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Dossier

Moral sciences, Geisteswissenschaften (1795-1900)

Parcours transnationaux d’étiquetages savants
Moral Sciences, Geisteswissenschaften (1750-1900). Transnational trajectories of scholarly labelling
Wolf Feuerhahn
p. 121-141

Résumés

Depuis un certain temps, les historiens des sciences humaines et sociales ont pris pour objet d’enquête certaines de leurs plus célèbres catégories d’analyse comme « ethnie », « race » ou « classe ». Mais les méta-catégories organisatrices du savoir sont restées dans l’ombre. Elles sont encore souvent considérées comme allant de soi. En proposant un parcours qui retrace les appropriations, resémantisations ou rejets des catégories « sciences morales et politiques », moral sciences, Geisteswissenschaften entre France, Grande-Bretagne et territoires de langue allemande, cet article propose de mettre en évidence leurs enjeux scientifiques, académiques, politiques et d’affirmation nationale. Ce faisant, l’article offre un regard réflexif sur son propre domaine de recherche et les découpages qui le caractérisent.

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Texte intégral

  • 1 Pour un cas très net d’affirmation de l’importance de la réflexivité dans les sciences sociales, v (...)
  • 2 On ne peut citer que quelques exemples : Luc Boltanski, Les cadres. La formation d’un groupe socia (...)
  • 3 Mieke Bal, Travelling Concepts in the Humanities: A Rough Guide, Toronto, University of Toronto Pr (...)
  • 4 Font toutefois exception en France plusieurs travaux dont ceux de C. Topalov : « Sociologie d’un é (...)
  • 5 Sur « sciences humaines », voir les articles de Serge Reubi et Thomas Hirsch dans le présent numér (...)
  • 6 Cabestan, Feuerhahn et Trochu, à paraître.
  • 7 Rens Bod s’interroge sur l’usage de la catégorie de Humanities mais la défend au nom de la fécondi (...)

1Les promoteurs des sciences humaines et sociales revendiquent haut et fort leur réflexivité1. Depuis les années 1980, ils ont interrogé l’émergence et la performativité d’un bon nombre de leurs catégories centrales d’analyse : cadres, ethnie, chômeur, race, classe2. Depuis une quinzaine d’années, l’histoire transnationale de ces catégories commence à être écrite3. Pourtant les pratiques de découpage et d’étiquetage ou de labellisation des savoirs eux-mêmes ne font que rarement l’objet d’examens4. Même les historiens des savoirs n’y prêtent guère d’attention, établissant volontiers des équivalences terminologiques entre des dénominations distinctes pour justifier des enquêtes au long cours. Nombreuses sont les histoires de la sociologie ou de la psychologie par exemple qui s’étirent de l’Antiquité à nos jours faisant fi de la différence de dénominations et de pratiques qu’elles désignent. C’est alors, dans une démarche généalogique, en fonction des définitions actuelles des pratiques savantes, que l’auteur considérera que tel ou tel savoir passé relève de la « sociologie » ou de la « psychologie ». Ceci n’est pas seulement valable eu égard à des intitulés disciplinaires contemporains, mais aussi relativement à ce que l’on peut nommer des méta-catégories organisatrices du savoir ou des hyperonymes (« sciences morales et politiques », « science de l’homme », « lettres »…) qui constitueront l’objet plus spécifique de notre enquête. Prenons le cas des très contemporaines « sciences humaines » : Georges Gusdorf s’est rendu célèbre en publiant une fresque en douze gros volumes – Les sciences humaines et la pensée occidentale (Gusdorf, 1966-1985) – qui courent des « origines des sciences humaines » (volume II) dans la Grèce Antique au « romantisme », période où, comme le montre Serge Reubi, l’expression « sciences humaines » n’était pas encore usitée en français5. À vrai dire, celui que G. Gusdorf visait par là, Michel Foucault et Les mots et les choses, ne faisait pas moins un usage anachronique de l’expression « sciences humaines ». Sa démarche discontinuiste insistait certes sur leur émergence bien plus récente, à partir d’une « redistribution générale de l’épistémè » (Foucault, 1966, 356), mais outre qu’il employait la catégorie pour qualifier l’espace des savoirs apparu au début du xixe siècle alors que l’expression « sciences humaines » n’était pas encore d’actualité, il faisait de « sciences de l’homme » un synonyme de « sciences humaines » (ibid., 363, 366-367, 376). Il projetait cette dernière catégorie qui faisait tant débat au sein du monde des philosophes à l’époque6 sur les cent cinquante années qui avaient précédé, la critiquait et en extrayait ce qu’il nommait des « contre-sciences » : ethnologie, psychanalyse et linguistique (ibid., 391-392). Pour M. Foucault relevaient des « sciences humaines « la psychologie, la sociologie, l’analyse des littératures et des mythologies » (ibid., 378). Plus récemment, une histoire des Humanities s’est, elle aussi, projetée dans une généalogie au long cours, de l’Antiquité à nos jours7.

2L’historien ne saurait certes échapper entièrement au présent. Ses choix d’objets, de méthodes, ses intérêts témoignent de son immersion dans des actualités variées (professionnelles, collégiales, mais aussi citoyennes). Pourtant, si le travail d’historien doit avoir un sens, c’est au moins celui de s’efforcer de prendre une distance à l’égard des impératifs du présent. L’hypothèse ici défendue est que cette recherche de mise à distance peut bénéficier d’une historicisation des catégories par lesquelles les savants nomment, balisent et circonscrivent leurs domaines d’activité. Ceci nous semble d’autant plus important que ces acteurs prêtent le plus souvent une grande attention à l’étiquetage de leurs propres travaux quand ils le font eux-mêmes (auto-étiquetage) et a fortiori quand ce sont leurs pairs et parfois rivaux qui s’en occupent (hétéro-étiquetages). Manière de qualification, de disqualification, de promotion : les usages en sont variés, mais en tout cas rarement anodins.

3L’exercice d’historicisation est loin d’être aisé. Il l’est d’autant moins que l’historien des sciences humaines est lui-même un acteur des sciences sociales qui pratique ce genre d’étiquetages sur son travail comme sur celui de ses pairs et peut avoir une préférence pour l’une ou l’autre des labellisations possibles.

Comment procéder ?

4Cette interrogation s’inscrit dans une enquête plus large sur les pratiques de découpage des savoirs et leurs implications pour les activités savantes elles-mêmes. Étiqueter un savoir implique aussi de dire ce qu’il n’est pas et donc de baliser l’espace savant, d’en établir une carte avec ses territoires, ses provinces, ses régions, de fixer la nature des relations entre elles. Parce qu’elles sont le fait d’acteurs qui considèrent les savoirs depuis leur situation, ces cartes des savoirs opposent un centre à des périphéries. En faire l’histoire c’est donc s’efforcer de mettre entre parenthèses ses propres affiliations, tropismes ou ancrages. La tâche n’est pas toujours aisée y compris pour des entreprises qui revendiquent fortement leur souci d’historicisation. Prenons pour exemple les Geschichtliche Grundbegriffe, considérés comme l’un des monuments de l’histoire des concepts et dirigés par O. Brunner, W. Conze et R. Koselleck. L’article « Geschichte, Historie » (histoire) est important pour notre interrogation parce qu’il porte sur un savoir, sur le passage d’un nom de savoir à un autre et parce qu’il a été considéré par Koselleck et par ses lecteurs comme paradigmatique de l’entreprise dans son ensemble (Olsen, 2012, 173). Sa ligne interprétative a été une première fois énoncée dans un texte publié par R. Koselleck en 1967 en hommage à Karl Löwith. Koselleck y proposait un grand récit dans lequel les Lumières et la Révolution française auraient représenté un funeste basculement : elles auraient fait passer d’une conception de l’histoire (Historie) insistant sur la répétition structurelle des événements et donc sa fonction pédagogique de « maîtresse de vie » (historia magistra vitae) à une autre (Geschichte) où les événements qui se succèdent seraient toujours nouveaux et singuliers. Désormais, « on ne pouvait plus espérer tirer conseil du passé, mais seulement du futur qu’il fallait soi-même créer » (Koselleck, 1989, 62). Selon Koselleck, par-delà leurs divergences, « historiens » et « progressistes » (Fortschrittler) auraient partagé cette même conception et accentué de facto la « dénaturalisation » de l’histoire (ibid., 62, 57) et son usage au singulier : l’histoire deviendrait, au sens grammatical, un « singulier collectif » (Kollektivsingular, ibid., 51) ramenant toute pluralité historique à un processus linéaire et homogène.

  • 8 Cette interprétation schmittienne de l’histoire structure la thèse de Koselleck (Kritik und Krise) (...)
  • 9 Cette citation est extraite d’un autre article écrit en 1965 à l’occasion de la soutenance d’habil (...)

5De manière générale, R. Koselleck reprenait le diagnostic historique de C. Schmitt avec lequel il échangera jusqu’à la mort de ce dernier (Koselleck, 1989, 259 ; Mehring, 2011 ; Olsen, 2011 ; Loriga, 2016 ; Koselleck et Schmitt, 2019 ; Quélennec, 2020). La période de transition (Sattelzeit) entre 1750 et 1850 au cœur de l’enquête collective des Geschichtliche Grundbegriffe est celle que Schmitt avait identifiée comme le moment matriciel de la modernité : en mettant à bas le régime absolutiste, la Révolution française aurait ouvert une époque de crise, de guerre civile qui ne se serait plus refermée, la guerre froide étant l’universalisation en une guerre civile mondiale (Weltbürgerkrieg) de cette situation8. Koselleck pense, après Schmitt, que les discours utopiques développés au cours des Lumières auraient suscité l’émergence de philosophies de l’histoire et d’idéologies prétendant guider l’humanité vers un monde meilleur dépourvu de toute conflictualité. À ce titre, le « Reich de mille ans » et la « société sans classe » sont traités de façon symétrique comme des analogues et ramenés à de simples avatars de ces philosophies de l’histoire issues des Lumières et de la Révolution française (Koselleck, 1989, 359). Au sortir de la Seconde Guerre mondiale, faire de la Révolution française la cause véritable du nazisme apparaît comme une stratégie sinon de disculpation ou tout du moins d’euphémisation du national-socialisme (Solchany, 1998). L’histoire au singulier (Die Geschichte) incarnerait l’idée qu’il y aurait un mouvement du progrès typique de la période ayant succédé à la Révolution française. Pour le dire dans ses mots, « à partir des événements de la Révolution française, l’histoire (Geschichte) devient elle-même un sujet affublé des épithètes divines de la toute-puissance, de la justice universelle ou de la sainteté » (Koselleck, 1989, 50).

6L’histoire des concepts défendue par R. Koselleck inscrit le passage d’un nom de savoir (Historie) à un autre (Geschichte) dans un méta-récit fortement axiologique où la diversité des pratiques de l’histoire est ramenée pour chaque époque (avant comme après la Révolution française) à un modèle unique. La variété des situations, des acteurs comme des institutions est systématiquement réduite à un type unique de rapport au temps, Koselleck semblant de la sorte réactiver la notion d’esprit du temps (Zeitgeist).

  • 10 Howard Becker, « La théorie de l’étiquetage : une vue rétrospective », dans id., Outsiders. Études (...)
  • 11 Sur ce point, voir l’introduction à ce dossier ainsi que l’introduction au dossier « Penser par Éc (...)
  • 12 Sur le « nationalisme ontologique », voir Barbara Cassin, « Présentation » dans Vocabulaire europé (...)

7Comment éviter ce type de méta-récit ? Que proposer à titre d’alternative ? Il paraît tout d’abord important de ne pas postuler l’existence d’un problème englobant rendant raison des usages de vocables variés, mais, au contraire, d’insister sur la singularité de chaque configuration au sein de laquelle l’usage d’une dénomination s’impose. Car l’idée n’est pas de surimposer une catégorie historiographique prétendument neutre et fédératrice aux pratiques des acteurs. Cela reviendrait à se rendre aveugle aux enjeux passés et à leurs effets qui peuvent durer jusqu’à aujourd’hui. Nous ne partirons donc d’aucune définition ni désignation a priori de ces objets. Nous observerons les labellisations choisies par les acteurs et tenterons de reconstituer leur émergence, les conflits ou les accords qu’elles ont pu engendrer, les alternatives qui ont été écartées de ce fait, la variation des périmètres comme des pratiques que ces catégories subsument ou désignent. Cela suppose d’être au plus près des pratiques des acteurs. Ce qui a deux conséquences. Premièrement, l’histoire des concepts laisse ainsi place à une enquête de pragmatique historique transnationale. L’attention portera ici sur ce que l’on nomme, dans la filiation des travaux d’Howard Becker10, « labellisation » ou « étiquetage » savants. Comme l’a bien montré J.-P. Cavaillé, il ne s’agit donc pas d’une conception qui ferait de ces labels savants de simples étiquettes collées sur une réalité préexistante (Cavaillé, 2012). Dans une approche pragmatique, c’est l’activité de nommer et ses effets performatifs qui sont au cœur de l’enquête11. Dès lors il n’y a plus non plus de séparation entre le mot et la chose, le discours et la pratique : l’étiquetage est une action qui passe par le langage mais mobilise aussi des forces d’autres natures et a de la sorte des effets instituants. Cela implique deuxièmement de ne pas postuler de frontières nationales tant que les protagonistes ne les thématisent pas eux-mêmes. Voilà pourquoi la démarche se veut « transnationale ». Par-delà les débats nombreux qui occupent les promoteurs de l’histoire transnationale, l’un des intérêts de ces recherches, prises dans leur globalité, réside dans la critique d’un comparatisme qui essentialise les différences nationales. Pour ce qui nous occupe, le point est capital. On ne compte plus les promoteurs des Geisteswissenschaften (littéralement, les « sciences de l’esprit » opposées aux « sciences de la nature », Naturwissenschaften) qui soulignent l’irréductibilité – méthodologique et nationale – de cette catégorie et des pratiques qu’elle désigne à celle de moral sciences ou de « science de l’homme ». Comparer l’usage de Geisteswissenschaften, moral sciences et « science de l’homme » reviendrait à prendre pour acquis le discours, souvent nationaliste, des promoteurs de ces catégories12. Travailler de manière transnationale permet au contraire de voir la construction relationnelle (parfois par antagonisme, mais aussi par emprunt et resémantisation) de ces labellisations. Étant donné que ces acteurs se veulent aussi des législateurs, des cartographes des savoirs, il importe d’analyser le discours historique des promoteurs de ces dénominations (Feuerhahn, 2020) bien souvent responsable de la qualification nationale d’une labellisation.

8Pour ce faire, il semble nécessaire de prendre en compte la particularité du cadre institutionnel ainsi que des médiateurs de ces échanges conceptuels transnationaux (éditeurs ou traducteurs notamment) en faisant varier les niveaux d’observation (local, régional, national comme international). Il n’est nullement indifférent de voir quel statut est accordé à tel ou tel étiquetage : simple mot, chapitre de livre, titre de périodique ou d’ouvrage, catégorie servant à cataloguer, nom d’institution (faculté, établissement, instance internationale).

9Enfin, le risque est de chercher une origine absolue, matrice de la situation contemporaine. Pour remédier à cette tendance, on ne tentera donc pas de déterminer l’origine du domaine de savoir, actuellement nommé, en France, « sciences humaines », mais on suivra deux cas de circulations révélateurs de débats sur ces dénominations. Partons donc in medias res d’un cas de dénomination nomade et laissons-nous conduire par lui sans rechercher l’exhaustivité, même dans les aires anglophone, francophone et germanophone que nous retenons pour terrain d’enquête.

  • 13 Nous avons par ailleurs travaillé sur l’histoire du partage entre « lettres » et « sciences » : Fe (...)

10Mais de quel terme, de quel usage partir ? L’expression « science humaine » est certes utilisée en français dès le xviiie siècle, dans l’Encyclopédie, mais au singulier et pour désigner autant une opération propre à l’entendement de l’homme (implicitement distincte de la connaissance absolue attribuée à Dieu) que l’ensemble de ses productions (Collectif, 1986, 204). Pour distinguer une science qui aurait l’homme pour objet de celles portant sur Dieu ou la nature, Diderot parle de « science de l’homme » (ibid., 205 ; Blanckaert, 1989). Faut-il dès lors faire de « science de l’homme » au singulier le point de départ de l’enquête ? Si le terme a le mérite d’être au moins d’époque, toutes les difficultés ne s’en trouveraient pas pour autant résolues. On risquerait de faire d’un label associé à une configuration de savoirs bien précise (les années 1770-1808), et rejeté sous Napoléon, un étendard pour tout le xixe siècle (Chappey, 2006). Devrait-on dès lors opter pour l’expression anglaise de Bacon que Diderot disait avoir simplement traduite, autrement dit : Human Philosophy or Humanity (Bacon, 1991, 111) ou lui préférer « sciences sociales » qui faisait florès au début du xixe siècle (Baker, 1964 ; Heilbron, 2006, 154-156 ; Schandeler, 2012 ; Sonnert, 2018) et qui est si familière à nos oreilles aujourd’hui13 ?

  • 14 Pour une explicitation de ces choix de méthodes, voir Feuerhahn, 2020.
  • 15 Cet article s’inscrit dans un projet d’ouvrage proposant une histoire transnationale des étiquetag (...)

11De manière générale, peut-on se contenter d’un seul terme en une seule langue si l’on veut échapper au nationalo-centrisme comme à l’universalisme abstrait ? Sans prétendre éviter tous les obstacles et les arbitraires, nous avons choisi de remédier à ces difficultés en partant d’une situation d’emprunt pour d’emblée être confronté aux enjeux de mobilisation et de resémantisation. Afin de ne pas postuler d’équivalence, nous suivrons quelques destins transnationaux de cet emprunt en étant attentifs aux termes que les acteurs lui associent ou lui opposent (natural sciences, Naturwissenschaften…) comme aux caractérisations nationales dont ils les affublent14. En pistant un terme et ses resémantisations, traductions, appropriations comme rejets, nous espérons voir surgir des acteurs (auteurs de traités, publicistes, traducteurs…) comme des institutions variées (cercles de sociabilité, institutions académiques, périodiques…) sans prétendre ainsi épuiser un dossier que nous ne faisons qu’ouvrir15.

Les « sciences morales et politiques » : une arme française dans un débat anglais (années 1840)

  • 16 Je remercie Vincent Guillin de m’avoir rendu attentif à ce point ainsi que pour les échanges que n (...)

12L’ouverture du livre VI du System of Logic de John Stuart Mill consacré à la logique des moral sciences confronte son lecteur à un cas avéré de circulation transnationale. Dans la première édition (1843) puis la deuxième édition (1846), c’était un texte d’Auguste Comte qui était placé en épigraphe16 :

Une propriété fondamentale que je dois faire remarquer dès ce moment dans ce que j’ai appelé la philosophie positive, et qui doit sans doute lui mériter plus que toute autre l’attention générale, puisqu’elle est aujourd’hui la plus importante pour la pratique, c’est qu’elle peut être considérée comme la seule base solide de la réorganisation sociale qui doit terminer l’état de crise dans lequel se trouvent depuis si longtemps les nations les plus civilisées… Tant que les intelligences individuelles n’auront pas adhéré par un assentiment unanime à un certain nombre d’idées générales capables de former une doctrine sociale commune, on ne peut se dissimuler que l’état des nations restera, de toute nécessité, essentiellement révolutionnaire, malgré tous les palliatifs politiques qui pourront être adoptés, et ne comportera réellement que des institutions provisoires. Il est également certain que si cette réunion des esprits dans une même communion de principes peut une fois être obtenue, les institutions convenables en découleront nécessairement, sans donner lieu à aucune secousse grave, le plus grand désordre étant déjà dissipé par ce seul fait. » (Comte, Cours de philosophie positive, 1re leçon [Vol. I, 47-48, 49]).

13À partir de la troisième édition (1851), après avoir pris ses distances avec Comte, un passage de l’Esquisse d’un tableau historique des progrès de l’esprit humain de Condorcet (1795) le remplaçait :

Si l’homme peut prédire, avec une assurance presque entière, les phénomènes dont il connaît les lois ; si lors même qu’elles lui sont inconnues, il peut, d’après l’expérience, prévoir avec une grande probabilité les événements de l’avenir ; pourquoi regarderait-on comme une entreprise chimérique, celle de tracer avec quelque vraisemblance le tableau des destinées futures de l’espèce humaine, d’après les résultats de son histoire ? Le seul fondement de croyance dans les sciences naturelles, est cette idée, que les lois générales, connues ou ignorées, qui règlent les phénomènes de l’univers, sont nécessaires et constantes ; et par quelle raison ce principe serait-il moins vrai pour le développement des facultés intellectuelles et morales de l’homme, que pour les autres opérations de la nature ? (Mill, 1974, 832 ; pour le manuscrit original, voir : Condorcet, 2004, 429)

  • 17 Sur les relations entre Mill et Comte eu égard à la question des moral sciences, voir : Mesure, 19 (...)

14Dans un cas comme dans l’autre, choisir une référence française en matière de logique des moral sciences n’était pas un acte anodin et risquait fort de heurter ses compatriotes philosophes et logiciens. En passant d’une figure tutélaire à l’autre, Mill rendait certes public son désaccord avec Comte17, mais n’en maintenait pas moins l’ambition d’une possibilité d’énoncer des lois et d’émettre des prévisions en matière de moral sciences.

15Plus encore, en optant pour Condorcet, Mill suggérait une filiation historique entre les moral sciences telles qu’il les entendait et un programme au moins aussi institutionnel et politique qu’intellectuel. Condorcet, secrétaire de l’Académie des sciences depuis 1776, avait en effet été l’un des trois savants ayant rédigé un rapport à la suite de la dissolution des Académies d’Ancien Régime (le 8 août 1792). Des deux projets présentés (celui de Mirabeau sera publié de façon posthume), seul celui de Condorcet proposait de créer une « Classe des sciences morales et politiques » (Leterrier, 1995, 6 ; Heilbron, 2006, 176-177), intitulé qui sera conservé lors de la création de l’Institut national (3 brumaire an IV/25 octobre 1795). Or Mill était au courant du rôle joué par Condorcet : en 1832, dans un article intitulé « Nouvelles de France » (French News), il se réjouissait de ce qu’il nommait la « refondation (re-establishment) du département des sciences morales et politiques au sein de l’Institut », rappelait l’histoire de ce « département » et le rôle éminent qui y était conféré à ces sciences.

  • 18 the spirit of generalization so honourably characteristic of the French mind (Mill, 1974, 946).

16En se réclamant de Condorcet, Mill semble vouloir prendre le contre-pied d’une tendance critique à l’égard des philosophes français du xviiie siècle dominante en Grande-Bretagne. Dans la cinquième édition du System of Logic (1862), Mill présente sa conception nomologique des sciences morales comme une arme française permettant de rompre avec les habitudes intellectuelles britanniques18. Comme l’a montré Laura Snyder, c’est avec William Whewell, titulaire de la chaire Knightbridge de philosophie morale (moral philosophy) à Cambridge depuis 1838 que Mill rompait principalement le fer (Snyder, 2006). La conception des moral sciences défendue par Whewell dans ses Two Introductory Lectures to Two Courses of Lectures on Moral Philosophy (1841) relevait, selon Mill, d’un point de vue « a priori » ou « intuitionniste » affirmant l’existence de vérités morales nécessaires dans l’esprit et donc indépendantes de l’expérience. En faisant de la psychologie associationiste, définie sur le modèle des sciences physiques par les « Philosophical Radicals » Jeremy Bentham et son père James, le fondement des moral sciences, John Stuart Mill s’inscrivait dans un héritage qui était politico-épistémologique et familial. Les années 1820 avaient en effet vu s’affronter deux conceptions de la nature humaine : dans un opuscule qui voulait bousculer l’ordre britannique (Essay on Government, 1820), son père avait affirmé que la « science du gouvernement » devait être fondée sur le principe utilitariste selon lequel chaque être humain est déterminé par ses plaisirs et ses peines et que plus les premiers sont grands et les secondes limitées, plus il est heureux. Seule la démocratie représentative permettrait de remédier aux conflits d’intérêts entre les hommes. Dans une réponse publiée en 1829, l’historien libéral (whig) Thomas Babington Macaulay avait fixé le cadre de la critique : pour lui, la conception utilitariste de la nature humaine était une méthode abstraite, anhistorique et « déductive » qui ne pouvait que conduire à de mauvaises réformes politiques. Il lui en opposait une autre, historique et inductive. Whewell avait repris ces arguments pour critiquer les propositions de David Ricardo, très proche de James Mill. Pour Whewell, les institutions sociales comme les règles de propriété étaient fondées sur les sentiments moraux irréductibles au simple rapport entre les plaisirs et les peines. Ces sentiments moraux expliquaient selon lui que les pauvres respectent spontanément la propriété des riches et corrélativement qu’il était inutile de mettre en place une démocratie représentative (Wilson, 1998, 206-212). Ainsi, même si John Stuart Mill critique dans son System of Logic la méthode géométrique des benthamiens (Mill, 1974, 887-894) et en élabore une alternative (qui combine une méthode physique ou concrète déductive et une méthode historique ou déductive inverse), il réactualise leur projet nomologique et souligne ainsi la proximité entre moral sciences et physical sciences.

  • 19 De nos jours, à l’Université de Cambridge, tripos désigne les examens permettant à un étudiant d’o (...)

17L’objectif de Mill était aussi politique qu’épistémologique. Il s’agissait de réformer la logique des sciences, d’exclure l’approche intuitionniste, laquelle en érigeant le principe de contradiction en règle cardinale aurait pour effet de récuser tout changement mettant en cause le primat des classes dirigeantes de la société britannique, de « justifier toutes les opinions établies » (Snyder, 2006, 96 ; Dr Whewell’s Moral Philosophy (1852) dans Mill, 1969, 168) et même de défendre l’esclavage, la cruauté à l’égard des animaux et les mariages forcés (Mill 1969, 200). De façon révélatrice, Mill, qui travaillait à l’East India Office et ne fit jamais partie du monde universitaire, faisait de Whewell le représentant typique du système académique anglais qu’il opposait à ceux de France et d’Allemagne présentés comme beaucoup plus ouverts. En effet, dans la lutte pour le monopole de la définition légitime des moral sciences, Whewell s’appuya sur son rôle institutionnel dominant à Cambridge pour fonder un « Moral Science Tripos » (1848) qui plaçait la théologie au cœur du dispositif d’examen19 contre celle de Mill mais aussi de ses collègues et néanmoins rivaux (George Pryme, Andrew Amos, Henry Maine) qui concevaient l’économie politique, le droit anglais et la jurisprudence comme beaucoup plus centraux (Palfrey, 2007, 158-160).

18L’introduction de la référence française (« sciences morales et politiques ») dans la Grande-Bretagne des années 1840 a donc induit une bipolarisation de l’espace de discussion sur les moral sciences. Ce fait incite toute enquête de pragmatique historique transnationale à varier les échelles d’analyse, à prendre en compte l’interaction entre les niveaux internationaux et locaux, les jeux d’acteurs et à ne pas essentialiser les significations nationales. On ne saurait ramener l’ensemble des moral sciences développées sur le sol britannique du xixe siècle aux réflexions de Mill ou inversement de Whewell et de l’institution qu’il a créé à Cambridge. À la différence des approches comparatives dont le but est de souligner les irréductibilités nationales ou locales, la pragmatique historique transnationale insiste sur les traductions, transformations, interprétations et réinterprétations des vocables qui circulent dans des contextes qui eux-mêmes ne cessent d’évoluer. Ce type de transfert lexicologique induit le plus souvent une resémantisation du contenu de l’expression importée de même qu’une transformation des paramètres du débat dans lequel on en fait usage.

Les Geisteswissenschaften : une réponse « allemande » aux moral sciences britanniques

19L’un des risques d’une application trop systématique de l’histoire conceptuelle réside sans conteste dans le raisonnement selon lequel la répétition d’une même expression serait le signe indubitable de la rémanence d’une même conception des choses, ici en l’occurrence des sciences humaines. Le conflit entre les acceptions whewelliennes et milliennes des moral sciences en Angleterre est un bon témoignage du contraire. Mais à l’inverse, il ne serait pas moins erroné de postuler que les acteurs d’une même époque partagent tous la même connaissance des débats. Ceci est manifeste lorsqu’on adopte une échelle d’analyse internationale, car la pratique des acteurs est située et donc indissociable d’un contexte bien déterminé. En témoigne le regard porté sur les moral sciences par certains savants allemands qui eurent un rôle moteur dans la promotion du vocable de Geisteswissenschaften (sciences de l’esprit). En effet, après 1850, sur la carte d’Europe des savoirs consacrés à l’homme, l’Allemagne fait incontestablement figure d’exception. Alors qu’en France, en Italie, en Grande-Bretagne en Belgique ou en Espagne règnent, par-delà la différence linguistique, les « sciences morales » (Vincent, 2007 ; Vincent 2016 ; Richard, 2008), dans le monde germanophone, les expressions Moralwissenschaften ou moralische Wissenschaften ne s’imposent pas et l’on retient davantage celle de Geisteswissenschaften. Ceci est d’autant moins innocent que précisément le System of Logic de John Stuart Mill, bien plus que les travaux de Whewell, y connaissait alors une réception précoce et suscitait d’intenses débats.

20Si les travaux d’histoire conceptuelle font remonter l’apparition de l’opposition entre Geisteswissenschaften et Naturwissenschaften à 1847 (Köhnke, 1993, 86), sa popularisation ne commence guère avant les années 1860. À cette époque se forme autour de celui qui est resté dans la mémoire collective comme le promoteur de l’expression Geisteswissenschaften, Wilhelm Dilthey, un cercle de réflexion composé également du germaniste Wilhelm Scherer, de l’historien Bernhard Erdmannsdörfer et de l’historien d’art Herman Grimm (Kindt et Müller, 1999). Leur but commun est alors de répondre à ce qu’ils considèrent comme le défi lancé par Mill à la pratique des sciences qui ont l’homme pour objet. Sa logic of moral sciences leur apparaît comme une proposition majeure, dont la méthode fortement inspirée des sciences de la nature ne saurait toutefois rendre compte de la spécificité des phénomènes historiques. Ce qui frappe avant tout c’est la lecture « nationale » qu’ils proposent de Mill. À vrai dire, tel était déjà le cas du premier introducteur de Mill en Allemagne : le chimiste Justus Liebig. Mais, à cette époque (1847), Liebig partageait avec les promoteurs des sciences de la nature en Allemagne un rejet de la philosophie associée en particulier à la philosophie hégélienne de la nature. Ainsi Liebig écrivait-il à l’éditeur Vieweg pour le convaincre de publier une traduction de Mill en allemand :

J’ai lu et étudié le System of Logic de Mill avec le plus grand désir et avec une satisfaction sans cesse croissante et je pense que cet homme sait plus et mieux que la plupart des chimistes, physiciens, médecins en Allemagne comment il faut étudier la chimie, la physique, la médecine, l’économie politique, etc. La manière que l’on a chez nous de pratiquer la philosophie en a fait la cible des moqueries et des rires des spécialistes en sciences de la nature. Elle n’a ni allégé nos recherches, ni éclairé notre esprit, elle nous a au contraire conduits avec des lumières trompeuses sur de fausses pistes et nous a désorientés. (Liebig, 1986, 216)

21Liebig jouait des caractérisations nationales et s’appuyait sur la logique inductive de Mill pour discréditer la plupart de ses collègues allemands restés encore trop peu critiques à l’encontre de la philosophie de la nature. La première traduction du System of Logic réalisée par un étudiant de Liebig, Jacob Schiel (1813-1889), publiée en 1849, se concentrait sur les livres III, IV, V consacrés à la méthode inductive. Le livre VI n’y figurait pas car, aux dires du traducteur lui-même, il ne constituait pas « le noyau de [l’]œuvre » mais en appliquait simplement les principes (Mill, 1849, VI). Et Schiel traduisait les quelques occurrences de moral sciences alternativement par moralische Wissenschaften ou sociale und moralische Wissenschaften ; il n’employait pas Geisteswissenschaften dans cette première traduction.

  • 20 Feuerhahn, 2010.

22La traduction en allemand de l’History of Civilization de Buckle (1861-1862), dont Mill faisait l’éloge dans la cinquième édition du System of Logic et qui précède de peu la traduction allemande complète de cette même version (où Schiel traduisit systématiquement moral sciences par Geisteswissenschaften20), témoigne à la fois de la persistance de la lecture « nationale » et de l’inversion du jugement. Dans le premier compte rendu qui paraît de manière anonyme, Dilthey moque ainsi l’usage analogique du vocabulaire des sciences de la nature en histoire qui conduit Buckle à énoncer une loi de croissance du scepticisme et lui oppose « notre philosophie allemande de l’histoire » telle qu’elle prend alors forme dans la Zeitschrift für Völkerpsychologie und Sprachwissenschaft de son ami Moritz Lazarus (fondée en 1859) ou le Mikrokosmos de Hermann Lotze (1856-1864). Pour Dilthey, cet aspect du livre ne mérite donc que d’être tu, il « se situe sous le point de vue de la science allemande contemporaine ». D’une manière générale, il considère l’ouvrage de Buckle comme le produit typique d’un idéal « jeune anglais » qui « juge l’ensemble du passé purement et simplement à partir des principes de la liberté du commerce, de la liberté des sectes et de la pensée, à partir de l’idéal du self-government » (Dilthey, 1972, 52).

23Ce faisant, Dilthey réactive la critique adressée depuis les années 1840 par les promoteurs de l’école historique en économie aux partisans britanniques du libre-échange, accusés d’avoir, sous couvert d’universalisme anhistorique, imposé une conception particulière de l’individu, nié la singularité historique des différents peuples et justifié une politique commerciale hostile aux barrières douanières. Dilthey mentionne explicitement des raisons politiques pour expliquer la véhémence de ces critiques : l’appartenance de Buckle au « parti démocratique et industriel » anglais, dont le « rejet général » en Allemagne expliquerait la réception unanimement négative à l’endroit de son livre (Dilthey, 1972, 51). Le fait que le livre de Buckle ait été traduit par l’ancien hégélien de gauche et promoteur de la démocratie, Arnold Ruge, renforçait alors ces critiques. Dilthey lui-même ne se présentait pas comme un démocrate. Après avoir soutenu la guerre contre l’Empire habsbourgeois en 1866, il devait résumer peu avant la guerre franco-prussienne de 1870 son jugement sur la situation politique contemporaine à son ami l’historien nationaliste Heinrich von Treitschke de la façon suivante : « Moi aussi, je crois que la Prusse doit rester un État militaire avec une unité fortement monarchique et qu’elle doit assumer non seulement la bénédiction, mais aussi la calamité que représente une telle situation. De ce fait, votre article sur la monarchie, en tant qu’expression d’une volonté politique, me va très bien. Et, en ce sens, également ce que vous dites de la guerre, à savoir qu’elle nous est nécessaire » (Dilthey, 2011, 561). Pour Dilthey, les projets consistant à considérer les sciences de la nature comme le modèle unique de scientificité seraient comme la transposition épistémologique d’un engagement démocratique.

24Or Dilthey résume le projet de Buckle dans le fait d’ériger l’histoire au rang de science en calquant le modèle des sciences de la nature. Dans son deuxième compte rendu qu’il intitule « Histoire et science » (1862), Dilthey ne rejette pas l’idée selon laquelle les faits historiques seraient comme les phénomènes naturels soumis à ce qu’il nomme le « principe de nécessité » qui veut qu’un fait soit toujours l’effet d’une cause. Mais pour lui, ce principe a peu de chance d’être fécond si on ne tient pas compte de la « spécificité » de la matière historique (Dilthey, 1972, 101). À titre de réponse à Buckle, Dilthey renvoie alors aux leçons de J. G. Droysen sur « l’encyclopédie et la méthodologie des sciences historiques » dont un abrégé circulait dès 1858 sous le titre Grundriss der Historik. Ces cours sont restés célèbres pour avoir les premiers opposé la démarche compréhensive (verstehen) de la recherche historique à celle, explicative (erklären), qui déduit à la manière d’un raisonnement (Droysen, 1977, 403).

25L’idée d’un tel enseignement avait germé dans le contexte de l’université de Iéna (grand-duché de Saxe-Weimar-Eisenach), où Droysen occupait la chaire d’histoire et se trouvait confronté à la domination du modèle des sciences de la nature qu’il voyait comme une remise en cause de l’humanisme de l’université prussienne telle qu’il avait été promu depuis le début du xixe siècle. Il faut dire que les années 1850 voient émerger de nombreuses interrogations sur l’unité de la faculté de philosophie qui réunissait alors ce qui, en France, était distingué sous les intitulés de faculté des lettres et de faculté des sciences (Feuerhahn, 2015).

26Ces tensions centrifuges au sein des facultés de philosophie expliquent pour une bonne part pourquoi la question épistémologique de la spécificité des sciences philologiques et historiques devint alors brûlante. L’enjeu était aussi académique que politique. En effet, c’est en Wurtemberg, à Tübingen, qu’un botaniste, Hugo von Mohl, issu d’une famille libérale fortement hostile à la domination prussienne, réussit pour la première fois à obtenir la création d’une faculté des sciences de la nature indépendante de celle de philosophie. Il s’agissait de s’opposer de la sorte au modèle unitaire prussien incarné par l’université de Berlin et définitivement discrédité pour lui par les errements de la philosophie de la nature hégélienne déjà dénoncés par Liebig (Engelhardt et Decker-Hauff, 1963, 201). Ceci explique pourquoi Droysen, dans son compte rendu de l’History of Civilization (Droysen, 1977, 451-469 ; Fuchs, 1994, 265), Helmholtz (Helmholtz, 1896) et Dilthey, tous défenseurs dans les années 1860 de l’unification allemande sous l’égide de la Prusse, réagirent avec vigueur à la traduction des ouvrages de Mill et de Buckle. Il s’agissait par là de mettre un coup d’arrêt au poids grandissant d’une épistémologie empruntée aux sciences de la nature. Par-delà l’autonomie des « sciences de l’esprit » c’est la question nationale qui était en jeu.

27Lorsqu’en 1875, Dilthey publie pour la première fois ses réflexions concernant la spécificité des études portant sur l’homme et la société, il érige explicitement la reconnaissance de l’irréductibilité des sciences de l’esprit – le terme est employé dans le texte – en une particularité nationale allemande à laquelle il oppose la pratique franco-britannique. Après avoir insisté sur le fait que la solution apportée par Mill à la question des procédures des moral sciences réside en « une “appropriation” par les sciences de l’esprit des méthodes développées dans le domaine des sciences de la nature », Dilthey insiste :

Toute notre présentation sera une explication avec ce point de vue, avec les mises au point du dernier livre de la Logique qui ont été adoptées en Angleterre et en France par une série de chercheurs éminents et dont les premiers effets sur notre science passèrent par l’influence de Buckle. En opposition à cette conception, nous nous installons au sein même du problème posé par les sciences qui sont ici en question, nous analysons ce problème, nous faisons apparaître ce qui distingue les problèmes particuliers qui sont ainsi en jeu et ceux des sciences de la nature […] L’Allemagne est justement la patrie des travaux qui procèdent de l’appréhension la plus fine et la plus subtile de ce qu’a de spécifique ce domaine de faits. (Dilthey, 1990b, 57 ; Dilthey, 1992, 71)

28Même s’il reconnaît qu’à la différence de Comte, Mill est loin de faire preuve de « mépris pour la psychologie » (Dilthey, 1990b, 54 ; Dilthey, 1992, 67) et en fait même le fondement des moral sciences, en « surévaluant l’état actuel de la théorie associative » (Dilthey, 1990b, 55-56 ; Dilthey, 1992, 69), en affirmant que ses lois possèdent bien une validité universelle, Mill ne rendrait, selon lui, pas raison de la spécificité des sciences de l’esprit (Mesure, 1990 ; Feuerhahn, 2010).

29En 1883, dans l’Introduction aux sciences de l’esprit, l’opposition nationale est encore plus affirmée. Dilthey dénonce la « rage généralisatrice de certains chercheurs anglais et français récents » (Dilthey, 1990a, 91). L’ouvrage se fixe pour objectif de pallier les lacunes de l’école historique allemande, qui, faute de « fondement philosophique », c’est-à-dire pour Dilthey d’un « rapport sain à la théorie de la connaissance et à la psychologie », laissa le champ libre à ceux qui, comme Comte, Mill et Buckle « mutilaient » la réalité historique en lui appliquant les principes des sciences de la nature (Dilthey, 1990a, XVI-XVII). La solution passe pour lui par la « fondation des sciences de l’esprit » sur une psychologie qui, à la différence de celle de Mill, ne serait pas individuelle et désincarnée, mais tiendrait compte de l’expérience historique concrète et redonnerait ainsi vie et chair au sujet de la connaissance.

30L’hostilité de Dilthey au positivisme ne l’a pas conduit au choix immédiat et définitif du terme de Geisteswissenschaften. Il a longtemps hésité (Lessing, 2001, 72n3). Avant 1883, il lui est même arrivé d’employer occasionnellement dans un texte publié l’expression moralische Wissenschaften (Dilthey, 1972, 72). S’il y renonce ce n’est pas que cette expression se focalise sur les mœurs, le droit, l’économie ou l’État ; mais parce que Dilthey a surtout en tête d’affronter la logique de Mill. Il considère en effet que la rapide diffusion de la traduction intégrale du System of Logic (1862-1863) où moral sciences est traduit par Geisteswissenschaften a rendu cette dernière expression compréhensible à tous (Dilthey, 1990a, 5). Son objectif est donc de contrecarrer la définition du terme telle qu’elle dominait alors en Allemagne. Pour ce faire, il insiste sur les risques de contresens. Selon lui, en mettant l’accent sur l’esprit on risque de retomber dans une théorie désincarnée de la connaissance. Si par contre on entend par là « l’homme tout entier », une « unité psycho-physique de vie », la « totalité de la nature humaine », il est possible d’atteindre « la profondeur et la totalité de la conscience de soi de l’homme » (Feuerhahn, 2013). Pour Dilthey retournant en positif la critique spinoziste de l’anthropocentrisme tel qu’on la trouve dans l’Éthique, l’homme est imperium in imperio, un être qui, certes, est pris dans les nécessités de la nature, mais dont le monde intellectuel constitue la valeur et le but de son existence. Bien que récusant un dualisme radical entre nature et liberté, il souligne la capacité de l’homme à « séparer du règne de la nature un règne de l’histoire, dans lequel, au milieu de la connexion d’une nécessité objective, qui est nature, on voit en de nombreux points luire la liberté comme ferait un éclair » (Dilthey, 1990a, 6). La conscience de l’homme et la possibilité de la liberté qu’elle induit permettraient ainsi de réaffirmer les droits du monde historique contre les abstractions de Mill.

  • 21 Lessing, 2001, 23.
  • 22 Passeron, 2006, 130.

31Les réflexions de Dilthey connurent un important écho notamment parce qu’il occupait, à Berlin, la chaire de philosophie la plus réputée de l’Empire21. Elles donnèrent aussi à l’expression Geisteswissenschaften une très grande visibilité. Si l’insistance sur la spécificité de ces sciences par rapport aux Naturwissenschaften fut soulignée par nombre de mandarins allemands en particulier dans les disciplines philosophiques, philologiques et historiques, qu’ils considéraient comme menacées par la puissance montante des sciences de la nature (Ringer, 1990), il n’acquit pas le statut de label unanimement reconnu. L’expression semble avoir longtemps fonctionné comme un semi-nom propre22, fortement attaché à la pensée de Dilthey. Windelband lui préfère ainsi idiographische Wissenschaften, H. Rickert ou M. Weber celui de Kulturwissenschaften (Weber, à paraître). L’émergence de facultés des sciences de la nature à Tübingen (1863), Strasbourg (1873), Heidelberg (1890), n’incita pas les acteurs à forger un nouveau nom pour les facultés de philosophie désormais dépouillées des disciplines qui étaient le mieux pourvues d’un point de vue budgétaire. À Heidelberg, par exemple, la faculté de philosophie conserva son nom (philosophische Fakultät) face à la nouvelle (naturwissenschaftlich-mathematische Fakultät). Même dans les territoires prussiens où l’on s’opposa longtemps à l’autonomie de facultés des sciences de la nature pour défendre le modèle unitaire de formation et où l’on ne se résolut qu’à créer des « sections » au sein des facultés de philosophie, aucune d’entre elles n’adopta le terme Geisteswissenschaften dans leur titre. Bien qu’elles aient institué une partition des sciences beaucoup plus tôt que les universités, les académies employaient d’autres vocables. À Berlin, l’Académie de Prusse distinguait depuis 1830 la classe historique et philosophique (philosophisch-historische Klasse) de la classe mathématique et physique (physikalisch-mathematische Klasse). Même au sein de l’Académie des sciences de Göttingen, où pourtant la publication séparée des travaux ne relevant pas des sciences de la nature ne commença pas avant 1894 soit près de dix ans après la publication du livre de Dilthey, les volumes furent intitulés : Abhandlungen der königlichen Gesellschaft der Wissenschaften zu Göttingen. Philologisch-historische Klasse et mettaient donc en exergue les sciences « historiques et philologiques » et non les « sciences de l’esprit ».

Nomadisme et sédentarité des étiquetages savants

32Des débats occasionnés par le poids de la référence française sur la signification des moral sciences en Angleterre ou de ceux engendrés par l’importation de la logic of moral sciences de John Stuart Mill sur le territoire allemand, une impression ressort : les termes, les concepts, les théories, les œuvres circulent, voyagent, font l’objet d’appropriations, de rejets, mais ne sont pas nomades pour autant. Ou au moins pas au sens où on l’entend couramment lorsqu’on parle de populations dont les continuels déplacements constituent le mode de vie, ni même au sens que lui donnaient Gilles Deleuze, Felix Guattari et repris par Isabelle Stengers (Stengers, 1987). Dans Mille plateaux (1980), ils définissaient la « science nomade » comme celle qui résiste à la « science royale » qui assigne des appartenances territoriales et enclôt la pensée (Feuerhahn, 2014).

33Qu’elles soient revendiquées ou dénoncées par les acteurs qui en usent, aux étiquetages savants ne cessent d’être attribuées des « identités nationales ». L’impression domine que c’est à l’occasion de rivalités entre les nations que leur sont attribuées des caractéristiques nationales. Mill se fait volontiers provocateur en vantant les « sciences morales et politiques » françaises face à ses adversaires sur le champ de bataille de la pensée – Whewell au premier chef ; Dilthey fait au contraire de la logique des sciences morales de Mill à la fois un produit typique de l’esprit empiriste anglo-saxon et le moyen d’affirmer la spécificité germanique de sa propre conception des Geisteswissenschaften. L’histoire de ces trajectoires lexicographiques permet d’éclairer les luttes intra-européennes pour l’hégémonie sur la pensée. Les sciences sont incontestablement au xixe siècle un enjeu de conflit entre les nations. À côté de l’industrie et des techniques, elles fournissent des motifs de fierté patriotiques. Les sciences humaines n’échappent pas davantage que les sciences expérimentales ou formelles à ces enjeux. Les expositions universelles et les congrès internationaux organisés dans leur cadre cristallisent ce fait. Les savants invités au titre de représentants d’une délégation nationale se doivent de vanter les prouesses de leur patrie (Feuerhahn et Rabault-Feuerhahn, 2010). Ainsi par exemple d’Émile Durkheim qui, dans un volume publié par la délégation française à l’Exposition universelle de San Francisco en 1915, ouvre le chapitre sur la sociologie en affirmant : « Déterminer la part qui revient à la France dans la constitution et dans le développement de la sociologie, c’est presque faire l’histoire de cette science ; car c’est chez nous qu’elle est née et, bien qu’il n’y ait pas de peuple aujourd’hui où elle ne soit cultivée, elle est restée une science essentiellement française. » (Durkheim, 1975, 109). À l’âge des nationalismes, les sciences humaines connaissent elles aussi leurs conflits territoriaux symboliques et leurs guerres frontalières lexicales, dans ce qui s’apparente à un immense travail de construction des communautés scientifiques nationales au moment même où s’internationalisent les produits et les lieux de la science et dont l’enjeu est le monopole de la définition légitime des nouvelles disciplines qui se donnent pour objet de dire ce qu’est la société.

34S’esquissent ainsi des traits considérés depuis par les acteurs comme typiques de chacune des nations ici évoquées. Les savants français, allemands et britanniques ne se contentent pas de rivaliser pour gagner le monopole sur les sciences humaines naissantes, mais aussi pour imposer leur définition de ces sciences et défendre l’idée selon laquelle les approches promues dans leurs pays respectifs seraient irréductibles à celles pratiquées ailleurs. Ceci apparaît particulièrement à la lecture de l’Introduction aux sciences de l’esprit de Dilthey. Face aux chercheurs qu’il qualifie lui-même de « français et anglais » qui seraient tout entier inféodés au positivisme, Dilthey affirme la singularité des Geisteswissenschaften à l’allemande, seules à même de rendre compte de la nature irréductiblement historique des faits sociaux. Faute de pouvoir s’opposer à la diffusion du positivisme, Dilthey insiste sur ses naïvetés et fait de l’Allemagne un lieu de résistance à cette épistémologie des sciences de l’homme.

35Ces débats sont donc loin d’être uniquement épistémologiques. La dimension politique ne cesse d’affleurer. Mill accuse les moral sciences définies par Whewell d’être la traduction savante d’une position conservatrice (tory), Dilthey fait de l’érection de l’histoire au rang de science de la nature par Buckle l’émanation d’un programme démocratique. Ces accusations prennent chez Dilthey une dimension nationale. Lorsqu’il fait de la Grande-Bretagne et de la France des adversaires de sa pensée, c’est parce qu’il voit, comme un bon nombre de savants allemands à l’époque, dans ces nations des vecteurs d’une remise en cause du modèle politique monarchique. Nomologisme épistémologique et promotion de la démocratie semblent aller de pair dans son esprit et justifieraient en retour d’autant plus ses critiques. Cette géopolitique épistémologique ne fait pas nécessairement l’unanimité à l’échelle nationale, elle s’inscrit elle-même dans des débats intranationaux. Le cas britannique le manifeste très nettement. Mais on pourrait de même montrer que Dilthey est loin de rencontrer l’accord de tous dans l’espace germanophone (Feuerhahn, 2017).

36Il ressort de cette enquête de pragmatique historique transnationale une image bien différente de celle promue par l’histoire conceptuelle de R. Koselleck. Nulle « ambition » globale de ces sciences n’y apparaît. Des acteurs s’affrontent certes, mais sans qu’une interprétation hégémonique des sciences qui ne sont pas de la nature se soit imposée. Surtout, cette enquête – par-delà son caractère non exhaustif – permet de mettre en évidence, que la critique de l’utopisme des Lumières et de la Révolution française formulée par C. Schmitt et R. Koselleck a réactualisé et pérennisé au-delà du Troisième Reich la critique des théories du droit naturel et du positivisme franco-britanniques qui, après s’être développée dans l’Allemagne du xixe siècle, a connu une nouvelle fortune suite à la défaite de la Première Guerre mondiale (Feuerhahn, 2013).

37Cette autre histoire transnationale du vocabulaire savant nous fait prendre conscience de la labilité des productions intellectuelles : leur identité disciplinaire comme nationale, leur ambition savante, leur connotation politique mais aussi leur qualification (mot ? concept ? théorie ?) semblent indissociables des diverses modalités de leur mobilisation et de leur appropriation. L’historien est sans cesse renvoyé aux contextes variés qui donnent sens aux débats sur la définition des termes employés et ainsi donc à la contingence de ses propres catégorisations.

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Notes

1 Pour un cas très net d’affirmation de l’importance de la réflexivité dans les sciences sociales, voir Bourdieu, 2002. Pour une analyse de la place attribuée à la réfexivité dans les sciences humaines et sociales, voir Bertucci, 2009.

2 On ne peut citer que quelques exemples : Luc Boltanski, Les cadres. La formation d’un groupe social, Paris, Éditions de Minuit, 1982 ; Jean-Loup Amselle et Elikia M’Bokolo (dir.), Au coeur de l’ethnie. Éthnie, tribalisme et État en Afrique, Paris, La Découverte, 1985 ; Christian Topalov, Naissance du chômeur, 1880-1910, Paris, Albin Michel, 1994 ; Claude Blanckaert, De la race à l’évolution. Paul Broca et l’anthropologie française (1850-1900), Paris, L’Harmattan (Histoire des sciences humaines), 2009. Pour une réflexion générale sur l’usage des catégories des acteurs dans les sciences sociales, voir Cavaillé, 2012.

3 Mieke Bal, Travelling Concepts in the Humanities: A Rough Guide, Toronto, University of Toronto Press, 2002 et le projet de Dictionnaire des concepts nomades en sciences humaines, Paris, Métailié, vol. 1, Christin, O. (éd.), 2010 ; vol. 2, Deschamp, M. et Christin, O., 2016.

4 Font toutefois exception en France plusieurs travaux dont ceux de C. Topalov : « Sociologie d’un étiquetage scientifique : urban sociology (Chicago, 1925) », Année sociologique, 58, 2008, p. 203-234 ; « Les usages stratégiques de l’histoire des disciplines. Le cas de l’“école de Chicago” en sociologie », dans Heilbron, J., Lenoir, R. et Sapiro, G. (éd.), Pour une histoire des sciences sociales. Hommage à Pierre Bourdieu, Paris, Fayard, 2004, p. 127-157. Nos travaux s’inscrivent dans cette optique en y ajoutant une dimension transnationale.

5 Sur « sciences humaines », voir les articles de Serge Reubi et Thomas Hirsch dans le présent numéro.

6 Cabestan, Feuerhahn et Trochu, à paraître.

7 Rens Bod s’interroge sur l’usage de la catégorie de Humanities mais la défend au nom de la fécondité de certains anachronismes (Bod, 2013, 9). Pour contourner la difficulté et définir le périmètre de son ouvrage, Bod le qualifie par ses objets : « Thus as a whole, this books is about the history of the methodological principles that have been developed and the patterns that have been found in the study of humanistic material (texts, languages, literature, music, art, theatre, and the past) with these principles. » (ibid.) Le problème persiste malgré tout : parler de the study of humanistic principles suppose que l’on puisse identifier de tels principes à travers les âges et malgré la diversité des dénominations ayant existé. Le risque est grand de projeter sur les temps révolus les catégories contemporaines.

8 Cette interprétation schmittienne de l’histoire structure la thèse de Koselleck (Kritik und Krise) : voir Quélennec, 2020.

9 Cette citation est extraite d’un autre article écrit en 1965 à l’occasion de la soutenance d’habilitation de Koselleck et finalement publié en 1968 dans un livre d’hommages à Carl Schmitt.

10 Howard Becker, « La théorie de l’étiquetage : une vue rétrospective », dans id., Outsiders. Études de sociologie de la déviance, trad. par J.-P. Briand et J.-M. Chapoulie, Paris, Métailié, 1985, p. 201-237.

11 Sur ce point, voir l’introduction à ce dossier ainsi que l’introduction au dossier « Penser par Écoles » (Orain, 2018).

12 Sur le « nationalisme ontologique », voir Barbara Cassin, « Présentation » dans Vocabulaire européen des philosophies : dictionnaire des intraduisibles, Paris, Le Robert, 2004, p. XIX.

13 Nous avons par ailleurs travaillé sur l’histoire du partage entre « lettres » et « sciences » : Feuerhahn, 2015.

14 Pour une explicitation de ces choix de méthodes, voir Feuerhahn, 2020.

15 Cet article s’inscrit dans un projet d’ouvrage proposant une histoire transnationale des étiquetages savants des « sciences de l’homme », moral sciences, « sciences sociales », Geisteswissenschaften.

16 Je remercie Vincent Guillin de m’avoir rendu attentif à ce point ainsi que pour les échanges que nous avons eus à ce propos. Mes remerciements s’adressent également à Laurent Clauzade et Jean-Pierre Schandeler pour leurs précieux éclairages.

17 Sur les relations entre Mill et Comte eu égard à la question des moral sciences, voir : Mesure, 1990 ; Clauzade, 2003. Ce désaccord était aussi rendu manifeste par le fait que Mill choisissait un passage de Condorcet louant l’importance de la mathématique sociale alors que Comte rejetait l’emploi des probabilités. Je remercie L. Clauzade et J.-P. Schandeler de m’avoir rendu conscient de cet aspect.

18 the spirit of generalization so honourably characteristic of the French mind (Mill, 1974, 946).

19 De nos jours, à l’Université de Cambridge, tripos désigne les examens permettant à un étudiant d’obtenir son bachelor, mais aussi l’ensemble des enseignements qu’il a suivis au cours de sa formation undergraduate. Le Natural Sciences Tripos y fut fondé en 1848 en même temps que le Moral Sciences Tripos, mais à l’époque ils n’étaient accessibles qu’à des étudiants ayant déjà obtenu un bachelor, bref des graduate students. Il existait un Mathematical Tripos depuis le milieu du xviiie siècle et un Classical Tripos depuis 1827. W. Whewell considérait que l’obtention du premier était requis pour accéder au Natural Science Tripos et du second pour pouvoir suivre les enseignements du Moral Sciences Tripos (Macleod et Moseley, 1980, 180).

20 Feuerhahn, 2010.

21 Lessing, 2001, 23.

22 Passeron, 2006, 130.

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Pour citer cet article

Référence papier

Wolf Feuerhahn, « Moral sciences, Geisteswissenschaften (1795-1900) »Revue d’histoire des sciences humaines, 37 | 2020, 121-141.

Référence électronique

Wolf Feuerhahn, « Moral sciences, Geisteswissenschaften (1795-1900) »Revue d’histoire des sciences humaines [En ligne], 37 | 2020, mis en ligne le 01 avril 2021, consulté le 12 février 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/rhsh/5236 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/rhsh.5236

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Auteur

Wolf Feuerhahn

CNRS, Centre Alexandre-Koyré (UMR 8560)

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