Grandes étapes des réformes de l’enseignement supérieur et de la recherche en France, 1968-2020
Texte intégral
- 1 Ce présent texte s’appuie, comme source principale, sur l’ouvrage d’Antoine Prost, Histoire généra (...)
1Afin de faciliter la compréhension de notre entretien avec Christian Topalov à celles et ceux de nos lecteurs qui ne sont pas en familiarité avec ces questions, nous vous proposons quelques éléments de contextualisation. Il s’agit bien entendu d’une schématisation à la fois chronologique et thématique1.
2Jusqu’en 1968, les universités françaises étaient directement encadrées et administrées par l’État. Elles étaient une « coquille vide » réunissant des facultés (de droit, de lettres, de médecine, de sciences) qui étaient le lieu principal d’auto-organisation académique, en particulier pour le recrutement de nouveaux professeurs. Les collèges de professeurs avaient à leur tête un doyen, choisi par ses collègues mais nommé par le ministre de tutelle, éventuellement secondé par des assesseurs, un secrétaire et quelques aides. Mais l’essentiel des décisions relevait de l’administration centrale, le doyen ayant un rôle d’arbitre entre pairs et de représentant de la communauté professorale. Seuls les professeurs d’université (dotés ou non d’une chaire) et les maîtres de conférences (des docteurs d’État n’ayant pas été encore élus professeurs, à ne pas confondre avec les actuels « maîtres de conférences ») disposaient d’un droit de vote et avaient voix au chapitre. Lesdits « rang A » pouvaient s’appuyer sur des assistants, qui réalisaient pour leur compte les séances de travaux dirigés ou de travaux pratiques et préparaient une thèse d’État. En 1945, il y avait moins d’assistants que de « rang A ». Ils n’étaient pas fonctionnaires et leur contrat initial de quatre ans devait être ensuite prolongé à la discrétion des professeurs. La croissance exponentielle du public étudiant dans les décennies d’après-guerre entraîna un développement comparable du corps des assistants et la création, en 1960, du corps des maîtres-assistants, mieux rémunérés, titulaires, et susceptibles d’accomplir davantage de tâches. Il en découla la suppression de la maîtrise de conférences en 1979, les deux corps étant redondants par les fonctions exercées et les maîtres de conférences « à l’ancienne » devenant des professeurs sans chaire.
3Au CNRS, de création plus récente (1939), quatre corps existaient (directeur, maître, chargé, attaché de recherche), mais ils ne relevaient pas de la fonction publique et les plus « bas » demandaient un renouvellement contractuel régulier. Les instances du CNRS (comité national, sections par disciplines, regroupant à parité membres élus et nommés), avaient notamment pour fonction d’évaluer régulièrement chercheurs et laboratoires, et de classer les candidats au recrutement.
4La réforme d’Edgar Faure, votée en novembre 1968, supprima les facultés et les doyens, et créa en lieu et place un système ascendant dans lequel les universités étaient dotées d’une personnalité morale et juridique et d’une autonomie beaucoup plus étendue. La « brique de base » en étaient les unités d’enseignement et de recherche (UER), regroupant le corps enseignant sur des bases disciplinaires (voire pluridisciplinaires ou thématiques), dotées d’un directeur et d’un conseil élu sur une base collégiale (enseignants selon statut, étudiants, personnel administratif, etc.). Les différents collèges étaient également supposés voter pour des représentants dans un « conseil », qui élisait à son tour le président de l’université, même si en 1968-1969 ce sont les UER qui envoyèrent des délégués dans le conseil d’université. Enfin, l’ancien système des certificats (peu nombreux, massifs, avec peu d’options) que les étudiants devaient suivre et valider, fut remplacé par des « unités de valeur » (UV) plus légères, potentiellement foisonnantes, et laissant en théorie une large possibilité de choix aux étudiants. Dans certaines universités, le déploiement d’une offre pléthorique d’UV eut pour conséquence d’autonomiser bien davantage le travail des assistants et maîtres-assistants. À bien des égards, la loi Faure demeure la matrice du fonctionnement de l’université en France, même si elle a été abrogée en 2000 et si les réformes successives en ont progressivement transformé les mécanismes.
5Dans les années 1970, une succession de réformes rogna différents aspects démocratiques de la loi Faure, tandis que le CNRS fut régulièrement réformé, mais sans transformations d’ampleur. La seconde grande vague de réformes de fond eut lieu durant les années 1982-1984, lorsque le Parti socialiste avait la majorité à l’Assemblée nationale et gouvernait avec le Parti communiste français. La Loi d’orientation et de programmation pour la recherche et le développement technologique de la France (15 juillet 1982), défendue par le ministre Chevènement, accorda le statut de fonctionnaire aux chercheurs des établissements publics à caractère scientifique et technologique (EPST) et porta aux deux-tiers la proportion des élus dans les conseils. L’un des objectifs fondamentaux de cette loi était d’accroître l’autonomie décisionnelle et scientifique des chercheurs. La loi du 26 janvier 1984, sur l’enseignement supérieur, dite loi Savary, opéra des transformations d’ampleur équivalente dans l’enseignement supérieur. Elle supprima la thèse d’État et la thèse de troisième cycle, remplacées par une thèse dite de « nouveau régime », ouvrant l’accès à un nouveau corps de « maîtres de conférences », et instaura l’habilitation à diriger des recherches (HDR), inspirée du modèle allemand, donnant accès au corps des professeurs d’université. Les présidents d’université étaient élus par la réunion de trois conseils (d’administration, scientifique, des études et de la vie universitaire), qui comprenait de 120 à 140 personnes. À la suite de la réforme du conseil supérieur des universités (1983, devenu Conseil national des universités en 1987), la procédure de qualification était devenue nationale et préalable au recrutement des titulaires. Comme au CNRS, le principe de répartition (2/3 d’élus contre 1/3 de nommés), rendait l’organisme indépendant de fait de toute tutelle administrativo-politique. Les réformes des années 1982-1984 unifièrent par ailleurs un modèle de laboratoire mixte regroupant des enseignants-chercheurs et des chercheurs d’EPST, les unités mixtes de recherche (UMR), destinées à devenir le modèle prédominant d’auto-organisation « locale » de la science dans le système français.
6Ce système, faisant la part belle à l’autonomie académique et valorisant l’indépendance de la recherche, a grosso modo fonctionné vingt ans, entre 1985 et 2004. Il s’est accompagné d’une politique de recrutement et de financement assez généreuse tendanciellement. Le code de l’éducation de 2000 avait pour objectif de le graver dans le marbre. Pour autant, après l’alternance de 2002 et à la suite d’un mouvement social réclamant des moyens supplémentaires pour la recherche, la politique menée par les majorités successives a progressivement défait cette architecture. En 2004, la création de l’Agence nationale de la recherche (ANR) a été le corollaire d’une réduction des dotations de crédit propres aux laboratoires et de mise en compétition des chercheurs pour l’obtention de fonds sur projets défendus devant l’ANR. En 2007, au nom d’un alignement du fonctionnement académique sur un modèle européen supposé, la Loi relative aux libertés et responsabilités des universités (dite loi LRU ou loi Pécresse) a profondément transformé le cadre en renforçant les prérogatives des présidents d’université désormais soumis au suffrage de 20 à 30 élus ou personnalités extérieures (un tiers) au sein d’un conseil d’administration « resserré », où la présence de chefs d’entreprise et autres représentants d’une supposée « société civile » est renforcée, en reversant la masse salariale dans le budget des universités et en créant une autonomie budgétaire « à moyens constants » dont l’objectif implicite était de contraindre les établissements d’enseignement supérieur à des mesures d’économie. Avait été par ailleurs instaurée en 2006 une Agence d’évaluation de la recherche et de l’enseignement supérieur (AERES), supposément indépendante, qui avait pour fonction d’évaluer (c’est-à-dire de classer) les UMR et autres laboratoires de recherche, les formations et les universités elles-mêmes en mobilisant des comités ad hoc nommés pour chaque évaluation. Par ailleurs, la LRU incitait au regroupement d’universités au sein de Pôles de recherche et d’enseignement supérieur (PRES) dans l’objectif de créer des établissements plus gros et pesant plus lourd au regard des classements internationaux, notamment celui dit « de Shanghai », dans lesquels la recherche française faisait pâle figure. Selon une logique analogue, le Grand emprunt de 2010 a créé des « pôles d’excellence » (notamment des « laboratoires d’excellence », Labex, des « initiatives d’excellence », Idex, et « équipements d’excellence », Equipex), choisis sur concours par des jurys ad hoc suscités par l’ANR.
- 2 Haut Conseil de l’évaluation de la recherche et de l’enseignement supérieur : https://www.hceres.f (...)
- 3 Communauté d’Universités et Établissements.
7Cette politique du big is beautiful, fondée sur une évaluation extérieure par des jurys à la main de l’administration, de hiérarchisation et de bordurage de la recherche française, a été peu ou prou reconduite et poursuivie par les majorités ultérieures, quelle que soit leur couleur politique, moyennant un toilettage des noms (l’AERES est devenue HCERES2, les PRES des COMUE3, etc.). Mais les principes et les mécanismes de base sont demeurés les mêmes : « verticale » du pouvoir, nomination des jurys par le pouvoir politico-administratif, mise en compétition généralisée, érosion des pouvoirs et des instances élus par les pairs, etc.
Notes
1 Ce présent texte s’appuie, comme source principale, sur l’ouvrage d’Antoine Prost, Histoire générale l’enseignement et de l’éducation. Tome IV, L’école et la famille dans une société en mutation, depuis 1930, Paris, Perrin (Tempus), 2004.
2 Haut Conseil de l’évaluation de la recherche et de l’enseignement supérieur : https://www.hceres.fr/.
3 Communauté d’Universités et Établissements.
Haut de pagePour citer cet article
Référence papier
Olivier Orain, « Grandes étapes des réformes de l’enseignement supérieur et de la recherche en France, 1968-2020 », Revue d’histoire des sciences humaines, 36 | 2020, 201-204.
Référence électronique
Olivier Orain, « Grandes étapes des réformes de l’enseignement supérieur et de la recherche en France, 1968-2020 », Revue d’histoire des sciences humaines [En ligne], 36 | 2020, mis en ligne le 23 septembre 2020, consulté le 20 mars 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/rhsh/4884 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/rhsh.4884
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