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Comptes rendus

Myriam Dohr-Combe, Carole Fossurier et Philippe Martin (dir.), Les populations particulières dans les cimetières à l’époque moderne

Paris, Cerf, 2023
Antoine Roullet
Référence(s) :

Myriam Dohr-Combe, Carole Fossurier et Philippe Martin (dir.), Les populations particulières dans les cimetières à l’époque moderne, Paris, Cerf, 2023, 281 p.

Texte intégral

1Cet ouvrage collectif est le fruit d’un PCR porté par le Labex Comod et l’Inrap, intitulé « Les cimetières modernes hors les murs dans le nord-est de la France – Topographie, modes/pratiques funéraires et populations des cimetières antérieurs au décret impérial de 1804 (XVIe-XVIIIe siècles) », dont la grande vertu est de rassembler historiens et archéologues, ce qui devrait sans doute être une évidence mais qui, pour ce qui est de l’histoire moderne, reste trop rare. Il est placé sous le signe de la tension entre l’égalité de tous devant la mort, un thème classique des XIVe-XVIIe siècles, et l’indéniable démenti que les fastes des funérailles apporteraient à cette morale convenue. Le propos est de décaler le regard depuis ces inégalités de richesses pour appréhender d’autres formes de clivages ou « d’inégalités » au sein du monde des défunts et étudier des « populations particulières » des cimetières, i.e. « ceux qui se distinguent par leur statut de la communauté qui accueille leur corps ». Concrètement, l’ouvrage s’intéresse au sort des suppliciés, des enfants non baptisés, des soldats, des protestants ou des juifs, des pèlerins, des malades, des « populations » très différentes ici amalgamées par leur marginalité vis-à-vis du commun des morts.

2Les douze contributions sont rassemblées en trois parties (« L’organisation des cimetières », « Le sort des enfants », « Malades et hôpitaux ») et présentent une grande variété de cas – tous français –, le plus souvent centrés sur un site de fouilles, car le livre fait la part belle aux archéologues, avec un tropisme logique pour l’Est, la Bourgogne et la région lyonnaise. Chronologiquement, certaines contributions enjambent le partage entre moderne et contemporaine et s’avancent jusqu’à la fin du XIXe siècle.

3Pour l’historien, l’ouvrage est d’abord une leçon sur les apports et les méthodologies de l’archéologue, qui, souvent, mais pas systématiquement, viennent confirmer les données archivistiques et s’appliquent à croiser l’état des fouilles avec la cartographie ancienne, les archives paroissiales, les chroniques, etc. Le recours à l’archéologie permet d’abord de préciser et d’objectiver des situations qui sont hors de portée de l’historien : date, chronologie d’une épidémie ou d’un siège, typologie, répartition chiffrée des pathologies présentes dans la population et histoire de son état sanitaire, type de populations enterrée, en particulier pour l’identification des soldats à partir de l’âge des corps et des traumatismes caractéristiques des champs de batailles.

4Dans l’ensemble, la démarche part des données archéologiques pour identifier une population de défunts et va chercher des compléments dans les archives, ce qui s’avère particulièrement heuristique. Ces données posent aussi des questions plus difficiles à trancher, sur la posture et l’orientation de certains corps, par exemple ou sur l’hypothétique « volonté d’oubli » qu’on peut deviner dans le peu de soin et l’urgence apportés à certaines inhumations collectives. Plus que cela, l’ouvrage permet de confronter la réalité des pratiques d’inhumation à de nombreuses règles qui encadrent et en général prohibent l’enterrement de certaines catégories de morts avec les autres. Dans ce registre, la variété des cas exposés permet de passer en revue toute une série de normes théologiques, pénales, ecclésiastiques, administratives, sanitaires qui apparaissent au fil des chapitres et dont la chronologie se dessine en creux. Bien souvent, celles-ci s’avèrent « peu prégnantes » et se heurtent aux nécessités pratiques, car il faut bien enterrer les morts, même privés de sépulture, même étrangers à la paroisse, même non baptisés… ou même dans des situations d’engorgement. La position des corps, la localisation du cimetière témoignent de ce point de vue d’une recherche d’accommodation avec les interdits et de prolifération/fragmentation des espaces d’inhumation, comme ces choix, plutôt dans l’Est de la France, d’enterrer les enfants non baptisés dans des cimetières associés aux chapelles qui sont aux confins du finage paroissial ou le long du mur du cimetière, des choix qui dans d’autres contextes ont un sens très différents puisque les enfants juifs sont enterrés aussi le long du mur, avec l’idée qu’ils seront les premiers à quitter l’espace funéraire lors de la résurrection. C’est un des apports peu explicites de l’ouvrage que de mettre en en évidence cette prime à la réalité sur les normes à partir desquelles on conduit encore souvent inconsciemment l’historiographie, jusqu’au cas éloquent des pèlerins d’Alise Sainte-Reine, dont l’inflation pousse à une forme de planification funéraire dans cette bourgade de Côte d’Or.

  • 1 Thomas Laqueur, Le travail des morts, une histoire culturelle des dépouilles mortelles, Paris, Gall (...)

5La confrontation entre les méthodes des archéologues et des historiens ne tient cependant pas toutes ses promesses, peut-être parce que le livre, lié à un projet de financement qu’on imagine contraint, au moins dans le temps, n’a peut-être pas permis de pousser et maintenir la collaboration et les échanges suffisamment loin et longtemps et parce que, le plus souvent, les articles ressortent d’une discipline ou de l’autre. D’un article à l’autre, la bibliographie n’est pas toujours à jour, et les données archéologiques, très intéressantes, ne sont pas assez rattachées aux grandes problématiques historiographiques, alors que, depuis une vingtaine d’années, l’histoire des cimetières et du rapport à la mort a été un champ très nourri qui a mis en évidence un certain nombre d’évolutions désormais bien identifiées, que certains articles abordent ponctuellement mais qui ne sont nulle part ressaisies dans leur ensemble. Il est dommage sur ce plan que l’ouvrage n’ait pas profité de son angle d’attaque bien défini pour se doter d’une introduction plus aboutie sur le plan historiographique, d’une bibliographie et pour défendre une position plus claire autour du partitionnement progressif des espaces des cimetières. La somme énorme de Thomas Laqueur1, qui faisait déjà appel à l’archéologie, aurait pu, dans certains de ces chapitres, fournir un point d’appui, permettant d’introduire des comparaisons internationales et d’ouvrir aussi la question de la gestion des dépouilles mortelles à d’autres perspectives, économiques notamment, et à d’autres horizons.

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Notes

1 Thomas Laqueur, Le travail des morts, une histoire culturelle des dépouilles mortelles, Paris, Gallimard, collection « Nrf essais », 2018, 916 p.

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Pour citer cet article

Référence électronique

Antoine Roullet, « Myriam Dohr-Combe, Carole Fossurier et Philippe Martin (dir.), Les populations particulières dans les cimetières à l’époque moderne »Revue d’histoire culturelle [En ligne], 8 | 2024, mis en ligne le 30 avril 2024, consulté le 02 décembre 2024. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/rhc/8302 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/11yd8

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Auteur

Antoine Roullet

CNRS – Centre de Recherches Historiques

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Droits d’auteur

CC-BY-NC-ND-4.0

Le texte seul est utilisable sous licence CC BY-NC-ND 4.0. Les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés) sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.

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