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Comptes rendus

Hugo Bouvard, Ilana Eloit, Mathias Quéré (dir.), Lesbiennes, pédés, arrêtons de raser les murs. Luttes et débats des mouvements lesbiens et homosexuels (1970-1990)

Paris, La Dispute, 2023
Chantal Meyer-Plantureux
Référence(s) :

Hugo Bouvard, Ilana Eloit, Mathias Quéré (dir.), Lesbiennes, pédés, arrêtons de raser les murs. Luttes et débats des mouvements lesbiens et homosexuels (1970-1990), Paris, La Dispute, 2023, 331 p.

Texte intégral

1Lesbiennes, pédés, arrêtons de raser les murs est un ouvrage collectif sous-titré Luttes et débats des mouvements lesbiens et homosexuels (1970-1990) (La Dispute, 2023) dirigé par trois chercheurs spécialistes des études de genre et des minorités sexuelles, Hugo Bouvard, Ilana Eloit et Mathias Quéré. Le titre reprend un slogan du FHAR (Front Homosexuel d’Action Révolutionnaire) qui a fleuri sur les murs de Paris en 1971. L’ouvrage est composé de quatorze études réparties en quatre parties – « Alliances syndicales et partisanes : le mouvement homosexuel à la croisée des chemins », « Parce que le privé est politique : contester les normes médicales et familiales », « Des identités multiples en tension et en débat » et « À l’assaut de la culture et des médias : se rencontrer, s’aimer, se réinventer » qui sont en grande majorité consacrées aux mobilisations lesbiennes. À juste titre du reste car les recherches, jusqu’à présent, se sont plus attachées aux mouvements homosexuels masculins que lesbiens. Et comme les autrices sont trois fois plus nombreuses que les auteurs (à l’inverse de la direction…) cela donne une véritable coloration féministe à ces pages.

2Pourtant, le combat lesbien a souffert durant de nombreuses années de la difficile reconnaissance de sa spécificité par les féministes. Cet ouvrage est salutaire car il comble un vide. Après une introduction très riche rédigée par les trois directeurs de l’ouvrage, la première partie tente une approche historique de la question de l’homosexualité dans le champ syndical et politique avec seulement deux chapitres d’inégal intérêt. Le premier « Splendeur et misères des alliances, la commission nationale homosexuelle de la LCR (1975-1983) et la fabrique d’une coalition pour le mouvement homosexuel », une étude de Corto Le Perron sur cette difficile mobilisation au début des années 1970, donne une vision historique très précise du mouvement homosexuel.

3La deuxième partie « Contester les normes médicales et familiales » est particulièrement intéressante car elle rappelle tous les obstacles mis sur le chemin des lesbiennes pour qu’enfin le pouvoir médical et judiciaire les écoute. En 1986, un sondage révèle que 70 % des femmes lesbiennes n’ont pas de gynécologue : elles pointent le fait que cette spécialité « serait uniquement tournée vers l’hétérosexualité : contraception, maternité, stérilité, interruptions volontaires de grossesse » (p. 90). En réalité, elles ont peur d’un examen qui ne prendra pas en compte leur sexualité. « Non nommées, non “répertoriées", non "écrites” dans le domaine de la santé » (p. 91), elles ne peuvent trouver de réponse à leurs questions. La médecine n’est que l’un des aspects de l’invisibilisation des lesbiennes. Le pouvoir judiciaire en est un autre qui enlève la garde des enfants à une mère dont l’homosexualité a été révélée…

4La troisième partie de l’ouvrage « Des identités multiples en tension et en débat » décline toutes les stratégies mises en place par les lesbiennes pour sortir justement de cette invisibilité. Le contexte des années 1970 qui voit l’émergence de ce combat « est une invisibilisation globale des lesbiennes, sans répression pénale spécifique et systématique contrairement aux hommes homosexuels » (p. 101). Si, en effet, les lesbiennes n’encourent pas les foudres de la justice (7 559 hommes pour 106 femmes entre 1953 et 1978 condamnés pour délit d’homosexualité), elles n’en subissent pas moins les brimades et discriminations quotidiennes dues à leur sexualité. C’est avec la fondation du CUARH (Comité d’urgence anti-répression homosexuelle) en 1979 qui a pour objet « de porter secours à tout homosexuel des deux sexes en lutte » (p. 154) que la dimension mixte du combat est enfin actée même si dans les faits les hommes dominent… Pourtant le CUARH est vraiment une organisation qui va se battre pour la visibilité de la communauté lesbienne principalement avec la revue Homophonies : « les illustrations des couvertures de la revue alternent chaque mois entre hommes et femmes et le comité de rédaction s’efforce de respecter une mixité dans le contenu du journal, en évoquant les affaires judiciaires concernant des femmes, mais également en consacrant des articles au développement du mouvement lesbien en France. » (p. 160).

5« L’une des spécificités de cet ouvrage est de contribuer au décentrement de cette histoire, en s’intéressant aux groupes inscrits et aux luttes déployées dans d’autres villes du pays » (p. 19). Deux chapitres s’y emploient : l’un cartographie les lieux homosexuels (particulièrement masculins, l’auteur précisant que le lesbianisme s’exprime dans l’intimité) lillois depuis le XIXe siècle, l’autre s’intéresse plus spécifiquement aux réseaux lesbiens à Rennes. Deux chapitres extrêmement bienvenus car la province a été longtemps tenue à l’écart des analyses.

6Enfin, le dernier chapitre de cette troisième partie étudie l’engagement politique des mouvements lesbiens : le lesbianisme radical comme « résistance » contre l’hétérosexualité perçue comme « collaboratrice » inféodée au pouvoir patriarcal. La dernière et quatrième partie s’attache aux pratiques culturelles : le théâtre avec Lilith Folies, une scène à Lyon (Villa Lilith) et le festival de cinéma lesbien de Créteil.

7La majorité des études de cet ouvrage a croisé de nombreuses sources — privées ou publiques — issues de lieux institutionnels incontournables comme la BnF, des archives départementales, la bibliothèque Marguerite Durand, d’autres moins connues, plus spécialisées comme le Centre des alternatives sociales à Lyon, les archives contestataires à Genève ou Mémoire des sexualités à Marseille. Par ailleurs, de nombreux entretiens avec les témoins de ces combats qui ont aussi ouvert aux chercheur.es leurs propres archives enrichissent les textes.

8Un chapitre tranche néanmoins avec le sérieux des recherches de cet ouvrage collectif, celui sur les « interdictions professionnelles » (p. 61). Principalement le sous-chapitre intitulé « Le cas Marc Croissant en France ». Pour qui n’a pas vécu cette époque — la fin des années 1970 — cette affaire est totalement ignorée et ce n’est pas la façon dont cet épisode de la vie syndicale est relaté dans l’ouvrage qui va éclairer le lecteur. Que le mouvement homosexuel ne soit pas accepté de gaité de cœur par le PCF et la CGT est un fait bien connu, mais qu’a donc fait Marc Croissant pour mériter une « interdiction professionnelle » ? Le lecteur ne saura ni qui est Marc Croissant, ni ce qu’il a fait et pour cause… Car si la recherche avait été rigoureuse, le lecteur aurait appris que Marc Croissant avait soutenu, comme Gabriel Matzneff, la pédophilie et tout particulièrement un pédo-criminel, Jacques Dugué, dans l’affaire dite « affaire de Saint-Ouen », qui prostituait des enfants de 4 ans à 11 ans. Dugué fut condamné à six ans de prison puis à 30 ans après récidive dès sa sortie de prison... La mairie communiste, dont dépendait Marc Croissant, avait proposé un changement (apparemment pas un licenciement) de poste pour qu’il ne soit pas en contact avec des enfants mineurs ce qui a provoqué de nombreuses manifestations de soutien envers cet employé municipal. Cet amalgame dissimulé entre pédophilie et homosexualité ne peut que jeter une ombre sur les conclusions de ce chapitre à une époque qui revisite avec sévérité les dérives des années 1970 et 1980. Il y avait certainement des exemples de licenciement professionnel pour une véritable cause d’homosexualité plus pertinents à étudier !

9On peut aussi regretter que le rôle de Gisèle Halimi dans ces luttes ne soit absolument pas évoqué : le discours historique qu’elle prononce à la Chambre des députés le 20 décembre 1981, et qui aboutira à la dépénalisation de l’homosexualité, aurait mérité de figurer dans cet ouvrage sur ces vingt ans de luttes pour que soit entendue la parole de ces minorités.

10Mais ces dernières remarques ne doivent pas occulter l’importance de cet ouvrage qui offre de véritables apports à l’histoire des mouvements lesbiens et homosexuels et ouvre de nombreuses perspectives de recherche.

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Pour citer cet article

Référence électronique

Chantal Meyer-Plantureux, « Hugo Bouvard, Ilana Eloit, Mathias Quéré (dir.), Lesbiennes, pédés, arrêtons de raser les murs. Luttes et débats des mouvements lesbiens et homosexuels (1970-1990) »Revue d’histoire culturelle [En ligne], 8 | 2024, mis en ligne le 15 mai 2024, consulté le 12 décembre 2024. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/rhc/9547 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/11ydf

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Auteur

Chantal Meyer-Plantureux

Université de Caen

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