plus loin du sens de cette traduction, mais il faut expliquer d’ores et déjà le parcours particulier de human sciences tel que Roger Smith l’a retracé.

  • 9 Smith, 1999, 83-86.
  • 10 Ibid., 86-87.

6Il y a plus de vingt ans déjà, Smith examinait en effet la catégorie human sciences dont il soulignait la rareté des usages au sein de la communauté académique anglophone qui se réduisent à deux cas de figure. D’une part, certains scientifiques, en particulier biologistes, considèrent les human sciences comme ressortissant aux sciences dures et aux sciences naturelles et confèrent ainsi aux human sciences l’examen naturaliste des humains9. D’autre part, et c’est la définition qu’adopte Smith, les human sciences n’unissent pas les disciplines qui ont l’humain pour objet, que ce soit dans une perspective naturaliste ou non, mais rassemblent des disciplines ou des courants qui partagent une perspective commune sur cet objet, perspective qui se caractérise par un scepticisme affiché face aux frontières disciplinaires, une attention à la réflexivité, un intérêt pour les approches théoriques et le souci de collaboration interdisciplinaire avec les études littéraires et l’histoire de l’art10.

7Human sciences est une catégorie qui se définit ainsi soit par son objet d’étude, l’humain, soit par la perspective selon laquelle il est abordé. Dans l’un et l’autre cas, en revanche, s’observe une absence de correspondance avec « sciences humaines ». En français, les sciences humaines se délimitent par leur objet : l’être humain, dont elles considèrent généralement les organisations, les représentations, et les productions matérielles et immatérielles. L’être humain comme entité biologique en est souvent exclu. En revanche, contre le resserrement de l’objet, une pluralité des approches est adoptée. Cette inadéquation entre « sciences humaines » et sa traduction anglaise exacte se retrouve pour social sciences et humanities. Praticiens anglophones ou francophones des sciences humaines n’ont donc aucun mot pour partager ce qu’ils font – et peut-être ne font-ils pas la même chose. Ce constat n’a bien entendu pas de visée normative et il ne s’agit pas de pointer une imprécision des traductions. Il atteste plutôt le caractère contingent des catégories d’entendement les plus régulièrement employées et l’absence d’équivalences de principe entre découpages dans les différentes aires nationales (et linguistiques). Il suggère qu’elles soulèvent des enjeux multiples, et non pas seulement savants, et propose ainsi un programme de recherche : identifier les conditions de possibilité nécessaires à l’apparition, puis l’établissement de cette catégorie : « sciences humaines ».

« Sciences humaines », une catégorie née de la guerre

Un sens renouvelé

  • 11 Calvin, 1549, 52.
  • 12 Montaigne, 1595, 592 ; Blondel, 1893, 344 ; Lévy-Bruhl, 1903, 47.
  • 13 Julia, 1983, 56-5 ; Compère et Chervel, 1997, 6-9.
  • 14 Wundt, 1880-1883.
  • 15 Feuerhahn, 2010.

8Les usages du syntagme « sciences humaines » sont difficiles à appréhender. De fait, s’ils sont attestés dès le xvie siècle, les sciences humaines dont il est question sont celles « qui sont propres et utiles à la conduite de notre vie11 ». Cette acception ancienne est celle qui est admise de Montaigne à Maurice Blondel ou Lucien Lévy-Bruhl12 et selon laquelle les sciences humaines, fondées sur l’action de la raison, réunissent la rhétorique, l’arithmétique, la logique, la géométrie, la musique, l’astronomie, la philosophie, etc. c’est-à-dire en bonne part celles que regroupaient les anciennes facultés des arts dès les xive-xve siècles et qui deviendront le socle des « humanités »13. Au dernier quart du xixe siècle, pourtant, cet usage fait place à d’autres emplois dont le nombre et la variété attestent une attention renouvelée à la question de l’organisation des savoirs mais également l’indécision des savants à ce propos. Désormais, les sciences humaines ne s’opposent plus aux sciences du salut, mais aux sciences14 et entretiennent des relations subtiles et changeantes avec différentes catégories voisines – science(s) de l’homme, sciences morales, sciences sociales, sciences de l’esprit15.

  • 16 Ribot, 1876a, 2-3.
  • 17 Ribot, 1876b, 600.

9Dans cette multiplication des propositions, la Revue philosophique de la France et de l’étranger de Théodule Ribot occupe une place importante. Cette revue à la vocation internationale compte en effet parmi ses contributeurs des savants très en vue comme Hippolyte Taine, Herbert Spencer ou Wilhelm Wundt, lesquels ont proposé de nouvelles classifications des sciences et se sont, parfois, intéressés à la place et à la spécificité qu’y occupe l’étude de l’homme. Ainsi, il n’est pas tout à fait surprenant de relever que, dès la note introductive de sa Revue, Ribot s’attache à la question de la division du savoir. Dans cet essai, l’étude de l’homme ressortit à la psychologie, qu’il comprend comme une catégorie qui réunit l’anatomie, la physiologie, l’histoire, l’anthropologie, la logique et l’esthétique. Mais l’étude de l’homme est également du ressort des sciences naturelles et de la morale16 et constitue ainsi un ensemble hétérogène qui s’inscrit simultanément dans différentes catégories actuelles du savoir. Pourtant, dans un travail consacré à la psychologie ethnographique qu’il publie dans le volume suivant, le même Ribot réunit sous le terme « sciences humaines » les savoirs qui ont l’homme pour objet : « L’étude de l’homme dans ses caractères physiques, moraux, sociaux, dans son évolution et ses migrations, est une tentative si vaste, si mal délimitée, qu’elle absorberait à la rigueur toutes les sciences humaines17. »

  • 18 La Grasserie, 1893, 89.
  • 19 Durkheim, 1925 [1895], 30.
  • 20 Goblot, 1898.
  • 21 Berr, 1900, 8.
  • 22 Villari, 1920, 189.
  • 23 Berr, 1931, 6.
  • 24 Lalande, 1931, 14.
  • 25 Febvre, 1934, 491.
  • 26 Berr, 1931, 6.
  • 27 Febvre, 1943, 50.
  • 28 Mauss et Besnard, 1985, 343. Au passage, notons que l’histoire en est exclue, mais pas l’étude des (...)
  • 29 Blanckaert, 2006.
  • 30 Mauss, 1924, 894.
  • 31 Montandon, 1914, 105.
  • 32 Mazon, 1985, 322.
  • 33 Ibid., 318.
  • 34 Goblot, 1922, 160-170.

10Les variations de Ribot sont symptomatiques à la fois de son incertitude face à l’usage de ce vocabulaire, mais aussi d’un intérêt croissant pour la catégorisation des sciences qui rend chaque tentative aussi éphémère que nécessaire à la stabilisation d’un accord collectif sur le sens du syntagme. Les propositions se multiplient avec la refondation des universités et des établissements d’enseignement supérieur français : Raoul de la Grasserie suggère ainsi une tripartition qui distingue les sciences humaines, morales et sociales, les sciences positives de la nature et les arts18 ; Émile Durkheim, se fondant sur un examen des méthodes, appelle les sciences humaines à compter comme sciences naturelles19 ; Edmond Goblot propose une classification générale des sciences selon laquelle la sociologie et la psychologie sont à compter parmi les sciences de la vie20 ; Henri Berr, enfin, adopte une définition fonctionnelle : les sciences humaines se distinguent parce qu’elles se mettent au service de l’humanité21. Pourtant, pour nombreuses que soient les positions, elles ne semblent pas soulever des enjeux significatifs et, au début du xxe siècle, ces prises de position disparaissent aussi rapidement qu’elles sont apparues, sans qu’un accord ne soit trouvé sur ce que l’on dit. Après la guerre, la question réapparaît et les usages sont aussi variés que les locuteurs. Mais cette polysémie procède également de ce que les sciences humaines se définissent souvent aussi par ce qu’elles ne sont pas : elles ne sont pas des sciences biologiques et physiques22 ou naturelles23, ni des sciences exactes24, ni non plus des sciences pures25. Elles prennent donc l’humain pour objet, mais sans les outils des sciences naturelles et sans se mettre au service de l’État et des institutions, comme le droit ou les sciences administratives. On pourrait de ce fait imaginer que, pour ces savants, les sciences humaines sont constituées des sciences qui examinent les caractères non-biologiques de l’homme. Pourtant la situation n’est pas tout à fait si simple : portant une attention radicalement différente de la nôtre aux usages lexicaux, les savants de la première moitié du siècle emploient parfois l’un pour l’autre, sans que des différences sémantiques apparaissent. Parfois, ainsi, les « sciences de l’homme » s’opposent, comme les sciences humaines, aux sciences de la nature : Berr les comprend comme un équivalent des sciences de l’esprit qui se composeraient de l’histoire, de la sociologie, de la psychologie et de la morale26. Mais, parfois aussi, les sciences de l’homme sont considérées comme l’hyperonyme des sciences humaines, qui ont pour objet l’ensemble des dimensions de l’homme – biologie, sociologie, psychologie, etc.27. Marcel Mauss comprend les sciences humaines et sociales comme l’association de l’anthropologie (y compris physique), de la psychologie, des sciences sociales pures et des sciences sociales appliquées, signalant ainsi que les sciences humaines réunissent l’anthropologie générale et la psychologie28. C’est ainsi dans la durée que s’observe une coexistence des définitions qui n’est pas sans intérêt. Si ce constat atteste bien sûr l’incapacité de chacune d’entre elles de s’imposer face aux autres, il rappelle aussi que l’identification des « sciences humaines » a une légitimité qui se mesure à hauteur du nombre de définitions concurrentes. Mais, surtout, le fait qu’un même acteur peut défendre, selon les lieux, des propositions différentes suggère que l’enjeu ne réside pas tant dans la découverte de la définition la plus vraie (ou la plus opératoire ou la plus fédératrice), que dans la désignation de ceux qui sont en position d’en décider et, accessoirement, au moment de la disciplinarisation des sciences humaines29, de la discipline-maîtresse de celles-ci. Signalons pour faire bonne mesure que « sciences humaines » ou « sciences de l’homme » ne sont pas les seuls termes qui cherchent à occuper cette place : l’anthropologie que défend Marcel Mauss30, l’anthroposophie, chère à George Montandon31, les sciences économiques et sociales de Charles Rist32, les sciences sociales que veut promouvoir la fondation Rockefeller33 ou les sciences morales d’Edmond Goblot34 sont quelques-uns des termes concurrents à « sciences humaines » dont l’échec à s’imposer pourrait faire l’objet d’autres enquêtes. Qu’aucun terme, ni non plus aucune définition ne prennent le dessus sur les autres atteste non pas seulement qu’aucun acteur ne dispose d’assez de moyens pour s’imposer aux autres, mais aussi qu’aucun d’entre eux n’est en mesure de recruter des alliés en dehors du cercle très restreint des savants pour emporter la mise. De fait, aucun de ces savants n’occupe la position de persuader ses confrères, les politiciens ou les administrateurs de la recherche qu’il ne s’agit pas là seulement d’une question d’organisation de la pensée, mais que cette définition soulève également des enjeux importants pour les sociétés européennes.

Du sens des mots à l’usage des catégories : un nouvel enjeu

  • 35 Cain, 1939, 5-42.

11La publication du volume La civilisation écrite de l’Encyclopédie française dans lequel apparaissent à la fois les syntagmes « sciences de l’homme » et « sciences humaines » marque à cet égard un changement important dans la stabilisation des définitions et le partage des domaines de compétences. Dirigé par l’administrateur de la Bibliothèque nationale Julien Cain, ce volume publié en 1939 perpétue pourtant l’usage synchronique de ces différentes catégories. Ainsi, la table des matières emploie « sciences de l’homme » pour qualifier un ensemble qui s’oppose aux sciences exactes et naturelles et rassemble archéologie et histoire de l’art, histoire, histoire littéraire, philologie classique et sciences économiques et juridiques, mais, dans le paragraphe consacré à l’organisation du travail intellectuel, Cain mentionne les « sciences humaines » qui diffèrent des sciences exactes35.

  • 36 Müller, 1997, 54. Voir aussi Gemelli, 1997.

12Cependant, ce volume est également profondément original puisqu’il articule l’usage de ces catégories à la nécessité de modifier l’organisation institutionnelle des disciplines qui les composent. C’est en ceci qu’il se distingue et que le mot qu’il promeut connaît un autre destin que le si vite oublié « anthroposophie » pour devenir une catégorie durablement reconnue comme « sciences morales », « sciences de l’homme » ou « sciences sociales ». Produit d’une constellation institutionnelle et intellectuelle engagée et puissante, dans un milieu de savants, de grands administrateurs et d’hommes politiques radicaux et socialistes réunis autour de l’historien Lucien Febvre et du ministre de l’Éducation nationale Anatole de Monzie, qui alimente le projet mondain et politique de l’Encyclopédie française36, ce volume atteste en effet, non pas un souci des rapports idéels entre les disciplines tel qu’il s’observe à partir de la fin du xixe siècle, mais une volonté de les réorganiser en pratique pour les rendre plus efficaces.

  • 37 Dumoulin, 1985, 356.
  • 38 Varagnac et Rivière, 1937, 196.
  • 39 Bloch et Febvre, 1937, 124.
  • 40 Bloch, 1938, 65.
  • 41 Müller, 2002, 48-49.

13À ce titre, il s’inscrit dans le contexte d’une crise des institutions des sciences de l’homme et d’une tendance lourde en faveur de sa rénovation à partir du milieu des années 193037. André Varagnac et George-Henri Rivière jugent ainsi que les savants sont confrontés à « une constellation nouvelle de disciplines scientifiques38 » et Marc Bloch et Lucien Febvre remarquent que les « sciences de l’homme, sciences-enfants qui se cherchent et, au prix de bien des tâtonnements, traversent une fièvre de renouveau39 ». Or ce « renouveau des sciences de l’homme40 » réclame une transformation des usages savants et institutionnels que le groupe de savants, d’hommes politiques et d’administrateurs qui entourent Monzie et Febvre ont le pouvoir de mettre en œuvre. Car si l’Encyclopédie est d’abord une œuvre d’érudition, elle est aussi, comme l’a montré Bertrand Müller, œuvre d’organisation de la recherche, dont la Commission des recherches collectives est la meilleure attestation. Visant la promotion d’une communauté de travail et d’intérêt intellectuel qui organise des enquêtes, elle constitue pour André Varagnac « l’instrument de recherche dont les sciences humaines ont besoin41 » et elle contribue à forger une unité en réorganisant les rapports entre les disciplines.

  • 42 Cain, 1939, 04-4.

14Dans le contexte de 1939, le volume de l’Encyclopédie consacré au livre prend de ce fait une dimension particulière. Car La civilisation écrite traite en réalité moins du livre à proprement parler que de « l’organisation de la vie intellectuelle42 » qu’il présuppose et du rôle que l’État doit y jouer. Or, lorsqu’il est question de livre, rappelle Anatole de Monzie dans la note qui ouvre le volume, il est surtout question de la liberté qu’il est nécessaire de défendre face aux menaces totalitaires. Et cette défense réclame une meilleure organisation de la diffusion du livre au rang de laquelle il faut compter l’organisation du savoir.

  • 43 Monzie, 1939.

Un livre, un vrai livre, représente, en effet, la plus complète expression de l’homme libre et ceux qui le lisent participent à ce haut privilège d’émancipation. Pour élargir aux masses le bénéfice de la lecture, des générations d’artisans plus ou moins oubliés ont développé jusqu’au prodige la fabrication et la diffusion [je souligne] de l’écrit public. Grâce à ce développement, une industrie s’est créée au milieu des sociétés modernes qui malaxe des détritus d’idées et débite des opinions en grande série. De plus en plus cette industrie se nationalise. Tiré de son ignorance par l’État, l’individu est plongé par l’État dans le conformisme. Il existe deux peuples immenses dont chacun n’use que d’un seul livre : deux livres pour ces deux peuples – Le Capital et Mein Kampf. Malheur aux peuples d’un seul livre ! Mais aussi malheur aux autres qui voient s’avancer contre eux cette sorte inconnue de barbarie43 !

  • 44 Trebitsch, 2002.

15La civilisation écrite, au même titre que l’Encyclopédie, constitue à ce titre une « entreprise républicaine44 » dont l’objectif est tout à la fois savant et politique.

  • 45 Feuerhahn, 2010, 46.
  • 46 Mauss et Besnard, 1985, 343.
  • 47 Mazon, 1985, 319-320.
  • 48 Ibid., 337.
  • 49 Ibid., 322, 325.
  • 50 Stoetzel, 1963, 132.
  • 51 Voilà qui ressemble à la préférence donnée, dans le cadre de la rédaction des Tendances principale (...)

16Si le rôle central et la fonction politique de l’organisation du savoir constituent une évidence en 1939, il faut pourtant admettre que le lien avec les sciences humaines n’est pas encore établi. Car, en 1939, le mot ne s’est pas distingué de tous ses concurrents, « sciences de l’homme » ou « sciences sociales ». Surtout il n’a pas encore de sens stabilisé, ce qui constitue une étape indispensable pour occuper une place dans l’organisation des savoirs. À cet égard, la traduction française du célèbre ouvrage de Wilhelm Dilthey, Einleitung in den Geisteswissenschaften, pourrait bien en être un indice significatif. Publié en 1942 sous le titre d’Introduction aux sciences humaines (je souligne) et non « aux sciences de l’esprit » le travail de Dilthey ne fait pas son entrée dans le monde francophone de manière complètement anodine. Réactivant la défense de l’historicisme allemand du xixe siècle face aux théories françaises et anglaises du droit naturel qui, sous couvert d’universalisme anhistorique, nièrent la singularité historique des différentes nations45, sa publication en 1942 pourrait apparaître comme une provocation. Mais ce qui compte davantage est que le choix de « sciences humaines », opéré par le germaniste Louis Sauzin, pour traduire Geisteswissenschaften, puis la validation de cette traduction par la « Bibliothèque de philosophie contemporaine » sont des indicateurs que ce syntagme s’impose alors, et qu’il s’impose pour agréger les savoirs disciplinaires qui examinent dans une perspective humaniste et relativiste les organisations, les représentations, les productions matérielles et immatérielles présentes et passées des humains comme individus ou comme groupes. Voilà qui permet aux promoteurs de ce syntagme de se distinguer franchement des sciences sociales qui ont également précisé leur étendue et leurs limites : traditionnellement entendues comme une simple partie des sciences humaines46, elles semblent avoir pris dans les années 1930, et sous l’influence de la fondation Rockefeller, le sens de sciences empiriques, plutôt que théoriques47, qui visent à résoudre des problèmes concrets et privilégient de ce fait l’examen du présent contre celui du passé48, et servent des projets conservateurs comme l’Institut de recherches économiques et sociales de Charles Rist, contre le programme marqué à gauche d’Institut de recherches sociales et humaines défendu par Marcel Mauss49. Il n’est ainsi pas impossible que l’irruption de la fondation Rockefeller dans le champ académique français au début des années 1930 et sa politique en faveur des sciences sociales aient contribué à distinguer entre sciences humaines (humanistes, théoriques, diachroniques, socialistes) et sciences sociales (utilitaires, contemporaines et conservatrices). Cela expliquerait l’étonnant constat de Jean Stoetzel qui en 1963 juge que la distinction des sciences sociales et des sciences humaines est typiquement anglo-saxonne50. Au fond, un problème de vocabulaire savant de faible intensité qui agite sans trouver de solution définitive le champ scientifique à intervalles réguliers depuis au moins d’un demi-siècle s’articule à un besoin de réorganisation du savoir et à l’agenda idéologique d’un groupe hétérogène de savants et de politiques pour promouvoir un syntagme qui ne correspond pas à l’original de Dilthey, mais présente l’avantage à la fois d’être peu connoté scientifiquement51 et de figurer une possible bannière de ralliement politique. Mais pour que cette hypothèse se vérifie, il faut encore que le mot s’impose.

Quelle mise en œuvre ?

  • 52 Machin, 1984 ; Dumoulin, 1985.
  • 53 Sonnet, 2006, 226.
  • 54 Dumoulin, 1985, 355.
  • 55 Lettres est à prendre au sens de littératures, dans ce contexte. Cela étant, à lire le Rapport pré (...)
  • 56 Dumoulin, 1985, 367.
  • 57 Tournès, 2011, 148.
  • 58 Dumoulin, 1985, 366.
  • 59 Sur la dimension politique de cette section qui est à l’intersection des conflits entre sociologie (...)
  • 60 Tournès, 2011, 149.

17En France, l’organisation étatique des sciences humaines ne prend place qu’au cours des années 193052 et sa chronologie est éclairante. Fondée en 1930 au même moment que la Caisse nationale des lettres et née du projet porté par Jean Perrin et André Mayer de création d’un « service national de la recherche scientifique » qui s’inscrit dans une vague de constitution d’institutions exclusivement consacrées à la recherche, comme la Kaiser-Wilhlem Gesellschaft allemande (1911) ou le Fonds national de la recherche scientifique belge (1927)53, la Caisse nationale des sciences reconnaît pour la première fois la valeur scientifique des sciences humaines. Ressortissant jusque-là aux mondes de l’érudition et des savants54, les sciences humaines sont alors de manière significative séparées des lettres55 pour investir le champ scientifique. Grâce à l’entremise de l’ancien directeur de l’enseignement supérieur et historien Alfred Coville qui joue un rôle essentiel dans la défense des sciences humaines contre Perrin56, la Caisse des sciences se divise ainsi en deux sections, la première consacrée aux sciences mathématiques et expérimentales, la seconde aux « sciences humaines », lesquelles recouvrent les sciences philosophiques, les sciences historiques, archéologiques et géographiques, les sciences philologiques, les sciences juridiques et les sciences sociales57. En 1933, sous l’égide de l’inévitable Anatole de Monzie, ministre de l’Éducation nationale, est fondé le Conseil supérieur de la recherche scientifique, lequel est également organisé en sections, dont deux se rapportent à ce qui relève aujourd’hui des sciences humaines58. Toutefois, elles n’apparaissent pas sous ce vocable, mais l’une comme section des sciences historiques et philologiques, l’autre comme section des sciences philosophiques et sociales59. De fait, pour la dénomination des institutions comme pour l’usage des mots, les catégories ne sont pas encore fixées. Les « sciences humaines » disparaissent ainsi pour réapparaître en 1935 avec la fondation d’une Caisse nationale des recherches scientifiques qui comporte une section « sciences humaines » divisée en sciences historiques et géographiques, sciences philosophiques, sciences philologiques et sciences juridiques et sociales60. Enfin, lors de la constitution du CNRS en 1939, seules deux sections sont conservées qui divisent les sciences selon leurs usages : l’une unit les sciences appliquées, l’autre les sciences pures – au sein desquelles se trouvent sans doute les disciplines historiques et philologiques.

  • 61 Maurel, 2005, 328.
  • 62 Mazon, 1988, 149-150 (je remercie Olivier Orain pour cette indication). Tournès, 2011, 235. Signal (...)
  • 63 Dans son rapport, Longchambon « englobe sous le vocable sciences humaines les disciplines traditio (...)

18Comme pour les mots, l’indécision prévaut et, après la guerre, le CNRS revient à une distinction fondée sur l’objet et définit deux sections, consacrées l’une aux sciences mathématiques, physico-chimiques, biologiques et naturelles, l’autre aux sciences humaines, où l’on trouve la géographie, l’archéologie, l’histoire de l’art, la philologie, la psychologie, la philosophie, la sociologie, la démographie, l’économie et l’anthropologie. Mais alors que dans l’entre-deux-guerres, les dénominations sont mouvantes, celle-ci est durable et s’impose en dehors du CNRS : par décret du 23 juillet 1958, les facultés de lettres sont rebaptisées facultés de lettres et sciences humaines ; en 1963, le directeur général de l’Unesco René Maheu, suivant le vœu de la France, réunit sciences sociales et sciences humaines dans un même département, à la grande satisfaction du gouvernement français, qui espère que cela aura pour effet d’« insuffler une vie nouvelle » aux sciences humaines à l’Unesco61. La même année, Pierre Renouvin propose de nommer la nouvelle institution cofinancée par la fondation Ford « Maison des sciences de l’homme », car « sciences sociales » lui semblait trop restrictif et « sciences humaines » trop large62, suggérant de ce fait que c’est bien cette dernière catégorie qui chapeaute les autres63.

  • 64 Tournès, 2011, 190.
  • 65 Conil-Lacoste, 1968, 391. Sur le rôle de l’Unesco dans la promotion des sciences sociales et le rô (...)
  • 66 En anglais, seconde langue officielle de l’Unesco, on parle de humanistic studies.
  • 67 Par exemple : Gusdorf, 1960 ; Foucault, 1966.

19De fait, il se passe quelque chose de difficile à saisir dans le monde français dans les années de guerre et immédiatement après dont l’évidence apparaît lorsqu’on élargit le spectre. C’est un mouvement de fond qui s’observe dans ces années-là qui voit un grand nombre d’institutions se réorganiser et se requalifier. Il en va ainsi des grandes fondations américaines dans les années 1920 puis dans l’après-guerre dont l’activité a été examinée par Tournès64, mais aussi de l’Unesco, dont la Commission préparatoire, en 1945, rédige un rapport qui comporte un chapitre consacré aux sciences humaines65, et qui fonde l’année suivante le Conseil international de la philosophie et des sciences humaines (CIPSH)66 – et au sein duquel on retrouve un certain Julien Cain. Pour les institutions comme pour l’usage du mot67, l’établissement de cette catégorie, qui n’exclut ni « sciences sociales », ni « sciences de l’homme », mais se place au-dessus d’elles, se généralise dans l’immédiat après-guerre, puis dans les années 1950 et 1960.

  • 68 Reubi, 2011, 288-294.
  • 69 Fleury et Joye-Cagnard 2002, 52.
  • 70 Joye-Cagnard, 2002, 29-31.

20Démontrant le caractère à la fois structurel et contingent de toute l’affaire, les similitudes et les contrastes qui s’observent dans le cas plurilingue de la Suisse sont saisissants. Comme en France, les sciences humaines n’y constituent pas une catégorie significative avant la Seconde Guerre mondiale. Dans l’organisation universitaire, des disciplines comme l’anthropologie, la géographie et, parfois, la philosophie sont institutionnellement séparées de l’histoire, l’archéologie classique ou la philologie, les premières ressortissant aux sciences naturelles, les secondes aux sciences philologiques68. Les rubriques budgétaires des universités l’attestent aussi : face à des sciences naturelles, des sciences médicales et des sciences techniques unifiées, orientalisme, antiquité, droit, philologie et philosophie apparaissent sous des rubriques distinctes69. Et, comme en France, s’observe au cours des années 1940 une réorganisation du savoir, à travers la constitution du Fonds national de la recherche scientifique, réorganisation qui voit la naissance d’une catégorie hypéronymique. Mais, par contraste, en Suisse, où des acteurs différents poursuivent des stratégies alternatives dans un champ particulier, le mot choisi est différent. Ce n’est pas le syntagme « sciences humaines » qui l’emporte et on continue à observer, selon les traditions linguistiques, un usage mêlé des diverses appellations « sciences de l’esprit », « sciences humaines » ou « sciences morales ». Ainsi, ici, en français, c’est cette dernière qui emporte la mise dans l’organisation des sciences humaines, dont la société qui fédère les sociétés disciplinaires, prend en 1946 le nom de Société suisse des sciences morales – qui sera appelée Schweizerische Akademie der Geisteswissenschaften (Académie suisse des sciences de l’esprit) dans sa version allemande70. Cette différence d’avec la France souligne combien le problème de dénomination n’est pas tant linguistique que politique et institutionnel, et donne ainsi une piste à explorer pour saisir l’absence du syntagme dans la langue anglaise : pour imposer le mot, il y a peut-être manqué un groupe soudé et puissant de savants et de politiques soucieux et capables de défendre cette conception de la recherche.

« Sciences humaines », une catégorie structurante ?

  • 71 « [Les] sciences sociales s’imposent les unes aux autres, chacune tend à saisir le social en son e (...)
  • 72 Voir aussi Picard, 2020, 209.

21Autour de la guerre, portée par un collectif de savants, d’hommes politiques et d’administrateurs de la recherche, la catégorie « sciences humaines » s’installe comme hyperonyme dans le champ français de la recherche et cette installation est durable. Pour autant, elle ne fait pas disparaître « sciences de l’homme » ou « sciences sociales », qui continuent à être employées comme sous-catégories et semblent parfois devenues synonymes71. En revanche, en raison de l’absence quasi totale de débats autour de la question et la rareté concomitante de traces72, il reste cependant délicat de mesurer les effets structurants de ce succès, et surtout de les mesurer dans la durée. C’est pourquoi il paraît plus prudent de ne pas les examiner davantage que dans une perspective exploratoire.

  • 73 Anderson, 1991.
  • 74 Braudel, 1958, 725.
  • 75 Conil-Lacoste, 1968, 393. Sur l’apparition du mot « interdisciplinaire », voir Feuerhahn et Reubi (...)
  • 76 Febvre, 1939, 18’02-05.
  • 77 Belloc, 2007, 55.

22« Sciences humaines » permet, semble-t-il, principalement à faire communauté. Comme c’est le cas pour d’autres ensembles d’acteurs73, attribuer un nom commun à des pratiques aussi diverses que les fouilles archéologiques, l’observation participante, le déchiffrement de manuscrits médiévaux ou l’analyse iconographique a pour effet, après-guerre, de constituer un lien imaginaire entre différentes disciplines. L’emploi d’un hyperonyme sert ainsi à valoriser ce qui unit ces disciplines pour négliger ce qui les sépare. Fernand Braudel, qui privilégie l’hyponyme « sciences de l’homme », ne fait pas autre chose lorsqu’il souligne, au même moment, la « nécessité d’un travail collectif, dont l’organisation intelligente reste à mettre sur pied74 » et qu’il nomme, effet du temps, un « marché commun ». De fait, l’exigence de la coopération, qui se retrouve tout à la fois chez Monzie ou Febvre et chez Braudel ou Heller, est presque banale dans l’après-guerre : le rapprochement des disciplines favorise en effet, en théorie, la pratique d’une recherche tout à la fois interdisciplinaire puisqu’elle doit « concentrer les efforts des chercheurs sur des objectifs exigeant une stratégie interdisciplinaire75 » et internationale, car elle doit rendre « possible entre peuples la formation de vastes unités intellectuelles par-dessus les frontières territoriales76 ». Chloé Belloc, qui examine la CIPSH, parvient aux mêmes conclusions : cette dernière « constitue une plaque tournante originale à même de rétablir le lien entre des intellectuels de différentes disciplines et de différents continents [et] se fédère autour du serment de favoriser le décloisonnement géographique et disciplinaire des sciences humaines, à même de réaffirmer l’enjeu essentiel que représentent les sciences humaines pour la reconstruction des sociétés d’après guerre77 ». La catégorie « sciences humaines » constitue ainsi le terme que certains savants francophones ont mobilisé pour renouveler la compréhension de ces disciplines comme domaines de recherches internationaux et interdisciplinaires contre leur acception nationaliste.

  • 78 Monzie, 1939.
  • 79 Sur ce point, la proximité entre « sciences humaines » et humanities dans les années 1960 est frap (...)
  • 80 Conil-Lacoste, 1968, 392.
  • 81 Monzie, 1939.

23Il faut donc se rapprocher. Pour les sciences humaines, si les méthodes, les instruments, les objets des disciplines qu’elles rassemblent peuvent différer, ce ne doit pas être le cas de la perspective adoptée : les sciences humaines, « au service de l’humanité », comme écrivait Henri Berr en 1920. « Sciences humaines » unit des savants qui jugent que la réorganisation de la production et de la diffusion du savoir que réclame La civilisation écrite conduira à son meilleur développement. Pour Monzie, cela a été montré, contre les régimes national-socialiste ou soviétique, fondés sur un livre (Mein Kampf, Das Kapital) et qui ont conduit à un usage des sciences contre l’homme, le savoir partagé des régimes démocratiques réclame une réorganisation qui mène à un développement d’un savoir démocratique78, plus juste et plus humaniste79. Ainsi, les sciences humaines unissent les savants qui travaillent ensemble pour l’humain, sans frontières disciplinaires, ni nationales : il s’agit de décloisonner entre les disciplines dans chaque pays, et entre les pays dans chaque discipline80, pour que la recherche serve l’humanité et non pas seulement la nation81.

  • 82 Conil-Lacoste, 1968, 397.

24« Sciences humaines » a un autre effet rassembleur. Les organisations supranationales comme l’Union académique internationale (UAI) et le CIPSH ne contribuent en effet pas seulement à une réorganisation de la recherche, mais participent, par son financement, à son harmonisation. La constitution, à l’échelle nationale, d’une fédération des sociétés savantes des sciences humaines constituait une exigence pour solliciter des soutiens financiers auprès de l’UAI. Après guerre, l’existence dans chaque pays d’une telle fédération devient même une exigence explicite de l’Unesco, à travers le CIPSH, pour l’octroi de bourses et de subsides de recherches82. Dans ce contexte, les acteurs des sciences humaines, qui ont le plus souvent été négligées par le financement étatique, se saisissent de cette opportunité. L’organisation internationale du savoir s’impose ainsi à l’échelle nationale à travers la redéfinition des canaux de financement et sert à promouvoir, à travers eux, de nouvelles conceptions de la pratique scientifique : octroyant des crédits en fonction du respect de règles qui se présentent comme égales pour tous, elle contribue à fixer les droits d’entrée (diplômes, etc.), à évaluer la valeur et le taux de conversion des productions savantes (publications, recherches interdisciplinaires et internationales, etc.) et à déterminer les modalités des processus de reconnaissance : elle concourt de ce fait à la professionnalisation du champ.

  • 83 Bourdieu, 2001, 116-117, 150 ; Kaeser, 2001.
  • 84 Dumoulin, 1985, 360.
  • 85 Ibid., 355.
  • 86 Conil-Lacoste, 1968, 392-393.
  • 87 Voir par exemple, pour la sociologie Muel-Dreyfus, 2004, pour la préhistoire Olivier, 1998, pour l (...)

25Simultanément, il faut s’éloigner. D’autres cas de figure l’ont montré83, l’élargissement du champ à l’échelle internationale contribue généralement à redéfinir les équilibres internes et modifier les rapports de force tout à la fois au sein de la discipline et à l’échelle des sciences84. Dans ce cas, il permettrait ainsi de démonétiser le capital symbolique des savants qui ont construit leurs carrières dans un cadre national et disciplinaire, de souligner l’étroitesse de vue disciplinaire de ces adversaires, que l’on qualifie d’érudits ou de savants85 et de les exclure de la science moderne qui se fonde sur l’interdisciplinarité86. À ce titre, « sciences humaines » serait un instrument qui permettrait aux scientifiques d’après-guerre de se distancier d’avec les compromissions de certains praticiens de différentes disciplines comme l’histoire, l’archéologie, le folklore, la linguistique ou l’ethnologie, avec les régimes totalitaires87.

  • 88 En témoigne la difficulté que semblent avoir nombre de chercheurs avec ces catégories jusque tard (...)
  • 89 Stocking, 1971.

26Au final, cette innovation terminologique qui paraissait ne pas trouver son origine dans un débat savant pourrait bien présenter d’importants effets structurants. Elle fonde une nouvelle communauté imaginée de recherche, promeut de nouvelles pratiques de recherche et offre l’opportunité de nouvelles sources de financement. Voilà qui accrédite en creux la maîtrise par certains acteurs des usages stratégiques et politiques de l’organisation de la recherche, tant au niveau national que supranational, pour modifier les pratiques scientifiques : « sciences humaines » est une catégorie imposée top-down88 qui naît de l’usage politique et institutionnel de la science par certains go-betweens, savants et politiques, conscients de la portée de l’organisation du savoir sur la recherche et de la dimension structurante de ces catégories. Voilà qui réclame de regarder d’un autre œil la requalification actuelle des sciences humaines comme humanities, leur assimilation progressive aux humanités numériques ou, davantage encore, leur inclusion progressive dans le nouvel hyperonyme « sciences cognitives ». Comme l’avait signalé George Stocking dans son essai intitulé « What’s in a name ?89 », gageons que ces requalifications, assimilations ou inclusions emportent avec elles davantage qu’un simple emprunt linguistique.

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Notes

1 The Public Mission of the Social Sciences and Humanities: Transformation and Renewal, Transatlantic Conference, 16-17 septembre 2011, Wissenschaftszentrum Berlin für Sozialforschung/Social Science Research Center Berlin : https://www.wzb.eu/system/files/docs/ende/ipc/programmtransatlanticconference149net.pdf (consulté le 16 février 2021).

2 Schlanger, 1992 ; Blanckaert, 1995.

3 Dortier, 2008.

4 Ainsi, en 1966, dans le cadre de la rédaction des Tendances principales de la recherche dans les sciences sociales et humaines, des problèmes de traduction des termes entraînent des confusions et portent Julian Hochfeld à défendre sciences of man contre human sciences, social sciences ou behavioral sciences pour exprimer la convergence des sciences humaines et des sciences sociales : Maurel, 2005, 332.

5 « Humanities », Encyclopedia Britannica : https://www.britannica.com/topic/humanities (consulté le 16 février 2021).

6 « Social science », Encyclopedia Britannica : https://www.britannica.com/topic/social-science (consulté le 16 février 2021).

7 Adhikari, 2016, 128.

8 Reprenant ainsi, à cinquante ans de distance, la traduction adoptée en français, par exemple Dilthey, 1988 et 1989.

9 Smith, 1999, 83-86.

10 Ibid., 86-87.

11 Calvin, 1549, 52.

12 Montaigne, 1595, 592 ; Blondel, 1893, 344 ; Lévy-Bruhl, 1903, 47.

13 Julia, 1983, 56-5 ; Compère et Chervel, 1997, 6-9.

14 Wundt, 1880-1883.

15 Feuerhahn, 2010.

16 Ribot, 1876a, 2-3.

17 Ribot, 1876b, 600.

18 La Grasserie, 1893, 89.

19 Durkheim, 1925 [1895], 30.

20 Goblot, 1898.

21 Berr, 1900, 8.

22 Villari, 1920, 189.

23 Berr, 1931, 6.

24 Lalande, 1931, 14.

25 Febvre, 1934, 491.

26 Berr, 1931, 6.

27 Febvre, 1943, 50.

28 Mauss et Besnard, 1985, 343. Au passage, notons que l’histoire en est exclue, mais pas l’étude des sociétés animales.

29 Blanckaert, 2006.

30 Mauss, 1924, 894.

31 Montandon, 1914, 105.

32 Mazon, 1985, 322.

33 Ibid., 318.

34 Goblot, 1922, 160-170.

35 Cain, 1939, 5-42.

36 Müller, 1997, 54. Voir aussi Gemelli, 1997.

37 Dumoulin, 1985, 356.

38 Varagnac et Rivière, 1937, 196.

39 Bloch et Febvre, 1937, 124.

40 Bloch, 1938, 65.

41 Müller, 2002, 48-49.

42 Cain, 1939, 04-4.

43 Monzie, 1939.

44 Trebitsch, 2002.

45 Feuerhahn, 2010, 46.

46 Mauss et Besnard, 1985, 343.

47 Mazon, 1985, 319-320.

48 Ibid., 337.

49 Ibid., 322, 325.

50 Stoetzel, 1963, 132.

51 Voilà qui ressemble à la préférence donnée, dans le cadre de la rédaction des Tendances principales de la recherche dans les sciences sociales et humaines en 1966, à sciences of man puisque la nouveauté de la situation réclame l’emploi d’« un terme nécessairement nouveau » : Maurel, 2005, 332.

52 Machin, 1984 ; Dumoulin, 1985.

53 Sonnet, 2006, 226.

54 Dumoulin, 1985, 355.

55 Lettres est à prendre au sens de littératures, dans ce contexte. Cela étant, à lire le Rapport préliminaire sur un statut des chercheurs que rédige Alfred Coville en 1938, il n’est pas certain que cette catégorie exclut le chercheur : « Que de points communs en effet entre l’existence laborieuse du chercheur, selon le terme préféré des Scientifiques, et celle de l’érudit, de l’archéologue, du philologue, de l’écrivain qui étudient le passé dont nous vivons et édifient la pensée moderne dont nous vivrons demain ! » (Sonnet, 2019, 136).

56 Dumoulin, 1985, 367.

57 Tournès, 2011, 148.

58 Dumoulin, 1985, 366.

59 Sur la dimension politique de cette section qui est à l’intersection des conflits entre sociologie et droit et de l’opposition entre conservateurs et SFIO, voir Dumoulin, 1985, 367.

60 Tournès, 2011, 149.

61 Maurel, 2005, 328.

62 Mazon, 1988, 149-150 (je remercie Olivier Orain pour cette indication). Tournès, 2011, 235. Signalons pour faire bonne mesure que Henri Longchambon, président du Conseil supérieur de la recherche scientifique et du progrès technique, évoque, dans un rapport sur les besoins et les solutions de la recherche scientifique remis au gouvernement en 1957, dont la partie concernant les sciences humaines est publié dans les Annales l’année suivante tout à la fois la Maison des sciences sociales et la Maison des sciences de l’homme : Longchambon, 1958, 106-107. Pour le rôle de Clemens Heller dans la mise en place des Maisons des sciences de l’homme et son rôle de traducteur entre Europe et États-Unis, voir Bruhns, Nettelbeck et Aymar, 2018.

63 Dans son rapport, Longchambon « englobe sous le vocable sciences humaines les disciplines traditionnelles : philosophie, philologie, langues classiques, langues étrangères, littérature, histoire, géographie […] et les sciences sociales nouvelles : économie politique, sociologie, ethnographie, psychologie sociale, biométrie, démographie, etc. […] » : Longchambon, 1958, 94.

64 Tournès, 2011, 190.

65 Conil-Lacoste, 1968, 391. Sur le rôle de l’Unesco dans la promotion des sciences sociales et le rôle central et éphémère qu’y joue Alva Myrdal, voir Maurel, 2005, 591-592.

66 En anglais, seconde langue officielle de l’Unesco, on parle de humanistic studies.

67 Par exemple : Gusdorf, 1960 ; Foucault, 1966.

68 Reubi, 2011, 288-294.

69 Fleury et Joye-Cagnard 2002, 52.

70 Joye-Cagnard, 2002, 29-31.

71 « [Les] sciences sociales s’imposent les unes aux autres, chacune tend à saisir le social en son entier, dans sa “totalité” ; chacune empiète sur ses voisines en croyant demeurer chez elle. L’économie découvre la sociologie qui la cerne ; l’histoire – peut-être la moins structurée des sciences de l’homme – accepte toutes les leçons de son multiple voisinage et s’efforce de les répercuter. », Braudel, 1958, 726 (je souligne). Voir aussi Longchambon, 1958, 106-107.

72 Voir aussi Picard, 2020, 209.

73 Anderson, 1991.

74 Braudel, 1958, 725.

75 Conil-Lacoste, 1968, 393. Sur l’apparition du mot « interdisciplinaire », voir Feuerhahn et Reubi (à paraître).

76 Febvre, 1939, 18’02-05.

77 Belloc, 2007, 55.

78 Monzie, 1939.

79 Sur ce point, la proximité entre « sciences humaines » et humanities dans les années 1960 est frappante. De fait, si, selon le Report de la Commission on the Humanities qui mènera à la mise en œuvre du National Endowment for the Humanities, l’étendue des humanities correspond assez justement à « sciences humaines », cette correspondance s’observe aussi pour leur dimension humaniste : « the humanities are generally agreed to include the study of languages, literature, history, and philosophy; the history, criticism, and theory of art and music; and the history and comparison of religion and law. The Commission would also place the creative and performing arts within the scope of the Foundation […] Likewise, those aspects of the social sciences that have humanistic content and employ humanistic methods should come within the purview of the Foundation. It is assumed that the National Science Foundation will continue to be concerned with social science where its principles and approaches resemble those of the natural and applied sciences. » (Commission on the Humanities, Report, New York, The American Council of Learned Societies, 1964, p. 10)

80 Conil-Lacoste, 1968, 392.

81 Monzie, 1939.

82 Conil-Lacoste, 1968, 397.

83 Bourdieu, 2001, 116-117, 150 ; Kaeser, 2001.

84 Dumoulin, 1985, 360.

85 Ibid., 355.

86 Conil-Lacoste, 1968, 392-393.

87 Voir par exemple, pour la sociologie Muel-Dreyfus, 2004, pour la préhistoire Olivier, 1998, pour le folklore Boëll, Christophe et Meyran, 2009.

88 En témoigne la difficulté que semblent avoir nombre de chercheurs avec ces catégories jusque tard dans les années 1960 : Stoetzel, 1963 ; Conil-Lacoste, 1968, 392.

89 Stocking, 1971.

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Pour citer cet article

Référence papier

Serge Reubi, « À quoi sert l’organisation des sciences ? »Revue d’histoire des sciences humaines, 37 | 2020, 143-162.

Référence électronique

Serge Reubi, « À quoi sert l’organisation des sciences ? »Revue d’histoire des sciences humaines [En ligne], 37 | 2020, mis en ligne le 01 avril 2021, consulté le 11 février 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/rhsh/5286 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/rhsh.5286

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Auteur

Serge Reubi

MNHN, Centre Alexandre-Koyré (UMR 8560)

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