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Comptes rendus

Sylphide De Daranyi, Paul Guillaume. Marchand d’art et collectionneur (1891-1934)

Paris, Flammarion et Musée de l’orangerie, 2023
Marie-Claude Genet-Delacroix
Référence(s) :

Sylphide De Daranyi, Paul Guillaume. Marchand d’art et collectionneur (1891-1934), Paris, Flammarion, coll. « Biographies » et Musée de l’orangerie, 2023, 286 p.

Texte intégral

1Conçue en forme de chronique illustrée, cette biographie de Paul Guillaume nous révèle l’histoire d’un personnage que l’auteure présente dans son introduction comme un « homme d’affaires ayant un pied de chaque côté de l’Atlantique, infatigable organisateur doué d’un œil certain, charmeur, ambitieux, visionnaire [...] passionné de peinture mais aussi des arts d’Afrique et d’Océanie » (p. 7). Contrairement à ses confrères Georges et Josse Bernheim, Jacques Doucet, Paul Durand-Ruel, Daniel-Henri Kahnweiler ou Ambroise Vollard, la notoriété de Paul Guillaume n’est plus d’actualité aujourd’hui alors que de son vivant il reçut tous les honneurs réservés aux personnalités officielles. Citons notamment l’inauguration par « un quatuor de représentants de l’État, Pierre Marraud, ministre de l’Instruction Publique, André François-Poncet, sous-secrétaire aux Beaux-Arts, André Dézarrois, chef de cabinet et Paul Léon directeur de Beaux-Arts » (p. 197), le 25 mai 1929, de L’exposition de la collection d’art contemporain de Paul Guillaume chez Bernheim-Jeune, composée de cent-vingt-six peintures et sculptures qui dura un mois. Il reçut également la Légion d’honneur le 7 avril 1930 en qualité « d’éditeur, de critique d’art et de directeur de la Revue des Arts » (p. 203). Il fut aussi nommé au Conseil Supérieur des Beaux-Arts en tant « qu’amateur d’art » le 31 mai 1932 (p. 218), distinction que « ses émules Durand-Ruel et Vollard avaient désirée en vain » (p. 224). Entre temps, l’importance de ses relations internationales lui avaient permis d’exercer les fonctions de conseiller du commerce extérieur et d’arbitre expert auprès du tribunal de commerce de la Seine (p. 203).

2Dans cet ouvrage qui brille par son érudition (abondance des notes en fin de volume, légendes du cahier couleurs formé de 32 reproductions d’excellente qualité, avec de nombreuses photographies répertoriées à la fin d’un volume à la mise en page parfaite), l’historienne et historienne d’art Sylphide De Daranyi, qui a travaillé au Musée du Louvre et à l’Agence France-Muséum et fut responsable des archives de la bibliothèque et de la documentation du Musée de l’Orangerie, offre une synthèse inédite et originale de l’œuvre esthétique et commerciale du collectionneur et marchand Paul Guillaume, que l’on a pu découvrir au Musée de l’Orangerie à l’occasion de l’exposition consacrée à Modigliani. Un peintre et son marchand (septembre 2023-janvier 2024). L’auteure a par ailleurs collaboré aux expositions Apollinaire l’œil du poète, La peinture américaine des années trente, Dada Africa et Nynphéas, l’abstraction américaine et le dernier Monet.

3L’index des noms d’artistes, des collectionneurs, et de tous les professionnels du marché de l’art est très précieux pour analyser l’importance des achats, ventes, échanges, expositions, organisés par Paul Guillaume tant en France qu’à l’étranger, et de distinguer ainsi ses grands centres d’intérêt qui le portent vers Picasso en premier, Henri Matisse en second, André Derain, en troisième. Viennent ensuite Barnes, son collectionneur américain, et Guillaume Apollinaire (malgré sa mort prématurée en 1918), suivis, dans l’ordre des fréquences, de Modigliani, Chirico, Renoir et Cézanne, pour une collection commencée en 1911 et qui s’achèvera avec sa mort en octobre 1934.

4Le récit chronologique de l’activité de Paul Guillaume se déroule en neufs chapitres scandés par les phases de la croissance de sa collection, l’expansion du volume de ses affaires commerciales, de ses huit déménagements d’appartements et de galeries toujours plus spacieux (grand plan de Paris p. 11 et12) et de ses découvertes faites lors de ses voyages aux États-Unis et en Angleterre. Mais c’est surtout à Paris qu’il rencontre la plupart des grands marchands et des collectionneurs internationaux, ainsi que des artistes étrangers formant l’École de Paris dans des ateliers tels que la Ruche. Il développe sa connaissance des arts africains et océaniens dans les musées parisiens comme celui du Trocadéro et sa bibliothèque héritée de l’Exposition Universelle de 1878, mais il profite aussi du commerce artistique et culturel avec les colonies françaises (voir plus loin). D’une très grande intensité factuelle qui nous épargne cependant les petites histoires et la fortune critique des artistes, la lecture de ce journal biographique passionnant est agréable et permet à chaque lecteur de sélectionner ses propres centres d’intérêt dans ce vaste panorama qu’est le marché de l’art contemporain, qui ne cesse de se développer et se complexifier au cours d’une période 1891-1934 secouée par les bouleversements de la Grande Guerre puis les crises de 1929 et des années trente. Nous résumerons chacun des neuf chapitres en dégageant les faits essentiels.

5Le premier, intitulé « Un moderne Rastignac : une rencontre capitale et des débuts prometteurs, 1911-1914 » évoque la jeunesse de Paul Guillaume, né à Paris le 28 novembre 1891 au 71 de la rue de Rennes, fils de Jean Guillaume, employé, et de sa femme Berthe Hériot. Il a deux sœurs Marie-Louise et Marthe. Il grandit dans le Montmartre des années 1900, perd son père à 13 ans et travaille chez un marchand d’estampes, puis dans un garage de l’avenue de la Grande Armée, ce qui développe ses goûts pour l’art et pour les voitures de luxe (photographies p. 114), et le familiarise avec la richissime clientèle qui fréquente le quartier de l’Étoile et le Bois de Boulogne. Ses fournisseurs en caoutchouc importé des colonies lui fournissent aussi des objets africains qu’il expose à la vitrine de son garage où Guillaume Apollinaire les aperçoit : leur rencontre détermine sa vocation. Il sera critique d’art à L’Intransigeant et devient courtier du sculpteur hongrois Joseph Brummen, devenu marchand d’objets d’Afrique et d’Océanie. Paul Guillaume sympathise avec tout le milieu artistique qui gravite autour d’Apollinaire et participe au Salon des Indépendants en 1911, car il est lui-même peintre, comme le montre l’un des tableaux reproduit en annexes. En 1912, il écrit dans la revue d’Apollinaire, Les Soirées de Paris. Réformé pour raison médicale, il ne participe pas à la guerre. Il ouvre sa première galerie rue de Miromesnil près de l’Élysée et y montre « la peinture nouvelle » avec un certain succès (p. 32).

6D’où le titre du chapitre 2, « De l’avenue de Villiers au Faubourg-Saint-Honoré. La guerre : catastrophe ou opportunité ? 1914-1917 ». Il rencontre alors Modigliani qui voulait s’engager mais qui, comme lui, a été réformé et lui loue un atelier au 13 rue de Ravignan (photographies p. 45-46). L’auteur évoque toutes les toiles qu’il y peint et qui sont envoyées en 1915 à l’artiste Zayas qui ouvre sa galerie à New-York. À Paris les affaires continuent et, après sa brouille avec Apollinaire, il signe un contrat d’exclusivité avec André Derain en février 1917. Il achète une nouvelle galerie au 108, rue du Faubourg-Saint-Honoré où il attire le « tout Paris modernisant ».

7Au chapitre 3, intitulé « Le coup de maître(s) : l’exposition Matisse/Picasso, Les Arts à Paris. La mort d’Apollinaire, 1918 », on voit Guillaume, après de longues tractations, persuader Matisse et Picasso d’exposer ensemble dans sa galerie : il a « l’idée révolutionnaire de faire filmer la veille du vernissage certaines œuvres pour les actualités Gaumont, [ce] qui eut un grand retentissement » (p. 71). Le premier numéro des Arts à Paris paraît le 15 mars 1918 : il sera suivi de 21 numéros pendant 15 ans avec un tirage de 300 000 exemplaires, faisant la promotion de sa galerie mais informant aussi de toutes publications et évènements artistiques.

8Le chapitre 4 traite du tout Paris, de son mariage et de l’ouverture de sa nouvelle galerie, rue de la Boétie, pour les années 1919-1921. Paul Guillaume organise la première exposition d’art nègre et d’art océanien à la galerie Devambez : elle attire Picasso et Jacques Doucet qui vient de vendre sa collection d’art du XVIIIe siècle pour 13 millions, mais qui conserve sa magnifique collection d’art asiatique et s’intéresse aux arts africains. Les acheteurs américains y ont défrayé la chronique. La mort de Modigliani le 24 janvier 1920 bouleverse Guillaume qui organise une exposition de son œuvre à la galerie Devambez. Il se marie avec Juliette Lacaze le 8 octobre 1920 à la mairie du XVIIe arrondissement. C’est la deuxième rencontre essentielle de sa vie. Née le 19 mai 1898 dans une famille modeste de l’Aveyron (cf. le contrat de mariage p. 91), elle n’apporte rien sinon sa personnalité rayonnante et altruiste qui l’accompagne dans son désir d’ascension sociale et ses projets artistiques : son ambition dévorante ne se manifestera qu’après la mort de son mari. Elle joue alors ce rôle de « diabolique » qui aurait inspiré Georges-Henri Clouzot pour son film sorti à cette époque. Après sa sortie de prison, elle négociera la donation de ses collections à l’État, respectant alors les intentions exprimées par son mari dans le testament qu’il avait rédigé en 1932.

9La troisième rencontre la plus importante de sa vie est celle du collectionneur américain Albert Coombs Barnes, de passage en Europe en 1922, sujet développé au cinquième chapitre du livre, « La roue de la fortune : la rencontre avec Albert Barnes, 1922-1925 ». Sa notice biographique accompagnée d’une photo et sa rencontre avec Guillaume sont présentées avec force détails sur leur stratégie commerciale en France et à l’échelle internationale, sur leur mutuelle admiration, sur leur abondante correspondance, sur leur projets artistiques (expositions, fondations, publications, galeries) de part et d’autre de l’Atlantique. « Guillaume va désormais mettre son œil aiguisé à son service, prospecter pour lui, sans toujours se dévoiler, et lui proposer des œuvres » pour satisfaire l’ambition démesurée de Barnes qui désire « se constituer la plus belle collection d’art moderne et d’art africain des États-Unis » (p. 107). Dans son chapitre 6, l’auteure dresse une sorte de bilan des activités du « marchand tous azimuts » et des débuts de sa collection. La programmation de sa galerie est très éclectique (p. 128-131). Fin 1923 il achète un logement plus vaste et prestigieux près de sa galerie, 20 avenue de Messine (photographies p. 176-178). Elle retrace avec précision la généalogie des tableaux de sa collection et fait état des échanges d’œuvres opérés entre collectionneurs, des rivalités qui les opposent et des relations ambigües qu’ils entretiennent avec leurs enfants lors de ces échanges. Elle évoque aussi ce qu’elle définit comme une « filiation esthétique » entre collectionneurs ainsi que les échanges de voitures de luxe et œuvres d’art (p. 153).

10Barnes fait régulièrement des allers et retours en France tandis que Guillaume attendra 1926 pour découvrir New-York, alors qu’il se rend assez souvent à Londres où il a ouvert une galerie en 1924. Le chapitre 7, « Le rêve américain et les achats d’une vie 1926 », décrit l’expansion des activités commerciales du marchand après son accueil, accompagné de sa femme (photographie p. 157), à la fondation Barnes à New-York. Ses nombreuses activités esthétiques et commerciales sont minutieusement décrites et commentées. Le couple rentre transformé de ce voyage qui leur a « ouvert des horizons plus larges, voire démesurés » (p. 160). Cette réussite entraine l’expansion des affaires internationales de Guillaume et détermine son grand projet de création d’un musée en 1927-1928 qui fait l’objet du chapitre 8. Il en a commandé les plans à Le Corbusier mais les trente et une feuilles du projet proposé par l’architecte sont estimées pour l’heure trop onéreuses pour lui. Il ambitionne alors d’ouvrir sa collection personnelle comme un hôtel-musée, ainsi qu’il l’écrit dans Les arts à Paris.

11Mais sa rupture avec Barnes en 1929 au sujet de la traduction en français du catalogue de son exposition Primitive Negro sculpture, qualifiée de « castration », le prive de ses revenus commerciaux et diminue son ambition malgré la reconnaissance officielle évoquée plus haut au sujet de l’exposition de sa collection personnelle chez Bernheim-Jeune en Mai 1929 (photographies p. 198). La crise de 29 aux États-Unis remet en question ses projets esthétiques et porte un coup terrible au marché de l’art. Le couple Guillaume décide de louer un nouvel appartement de 600 m², 22 Avenue du Bois [Avenue Foch], somptueux écrin pour leur collection (p. 211-212), décrit en détail. Mais en 1934 il emménage dans un nouvel immeuble construit par l’architecte Jean Walter, avenue du maréchal Maunoury (photographie p. 223). Sa dernière exposition est consacrée aux œuvres de Chirico avant qu’il tombe malade. Il meurt brutalement le 1er octobre 1934, faute de soins appropriés. Ce beau livre vient à propos rappeler l’œuvre d’un homme qui, généreux mécène, a été l’un des premiers à reconnaître et à soutenir des artistes d’avant-garde décriés et qui, collectionneur, a permis aux collections françaises de s’enrichir.

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Pour citer cet article

Référence électronique

Marie-Claude Genet-Delacroix, « Sylphide De Daranyi, Paul Guillaume. Marchand d’art et collectionneur (1891-1934) »Revue d’histoire culturelle [En ligne], 8 | 2024, mis en ligne le 15 mai 2024, consulté le 12 décembre 2024. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/rhc/8492 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/11ydd

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Auteur

Marie-Claude Genet-Delacroix

Professeur émérite à l’Université de Reims Champagne-Ardenne

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