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Comptes rendus

Milo Lévy-Bruhl, Le théâtre de Léon Blum

Paris, Fondation Jean Jaurès-L’Aube, 2023
Chantal Meyer-Plantureux
Référence(s) :

Milo Lévy-Bruhl, Le théâtre de Léon Blum, Paris, Fondation Jean Jaurès-L’Aube, 2023, 402 p.

Texte intégral

  • 1 Ilan Greilsammer, Blum, Paris Flammarion, 1998, p. 160.

1Milo Lévy-Bruhl, doctorant en philosophie politique à l’EHESS, préside la Société des Amis de Léon Blum qui s’est donné comme but, à la mort de ce dernier en 1950, de diffuser sa pensée. Dans Le théâtre de Léon Blum, un livre original, brillant et nécessaire, Milo Lévy-Bruhl révèle un aspect méconnu de Léon Blum, son œuvre de critique dramatique. Cette occupation est loin d’être anecdotique, puisqu’il l’exerça pendant presque vingt ans. Pour son biographe, Ilan Greilsammer, « cette activité souvent négligée par les biographes a certainement été l’activité la plus importante de la première moitié de sa vie […] plus importante pour lui que sa vie de famille, que son activité au Conseil d’État ou que son premier engagement socialiste aux côtés de Jean Jaurès »1. Pour Milo Lévy-Bruhl, cet oubli est « une injustice à réparer » (p. 15). En conséquence, il a choisi « les textes [qui] éclairent les préoccupations d’une époque inopportunément oubliée » (p. 16).

2Ce qui fait l’originalité de cet ouvrage, ce n’est pas la réédition des critiques sur le théâtre, dont certaines sont très datées, mais l’analyse fine que Milo Lévy-Bruhl fait de ces textes qui préfigurent les opinions politiques de Léon Blum. L’auteur commence par rappeler comment Léon Blum concevait son métier de critique dramatique en présentant trois textes qui cernent la personnalité du critique (« Sur la critique dramatique » paru dans Nouvelles conversations avec Goethe, « Préface » aux Annales du théâtre et de la musique, deux textes fondamentaux pour comprendre la position du critique Blum, et le compte rendu de la pièce de Tristan Bernard Le costaud des Épinettes, dont on comprend moins la pertinence dans ce corpus de textes...). Milo Lévy-Bruhl divise ensuite son ouvrage en deux actes qui reprennent la profession de foi de Blum : « Je suis critique de profession et, j’ose le dire, de vocation » (p. 44).

  • 2 Le Comœdia est un quotidien théâtral qui a paru de 1907 à 1914, puis de 1919 à 1937. Le titre fut r (...)
  • 3 Jacques Copeau, « Sur la critique théâtrale et sur un critique », Nouvelle Revue Française, 1911.
  • 4 Duel que l’on peut voir sur Internet : https://www.youtube.com/watch?v=KFUpbT8SYUA

3Dans le premier acte « Critique de profession », l’auteur place un certain nombre d’écrits de Blum qui recensent ses goûts et dégoûts en matière de théâtre. Tristan Bernard, Jules Renard, Ibsen et Shakespeare, entre autres, font partie des premiers. Milo Lévy-Bruhl a effectué un choix car certains auteurs comme Henry Bernstein auraient dû faire partie du « panthéon » de Blum). Blum qui, par contrat à Comœdia2, a réclamé de pouvoir parler en priorité d’un certain nombre d’auteurs contemporains à la Une du grand quotidien théâtral, donne par ailleurs des conférences avant certaines représentations, comme celle que l’auteur publie sur Les Revenants d’Ibsen. Mais Milo Lévy-Bruhl craignant de montrer un aspect trop complaisant du critique Blum — ce qui était l’opinion de Jacques Copeau qui reprochait à Blum « le goût de la serviabilité et le sens de la diplomatie amicale3 » — consacre un petit chapitre à sa « critique dépréciative » : un seul nom Alfred Capus (et son complice Pierre Veber, avec le récit du célèbre duel qui opposa Blum à cet auteur dramatique4), ce qui évidemment peut paraître bien mince en regard de tous les auteurs dont Blum a célébré le talent… Plus intéressant est le chapitre suivant, « Critiques d’un critique », qui montre à quel point les adversaires de Blum sont avant tout guidés par l’antisémitisme !

4Entre les deux actes, un entracte constitué d’une pièce inachevée de Léon Blum, La Colère, découverte par Milo Lévy-Bruhl dans les archives de l’OURS (Office universitaire de recherche socialiste), est une véritable pépite : non que cette pièce sur les rapports intrafamiliaux soit d’un grand intérêt littéraire, mais elle est révélatrice de l’amour de Blum pour le théâtre. À quinze ans déjà, il avait écrit deux courts textes dramatiques, Molière à Paris et Le fil d’Ariane.

5L’acte deux du livre de Milo Lévy-Bruhl, « Critique de vocation », est la partie la plus passionnante : l’auteur montre à quel point les critiques dramatiques de Blum révèlent sa pensée politique. Plusieurs chapitres attestent de la volonté de Blum de s’attaquer à la société bourgeoise, à « l’autorité de l’Église », à l’antisémitisme, à la notion catholique de « charité » ainsi que son intérêt pour la Révolution… De nombreuses longues critiques – très souvent des pièces à succès comme Ces Messieurs de Georges Ancey, Le Retour de Jérusalem de Maurice Donnay, Le Foyer d’Octave Mirbeau ou La Barricade de Paul Bourget – donnent à Léon Blum la possibilité de développer sa conception de la justice sociale. Ce qui permet à Milo Lévy-Bruhl d’affirmer que Blum est un critique socialiste (p. 231).

6Le dernier chapitre est particulièrement intéressant car il atteste de l’originalité de la pensée de Blum. Dans les thèmes abordés précédemment, Blum se fait « le relais […] des combats que porte alors le Parti socialiste » (p. 323). Mais dans cette partie finale sur « l’émancipation des femmes », Milo Lévy-Bruhl démontre que Blum développe des idées très personnelles (et éloignées des conceptions socialistes) qui lui ont déjà valu de sérieuses attaques lors de la sortie de son essai Du Mariage, « manifeste pour la liberté sexuelle des femmes, mais aussi pour leur intégration professionnelle, civique, politique » (p. 326). Blum prend comme exemples les pièces d’Eugène Brieux – dont Maternité qui parle d’avortement en 1903… – même s’il pense qu’elles ne vont pas assez loin : « Il y a là, dans toutes ces critiques, – remarque Milo Lévy-Bruhl – une représentation des femmes bien dissonante pour l’époque. » (p. 376).

7Le livre de Milo Lévy-Bruhl illustre avec brio le rôle que s’était attribué Blum : « Comme critique dramatique, il est spatialement […] proche de la bourgeoisie : il en fréquente les milieux, il en suit les productions artistiques. La bourgeoisie est au cœur de sa vie pratique et de son action quotidienne, mais sa position est surdéterminée par la fonction "critique" qu’il s’est assignée. Il est donc dedans sans en être. Au sein, au cœur de la bourgeoisie, c’est à elle qu’il s’adresse, mais depuis un statut politique d’extériorité, depuis le socialisme. Son projet demeure d’aiguillonner la bourgeoisie pour qu’elle soutienne l’avènement du prolétariat. » (p. 396). Le théâtre de Léon Blum de Milo Lévy-Bruhl apporte une pierre essentielle à la connaissance de l’homme politique.

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Notes

1 Ilan Greilsammer, Blum, Paris Flammarion, 1998, p. 160.

2 Le Comœdia est un quotidien théâtral qui a paru de 1907 à 1914, puis de 1919 à 1937. Le titre fut racheté pendant l’Occupation.

3 Jacques Copeau, « Sur la critique théâtrale et sur un critique », Nouvelle Revue Française, 1911.

4 Duel que l’on peut voir sur Internet : https://www.youtube.com/watch?v=KFUpbT8SYUA

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Pour citer cet article

Référence électronique

Chantal Meyer-Plantureux, « Milo Lévy-Bruhl, Le théâtre de Léon Blum »Revue d’histoire culturelle [En ligne], 8 | 2024, mis en ligne le 15 mai 2024, consulté le 12 décembre 2024. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/rhc/9483 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/11yde

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Auteur

Chantal Meyer-Plantureux

Université de Caen

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