Fontanier, one more time…
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1Il me faut ici présenter Fontanier en vingt lignes — ce qui veut dire grosso modo : le présenter comme étant un document ancien et/mais intéressant (bien évidemment). Je note déjà que ce sont là deux ou trois choses un peu louches : dater un document, c’est le rattacher au passé, le constituer en archive, c’est être tenté dans le meilleur des cas d’en faire l’archéologie, et le plus souvent d’en faire l’histoire — et le roman ; le présenter comme intéressant, c’est au contraire le relier à mon présent, à l’actualité de mon questionnement (en l’occurrence théorique, rhétorique pour être précis, et même technique) ; et, last but not least, lui attribuer par conséquent une identité théorique, c’est me prononcer (hâtivement, sans preuves) sur les propriétés épistémologiques qu’il exemplifie. Tout cela en vingt lignes. J’ajouterai juste : ne perdons donc pas de temps, faisons la fiche signalétique d’un document théorique ancien intéressant qui a pour nom Fontanier.
- 1 Voir P. Fontanier, Les Figures du Discours, « Introduction » par G. Genette, Paris, Flammarion, 196 (...)
2Dates : 1968-1970. Oui, Fontanier ne date pas du xixe siècle, la chose est connue. Il est le nom par lequel une certaine rhétorique a fait événement dans une actualité de la poétique qui est encore notre présent1 : une rhétorique qui a servi de cadre de référence pour penser un certain nombre d’enjeux concernant les rapports entre signifiant et signifié, pour valider un certain nombre d’hypothèses sur les modalités de fonctionnement du signe et d’engendrement du discours, pour initier par confrontation et réfutation de nouveaux cadres théoriques, du côté de la sémiotique ou de l’analyse du langage.
- 2 Références exactes : éTUDES DE LA LANGUE FRANçAISE SUR RACINE, ou Commentaire général et comparatif (...)
3Traits distinctifs : sa technicité rhétorique et son exemplarité. Premier point, sa technicité : visiblement, l’analyse de Fontanier que nous présentons ci-dessous est technique — on peut sans difficulté la situer du côté de l’elocutio (autrement dit, de la grammaire et de la tropologie). Mais est-elle tout aussi visiblement exemplaire (de mon présent s’entend) ? Je crois que c’est là un point un peu plus délicat à poser, un peu plus complexe. Car les deux extraits retenus (de la Préface d’une part, du commentaire cursif de Phèdre d’autre part2) nous parlent à la fois de nous, à RARE (Rhétorique de l’Antiquité à la Révolution), de la façon dont nous pensons aujourd’hui la rhétorique comme un choix possible pour l’analyse des textes ; et en même temps, ils nous parlent de notre différence, de ce que nous ne prenons pas en charge spécifiquement, de ce par rapport à quoi nous sommes en décalage, dans notre actualisation de la rhétorique.
4La chose mérite qu’on s’y arrête. Elle remplira la dernière case de notre fiche signalétique.
5Actualité : indécise. Voyons les deux côtés du problème.
6Premier point, nous dirons que d’emblée, d’évidence, Fontanier, c’est nous. N’est-il pas, chose décisive, complètement exemplaire de notre propre positionnement par rapport aux rhétoriciens anciens, quand il plaide en Préface pour une pratique des commentaires rhétoriques qui passe par leur reprise, leur confrontation, leur validation ou leur réfutation : autant dire par la mise en débat et la discussion de propositions qui constituent la rhétorique en programme de réflexion au présent. Exemplaire, il l’est également de notre projet de produire une analyse rhétorique technique des textes et d’entrer dans l’immersion en série (pour prendre possession d’un outillage à tester, à reformuler, à adapter). Exemplaire, il l’est enfin (et de façon plus circonstancielle) de notre « Dossier » sur Racine qu’il vient clore en quelque sorte, puisque les textes retenus sont extraits de son commentaire vers à vers de tout le théâtre racinien. Nous partageons avec ce Fontanier-là des modes de raisonnements, des choix épistémologiques et un tropisme pour la littérature : même décision d’actualiser le débat rhétorique, même engagement dans une technique, même souci du textuel.
7Mais — deuxième point — c’est bien là que s’arrête également son exemplarité pour nous. En effet, au fil de ce commentaire de la scène I, 3 de Phèdre, chacun pourra éprouver combien Fontanier reste dans une pratique philologique de la rhétorique, dans une réflexion sur l’impropriété des mots et des figures en contexte, sur les dysfonctionnements sémantiques. Cette réflexion peut rencontrer de bien des façons des questionnements présents toujours vifs (y compris à l’occasion dans notre pratique) ; mais pour nous, dans les débats que nous portons spécifiquement sur la dispositio et sur l’inventio, sur les enjeux de la composition en termes de séquençage argumentatif, de modélisation d’une cohésion, de pensée d’une dynamique textuelle, cette réflexion est littéralement inactuelle — distante — en décalage avec à nos objets. Ce sont d’autres modes d’analyse rhétorique cursive que nous travaillons, que nous discutons, que nous nous approprions — et que nous souhaitons faire entrer dans le pot commun des outillages critiques contemporains.
8Nous dirons que Fontanier est ici le nom qui nous aura permis de faire la transition, d’un territoire balisé de la rhétorique à un autre, émergent.
Notes
1 Voir P. Fontanier, Les Figures du Discours, « Introduction » par G. Genette, Paris, Flammarion, 1968 ; voir également G. Genette, « La rhétorique restreinte » dans Communications, 16, 1970, p. 158-171.
2 Références exactes : éTUDES DE LA LANGUE FRANçAISE SUR RACINE, ou Commentaire général et comparatif sur la diction et le style de ce grand classique, d’après l’abbé d’Olivet, l’abbé Desfontaines, Louis Racine, Voltaire, l’Académie, Luneau de Boisjermain, Laharpe, et Geoffroy ; POUR SERVIR comme de cours pratique de langue française, et suppléer à l’insuffisance des grammaires, surtout en ce qui concerne l’application des principes. Par M. Fontanier, Ancien Professeur de Belles-Lettres et de Philosophie, dans les Collèges royaux. Paris, Belin-Le-Prieur, 1818.
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Electronic reference
Christine Noille, “Fontanier, one more time…”, Exercices de rhétorique [Online], 1 | 2013, Online since 08 October 2013, connection on 11 September 2024. URL: http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/rhetorique/105; DOI: https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/rhetorique.105
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