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Débats, chantiers et livres

Les neurosciences sociales : un phénomène de société

Social neurosciences: a societal phenomenon
Wolf Feuerhahn, Rafael Mandressi, Alain Ehrenberg et Fernando Vidal
p. 235-258

Texte intégral

  • 1 Revue d’histoire des sciences humaines, 25, 2001, Les sciences de l’homme à l’âge du neurone, en l (...)

1En 2011, nous avons consacré un dossier de la Revue d’histoire des sciences humaines aux « sciences de l’homme à l’âge du neurone »1. Il s’agissait d’enquêter sur des phénomènes savants contemporains : la mobilisation par les sciences humaines et sociales de travaux menés par des neuroscientifiques. Nous intriguait la dissémination de ces références qui interrogeaient pourtant l’irréductibilité des phénomènes sociaux considérée par beaucoup de chercheurs en sciences humaines et sociales comme fondamentale.

  • 2 Fernando Vidal et Francisco Ortega, Being Brains: Making the Cerebral Subject, New York, Fordham U (...)
  • 3 Alain Ehrenberg, La mécanique des passions. Cerveau, comportement, société, Paris, Odile Jacob, 20 (...)
  • 4 Sébastien Lemerle a publié un important ouvrage sur la question : Le singe, le gène et le neurone. (...)

2À huit ans de distance, la parution des livres de Fernando Vidal et Francisco Ortega (Being Brains: Making the Cerebral Subject2) et d’Alain Ehrenberg (La mécanique des passions3), nous offre l’occasion de revenir sur un phénomène savant dont l’importance ne s’est pas démentie et qui semble même avoir accru son emprise sociale. En effet, hormis l’article de Sébastien Lemerle qui traitait du rôle des intermédiaires culturels dans la propagation du phénomène4, la plupart des contributions au dossier du numéro 25 relataient des controverses propres aux mondes savants. Fernando Vidal, Francisco Ortega et Alain Ehrenberg interrogent le phénomène à travers des dimensions sociales beaucoup plus larges. De la sorte, ils permettent de reposer la question de l’interaction entre l’histoire des sciences et l’histoire sociale.

  • 5 Alain Ehrenberg et Fernando Vidal ont été invités par Wolf Feuerhahn et Rafael Mandressi à la séan (...)

Wolf Feuerhahn et Rafael Mandressi : Chers Alain Ehrenberg et Fernando Vidal, merci beaucoup d’avoir accepté notre invitation5. Vous avez récemment publié deux livres qui appréhendent ces développements scientifiques contemporains selon un même angle : celui de leur impact sur la société. Comment les neurosciences sociales transforment-elles la société et/ou comment sont-elles les indicateurs de transformations des sociétés contemporaines ?

  • 6 Centre de recherche médecine, sciences, santé, santé mentale, société, le Cermes3 est un laboratoi (...)
  • 7 Alain Ehrenberg, La fatigue d'être soi. Dépression et société, Paris, Odile Jacob, 1998, réédité e (...)

Alain Ehrenberg, vous êtes sociologue, directeur de recherche émérite au CNRS, au Cermes36. Vous êtes l’auteur de nombreux ouvrages qui affichent tous une originalité dans leur mode de traitement des questions sociologiques, dont notamment : La fatigue d’être soi, La société du malaise7, et donc ce dernier livre, La mécanique des passions. Cerveau, comportement, société.

  • 8 Les sciences de l’âme, xvie-xviiie siècle, Paris, Champion, 2006. Version anglaise révisée : The S (...)

Fernando Vidal, vous êtes historien des sciences et en particulier des sciences humaines (directeur de recherche à ICREA, Institution catalane pour la recherche et les études avancées), et êtes notamment l’auteur d’un livre important sur la psychologie à l’époque moderne, Les sciences de l’âme8. Vous venez de publier avec Francisco Ortega le résultat d’une recherche d’une bonne dizaine d’années, Being Brains: Making the Cerebral Subject.

  • 9 Alain Ehrenberg, « Le sujet cérébral », Esprit, novembre 2004, p. 130-155 ; Fernando Vidal, « Le s (...)
  • 10 Jean-Pierre Changeux, L’homme neuronal, Paris, Fayard, 1983.

Vos ouvrages traitent tous deux d’un phénomène de société au moins autant que d’un phénomène de savoir. Nous assisterions pour vous deux à l’avènement d’une nouvelle subjectivité, ce que vous avez appelé le « sujet cérébral9 ». Depuis une trentaine d’années, le développement des neurosciences cognitives a essaimé dans de nombreuses sciences humaines pour créer ce que, dans ce livre mais déjà dans d’autres articles, Fernando Vidal, vous aviez appelé les neuro-disciplines ou les neuro-x, pour neuro-histoire, neuro-économie, neuro-etc. : des disciplines selon lesquelles le cerveau serait désormais la clé permettant de comprendre les comportements humains et sociaux. De manière générale, selon les mots d’Alain Ehrenberg, nous serions entrés dans l’ère de « l’homme neuronal », pour reprendre un titre fameux, celui de Jean-Pierre Changeux10, qui a été un best-seller au début des années 1980.

  • 11 Marcel Mauss, « Les techniques du corps », Sociologie et anthropologie, précédé de C. Lévi-Strauss (...)
  • 12 John Forrester, Dispatches from the Freud Wars. Psychoanalysis and its Passions, Cambridge, Londre (...)

Alain Ehrenberg : Il faut bien entendu préciser ce que recouvre la métaphore de l’homme neuronal. La question dont je traite vient d’une remarque de Marcel Mauss dans « Les techniques du corps » où il écrit : « il n’y a aucun intervalle entre le biologique et le social11 ». Évidemment, la question qui se pose, c’est en quel sens n’y a-t-il aucun intervalle ? Je vais donc exposer les problèmes que j’aborde et la démarche, c’est-à-dire comment je les approche. Mon point de départ est le succès des neurosciences, l’engouement dont elles font l’objet. Vous avez bien souligné que nos livres portaient sur les rapports entre phénomènes de société et phénomènes de savoir. Les deux s’intriquent donc. Le succès des neurosciences cognitives, leur évidence s’impose sur le mode : « les neurosciences démontrent que », « les sciences cognitives démontrent que ». Je précise que l’objet ce sont les neurosciences cognitives. Neurosciences : le substantif « neurosciences » désigne les sciences du cerveau, la neurobiologie, neurophysiologie, etc., et l’adjectif « cognitif » les psychologies cognitives et comportementales ou les sciences cognitives et comportementales. Les deux ensembles, psychologie et biologie, sont absolument indissociables. Souvent, on dit les « neurosciences » ou les « sciences cognitives » pour l’ensemble, peu importe, mais la réalité c’est l’intrication entre les deux, notamment parce que toutes les pratiques de type de prise en charge thérapeutique, accompagnement, remédiation, etc., viennent des psychologies et pas du tout de la biologie. Donc, c’est bien un entremêlement de psychologie scientifique et de neurobiologie qui est, disons, la réalité de ce domaine. Et je dirais qu’elles font l’objet d’un engouement qui me semble analogue à celui dont bénéficiait la psychanalyse il y a encore peut-être une trentaine d’années. Auden avait écrit à la mort de Freud en 1939 un poème In Memoriam dans lequel il écrivait que Freud était beaucoup plus qu’un nom, qu’il incarnait tout un climat de l’opinion, a whole climate of opinion12. Il me semble que c’est ce qui en train de se passer avec les neurosciences cognitives aujourd’hui : elles semblent cristalliser ou exprimer tout un climat de l’opinion. En même temps que s’est produit ce déplacement d’intérêt d’un savoir vers l’autre, on a assisté à de profonds changements dans les manières d’agir et de vivre en société. Je résume ce changement de climat en disant qu’on passe, à partir des années 1970-1980, de sociétés où l’autonomie s’était développée comme une aspiration collective après la Seconde Guerre mondiale, à une société où tout ce qui concerne l’autonomie individuelle devient notre condition en imprégnant l’ensemble des relations sociales. Et dans ce contexte, si je continue à comparer rapidement psychanalyse et neurosciences, dans leurs rapports à la société, aux mœurs, elles n’offrent pas du tout les mêmes figures. Par exemple, la psychanalyse avec Narcisse offre une figure de l’inquiétude sociale, elle met en forme certaines inquiétudes (comme : nos liens sociaux ne s’affaiblissent-ils pas ?) et nous permet d’élaborer sur elles. Les neurosciences cognitives montrent toujours des figures de l’action, du dépassement de soi, de l’optimisme. Elles nous permettent d’élaborer sur nos multiples capacités. Il y a donc des figures d’identification différentes. L’objet du bouquin, c’est à la fois le changement de climat et les neurosciences cognitives. Tous mes livres sont construits à deux niveaux, visant à la fois une facette disons de l’individualisme, de l’autonomie, etc., et en même temps une question élaborée au prisme des problèmes de santé mentale, de psychiatrie, de neurosciences ou de psychanalyse.

  • 13 Antonio R. Damasio, L’erreur de Descartes. La raison des émotions, Paris, Odile Jacob (Poches Odil (...)
  • 14 C’est le cas de Gérald Bronner et Étienne Géhin, Le danger sociologique, Paris, PUF, 2017. Voir pa (...)

Je vais maintenant partir de la situation de la discussion sur ces sujets. Il me semble qu’il y a une discussion épistémologique et une discussion politique. La discussion épistémologique est amenée par les neurosciences avec le thème de « l’erreur de Descartes », pour reprendre le titre du livre de Damasio13 : la cible est le supposé dualisme cartésien qui doit être remplacé par une unité indivisible du corps et de l’esprit dont le cerveau est le siège. On peut noter que ces approches sont renforcées notamment du côté de la sociologie par les sociologues provenant de l’individualisme méthodologique pour lesquels les neurosciences vont améliorer nos connaissances du comportement14 : si on sait un peu plus ce qu’il y a dans le cerveau de l’individu, ça nous permettra d’améliorer nos connaissances sur les comportements collectifs et individuels. La discussion politique vient plutôt des courants de sciences sociales et de philosophie inspirés par la pensée de Michel Foucault ou celle de Pierre Bourdieu. Ils abordent les choses en termes de pouvoir/savoir et la question politique est de savoir si ces disciplines sont émancipatrices ou oppressives. La critique politique est une critique du réductionnisme des neurosciences, porté par l’épistémologie radicale à la Damasio, Changeux, etc., auquel est opposé un antiréductionnisme. Elle souligne que les neurosciences reconfigurent la manière dont nous pensons le social et que le problème principal est de surmonter l’opposition entre le biologique et le social.

Par rapport à la discussion épistémologique et politique, j’essaie d’ouvrir une discussion sociologique, c’est-à-dire descriptive, de prendre les neurosciences cognitives sous l’angle d’une peinture de la modernité. Au lieu de « notre » antiréductionnisme contre « leur » réductionnisme, l’homme social contre l’homme neuronal, l’opposition entre le biologique et le social (les uns la résolvant dans le « biologique », les autres dans le « social »), l’idée est plutôt de mettre au jour des connexions peu aperçues entre des idées scientifiques et des idées sociales. Et là, je voudrais vous citer une phrase de Durkheim parce qu’elle illustre la démarche que je veux suivre, c’est dans la conclusion des Formes élémentaires de la vie religieuse (1912) où il écrit :

  • 15 Émile Durkheim, Les formes élémentaires de la vie religieuse, Paris, PUF, 1985 [1912], p. 625.

Il s’en faut que les concepts, même quand ils sont construits suivant toutes les règles de la science, tirent uniquement leur autorité de leur valeur objective. Il ne suffit pas qu’ils soient vrais pour être crus. [Il est question de croyance collective]. S’ils ne sont pas en harmonie avec les autres croyances, les autres opinions, en un mot avec l’ensemble des représentations collectives, ils seront niés ; les esprits leur seront fermés ; ils seront, par suite, comme s’ils n’étaient pas15.

Cette proposition amène à chercher comment les idées scientifiques et les idées sociales ou les représentations collectives, dans le langage de Durkheim, s’entremêlent. Il y a une vérité scientifique et une vérité sociale qui s’intriquent avec des frontières qui ne sont pas claires, bien évidemment. En résumé, mon fil directeur consiste non pas à se demander comment surmonter l’opposition entre le biologique et le social, mais à faire l’anatomie d’un phénomène social (c’est-à-dire comment les neurosciences cognitives sont entrées dans nos mœurs) en décrivant l’intrication entre des concepts scientifiques spécialisés, en l’occurrence, de type psychobiologique, et des représentations collectives générales de l’homme en société. Je prends la question épistémologique en l’insérant dans une perspective de sociologie historique ou d’anthropologie de la modernité. Mon hypothèse générale, plutôt que de penser que c’est un phénomène de pouvoir/savoir ou d’imposition d’une domination, est que ces disciplines ont acquis une autorité morale, qui suscite le respect en cristallisant ou en transfigurant dans des jeux de langage scientifiques, de type psychobiologique, des idéaux sociaux puissants et ordinaires. C’est ainsi que j’établis des connexions entre les représentations collectives et les représentations scientifiques.

Je procède à une mise en perspective historique portant sur l’histoire des psychologies scientifiques, et sur l’histoire de la neurophysiologie ou de la neurobiologie.

Deux caractéristiques des publications permettent d’avancer une hypothèse globale sur les idéaux impliqués. La première, si on compare à des publications de type psychanalytique ou psychodynamique, est qu’on s’y interroge assez peu sur le sens de l’existence, en revanche, on passe son temps à résoudre des problèmes pratiques, des problèmes centrés sur les aspects pratiques de l’existence sociale et personnelle. L’individu, dans ces papiers scientifiques, qu’il soit schizophrène ou en pleine santé mentale, par exemple pour des échanges économiques, y est systématiquement présenté en tant que sujet pratique confronté à des problèmes à résoudre, devant faire des choix et prendre des décisions en ajustant des moyens à des fins. C’est le sujet pratique. Le langage des neurosciences est un langage de l’action. Le deuxième aspect est relatif à l’adjectif « scientifique » et à l’idée de nature. Étudier scientifiquement le comportement humain, c’est considérer qu’il fait partie du monde naturel. Mais la question de la nature humaine ne se limite pas au problème de la part entre nature (ou biologique) et culture (ou social). Elle concerne tout autant, à la suite de la révolution newtonienne du xviie siècle, la régularité entre les phénomènes observés – ce que Newton observe est une nature physique où ce sont des régularités entre des phénomènes qui importent – et donc, leur prévisibilité et leur fiabilité. On sait que Newton a donné naissance à la grande philosophie britannique du xviiie siècle, la philosophie empiriste, incarnée particulièrement par David Hume qui domine le paysage philosophique britannique au xviiie siècle, et ces philosophes s’appelaient eux-mêmes des « Newton de l’esprit ». Ils étendent le newtonisme, autrement dit ce que j’appellerai le naturalisme de la régularité qu’il faut distinguer d’un naturalisme du fondement biologique, à l’observation des passions humaines. La société apparaît sous la forme d’une sorte de mécanique des forces, dans laquelle les passions humaines doivent être régulées par des mécanismes de conversion qui permettent d’obtenir un homme régulier, fiable, dans lequel on peut avoir confiance. Ce que je tire de ce type d’approche est que les neurosciences cognitives mettent en scène des figures de l’homme fiable. Elles revendiquent le naturalisme de la base biologique sur le modèle de L’homme neuronal de Jean-Pierre Changeux, publié il y a trente-cinq ans, qui proclame la nécessité de produire une biologie de l’esprit, mais elles tirent leur autorité morale de mettre au travail un naturalisme de la régularité. Pour y comprendre quelque chose, il faut marteler qu’il y a des naturalismes. Je développe après l’idée que les neurosciences cognitives cristallisent dans des jeux de langage scientifique des idéaux de régularité et des formes d’autorégulation du comportement qui sont apparues au sein des Lumières écossaises du xviiie siècle, idéaux de régularité et d’autorégulation qui sont au cœur des psychologies scientifiques, du comportementalisme vers 1900 jusqu’aux neurosciences cognitives de la fin du xxe siècle. Les pratiques mises en œuvre par ces psychologies sont organisées autour de l’exercice. Le concept d’exercice est tout à fait central dans la philosophie empirique et notamment dans la philosophie de David Hume : il permet de convertir des passions négatives en passions positives et est un facilitateur de l’action. Tout tourne autour de l’acquisition de nouvelles habitudes.

Ces idéaux de régularité sont renouvelés à partir des années 1970-1980 par des idéaux de changement personnel et de diversité normative dans le contexte d’une ascension des idéaux d’autonomie, d’attentes collectives fortes à l’égard de l’autonomie individuelle. Un des plus puissants et des plus ordinaires idéaux de l’autonomie, que j’appelle l’idéal du potentiel caché, est l’individu capable, quels que soient ses handicaps, ses déviances ou ses pathologies, de s’accomplir en transformant handicaps, déviances ou pathologies en atouts par une création qui augmente sa valeur en tant que personne. Il s’agit là d’un nouvel idéal d’action associant les traditionnelles vertus de courage, de ténacité, etc. à des idéaux plus nouveaux de créativité, d’innovation consistant, en ce qui concerne la psychopathologie ou la psychiatrie, à socialiser un mal incontrôlable, à en faire une forme de vie. Cet idéal c’est la forme sociale spécifique par laquelle des populations diagnostiquées malades mentales, déviantes, handicapées – traitées jusqu’alors au sein d’institutions que le sociologue Erving Goffman avait appelé dans Asiles (1961) des « institutions totales » – sont devenues des individus capables de connaître des accomplissements dans la vie sociale.

Il faut une figure sociale pour donner corps à ces idées, une figure d’identification. C’est dans l’autiste de haut niveau que ces idéaux se montrent de manière exemplaire. L’autiste ou l’autiste de haut niveau est passé en une trentaine d’années, des fins fonds de l’arriération mentale au statut de super individu. L’autiste est devenu aujourd’hui un personnage familier dans la littérature, le cinéma, la BD, etc. Cette figure possède la particularité d’exemplifier un type d’individu affecté à la fois de handicaps majeurs et d’atouts majeurs. On parle souvent de condition paradoxale au-delà de la condition pathologique. Cette figure nous permet d’élaborer sur nos capacités et compétences : non plus raisonner dans des problématiques normal/pathologique, adapté/inadapté, mais, dans le langage des militants de l’autisme, des militants de la neurodiversité, une polarité neurotypiques/neuroatypiques, marquant ainsi la richesse de la diversité des compétences et soulignant que chacun dispose d’atouts malgré ses handicaps et peut toujours se sortir des pires difficultés personnelles. On retrouve le langage du développement personnel.

Il faut des idées, nous les avons avec les psychologies scientifiques, nous disposons également d’une figure symbolique, il faut encore une neurophysiologie. J’essaie de montre qu’entre 1950 et la fin du xxe siècle, on est passé d’un cerveau conçu comme réactif à l’environnement à un cerveau-agent qui agit sur le monde. S’est donc construite toute une physiologie de l’autonomie. Je veux dire juste un mot sur un concept biologique qui est sans doute le concept le plus populaire des neurosciences et qui fait l’objet d’une extension d’usage phénoménale : la « plasticité cérébrale ». Sur ce concept s’est investie la valeur sociale fondamentale du potentiel caché : la capacité de l’individu à être l’agent de son propre changement, la possibilité de toujours s’appuyer sur un atout malgré les handicaps. Il y a un usage extensif du concept qui montre à quel point il est imprégné d’idées sociales. Le grand message est que le cerveau (donc l’individu) dispose toujours de ressources pour s’en sortir. Ce message ne s’appuie pas sur la morale mais sur la science, car formulé avec les valeurs démonstratives, de rigueur et de clarté de la science. Il est formulé dans un type de société, la nôtre, qui privilégie le développement le plus large possible des capacités humaines.

Au sens strictement biologique, le concept de plasticité cérébrale, qui semble déchaîner le fantasme qu’il est possible de se changer en permanence, c’est le fait que la nature n’a pas prévu par avance, de façon mécanique, les spécialisations fonctionnelles dans le système nerveux central et que tant la longue durée de l’évolution que la courte durée de la vie d’un individu peuvent modifier les choses. Il y a aussi d’autres significations mais, en tout cas, le concept biologique au sens propre est beaucoup plus restreint.

Pour terminer, je dirais que la leçon sociale que livrent les neurosciences cognitives est que le cerveau dispose toujours de ressources pour que l’individu puisse trouver une solution – créative – à ses problèmes et qu’il ne faut pas désespérer de la nature sur laquelle, au fond, on peut toujours compter pour rebondir. C’est le cerveau du potentiel caché illustré au travers de l’autisme. Le concept biologique de plasticité cérébrale se fond dans la représentation collective de l’autonomie, il transfigure la capacité de l’individu à changer de lui-même, activant ainsi l’un de nos idéaux les plus puissants et les plus ordinaires. Voilà d’où les neurosciences tirent leur autorité morale, à savoir d’alimenter des croyances collectives auxquelles nous accordons la plus haute valeur avec les ressources démonstratives inégalées de la science.

Je voudrais juste terminer par un tout petit mot sur la question de la pertinence de l’explication neurobiologique forte, c’est-à-dire le fait que les pratiques thérapeutiques agissent sur l’individu parce que tel ou tel mécanisme cérébral a été mis en route. Jusqu’à présent, j’ai été descriptif, j’ai cherché à peindre un univers, je me suis comporté un peu vis-à-vis des neuroscientifiques comme un ethnologue vis-à-vis d’une société c’est-à-dire que j’ai essayé de comprendre la cohérence de leur culture en me basant sur ce qu’ils racontent dans les articles scientifiques, les ouvrages de vulgarisation, etc. Et j’ai laissé de côté la question de la critique, c’est-à-dire des limites. En gros, ce que j’essaie de faire dans le bouquin, en me centrant sur les pratiques thérapeutiques inspirées par les neurosciences cognitives, c’est de montrer qu’on ne peut décrire la place qu’elles occupent dans nos sociétés, les significations qu’elles revêtent pour nous, les usages que nous en tirons, mais aussi les effets concrets que les méthodes thérapeutiques ou d’accompagnement qui y font référence exercent sur l’individu sans que ne soient aussi examinées en même temps les différentes modalités par lesquelles elles se mêlent au reste de l’existence. Et ça m’amène à conclure par rapport à ce que j’appelle le programme fort des neurosciences cognitives, qui est celui de Jean-Pierre Changeux ou d’Antonio Damasio, qui est aussi celui que l’on trouve dans les médias sur le mode « les neurosciences démontrent que », que le cerveau est moins une cause biologique de nous-mêmes qu’un potentiel naturel activé par les coutumes, les usages, les institutions dans lesquelles se déroule l’existence de chacun, bref, par une vie sociale. Et ça ne remet pas du tout en question les résultats des neurosciences cognitives, quels qu’ils soient. Il s’agit au fond de contribuer à un changement de regard sur ces disciplines.

  • 16 Voir note 9.
  • 17 Stéphane Ferret, Le philosophe et son scalpel. Le problème de l’identité personnelle, Paris, Minui (...)
  • 18 Roland Puccetti, « Brain Transplantation and Personal Identity », Analysis, 29, 1969, p. 65-77, ic (...)

Fernando Vidal : Merci, je suis particulièrement heureux de participer à cette table ronde avec Alain ; nous nous connaissons depuis longtemps et avons beaucoup échangé. Alain Ehrenberg et moi avons utilisé l’expression « sujet cérébral » dans deux articles écrits de manière tout à fait indépendante l’un de l’autre et parus presque en même temps, celui d’Alain en novembre 2004 et le mien en janvier 200516. Dans son texte, Alain explorait certaines des conditions qui, au cours du xxe siècle, avaient pu amener l’individu « à se penser soi-même comme cerveau sain ou malade ». Mettant l’accent sur « l’alliance du mythe individualiste de l’intériorité et de l’autorité de la science », il anticipait dans cet article certains des thèmes principaux de La mécanique des passions, notamment l’exploration des neurosciences comme autorité morale de la modernité tardive et des manières dont elles étayent les idéaux et les normes de ce qu’il nomme « l’individualisme de l’homme capable ». Dans mon article, tout en esquissant aussi des situations contemporaines, je mettais plutôt l’accent sur la généalogie du sujet cérébral – et j’ai pensé que c’est sur la question de la généalogie qu’il convenait de revenir à l’occasion de cette table ronde. La question « Sommes-nous des sujets cérébraux ? » est évidemment différente de la question « Sommes-nous notre cerveau ? ». Mais c’est quand même l’assertion, l’affirmation selon laquelle « nous sommes notre cerveau » qui fait de nous des sujets cérébraux et nous convainc que toute véritable explication du comportement humain, y compris de ses manifestations les plus complexes, doit être en dernière instance neurobiologique. Donc, même s’il est clair que nous avons besoin d’un cerveau humain pour faire partie de notre espèce, et de notre propre cerveau pour être ce que nous sommes individuellement, l’expression « sujet cérébral » ne désigne pas une entité biologique, mais une catégorie sociale, culturelle, politique, psychologique. En prenant le mot dans son sens vieilli, on pourrait dire que le sujet cérébral est un être moral. Je voudrais souligner que je ne donne pas à l’expression sujet cérébral une signification ontologique ou substantialiste. Elle désigne plutôt ce que j’ai appelé une « figure anthropologique » ; elle nomme une manière de comprendre l’être humain et de concevoir le fait d’être personne. La formule du sujet cérébral pourrait être celle par laquelle Stéphane Ferret, dans un livre intitulé Le philosophe et son scalpel, résumait une idée centrale de la philosophie anglo-américaine de l’identité personnelle, à savoir, je cite cette formule : « Une personne P est identique à une personne P* si et seulement si P et P* sont dotées d’un seul et même cerveau fonctionnel17 ». C’est un peu la formule du sujet cérébral. En d’autres mots, comme le disait le philosophe nord-américain Roland Puccetti en 1969, Where goes a brain, there goes a person18. Difficile à traduire mais c’est à peu près, là où il y a un cerveau, il y a une personne. Nous avons là une anthropologie qui s’est durablement installée à l’échelle globale surtout à partir de la « Décennie du cerveau » des années 1990 et qui, loin de n’exister que sur le plan des discours, prend corps dans des pratiques et dans la vie des gens. C’est pourquoi elle relève à la fois de la biopolitique et des processus de subjectivation, de mécanismes qui nous gouvernent sans que nous le percevions et de « techniques de soi » qui parfois expriment notre subjectivité. Je dis « parfois », car nous pouvons être des sujets cérébraux sans le savoir ni le vouloir. Si un système de santé publique considère que les maladies mentales doivent être comprises et traitées comme des maladies du cerveau, alors ceux qui en sont diagnostiqués seront, qu’ils le veuillent ou non, des sujets cérébraux. Une telle cérébralisation n’est pas inévitablement oppressive. Par exemple, les tenants de la « neurodiversité » qu’Alain a mentionnés, pour la plupart des personnes diagnostiquées avec ce que depuis 2013 on appelle « trouble du spectre de l’autisme », ces personnes ne se voient pas comme des malades mais comme ayant un cerveau « câblé » autrement que celui des « neurotypiques ». La « subjectivité cérébrale » c’est donc un état de l’être qu’ils revendiquent. Il paraît alors naturel qu’ils s’identifient à leur cerveau. Dans notre livre, Francisco Ortega et moi nous sommes demandé comment on en était arrivé là, c’est-à-dire à un univers de discours et de pratiques qui a intégré la figure anthropologique du sujet cérébral à titre de fait naturel appuyé sur des savoirs. Les neuroscientifiques nous expliquent que, grâce à leurs recherches, nous savons aujourd’hui que « nous sommes notre cerveau » et que cela va révolutionner notre manière de nous comprendre nous-mêmes ; s’en suivront, disent-ils, des bouleversements énormes dans des domaines aussi fondamentaux que ceux du droit, de l’éducation et de la santé publique.

Dans Being Brains, nous avons voulu explorer de manière critique l’histoire et les formes de ce credo contemporain en parcourant un territoire assez vaste. J’aimerais vous donner une idée de ce territoire. Nous avons d’abord esquissé une généalogie du sujet cérébral, sur laquelle je reviendrai, puis décrit l’univers de ce que nous avons appelé la « neuroascèse ». Nous appelons ainsi les régimes du corps et de l’esprit, prétendument basés sur des connaissances neuroscientifiques, vendus dans les rayons de développement personnel et d’auto-assistance des librairies et faisant l’objet de quantité de programmes et de produits online. Destinés à agir sur le cerveau pour augmenter les capacités mentales, atténuer l’anxiété, éviter la dépression, améliorer la performance sexuelle, voire entrer en contact direct avec Dieu, ces régimes reproduisent en grande mesure des recettes plus anciennes en leur donnant un vernis de neuroscientificité. Nous nous sommes intéressés à la continuité des pratiques sous la discontinuité des cadres scientifiques et idéologiques. Un deuxième chapitre est une analyse de la logique interne – des postulats et des procédés, des conditions et des conséquences – des « neuro-sciences-humaines » qui se sont multipliées depuis les années 1990. Wolf a dit un mot là-dessus. Ces neuro-sciences-humaines sont nombreuses. Cependant, de la neuroanthropologie à la neurothéologie, leurs principes restent les mêmes : le cerveau fournit la clé des phénomènes les plus complexes de l’humain, dont la neuroimagerie met à jour les fondements. Nous centrant sur la neuroesthétique et la « neuroscience culturelle », nous avons décrit le contraste entre l’apparente rigueur de leurs méthodes et le caractère spéculatif de leurs conclusions, ainsi que le contraste entre leur succès institutionnel et leur incapacité intrinsèque à traiter les objets qu’elles disent vouloir étudier. La beauté, l’expérience religieuse, peu importe. Dans un autre chapitre, nous explorons la cérébralisation de la souffrance psychique. Comme toujours, nous faisons suivre une vue panoramique du problème de deux études de cas. L’un, la cérébralisation de la dépression, porte pour ainsi dire sur la dimension « interne » de ce processus de cérébralisation, en particulier sur la neuroimagerie de la dépression, la recherche des biomarqueurs, et les débats autour de l’étiologie, la nosologie, la nosographie et les traitements de la dépression. L’autre étude de cas porte sur la dimension « externe » de ce processus de cérébralisation que représente le mouvement de la neurodiversité, dont nous examinons l’histoire et les contradictions, les tensions et les débats. Dans le dernier chapitre, nous nous tournons vers les manières dont le sujet cérébral est mis en scène et interprété dans ce qu’on appelle parfois la culture populaire. Nous y trouvons un trait de la culture contemporaine que nous avions documenté dans les autres champs, mais qui prend ici, dans le champ du cinéma et de la littérature, une forme simplifiée et par conséquent emblématique. Alors même que nombre d’œuvres donnent l’impression d’adhérer à l’idéologie cérébrale, par exemple en identifiant explicitement une personne à son cerveau préservé dans une cuve, les intrigues, les histoires telles qu’elles se déroulent contredisent implicitement cette idéologie. Ces œuvres offrent une image, souvent absurde et amusante, de l’interaction difficile mais dynamique entre croire que nous sommes cerveau et savoir que cet organe ne suffit pas à nous expliquer.

  • 19 Michel Foucault, « Non au sexe roi », 1977, dans id., Dits et écrits, 1954-1988. Tome II: 1976-198 (...)

Vous voyez qu’il s’agit d’un territoire très diversifié et en fait très large. Il existe néanmoins un fil conducteur généalogique qui relie les différentes régions de ce territoire. Sans être dogmatiquement foucaldiens, nous nous sommes inspirés de l’idée de généalogie telle que l’entendait Michel Foucault – en particulier de sa manière de voir la généalogie comme une « histoire du présent », comme une enquête historique, certes, mais qui commence par une sorte de diagnostic et des questions sur une situation présente. Ce regard amène à considérer que faire l’histoire du présent suppose faire de l’histoire dans le présent, et signifie que l’on s’implique dans un champ foncièrement politique. « La question de la philosophie [disait Foucault, je le cite] c’est la question de ce présent qui est19 ». Dans le cas du sujet cérébral, ce présent nous est offert, tant par les neuroscientifiques et les tenants de l’idéologie cérébraliste que par la plupart des historiens et des sociologues, comme ayant un rapport constitutif avec les neurosciences. Les neuroscientifiques la naturalisent : pour eux, nous sommes par nature des sujets cérébraux et le progrès du savoir neurobiologique ne fait que renforcer cette conviction. À leur tour, les historiens et les sociologues ont tendance à ramener ses racines à la convergence entre les conditions du capitalisme tardif et l’établissement du champ appelé « neurosciences » à la fin des années 1960. Dans les deux cas, reste ouverte une question importante : « Pourquoi le cerveau ? » Si nous refusons l’interprétation naturalisante, la réponse ne peut pas faire appel à son rôle biologique ou aux connaissances scientifiques. C’est ici qu’une perspective historique d’une plus longue durée illumine les conditions de « ce présent qui est » comme disait Foucault, et dirige notre attention sur ses composants essentiels – et aussi, sur ce qu’il s’agirait de changer en dernière instance.

  • 20 John Locke, Essay Concerning Human Understanding, 1694 (2e éd.), Essai philosophique concernant l’ (...)
  • 21 Charles Bonnet, Essai analytique sur les facultés de l’âme, Copenhage, chez les frères Cl. & Ant. (...)

Dans le premier chapitre de Being Brains, nous avons essayé de montrer que le tournant cérébraliste ne dérive nullement de savoirs sur le cerveau mais d’une redéfinition des concepts de personne et d’identité vers la fin du xviie siècle. Je vais résumer cette idée. Dans la tradition chrétienne, le sujet cérébral est littéralement inconcevable. Dans la tradition chrétienne, être personne implique avoir un corps complet, irréductible à l’un de ses organes ; c’est pourquoi les âmes séparées des corps qui attendent le Jugement dernier ne sont pas considérées comme des personnes et c’est pourquoi la résurrection qu’annonce le dogme chrétien est une résurrection des corps. C’est seulement à la résurrection que ces âmes qui attendent vont redevenir personne, en s’unissant aux corps qui étaient les leurs dans la vie terrestre. Divers développements dans les sciences physiques et métaphysiques amènent le philosophe anglais John Locke, dans la deuxième édition de son Essai concernant l’entendement humain de 1694, à distinguer l’homme (une entité unie à de la matière, en l’occurrence le corps humain) de la personne, qu’il définit comme une continuité de mémoire et de conscience de soi et des choses. Locke écrivait que si la conscience d’une personne restait attachée à son petit doigt alors que celui-ci est séparé du corps, il serait « évident que le petit doigt serait la personne, la même personne20 ». Dans cette perspective, on ne dira plus que nous sommes un corps, mais que nous en avons un. Objectivé et distancié du moi, le corps s’avère être, dans la perspective de l’« individualisme possessif » caractéristique du soi moderne occidental, une chose que nous possédons et non plus ce que nous sommes. L’identité personnelle devient psychologique et indépendante de l’identité corporelle. Or, cette désincarnation du soi n’est pas totale. Dans la mesure où la personne devient consubstantielle à la mémoire et à la conscience, le cerveau propre est la seule partie du corps dont un individu a besoin pour être une personne et pour être lui-même. J’aimerais souligner que ce que j’ai dit là n’est pas une reconstruction rétrospective historienne : c’est quelque chose qu’on affirme déjà pendant le xviiie siècle. C’est pourquoi, en 1760, le naturaliste et philosophe genevois Charles Bonnet peut écrire, je le cite : « si l’Âme d’un Huron eut pu hériter du Cerveau de Montesquieu, Montesquieu créerait encore21 ». En d’autres mots : assurez la perpétuité de votre cerveau et vous deviendrez immortel. Au fond, avoir un cerveau, c’est la seule condition d’être soi-même. Cette première expression du sujet cérébral ne requiert aucun savoir sur le cerveau au-delà des intuitions d’une longue tradition. Et elle ne dit rien d’autre que Puccetti, deux siècles plus tard, lorsqu’il déclare que : « où va un cerveau, là même va une personne ». Ce qui est à la source de ces affirmations, c’est une redéfinition de la notion de personne. Et donc, la condition idéologique de possibilité du sujet cérébral, condition idéologique lointaine mais condition essentielle tout de même, c’est cette redéfinition qui fait partie des ingrédients essentiels de la modernité. Les connaissances neuroscientifiques interviennent ultérieurement et ne jouent qu’un second rôle. S’il restait quelque chose de Being Brains, j’aimerais franchement que ce fût cette thèse, que je crois démontrée, sur les racines et la nature du sujet cérébral ainsi que sur la valeur d’une relative longue durée pour l’histoire de, redisons-le avec Foucault, « ce présent qui est nous-même ».

  • 22 À la différence du livre de Sébastien Lemerle, Le singe, le gène et le neurone, op. cit., par exem (...)

Wolf Feuerhahn : Merci beaucoup à vous deux d’avoir joué le jeu de présenter des livres qui sont très denses, qui convoquent de nombreuses références, qui ont une amplitude historique importante en un temps aussi ramassé, c’était important pour qu’on puisse discuter. Je vous pose déjà une première question qui s’adresse à vous deux. Une des choses qui nous a intéressées c’est, effectivement, que vos deux ouvrages sortent des limites, des cadres d’une histoire des sciences stricto sensu, pour montrer en quoi, à travers la promotion des neurosciences cognitives, on a affaire à un phénomène de société. Vous en avez déjà un peu parlé. Mais ce sur quoi j’aimerais vous entendre, c’est sur la spécificité de votre manière de procéder parce que, ni l’un ni l’autre, vous n’utilisez d’outils quantitatifs pour ce faire22, vous avez à chaque fois des outils très singuliers et je trouve ça très intéressant. Dans vos discours c’est déjà apparu. Alain, tu as parlé des représentations collectives, tu parles dans le livre de « forme de vie sociale », tu as tout un vocabulaire qui emprunte à la philosophie analytique wittgensteinienne et au durkheimisme ; Fernando, tu as parlé des « neurocultures ». Pour vous deux, les référentiels anthropologiques reviennent régulièrement. Donc j’aurais aimé que vous explicitiez comment vous procédez pour mettre en évidence des phénomènes « macros », des phénomènes de grande ampleur qui montrent l’interpénétration entre phénomènes sociaux et phénomènes scientifiques. Est-ce que vous pourriez revenir chacun sur la manière que vous avez de construire ce type d’approche ?

Fernando Vidal : D’abord, une petite remarque sur le quantitatif. Il est vrai que nous ne nous sommes pas engagés dans des recherches quantitatives nous-mêmes, je pense Alain non plus directement mais, en revanche, il y a des indicateurs quantitatifs dont nous avons tenu compte. Par exemple, l’évolution de la quantité de publications utilisant de la résonance magnétique fonctionnelle dans des domaines proches des sciences humaines : il y a des travaux qui ont documenté ces aspects quantitatifs. De même, par exemple, il existe des indicateurs sur la globalisation de certains domaines comme la neuroéthique. La neuroéthique est une neurodiscipline, mais en même temps une espèce de méta-neurodiscipline, puisqu’elle est censée légitimer d’une certaine manière toutes les autres. Là aussi, il y a des études qui permettent de tracer sa globalisation. S’il est vrai que nous deux avons mis l’accent sur le monde occidental grosso modo, on sait que ce concept n’a plus tellement cours en soi. Nous parlons d’un phénomène global. C’est ça qui est important. Et pour saisir sa globalité, on doit tenir compte de certains traits quantitatifs. Comme souvent, la globalisation semble ici impliquer une seule direction dans la production et la circulation des savoirs ; par exemple, ayant visité Taïwan et le Japon, je me suis intéressé à ce qui se passait dans ces pays, dans le grand espoir de trouver des différences intéressantes. Eh bien, il n’y en a pas. La neuroéthique, la neuro-anthropologie ou la neuroscience culturelle se font à Taïwan ou au Japon exactement comme aux États-Unis ou au Canada ; ça montre la manière dont le « neuro » s’est globalisé. Pour le reste, quant à la méthode, je dirais que nous avons procédé en quelque sorte sans méthode, avec des lignes directrices d’exploration très inspirées par l’histoire, parce que sans une formation et une perspective historienne, on n’aurait pas tenté la longue durée. On voudrait que notre recherche montre que l’introduction d’une longue durée dans la compréhension de phénomènes qui sont très contemporains change la compréhension de ces phénomènes. On trouve des facteurs de développement historique qui ne sont pas seulement récents, mais qui sont plus lointains et qui restent vivants dans le présent. Donc, pour aborder la question de la méthode, je dirais que ça, c’est un point extrêmement important. Le deuxième point a été suggéré par ce panorama des territoires que nous avons parcourus dans le livre : c’est qu’à chaque fois, nous avons voulu combiner certaines vues générales sur la problématique avec des études de cas. Les détails sont spécifiés par la matière particulière, puisque ce n’est pas la même chose d’étudier le cinéma et la littérature que d’étudier la neurodiversité ou la neuroimagerie de la dépression. Mais, à chaque fois, il y a un aller-retour entre des questions générales et des études de cas qui s’illuminent mutuellement. C’est peut-être une méthode propre à certains critiques littéraires, par exemple Jean Starobinski, qui consiste en un aller-retour entre la vue d’ensemble et le détail. Dans cet aller-retour, le détail est une ouverture vers la totalité, et la totalité éclaire la signification du détail. Sans entrer dans plus de précisions, je pense que c’est là une espèce de position inspiratrice de notre regard sur cet univers du « neuro ».

  • 23 Oliver Sacks, Un anthropologue sur Mars, Paris, Seuil, 1996.

Alain Ehrenberg : Je n’utilise pas, moi non plus, d’outils quantitatifs, si ce n’est de temps en temps des statistiques dans le bouquin. Je me situe au croisement de Durkheim et de Wittgenstein. Dans les chapitres historiques, notamment celui portant sur l’histoire des psychologies scientifiques, j’ai utilisé les historiens des sciences essentiellement. Il y a énormément de travaux américains. Le domaine de l’histoire du comportementalisme, de la théorie du choix rationnel, de la révolution cognitive des années 1950, tout ça est extrêmement bien balayé par des auteurs qui sont tout à fait solides et on a une bonne connaissance de l’histoire du domaine. La psychologie scientifique de type anglo-américaine raisonne plutôt dans une logique des parties, j’aurais été intéressé par une comparaison avec l’histoire de la psychologie scientifique en Allemagne où on est plutôt dans une logique de la totalité, mais on ne peut pas tout faire. Il n’y a que des comparaisons et des variations, ça, c’est ma démarche de base. Pour le contemporain, j’ai utilisé le matériau constitué par les articles scientifiques et les ouvrages de vulgarisation, venant soit des neurosciences, soit de la psychologie scientifique, soit des deux, mais pas en constituant un corpus systématique. Mon point de départ est le premier chapitre, « Des cerveaux exemplaires », dans lequel je me suis inspiré des cinq psychanalyses de Freud où chaque cas permet de tirer un certain nombre de fils de la théorie : « l’homme aux rats » pour la névrose obsessionnelle, etc. J’ai choisi deux cerveaux exemplaires, le premier étant celui de Phineas Gage qu’on trouve absolument partout dans la littérature des neurosciences, y compris dans des publicités pour des produits liés aux neurosciences cognitives. C’est cet ouvrier qui a eu son cerveau traversé par une barre vers 1850 et permet de dessiner le cerveau d’un individualisme classique, celui qui va se développer à partir du xixe siècle. Le deuxième cerveau, celui d’un nouvel individualisme, est le cerveau de l’autiste de haut niveau. En l’occurrence, il s’agit de Temple Grandin, qui voit le monde à travers son cerveau et est sans doute une des toutes premières à avoir publié un mémoire personnel au début des années 1980. Son histoire est également racontée par le grand héraut du potentiel caché qu’est le neurologue Oliver Sacks, notamment dans le livre Un anthropologue sur Mars23. Il s’agit d’ailleurs de Temple Grandin qui se sent, ainsi qu’elle le dit elle-même, comme une anthropologue sur Mars parce qu’étrangère à l’espèce humaine. On peut voir comment le cerveau n’est pas juste un cerveau dans ce type de message, mais une forme de vie, une valeur de civilisation. Je tire de ces deux cerveaux exemplaires un certain nombre de thèmes qui font l’objet de développements historiques dans les deux chapitres qui suivent, celui portant sur la psychologie scientifique, que j’ai sous-titré de manière durkehimienne « Les origines sociales des catégories neuroscientifiques », et celui concernant l’histoire de la neuropsychologie du cerveau qui montre comment un certain nombre de concepts scientifiques sont imprégnés de représentations collectives.

Fernando Vidal : Je peux ajouter quelque chose ? Nous avons travaillé essentiellement sur des textes publiés ; c’est peut-être quelque chose qu’on peut nous reprocher. En tout cas, il n’y a pas de recherches d’archives dans notre livre ; peut-être eussent-elles été nécessaires. Nous nous sommes servis, tous les deux je pense, de travaux d’ethnographes ou d’anthropologues des sciences qui vont dans les laboratoires observer ce qui se passe, mais nous ne l’avons pas fait nous-mêmes. C’est un détail sur l’approche ou la méthode qui est important.

Rafael Mandressi : Vos deux ouvrages convergent sur un certain nombre de constats mais pas complètement, me semble-t-il. Ils montrent en tout cas, chacun à sa façon, qu’au fond, les savoirs neuroscientifiques ne sont pas le moteur de ce que vous analysez ; ils sont bien sûr mobilisés, ils sont présents, ils ont une incidence très significative sur un certain nombre de phénomènes sociaux et culturels, or ceux-ci ne seraient pas fondamentalement portés par les développements scientifiques eux-mêmes mais par des médiations d’une autre nature. Je voudrais maintenant vous poser deux questions que je me suis moi-même posées en vous lisant. La première, pour le dire d’une manière un peu brutale – Fernando vient d’ailleurs d’évoquer quelques éléments à ce sujet dans son intervention – serait tout simplement : où ? Cela se passe où ? J’ai noté une phrase d’Alain, qui vient aussi de situer la chose plus précisément : « un type de société, la nôtre » ; mais la question demeure : quelles sont-elles, au juste, ces sociétés du type de « la nôtre » ? Est-ce l’occident, même si ça ne veut plus rien dire ? Est-ce global, mais global à quel niveau ? Quels sont les circuits par lesquels tout ceci circule ? Je relie ceci à ma deuxième question, qui est celle de la généalogie : les chronologies que vous introduisez ne sont pas exactement les mêmes, mais elles ne sont pas non plus totalement divergentes. Il y a dans vos ouvrages, à mes yeux, une hétérogénéité dans le traitement qui est fait du passé et du présent. On a accès, et vous le montrez bien, à toute une série d’enjeux sociaux et culturels pour la situation contemporaine, or, quand il s’agit du passé, c’est l’histoire de la philosophie, l’histoire des idées qui sont convoquées, c’est Locke, c’est Newton. Comment donc construire cette généalogie alors qu’on travaille les différents moments de vos chronologies à partir de matériaux hétérogènes qui sont difficiles à articuler. Pour le dire encore une fois de façon grossière, la plupart des grands livres du xviiie siècle auxquels vous faites référence ont été tirés en leur temps à quelques centaines d’exemplaires chacun, alors que dans les dernières décennies on assiste à un foisonnement de textes et de documents qui permettent d’établir différemment la cartographie de l’imprégnation sociale et culturelle des phénomènes que vous analysez. Comment résoudre cette tension, si vous pensez que c’en est une ?

Alain Ehrenberg : Ce n’est pas une histoire des idées philosophiques, puis le présent. C’est une histoire des idées de la psychologie scientifique sous l’angle de leurs liaisons avec les transformations des idées sociales. Je démarre par le xviiie siècle et Hume mais c’est un truisme de dire que les idées empiristes sont au cœur des psychologies scientifiques anglo-américaines. Si Hume m’intéresse, ce n’est pas pour sa pensée philosophique en elle-même, mais parce qu’elle cristallise particulièrement bien des idées sociales. Cette histoire des idées est entreprise à partir de travaux essentiellement de seconde main que sont ceux des historiens des sciences.

L’autre question c’est : où ? Une limite de ce travail est que j’ai fait essentiellement une histoire anglo-américaine, donc des idées anglo-américaines. Celles-ci se retrouvent avec des variations et des changements de place dans toutes les sociétés développées. Si j’avais voulu faire un travail plus rigoureux, comme dans le précédent ouvrage sur la psychanalyse, La société du malaise, où je comparais sur une même thématique le déplacement de la figure de l’Œdipe à celle de Narcisse aux États-Unis et en France, et bien là j’aurais procédé de manière semblable. Mais si l’on dispose de travaux à peu près suffisant pour une histoire de la psychanalyse dans ces deux sociétés, c’est loin d’être le cas pour les neurosciences. Il faut bien commencer par quelque chose, défricher le champ, mettre ensemble un certain nombre d’idées et puis après, se dire qu’il y a des pistes qu’on pourrait suivre de manière non pas plus rigoureuse mais de manière plus précise historiquement.

Wolf Feuerhahn : Je voulais juste ajouter une chose. Je me greffe un peu sur ce que disait Rafael à l’instant. Quand nous nous sommes affrontés à cette question, il y avait une chose qui nous avait beaucoup frappés, c’est que les promoteurs des neurosciences cognitives sont extrêmement friands d’histoires de longue durée. Ils ne cessent de dire que leurs pratiques ne sont pas nées hier mais au moins avec William James si ce n’est Locke, etc. Je ne suis pas sûr qu’ils citent Charles Bonnet, je ne suis pas sûr que leur culture va jusque-là, ils n’ont pas lu Les sciences de l’âme de Fernando Vidal ! Bref, avec Rafael, à l’époque, nous nous sommes posé la question : que devons-nous faire ? Est-ce que le risque avec une généalogie de longue durée n’est pas de dupliquer le discours des acteurs et d’entériner la généalogie qu’ils proposent eux-mêmes ? Nous avions volontairement choisi le point de vue inverse qui consiste à faire une histoire du temps court, c’est-à-dire en gros, de voir quand ces labels apparaissent et dans quel contexte très circonstancié, etc., ce que vous faites aussi. Mais notre volonté était d’essayer de prendre plutôt ce discours généalogique des acteurs pour objet et de voir comment ils le mobilisent à tel moment, dans telle configuration, c’est le cas dans les leçons inaugurales, dans ce genre d’occasions, au début des ouvrages grand public de Changeux ou Damasio, etc. D’où ma question : est-ce que vous pourriez revenir sur un moment dont vous soulignez tous deux l’importance et qui, pour le coup, est du temps court : cette décision politique de George Bush père de déclarer ouverte la Decade of the Brain en 1990 ? Que se passe-t-il à ce moment-là ? Est-ce que vous avez des lumières à ce sujet ? Parce que, pour nous, cet événement fait partie des objets qui sont restés encore dans l’obscurité, c’est-à-dire qu’on n’a pas les tenants et les aboutissants de cette décision. Et comment voyez-vous cette décision ? Comment l’interprétez-vous ?

Fernando Vidal : Je peux aborder d’abord les deux questions de Rafael, brièvement ? Je voulais dire un mot sur ces deux questions : ça se passe où et la question de la généalogie. Je commence par la généalogie. Je vois bien ce décalage que signale Rafael, c’est-à-dire l’hétérogénéité entre le traitement du passé et le traitement du présent : comment est-ce qu’on va tirer un fil si on les traite de manière différente ? Il est vrai que, dans notre cas, on aurait pu – et ça aurait fait plus de lien avec la perspective sociologique d’Alain – expliquer mieux ou plus en détail que l’émergence de la redéfinition de la personne au xviie siècle ne se fait pas dans un cadre abstrait d’idées purement philosophiques. C’est un projet politique et c’est un projet juridique dès le départ, qui s’inscrit dans les conditions de l’Angleterre de l’époque. La redéfinition de la personne est dès son origine liée à l’affirmation de ce que les historiens de la pensée politique appellent « l’individualisme possessif ». Donc, il y a des choses qui pourraient être explicitées et qui, je pense, nous amèneraient à avoir une impression d’un peu moins d’hétérogénéité entre le traitement du passé et le traitement du présent. Ça consisterait à politiser un peu plus, à ancrer plus dans son contexte politique et social d’origine l’émergence du sujet moderne, du modern self. Je dirais que c’est ça la manière de faire face à cette hétérogénéité que tu signales. Et puis, ça se passe où ? « Un type de société, la nôtre ». Mais nous ne vivons pas dans des sociétés parfaitement homogènes. Dans notre propre société, on peut trouver plein d’endroits, plein de régions, plein de niches, plein de contextes qui semblent avoir été imperméables à la cérébralisation de la subjectivité. Cependant, et c’est pour ça que j’ai mis l’accent sur le fait que c’est un processus dont nous pouvons être les protagonistes sans le savoir ni le vouloir, il y a des choses qui se passent à d’autres niveaux et qui nous affectent même si nous avons l’impression qu’elles ne nous atteignent pas dans notre expérience subjective ; ça se passe dans le monde entier, mais pas partout à l’intérieur de chaque société. En Inde, il y a des laboratoires de neurosciences qui produisent exactement le même type d’article qu’en Californie ou à Londres, mais cela ne veut pas dire que la cérébralisation du soi a pénétré la société indienne autant que la « nôtre ». Nous avons donc un paysage complexe, un phénomène à la fois global et morcelé, une espèce de mosaïque, n’est-ce pas ? Et il y a plus de connexions sans doute entre les neuroscientifiques indiens, taïwanais et américains qu’entre eux et une partie des populations de leur pays. Tout cela se passe aussi dans un imaginaire et dans des discours, et comporte une stratégie rhétorique, une stratégie en quelque sorte de propagande dont, sans doute, fait partie la déclaration de la Décennie du cerveau. Il est vrai que je n’ai pas trouvé des clés pour savoir pourquoi cela eut lieu à ce moment-là. Il y a sûrement des facteurs conjoncturels et circonstanciels. Chaque décennie doit être la décennie de quelque chose et donc, voilà, il se trouve qu’en plus du lobby des chercheurs sur le cerveau et des intérêts qui les soutiennent, dans la famille de Bush ou de quelque congressman puissant une tante avait l’Alzheimer ; il y a parfois des facteurs apparemment secondaires qui jouent en fait un rôle important. Je ne sais pas si, toi, tu as une piste solide.

Alain Ehrenberg : Decade of the Brain, je le mentionne parce que ça a son importance événementielle, mais je n’en fais aucune analyse, je n’ai même pas cherché à en faire une analyse parce que les idées se mettent en place avant, dans un processus plus long. Comme je n’ai pas fait un travail d’histoire, je ne note pas de temporalités, ce sont plutôt des périodes mais pas de temporalités précises. Le « quand » me ramène au « où ». Le « où » ce sont les pratiques thérapeutiques, d’accompagnement ou de prises en charge, les ouvrages de développement personnel autour des cultures populaires… Ce n’est pas seulement dans le laboratoire que les choses se font ni seulement dans les articles scientifiques. Il s’agit de saisir comment les idées scientifiques se greffent sur des attentes collectives et les mettent au travail. Sur la cérébralisation, ce n’est pas du tout ma question qui porte sur l’intrication du social et du biologique. Sur l’histoire de la longue durée, les scientifiques produisent toujours une histoire de leur discipline. William James fait partie du panthéon héroïque des neuroscientifiques. Il y a également une autre longue durée dans les travaux neuroscientifiques, c’est la longue durée évolutionnaire, c’est-à-dire une durée où il n’y a pas d’histoire, pas d’événements. C’est celle-là qui compte pour les neuroscientifiques.

Fernando Vidal : Mais il y a chez les neuroscientifiques une autre longue durée parce qu’effectivement, ils écrivent leur histoire – mais de manière très anachronique. Il faut le signaler, car cela a un très grand impact sur la manière dont le public croit comprendre les progrès des neurosciences et le rôle du cerveau. C’est ce que j’appelle le « déjà Hippocrate ». Déjà Hippocrate disait que c’est dans le cerveau qu’on trouve nos peines et nos joies, etc. Mais en fait cet Hippocrate qui est cité là, l’idée qu’on transmet de ce qu’il a dit et de ce que « cerveau » signifiait pour lui sont complètement anachroniques. Le « déjà Hippocrate », ce n’est pas de l’histoire ; c’est une figure de rhétorique qui rattache le présent au passé de manière téléologique et légitime la cérébralisation actuelle. C’est en somme la construction d’une tradition.

Rafael Mandressi : Encore des questions qui relèvent d’une certaine façon de la durée. Alain a fait allusion, d’une manière extrêmement stimulante, à la continuité des pratiques et à la discontinuité de l’autorité scientifique qui les prend en charge ou qui les légitime. Si, au fond, les savoirs en eux-mêmes ne sont pas véritablement le moteur de tout ceci et que ça correspond à des phénomènes qui sont plus complexes et plus profonds que ce que peut être le changement dans les formulations concrètes des savoirs, la conclusion à laquelle on peut arriver est qu’il s’agit d’une vague de fond qui se déploie indépendamment des neurosciences cognitives elles-mêmes. Est-ce une vision que l’on peut tirer de vos travaux respectifs ? Malgré, encore une fois, le fait que vous ne mettez pas forcément toujours l’accent sur les mêmes aspects.

Alain Ehrenberg : Est-ce que c’est une vague de fond… Qu’est-ce que qui est une vague de fond ?

Rafael Mandressi : Le phénomène que vous décrivez. Je m’explique : la dynamique que tu montres dans ton livre est celle, si j’ai bien compris, de valeurs et d’idéaux sociaux, de représentations collectives, qui sont en interaction avec des savoirs scientifiques, ceux-ci jouant un rôle de légitimation par une autorité morale qui est invoquée. Ces savoirs-là pourraient donc changer ; c’est à des temporalités différentes auxquelles je fais allusion. Les changements dans les savoirs peuvent avoir une temporalité plus courte ou plus rapide alors que ce qu’ils viennent épouser en tant que phénomènes sociaux et culturels correspondraient à des mouvements de plus longue durée.

Alain Ehrenberg : La vague de fond se montre dans les pratiques se référant aux neurosciences cognitives, mais aussi à toute une série de pratiques ne s’y référant même pas. Elle consiste en un ensemble de manières de soutenir et de refaire son être moral dans les sociétés individualistes de masse : ce sont des pratiques d’exercice pour modifier ses habitudes. Exercice, entraînement, répétition, c’est absolument central dans toutes ces pratiques, y compris les nouvelles comme la pleine conscience, la mindfulness. Ce sont des pratiques d’exercice pour prendre des habitudes et, évidemment, il peut toujours y avoir une explication cérébrale derrière qui se réfère généralement à la plasticité – l’augmentation de la densité des connexions synaptiques dans telle ou telle, liée à certains types d’exercices que le sujet a pratiqués.

Tu as évoqué tout à l’heure mon premier article sur ces questions, « Le sujet cérébral ». En réalité, c’est la revue Esprit qui a décidé de ce titre et je l’ai accepté, mais je l’avais appelé « Les guerres du sujet » qui impliquait une signification tout à fait différente, une signification relationnelle. Ces guerres voyaient s’affronter les partisans du sujet parlant et les partisans du sujet cérébral. Les partisans du sujet parlant renvoient à un autre ensemble de pratiques pour soutenir et refaire son être moral qui sont plutôt des pratiques réflexives, des pratiques du discernement, de la réflexivité, etc. Pratiques du discernement et pratiques d’exercice constituent nos deux grandes manières de soutenir l’être moral. Il y a eu des guerres du sujet en France, des affrontements politiques et des oppositions de conceptions thérapeutiques, voire d’ontologies thérapeutiques, mais je pense que si l’on se place à un autre point de vue, on voit apparaître une complémentarité sociologique. Dans nos sociétés, les individus utilisent l’ensemble de ces pratiques, passent de l’une à l’autre, suivant des modalités extrêmement diverses, liées aux circonstances et au moment des personnes.

Fernando Vidal : Vague de fond… Je suis d’accord avec Alain : elle implique des pratiques se référant aux neurosciences, mais d’autres ne s’y référant pas. L’idée d’une vague de fond évidemment suggère un phénomène de continuité, mais il faut distinguer le plan des notions de subjectivité de celui des pratiques. Je donne un exemple. Dans le chapitre où nous avons traité de ce que nous appelons la neuroascèse, nous montrons que les pratiques du développement personnel cérébral d’aujourd’hui, recommandées et commercialisées dans quantité de livres et de sites web, proposent des exercices et des régimes de vie qui sont dans beaucoup de cas exactement les mêmes que ceux qu’on proposait au xixe siècle – sauf qu’à l’époque on ne faisait pas toujours un lien avec le cerveau ou avec des connaissances neuroscientifiques. Leur but était d’améliorer la mémoire ou d’autres fonctions mentales ou même son être moral. Les exercices qu’on prescrivait alors ont été repris maintenant avec un vernis neuroscientifique. Donc, le vocabulaire des savoirs sur le cerveau fonctionne comme moyen idéologique et commercial et comme un instrument légitimateur de certaines pratiques et des croyances qui les sous-tendent. Le deuxième point, toujours lié à ce que dit Alain et à la question de Rafael, c’est qu’il y a une coexistence de manières d’être dans une société. C’est ce que tu dis : on passe d’une pratique à l’autre. On se lève le matin et on fait sa gym, mais après, on prend son antidépresseur et l’après-midi on va chez son psy. Il y a une coexistence de pratiques. Et donc, à certains égards, une coexistence de différentes manières d’être. Il n’y en a pas une qui soit hégémonique sur le plan du mode de la subjectivité. Cette cohabitation d’« ontologies » est importante et caractéristique de nos sociétés. Et le troisième point touchant à ces questions que je voudrais signaler, c’est l’élasticité des formes d’instrumentalisation du savoir, le fait qu’il y a des manières différentes d’assimiler des connaissances dans des idéologies. Par exemple, la plasticité cérébrale a, d’un côté, été célébrée comme quelque chose qui nous libère, un fait anatomo-physiologique qui montre que nous avons la possibilité de nous façonner nous-mêmes librement, de « sculpter » notre propre cerveau et de devenir ce que nous voulons. Or, sur le plan de l’histoire des neurosciences, certains chercheurs montrent que le concept de neuroplasticité est passablement plus ancien que ne le fait penser son succès récent. En même temps, d’autres chercheurs suggèrent que la diffusion du concept de plasticité cérébrale reflète et légitime le mode de fonctionnement du néolibéralisme, spécifiquement son impératif pour les gens de pouvoir s’adapter à un marché contrôlé par l’intérêt des actionnaires – autrement dit l’impératif de la « flexibilité du travail ». C’est-à-dire que nous pouvons être mis à la porte aujourd’hui, mais nous nous adapterons grâce à notre cerveau plastique ; alors ce n’est pas si grave et c’est même positif. Loin d’être incompatibles, ces deux interprétations de la neuroplasticité mettent en relief le mythe de l’individu capable et responsable de son propre destin ; elles véhiculent quand même des valeurs et des positions à l’égard du monde économique et du monde politique qui sont différentes. C’est pourquoi c’est souvent si difficile d’identifier une vague de fond homogène : il y a des continuités et des similitudes mais aussi des discontinuités et des différences. Je dirais qu’il y a des continuités dans certains processus de subjectivation dans le monde moderne qui vont s’alliant ou se mésalliant avec des savoirs ; ces savoirs ne sont pas leur moteur, mais plutôt l’occasion de les légitimer ou de les délégitimer à travers des usages sociaux.

  • 24 Parmi les pays de l’OCDE, les résultats de la France sont le plus fortement corrélés avec le nivea (...)

Wolf Feuerhahn : Juste une dernière question sur un domaine qui me paraît intéressant parce qu’il se situe à l’interface entre le monde social et le monde des savoirs, c’est celui de la pédagogie. C’est un des domaines où il me semble que les neuro-sciences-sociales sont fortement présentes. Il faudrait regarder plus précisément, mais elles sont fortement mobilisées et ont donc, en tout cas, une visibilité dans la vie sociale importante. Puisqu’on a parlé de la question « où ? », si je prends le cas de la France, pour ne pas généraliser trop vite, l’actuel ministre de l’Éducation nationale Jean-Michel Blanquer est un grand adepte de la chose. Il a nommé le professeur de psychologie cognitive expérimentale au Collège de France, Stanislas Dehaene, président du conseil scientifique de l’Éducation nationale. Et il vante les mérites des neurosciences cognitives pour fonder une pédagogie qui serait vraiment scientifique et qui permettrait de résoudre tous les problèmes pointés par les enquêtes PISA24. Est-ce que vous pourriez juste revenir un tout petit peu sur le domaine de la neuropédagogie ? Et montrer en quoi il serait représentatif ou en quoi il serait révélateur du changement de climat que vous dévoilez…

  • 25 Céline Alvarez, Les lois naturelles de l’enfant, Paris, Les Arènes, 2016.

Alain Ehrenberg : S’il est un lieu d’élection des applications des neurosciences hors du domaine de la neuropathologie et de la psychopathologie, c’est clairement l’éducation, donc la neuro-éducation. Mais il faut dire que celle-ci s’appuie sur une tradition : les psychologies comportementale et cognitive jouent un rôle important, et depuis longtemps, dans les méthodes pédagogiques, les débats pédagogiques. Ces événements s’insèrent dans cette histoire, qui n’est pas une histoire cérébrale, mais qui vient s’y ajouter. Par ailleurs, ce qui est intéressant, c’est qu’on voit quelqu’un comme Stanislas Dehaene et les neuroscientifiques qui parlent de ce sujet soutenir aujourd’hui les pédagogies alternatives à la Montessori et que de nombreux pédagogues ou enseignants soutiennent aussi parce que les manières de travailler aujourd’hui, où le travail collaboratif, la relation, l’individualisme sont des nécessités de plus en plus reconnues, ne sont pas celles d’il y a cinquante ans. Tout ceci apparaît dans le contexte du grand problème français des inégalités, qui n’est pas l’accroissement démesuré des inégalités de revenu parce que ce n’est pas le cas en France, mais plutôt la reproduction sociale, les inégalités de destins qui sont bien démontrées dans les enquêtes PISA. Notre système scolaire est très sensible à l’origine sociale. Alors évidemment, des solutions scientifiques positives, quand on sait que « les neurosciences ont démontré que », apparaissent évidentes, et nombreux se demandent comment cela se fait qu’on ne les utilise pas beaucoup plus dans la réalité de l’école. Pensons au livre à succès de Céline Alvarez, Les lois naturelles de l’enfant25. Par ailleurs ce qui est intéressant c’est de voir que vers 1940, soit il y a environ quatre-vingts ans, une certaine Françoise Dolto et d’autres psychanalystes soutenaient fortement les méthodes de Maria Montessori et de quelques autres alors évidemment dans un contexte de société et d’une école qui n’a aucun rapport avec celles d’aujourd’hui.

Il faut aussi dire que ce ne sont pas les idées des neurosciences qui sont ici à l’œuvre, mais celles des psychologies scientifiques. Plus globalement, les idées sont fournies aux neuroscientifiques par ces psychologies qui font en quelque sorte la médiation entre les représentations collectives et le terrain des neurosciences. Il faut donc à chaque fois aussi relativiser le mot « cerveau » ou le mot « neuroscience » pour le remettre dans un certain contexte qui est évidemment un contexte discursif.

Et là je fais une incise pour revenir sur la plasticité cérébrale parce que tu l’as réévoquée tout à l’heure. Il faut bien voir que la philosophie des neurosciences est une philosophie de la représentation, au sens où leur question c’est : comment les éléments extérieurs se retrouvent à l’intérieur du cerveau. C’est un problème extérieur/intérieur. Alors évidemment la plasticité cérébrale est une manière de montrer comment l’extérieur devient intérieur. Les neurones miroirs c’est la même chose, et les neurones miroirs, je n’en ai pas parlé, font aussi l’objet d’extensions d’usages, de significations. La philosophie de la représentation ne tient pas compte d’un élément qui ne nous oblige pas à raisonner en termes d’intérieur et d’extérieur, c’est le langage. Comme dit Stanley Cavell, quand vous apprenez le mot « père », vous apprenez aussi ce qu’est un « père » et progressivement le système de relations qu’on appelle une parenté. C’est donc par le langage, en apprenant des noms et des mots qu’on se socialise. La philosophie implicite des neurosciences cognitives c’est la représentation au sens où je viens d’en parler. Ce qui est évidemment extrêmement limité, dans la mesure où le langage est simplement comme une étiquette sur les choses. Ça laisse tomber tout un pan qui nous permet de comprendre comment le biologique, le psychologique et le social s’intriquent et passent à travers le corps individuel.

  • 26 Stanislas Dehaene, Les neurones de la lecture, préface de Jean-Pierre Changeux, Paris, Odile Jacob (...)

Rafael Mandressi : Juste une phrase pour ajouter un élément par rapport à ce que Wolf vient de dire sur Stanislas Dehaene. Lorsqu’il a publié Les neurones de la lecture le ministère de l’éducation nationale était déjà sensible à ce type d’approches. Le ministre Gilles de Robien vantait alors les mérites des « neurosciences cognitives » pour l’éducation26.

  • 27 Jean-Michel Blanquer était alors directeur adjoint du ministre de l’Éducation nationale, Gilles de (...)

Alain Ehrenberg : Blanquer était dans le ministère de Robien27.

Rafael Mandressi : Exact. Et c’était une intervention dans le débat sur les méthodes syllabiques ou globales pour l’apprentissage de la lecture justement.

Wolf Feuerhahn : C’était une charge contre les « méthodes globales » qui servent le plus souvent d’épouvantail dans ces discussions sans qu’on se préoccupe de savoir si cette expression renvoie à une quelconque réalité pédagogique.

Alain Ehrenberg : Quand ont dit « les neurosciences démontrent que », elles démontrent le consensus général chez les profs et les pédagogues aujourd’hui, à savoir que ce n’est pas la méthode globale qui est la bonne, mais la syllabique. Tout le monde est d’accord sur ce point. Qu’apportent alors de spécifique les neurosciences ? Une sorte de petit supplément qui est l’appui sur la science et ses valeurs de rigueur et de clarté.

  • 28 Rita Hofstetter, Genève : creuset des sciences de l’éducation (fin du xixe-première moitié du xxe  (...)

Fernando Vidal : Je vais essayer d’être bref. Il y aurait vraiment beaucoup à dire. Alain a raison de mettre l’accent sur cette question de la neuro-éducation, du tournant neuroscientifique dans la pédagogie dans le cadre d’une histoire un peu plus longue parce que, dès le départ, la pédagogie a toujours eu une relation plus ou moins difficile d’attraction et de méfiance à l’égard des données scientifiques ; ça a été bien documenté pour l’« éducation nouvelle » et les courants pédagogiques apparentés du début du xxe siècle, surtout pour ce qui est de leur relation avec la psychologie28. Ces mêmes tensions, ces mêmes dynamiques, plus ou moins ambiguës, persistent aujourd’hui. Elles sont caractéristiques de la construction de l’école moderne. C’est un phénomène très répandu à travers tous les continents. Mais il me semble que ce qui vient toujours d’abord, c’est une préférence pédagogique basée sur des imaginaires (par exemple, rousseauistes dans le cas de l’« école nouvelle » du début du xxe siècle), et que c’est sur cette préférence pour certaines méthodes ou approches éducatives que vient se greffer la science, dont on se sert à volonté. On est convaincu, pour des raisons idéologiques faisant appel à des valeurs et à une vision de l’homme et de la société, que telle ou telle méthode pédagogique est la bonne. Cette conviction, étant souvent officialisée au niveau des ministères, prend l’allure d’un consensus fondé sur des savoirs. Aucun enseignant aujourd’hui ne pourrait dire sans risquer de se faire taper sur les doigts qu’il préfère la discipline, une classe où on enseigne la même chose à tout le monde, ou des classes séparées pour les enfants avec des handicaps. Donc il y a un semblant de consensus, une sorte de pensée unique derrière une façade de scientificité et de débat démocratique ; c’est dans ce cadre qu’on se sert des données et des théories qui paraissent convenir pour l’occasion. Aujourd’hui, elles sont neuroscientifiques. Ces explications neuroscientifiques ont un très grand avantage, parce qu’elles sont en apparence scientifiques, possèdent donc un prestige supérieur à celui des simples sciences humaines, et satisfont aussi le désir de causalité et d’explications simples qui anime les décideurs politiques. On dit que telle ou telle méthode marche et doit être utilisée parce qu’elle correspond à la manière dont le cerveau fonctionne. En fait, les recherches prétendant cela ne montrent rien, il faut bien le dire. Elles ne montrent pas qu’une méthode pédagogique est supérieure à une autre ; la seule chose qui montre la supériorité d’une méthode pédagogique – à l’intérieur d’un contexte où elle est définie et pourvue de critères qui permettent de l’évaluer – ce sont les évaluations, et pas les résonances magnétiques fonctionnelles. Ce qui est fascinant, ça a été étudié dans certains pays, mais je ne sais pas si c’est aussi le cas pour la France, c’est que les critiques à l’égard de la neuro-éducation n’ont aucun effet ; c’est un domaine qui est plein de charlatans et de gourous, certains au sommet de la hiérarchie universitaire, qui ont un succès énorme et contre lesquels les critiques n’ont absolument aucun impact. C’est un phénomène qu’il faudrait creuser. Peut-être l’impuissance de la critique dépend de l’assimilation du « neuro » dans la politique. Pensons pour la France au Comité scientifique de l’Éducation nationale… J’ai une certaine passion pour ce sujet, alors mieux vaut que je m’arrête là !

Wolf Feuerhahn et Rafael Mandressi : Il va nous falloir nous arrêter malheureusement, mais nous tenons à vous remercier très chaleureusement.

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Notes

1 Revue d’histoire des sciences humaines, 25, 2001, Les sciences de l’homme à l’âge du neurone, en ligne : https://0-www-cairn-info.catalogue.libraries.london.ac.uk/revue-histoire-des-sciences-humaines-2011-2.htm.

2 Fernando Vidal et Francisco Ortega, Being Brains: Making the Cerebral Subject, New York, Fordham University Press, 2017.

3 Alain Ehrenberg, La mécanique des passions. Cerveau, comportement, société, Paris, Odile Jacob, 2018.

4 Sébastien Lemerle a publié un important ouvrage sur la question : Le singe, le gène et le neurone. Du retour du biologisme en France, Paris, PUF, 2014.

5 Alain Ehrenberg et Fernando Vidal ont été invités par Wolf Feuerhahn et Rafael Mandressi à la séance intitulée « Sommes-nous des sujets cérébraux ? » des Débats du CAK du 12 décembre 2018 : http://koyre.ehess.fr/index.php?2816. Le texte reproduit ici est le fruit de cet échange à quatre voix, revu par les intervenants (note de l’éditrice).

6 Centre de recherche médecine, sciences, santé, santé mentale, société, le Cermes3 est un laboratoire multidisciplinaire consacré à l’analyse sociale des transformations contemporaines des mondes des sciences, de la médecine et de la santé ainsi que leurs rapports à la société : http://www.cermes3.cnrs.fr/fr/.

7 Alain Ehrenberg, La fatigue d'être soi. Dépression et société, Paris, Odile Jacob, 1998, réédité en 2000, 2008 et 2010 (Poches Odile Jacob) ; id., La société du malaise, Paris, Odile Jacob, 2010.

8 Les sciences de l’âme, xvie-xviiie siècle, Paris, Champion, 2006. Version anglaise révisée : The Sciences of the Soul: The Early Modern Origins of Psychology, Chicago, University of Chicago Press, 2011.

9 Alain Ehrenberg, « Le sujet cérébral », Esprit, novembre 2004, p. 130-155 ; Fernando Vidal, « Le sujet cérébral : une esquisse historique et conceptuelle », Psychiatrie Sciences Humaines Neurosciences, 3/1, janvier 2005, p. 37-48, https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.1007/BF03006830.

10 Jean-Pierre Changeux, L’homme neuronal, Paris, Fayard, 1983.

11 Marcel Mauss, « Les techniques du corps », Sociologie et anthropologie, précédé de C. Lévi-Strauss, « Introduction à l’œuvre de Marcel Mauss », Paris, PUF, 1968 (4e éd.), p. 384.

12 John Forrester, Dispatches from the Freud Wars. Psychoanalysis and its Passions, Cambridge, Londres, Harvard University Press. Cité au chapitre 5, « A whole climate of opinion », traduit en français sous le titre, « Freud, baromètre du xxe siècle », Esprit, novembre 2004, p. 86-107. If often he was wrong and, at times, absurd,/To us he is not a person/now but a whole climate of opinion/Under whom we conduct our different lives:/Like weather he can only hinder or help., W. H. Auden, In memoriam Sigmund Freud.

13 Antonio R. Damasio, L’erreur de Descartes. La raison des émotions, Paris, Odile Jacob (Poches Odile Jacob), 2010 [1994].

14 C’est le cas de Gérald Bronner et Étienne Géhin, Le danger sociologique, Paris, PUF, 2017. Voir particulièrement le chapitre III, « La crainte des sciences cognitives : une peur injustifiée ». Cette sociologie est d’ailleurs très proche de l’économie comportementale qui est examinée au chapitre IV.

15 Émile Durkheim, Les formes élémentaires de la vie religieuse, Paris, PUF, 1985 [1912], p. 625.

16 Voir note 9.

17 Stéphane Ferret, Le philosophe et son scalpel. Le problème de l’identité personnelle, Paris, Minuit, 1993, p. 79.

18 Roland Puccetti, « Brain Transplantation and Personal Identity », Analysis, 29, 1969, p. 65-77, ici p. 70.

19 Michel Foucault, « Non au sexe roi », 1977, dans id., Dits et écrits, 1954-1988. Tome II: 1976-1988, D. Defert et F. Ewald (éd.), Paris, Gallimard, 2001, p. 266.

20 John Locke, Essay Concerning Human Understanding, 1694 (2e éd.), Essai philosophique concernant l’entendement humain, trad. Pierre Coste, Amsterdam, chez Pierre Mortier, 1729, livre II, chap. 27, § 17.

21 Charles Bonnet, Essai analytique sur les facultés de l’âme, Copenhage, chez les frères Cl. & Ant. Philibert, 1760, § 771.

22 À la différence du livre de Sébastien Lemerle, Le singe, le gène et le neurone, op. cit., par exemple.

23 Oliver Sacks, Un anthropologue sur Mars, Paris, Seuil, 1996.

24 Parmi les pays de l’OCDE, les résultats de la France sont le plus fortement corrélés avec le niveau socio-économique et culturel des familles. Cette corrélation est stable depuis 2006.

25 Céline Alvarez, Les lois naturelles de l’enfant, Paris, Les Arènes, 2016.

26 Stanislas Dehaene, Les neurones de la lecture, préface de Jean-Pierre Changeux, Paris, Odile Jacob, 2007 ; Alain Ehrenberg, « Le cerveau “social”. Chimère épistémologique et vérité sociologique », Esprit, 1, 2008, p. 103.

27 Jean-Michel Blanquer était alors directeur adjoint du ministre de l’Éducation nationale, Gilles de Robien, en 2006-2007.

28 Rita Hofstetter, Genève : creuset des sciences de l’éducation (fin du xixe-première moitié du xxe siècle), Genève, Droz, 2010.

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Pour citer cet article

Référence papier

Wolf Feuerhahn, Rafael Mandressi, Alain Ehrenberg et Fernando Vidal, « Les neurosciences sociales : un phénomène de société »Revue d’histoire des sciences humaines, 35 | 2019, 235-258.

Référence électronique

Wolf Feuerhahn, Rafael Mandressi, Alain Ehrenberg et Fernando Vidal, « Les neurosciences sociales : un phénomène de société »Revue d’histoire des sciences humaines [En ligne], 35 | 2019, mis en ligne le 15 décembre 2019, consulté le 16 mars 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/rhsh/4296 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/rhsh.4296

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