Les revues de sciences sociales à l’ère numérique
Résumés
La Revue d’Histoire culturelle (XVIIIe-XXIe siècles) invite à penser, à partir d’expériences multiples, les choix éditoriaux (positifs ou par défaut), les contraintes, les stratégies, les publics spécifiques, les modalités de lecture et d’écriture que les revues numériques induisent.
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1L’apparition du numérique a bouleversé profondément le paysage des revues. De nouveaux outils, de nouvelles formes, de nouvelles pratiques se sont progressivement imposés. Comment les envisager dans le champ des sciences sociales ? Entièrement numérique, la Revue d’Histoire culturelle (XVIIIe-XXIe siècles) et ses animatrices, Evelyne Cohen et Pascale Goetschel, nous invitent à penser, à partir d’expériences multiples, les choix éditoriaux (positifs ou par défaut), les contraintes, les stratégies, les publics spécifiques, les modalités de lecture et d’écriture que ces formes nouvelles induisent. Elles dialogueront avec Sandra Guigonis d’OpenEdition, Marie-Anne Matard-Bonucci et Lisa Vapné d’Alarmer, Thomas Parisot de Cairn.info et Philippe Artières d’En attendant Nadeau.
2Https://www.entrevues.org/lesalon/le-programme-du-33e-salon-de-la-revue/
Pascale Goetschel : Nous vous proposons, dans un premier temps, de présenter à grands traits la publication, la plateforme ou l’institution à laquelle vous appartenez ainsi que leur inscription dans l’univers numérique.
Philippe Artières : en-attendant-nadeau.fr est un journal en ligne gratuit dédié aux livres, à la vie littéraire, celles des idées et de la création. Il s’inscrit comme son titre le rappelle dans l’héritage et la filiation du journal papier de Maurice Nadeau, La Quinzaine littéraire – beaucoup de membres du comité de rédaction ont participé à cette aventure. Cette publication en ligne est gratuite, et nous tenons beaucoup à cette gratuité qui fait de nous un journal indépendant même si vous vous en doutez celle-ci est un élément de fragilité en dépit de la générosité de nos donateurs et donatrices ; elle n’est pas liée à l’université même si un certain nombre d’enseignants chercheurs y écrivent régulièrement. Elle a pour socle une association de loi 1901, avec un comité d’administration. La direction éditoriale entièrement bénévole est assurée par Hugo Pradelle et Pierre Benetti. Ce sont eux, assistés par Sirîne Poirier (qui avec le correcteur sont les seuls à recevoir une rétribution financière) qui orchestrent tous les quinze jours un comité de rédaction au cours duquel nous discutons des livres et choisissons d’en rendre compte ou pas. Cette réunion se fait à nouveau et intégralement en présentiel. Car en-attendant-nadeau.fr (EAN) n’est pas un site mais d’abord un lieu de discussion, d’échanges et de débats. Les recensions des travaux en sciences sociales occupent une partie de nos rencontres ; mais EAN est attaché à la tradition des années 1960-1970 d’une articulation forte de ces savoirs avec la littérature. C’est l’une des caractéristiques du journal que d’avoir une attention particulière à l’écriture des sciences sociales. Un autre trait qui pourrait définir notre activité est ainsi un intérêt pour ce que les Anglo-Saxons nomment la non-fiction. Nous revendiquons en cela de proposer une critique qui ne craint pas de se frotter à l’actualité. Ces deux dernières années, que ce soit s’agissant de la guerre en Ukraine ou du conflit au Moyen-Orient, nous nous sommes efforcés d’apporter des formes d’éclairages. J’ajouterai que nous tentons aussi de rendre compte des divers courants qui traversent les sciences sociales : autrement dit, notre comité ne défend pas une école ou une chapelle. Il tente de rendre compte du paysage intellectuel, sans se priver d’une approche critique.
Evelyne Cohen : Au début, tu as dit ce n’est pas une revue, mais un journal. Peux-tu préciser ?
Philippe Artières : Je ne sais pas bien ce que signifie la distinction aujourd’hui entre un journal et une revue, dont la périodicité était traditionnellement de trois ou quatre livraisons par an, sauf Esprit ou quelques revues qui paraissaient encore chaque mois. Aujourd’hui avec le numérique, nous avons un rapport différent à l’édition, à la production et à la diffusion des articles : à en-attendant-nadeau.fr, chaque jour un nouvel article est publié et pour autant nous gardons et sommes attachés à l’idée d’une publication tous les quinze jours d’un nouveau numéro, avec un éditorial et une cohérence. Nous savons aussi que les articles sont très souvent partagés et, par conséquent, orphelins des autres textes au sommaire. Je crois que c’est aussi l’un des éléments de discussion puisque les plateformes, à certains égards, publient des articles dans des revues papier sous forme numérique mais en décalé.
Lisa Vapné : La revue Alarmer (ALARMER comme Association de Lutte contre l’Antisémitisme et les Racismes par la Mobilisation de l’Enseignement et la Recherche) a vu le jour en mai 2020, pendant le covid, ce qui était une chance pour une revue numérique... Les débuts de la revue coïncident aussi avec le meurtre de George Floyd. C’est une revue à la fois de recherche et de vulgarisation avec des contenus pédagogiques qui se destine à un public large, mais s’adresse en premier lieu aux universitaires et enseignants du primaire et du secondaire. Nous avons publié plus de 150 articles depuis la création de la revue de manière irrégulière, nous disons « au fil de l’eau », puisque nous publions les articles quand ils arrivent, en fonction des temporalités de ceux qui les écrivent : en grande majorité des enseignants-chercheurs. Nous avons sept rubriques, une rubrique « recherche » où les textes sont publiés après une double expertise, une rubrique « Savoirs » de vulgarisation scientifique ; une rubrique entretien, une rubrique lecture avec des recensions, une rubrique culture qui présente l’actualité culturelle et littéraire dans un esprit qui s’écarte de la recension scientifique et enfin une rubrique enseignement, importante pour nous, qui propose notamment des analyses de documents destinés aux enseignants principalement du secondaire et de l’université. Nous sommes financés par la Délégation Interministérielle à la lutte contre le racisme, l'antisémitisme et la haine anti-lgbt (Dilcrah) je ne suis pas bénévole, mais les auteurs écrivent gratuitement. La revue est rattachée à un centre de recherche universitaire (CERA-IFG-lab) de l’Université Paris 8 ainsi qu’à l’association ALARMER, présidée par Marie-Anne Matard-Bonucci. L’un des vice-présidents, Benoît Drouot, est un enseignant du secondaire (ou rattaché au secondaire) et l’autre vice-président, Jean-Frédéric Schaub, est universitaire à l’EHESS.
Pascale Goetschel : la Revue d’histoire culturelle XVIIIe-XXIe siècles, semestrielle, a des points communs avec la précédente, en matière de rubriquage notamment. Cependant, elle correspond aussi au modèle d’En attendant Nadeau dans la mesure où il s’agit d’une revue liée à une association, l’Association pour le développement de l’histoire culturelle, qui a maintenant plus de 20 ans. Nous fonctionnons exclusivement sur le bénévolat. Nous sommes tous des enseignants-chercheurs, des conservateurs, ainsi que quelques professeurs du secondaire, nous y tenons. Nous sommes aussi très attentives à avoir un profil de collègues venus de Paris mais aussi de différentes régions de France et quelques collègues viennent de l’étranger. Nous avons fait paraître notre premier numéro en septembre 2020, nous en sommes aujourd’hui au numéro 6. Nous sommes aussi des enfants du covid – d’emblée, nous avons fait nos réunions du comité de rédaction par Zoom. Il s’agit d’un comité de rédaction très étoffé, d’une trentaine de membres. Nous fonctionnons autour de grandes rubriques qui recoupent partiellement celles qui ont été décrites. Chaque numéro comporte un « dossier » thématique, le dernier paru portait par exemple sur les « nouvelles approches de l’histoire culturelle italienne », le premier s’intitulait « la culture, ça sert aussi à gouverner ? ». Nous avons également une rubrique « varia », une rubrique « épistémologie en débats », très importante pour nous et qui portait pour le dernier numéro sur l’écriture de soi des historiens. S’y ajoutent, une rubrique nommée « médias et écriture de l’histoire » qui traite des différentes manières de faire de l’histoire, une rubrique « fictions historiques » qui n’existait pas au départ mais dont nous avons pensé qu’elle serait utile, une rubrique « atelier de la recherche », également très importante pour nous, qui invite des jeunes masterants ou doctorants en début de thèse à proposer des articles retravaillés avec les collègues de la rubrique et, enfin, une rubrique « actualités » qui porte sur l’actualité de la recherche ainsi qu’une abondante rubrique de comptes rendus, qui fonctionne très bien.
Evelyne Cohen : Nous sommes partis, pour cette dernière, de l’idée que les comptes rendus étaient intéressants s’ils étaient longs, fournis et proposaient une véritable analyse, reprenant en quelque sorte une tradition qui existait dans les Annales de comptes rendus longs. Elle fonctionne extrêmement bien avec un pivot dont on peut citer le nom parce qu’il est très actif et fédérateur, Benjamin Caraco, qui collabore également à NonFiction.
Pascale Goetschel : Un dernier point sur la philosophie générale de la revue : la RHC, qui se veut ancrée dans l’histoire moderne et contemporaine, du XVIIIe au XXIe siècle, accueille des contributeurs d’autres disciplines mais nous tenons, dans le sillage de l’Association pour le développement de l’histoire culturelle, à conserver un ancrage historien.
Evelyne Cohen : C’est en en effet fondamentalement une revue historienne. Elle est adossée à une association, tu l’as dit, d’histoire culturelle, qui n’est pas simplement l’histoire des objets culturels mais qui est aussi l’histoire d’un regard, d’une manière de représenter et qui s’intéresse autant aux théories et aux idées qu’aux pratiques.
Evelyne Cohen : On peut maintenant donner la parole aux plateformes.
Sandra Guigonis : OpenEdition est une infrastructure nationale de recherche qui porte quatre plateformes dont la plateforme OpenEdition Journals qui est historiquement née sous le nom de revues.org en 1999. Aujourd’hui, la plateforme accueille 618 revues et couvre toutes les disciplines et champs des sciences humaines et sociales. Nous avons eu au départ un rôle pionnier mené avec quelques revues, notamment en histoire, qui se sont saisies des outils numériques pour avoir une visibilité et une audience plus large. Nous sommes issus du milieu de la recherche, et sommes soutenus par le CNRS, l’EHESS, l’université d’Aix-Marseille et l’université d’Avignon. Les revues que nous publions sont des revues académiques à comité de lecture. L’idée était, avec l’émergence du numérique, de toucher un public plus large et aussi d’accéder plus facilement au savoir alors qu’auparavant, il y avait des revues papier auxquelles il pouvait être difficile d’accéder quand on était par exemple en province. Donc le numérique a d’abord représenté une opportunité, d’une part d’avoir un plus large lectorat, un plus large autorat peut-être pour les revues et, d’autre part, pour le monde de la recherche, d’accéder aux outils de travail, à savoir la production des pairs. Nous étions initialement surtout cantonnés dans les disciplines de l’histoire et de la sociologie, aujourd’hui nous accueillons vraiment tous les champs existants, y compris les champs émergents. La Revue d’histoire culturelle est une des arrivées récentes. Nos financements sont publics, je suis ingénieure de la recherche française et donc fonctionnaire, non bénévole. Nous avons aujourd’hui des revues qui sont uniquement numériques ainsi que des revues qui maintiennent une édition imprimée. Avec le recul, on peut dire que le numérique n’empêche pas l’existence de revues imprimées, ce sont des choix qui sont vraiment propres à chaque publication. Nous avons aussi des revues qui ont commencé en étant uniquement numériques et font maintenant de l’impression par exemple en print on demand. Les revues de la plateforme ont différentes périodicités. Certaines, comme vous le disiez, n’ont pas de périodicité, nous disons qu’elles sont « à flux continu », ce sont des revues qui publient au fil du temps dans des rubriques ou dossiers. Beaucoup de personnes sur la plateforme se sont saisies du numérique comme d’un espace d’expérimentation de nouvelles formes mais on s’aperçoit qu’il y a aussi des contraintes liées à la diffusion du numérique comme pour le papier. Dans la mesure où il existe différents circuits de diffusion de la recherche en numérique qui imposent certains formats, toutes les formes d’expérimentation n’arrivent pas à maturité même si le numérique reste un lieu où l’on peut explorer de nouvelles formes de production de la recherche.
Thomas Parisot : Cairn.info est un projet qui est né un peu plus tard qu’OpenEdition, en 2005. C’est un projet mutualiste, qui a été impulsé par des maisons d’édition privées, les éditions La Découverte, De Boeck en Belgique, Belin puis les PUF aujourd’hui intégrées au groupe Humensis, les éditions Éres à Toulouse, et enfin récemment les éditions Gallimard. La volonté commune de ces maisons était de pouvoir faire circuler la connaissance dans l’ensemble de l’espace francophone, en Europe, en Afrique et en Amérique du Nord, mais aussi au-delà. Le numérique abolit les frontières géographiques mais permet aussi de dépasser certaines limites de la diffusion des œuvres au format papier, en termes économique et logistique, même si d’autres contraintes spécifiques peuvent aussi être liées à ce nouveau mode de diffusion. Le collectif d’éditeurs francophones que nous rassemblons – et qui n’a cessé de grandir depuis le lancement de notre projet – s’est dit qu’il fallait faire quelque chose ensemble pour dépasser leurs difficultés en termes de diffusion et tenter de sauver l’objet revue dont l’économie devenait de plus en plus incertaine. Dès le début des années 2000, les grands éditeurs anglo-américains avaient construit des offres impressionnantes qui s’imposaient aux universités en France et un peu partout dans le monde, en restreignant souvent les catalogues aux seules publications anglophones, ce qui était bien sûr très insatisfaisant et excluait une grande part de la production intellectuelle, notamment en sciences humaines et sociales. Encore aujourd’hui, les standards utilisés viennent en grande partie de la recherche biomédicale et ont été structurés autour de ces grandes structures très mondialisées, plutôt que par nos modestes projets qui ont dû composer avec les règles du jeu déjà fixées avant leur émergence. Au-delà de ces éditeurs fondateurs, ce sont près 500 structures éditoriales qui participent à Cairn.info : des associations, des organisations publiques et des maisons d’édition privées de taille variable, qui vont de grands groupes d’édition comme Hachette, Editis, Madrigall, ou Albin Michel, jusqu’à de petites structures comme Karthala, Anamosa, Vrin, Kimé, etc. Nous proposons un modèle économique de diffusion très intégré, qui repose sur un environnement de recherche et de consultation uniforme pour les internautes. Sur Cairn.info, les différentes revues partagent leur lectorat et fonctionnent de manière moins segmentée que sur OpenEdition, l’accent étant mis sur les rebonds entre publications et sur la navigation transversale dans l’ensemble du corpus que nous proposons. Si je m’intéresse par exemple à la réflexion de M. Artières, il me semblera certainement naturel de basculer de la lecture d’un de ses articles vers un autre, paru dans une autre revue, ou vers un de ses ouvrages, la continuité étant ici davantage celle de l’auteur, de la thématique, de la citation, mais plus forcément celle de la collection de fascicules en tant que telle. On ne peut que le constater : la mise en ligne donne lieu à des effets de déconstruction et de reconstruction, en fonction des affinités des lecteurs et de leurs trajectoires de recherche spécifique, que ce soit au sein de nos plateformes ou en dehors, via des moteurs de recherches généralistes, des portails documentaires mis en place par les bibliothèques, des réseaux sociaux ou d’autres espaces qui réagrègent et reconstituent ces informations avec différentes logiques. Cairn est une plateforme qui s’est beaucoup internationalisée, nous l’avons dit, avec un enjeu d’export de la production de langue française et de passerelle, de pont avec d’autres espaces. Nous allons un peu plus loin aujourd’hui en tentant de reproduire ce qui s’est passé dans le monde francophone pour les éditeurs hispanophones, qui manquent d’un service de diffusion comme celui que nous proposons. Nous travaillons aussi beaucoup sur la notion de découvrabilité et de personnalisation. Plus d’un million de personnes dispose d’un compte personnel sur Cairn.info. Bien sûr, un psychologue spécialisé sur les jeunes enfants n’aura pas les mêmes attentes qu’un historien médiéviste ou un sociologue de l’action publique. Ceci nous pousse à développer une gamme de formats de plus en plus large : des rencontres vidéo, des dossiers, des listes de lecture, qui vont au-delà de la simple diffusion et permettent de réorganiser la production des revues de multiples manières et ainsi – nous y travaillons activement – d’élargir le cercle de leurs lecteurs.
Pascale Goetschel : Merci beaucoup pour ce tour d’horizon. Nous voulions avoir un deuxième temps autour de la question des avantages et des inconvénients de l’usage du numérique pour les revues mais aussi pour les plateformes. Pour le dire autrement, qu’apporte, pour vous, le numérique et quels aspects vous paraissent plus problématiques ?
Evelyne Cohen : L’idée est, en effet, de rebondir sur que l’on a déjà entendu, en particulier de la part d’OpenEdition, et de questionner les contraintes liées à la diffusion du numérique.
Sandra Guigonis : Il y a des contraintes effectivement. Pour les comprendre, il faut expliquer un peu comment nous fonctionnons. Notre principe s’oppose à celui d’éditeurs privés anglo-saxons qui disaient « confiez-nous le numérique, on se charge du reste, on va le valoriser, il va y avoir des abonnements ». Or, cette manière de faire aboutit finalement à une forme de privatisation des produits de la recherche. Contrairement à ce modèle économique dominant, le projet de revues.org était de dire « on vous propose des ressources, des outils, on vous forme, mais c’est bien vous en tant que porteur d’une revue qui restez autonome éditorialement, qui gardez la main sur votre outil, qui avez les clés du site et c’est vous qui l’alimentez. On vous accompagne pour que vous sachiez faire ce travail mais votre autonomie et votre souveraineté scientifiques seront conservées, on ne s’approprie pas cela, c’est vous qui vous appropriez les outils ». À partir de là, il y a eu une espèce d’effervescence. Je pense, par exemple, à la création de la revue Lectures, qui est une revue de comptes rendus, une revue très importante pour nous. Nous avons travaillé avec cette revue pour accompagner son projet éditorial et scientifique, nous lui avons fait un site sur mesure, c’est-à-dire l’inverse de ce que vient de présenter Thomas. Aujourd’hui avec la montée en croissance de la plateforme, le besoin de maintenir un certain niveau, et en raison des standards technologiques qui s’imposent à nous, nous n’avons plus complètement les moyens d’accompagner un projet de ce type qui questionne ce qu’est une revue scientifique. Je pense à un autre cas : les sciences humaines et sociales questionnent depuis longtemps la question des formes des productions des savoirs, et il y a aujourd’hui toute une réflexion en cours sur les écritures alternatives de la science. Peut-on se saisir de la vidéo, de l’image comme une forme qui per se, par elle-même, créerait de la science ? C’est très intéressant, on pourrait imaginer des domaines disciplinaires dans lesquels on sait que l’image est déjà un matériau scientifique – je pense à l’ethnologie – mais comment rend-on compte de ça dans un univers numérique ? Il ne suffit pas de dire que l’on va mettre une vidéo en ligne mais de se demander comment celle-ci sera-t-elle diffusée dans les systèmes d’indexation, de découverte, qui sont en fait mondiaux et assurent la visibilité et la circulation des savoirs. Ce que mentionne Thomas, c’est qu’effectivement il y a des agrégateursE et il y a des lecteurs humains qui consultent des sites, des articles en ligne mais pour que cela circule et pour gagner en visibilité au niveau international, l’ensemble passe par des métadonnées, des standards, des normes. Nous, en tant que plateforme et infrastructure, nous avons les moyens d’apporter ce service, déjà rendu en fait, mais que restitue-t-on lorsqu’il s’agit d’objets qui, pour l’instant, ne sont pas considérés comme tels dans les grandes bases scientifiques de découverte ?
Evelyne Cohen : Peut-être, Philippe, veux-tu réagir à ton tour sur tout cela, précisément sur la question des avantages et inconvénients et aussi sur celle de la diffusion de chacune de ces revues ?
Philippe Artières : Qu’il s’agisse d’En attendant Nadeau, d’ entre-temps.net/ qui est adossé à la chaire de Patrick Boucheron au Collège de France et donc à une institution publique de recherche ou de vif-fragiles.org/, une autre revue en ligne totalement associative, dédiée aux questions de santé publique, qui sont les trois lieux que je connais et dans lesquels je suis impliqué, je voudrais dire combien à mes yeux ils sont des moyens de partager des savoirs, et de les partager avec tout le monde. Il y a quand même un mot qui n’a pas été prononcé, c’est celui d’argent, ce qui est intéressant parce que, en fait, entre OpenEdition et Cairn, il y a une différence sur ce plan – et je voudrais rendre hommage à François Gèze, qui nous a quittés cet été et qui est à l’origine de toute cette réflexion sur le numérique et le contexte éditorial français. Cairn, très clairement, c’est un modèle économique qui a pris en compte – je me souviens que François y tenait beaucoup – l’articulation entre une recherche publique et ce qui a constitué le terreau, le lieu, de la diffusion de la recherche et continue à l’être, en l’occurrence les maisons d’édition françaises en sciences sociales. Il y a cet aspect-là, qui n’est pas la politique de revues.org, et pour lequel, par ailleurs, en tant que chercheurs nous étions favorables. Mais comment trouve-t-on une forme d’équilibre, sachant que, en tant que chercheurs au CNRS, nous avons accès par le financement public à Cairn à un bouquet extraordinaire qui va jusqu’à Jstor et que Cairn à l’inverse, pour les non-professionnels, c’est cher ?
Pour moi, une autre limite – puisqu’on parlait de la question des limites – concerne l’image. Ce n’est pas seulement en histoire de l’art qu’on travaille sur des images, mes collègues historiennes du culturel ont été les initiatrices de ça. Les images sont à la fois sources et objet d’histoire. Le problème est – et là, c’est vraiment une grande difficulté – qu’il n’y a pas beaucoup d’articles en ligne où nous pouvons reproduire des images parce que les droits sont trop élevés. Pour la revue imprimée, nous pouvions obtenir des droits mais pour une revue numérique, ce n’est plus le cas. On nous dit : « Vous avez les droits pour un temps restreint, ou même pas car ce sont deux contrats séparés ». Ces questions, de l’argent et du droit d’auteur, sont des questions qui souvent nous dépassent et qui ont des effets à long terme sur la production scientifique.
Pascale Goetschel : Je voulais réagir avant de redonner la parole aux plateformes et à Alarmer. Je trouve que la difficulté pour les enseignants-chercheurs que nous sommes – puisque nous sommes ici tous des acteurs de l’enseignement supérieur – est liée au fait que nous évoluons au sein de modèles hybrides. Nous appartenons à des revues qui sont sur Cairn, par exemple la revue Sociétés & Représentations, Le Temps des médias et, en même temps, nous avons adopté avec la Revue d’histoire culturelle le modèle OpenEdition après être passés par une pépinière de revues, celle de la MSH Paris Nord, qui fonctionne comme un incubateur et permet après quatre numéros, de se présenter à OpenEdition. Concernant les contraintes, celles-ci peuvent être fortes : nous avions une pré-maquette au sein de cette pépinière de la MSH Paris Nord et il a fallu se couler dans la maquette d’OpenEdition qui ne correspondait pas exactement à notre maquette antérieure et que nous trouvions un peu moins conviviale. Dernier élément, Cairn ne coûte pas si cher comparé à d’autres plateformes. Pour m’être occupée de la documentation à l’université Paris 1, il faut voir que le coût d’abonnement à certaines plateformes pour les établissements d’enseignement supérieur et de recherche est extrêmement important.
Lisa Vapné : En effet, puisque vous soulevez la question des coûts, c’est un point que les gens ignorent souvent. Moi-même je n’arrive même pas à comprendre totalement si, en tant que revue de recherche ou revue pédagogique, nous avons le droit d’utiliser certaines images issues de fonds privés comme Gamma.
Evelyne Cohen : On n’a aucun droit, on a juste l’amabilité, la convivialité qui nous permet quelquefois de publier des images. Souvent, on nous demande le tirage. Or, quand c’est une revue numérique, il faut savoir quelle est la diffusion. Donc, on fait des hypothèses, on donne des chiffres mais rien ne les garantit.
Lisa Vapné : Oui, nous avons eu le cas avec des archives du Vatican portant sur la Shoah en Italie que Nina Valbousquet a analysées. Nous avons obtenu une autorisation de dix ans Ensuite, est-ce qu’il faudra faire disparaître l’archive de l’article ou redemander un financement ? Les règles ne sont pas adaptées aux revues numériques.
Marie-Anne Matard-Bonucci : Les archives du Vatican, contrairement à ce qu’on aurait pu imaginer, ne nous ont pas fait don de l’archive.
Lisa Vapné : Non, ça avait un coût. À propos, néanmoins, des avantages évidents d’une revue numérique, il y a la rapidité de la mise en ligne : on peut mettre en ligne si le texte a été relu par le comité seulement quelques jours après sa réception. Cela procure, je crois, une certaine satisfaction aux auteurs. Pour les jeunes chercheurs, pour les doctorants notamment, c’est une satisfaction énorme de voir publier un article tout de suite ou disons dans les un ou deux mois, de ne pas attendre six mois, un an, deux ans, que leur article soit presque périmé par rapport à leur recherche en cours. Il y a aussi un avantage concernant les coquilles qui pourraient rester dans un texte : si on voit une faute d’orthographe trois mois plus tard, on peut la corriger. Je me laisse la liberté d’écrire que l’article a été « mis en ligne le... », ou « mis à jour le... ».
Evelyne Cohen : ce qu’OpenEdition ne permet pas.
Lisa Vapné : Oui, quand cela est possible, cela permet une certaine flexibilité. Pour l’instant, aucun auteur ne nous a demandé de mettre à jour quelque chose dans un article, mais c’est une question qu’on peut poser. En tout cas, cette possibilité de distinguer le « mis en ligne » du « mis à jour » existe. Ensuite, malgré les problèmes financiers liés à l’iconographie, la possibilité de créer des liens hypertextes vers YouTube ou Vimeo est précieuse. Par exemple, je peux ajouter des bandes-annonces, des archives audiovisuelles sur le youtube de l’INA
Marie-Anne Matard-Bonucci : Concernant les avantages et les contraintes, je crois que Lisa Vapné a dit l’essentiel. On a peut-être l’illusion, avec le numérique, d’une plus grande visibilité par rapport aux revues papier. Nous sommes, par rapport à vous [la Revue d’histoire culturelle XVIIIe-XXIe siècles] qui êtes une revue en ligne complètement scientifique, une revue un peu hybride, de chercheurs mais avec une intention de vulgarisation et de participation au débat public qui fait que, pour nous, l’immédiateté de la mise en ligne est quelque chose de tout à fait précieux. L’autre élément peut-être, pour des gens qui font des recherches, c’est la possibilité avec un système de mots-clés d’arriver plus immédiatement à ce qu’on cherche même si c’est possible maintenant sur des portails type Cairn etc. Mais cet avantage vaut aussi pour un plus large public même si l’un des chantiers est de savoir comment l’on pourrait être beaucoup mieux référencé qu’on ne l’est, ce à quoi nous réfléchissons.
Lisa Vapné : En revanche, nous sommes trop peu cités. Si la revue appartenait à Cairn ou était hébergée sur OpenEdition, elle serait identifiée comme une revue scientifique et les chercheurs se diraient peut-être plus « nous avons le droit, nous sommes légitimes à citer la revue Alarmer dans une thèse ». Pour l’instant, j’ai l’impression qu’on n’a pas encore cette attestation de légitimité.
Philippe Artières : Je voulais ajouter un mot sur ce que vous disiez concernant la fabrique de la revue. Avec une revue, on se dit que l’on va faire un dossier. Parfois, il y a des appels à contribution, parfois, on sollicite des gens et puis, après, il y a une expertise. Tout cela fait un volume avec une cohérence. Or, c’est quelque chose qui se perd avec le numérique. Je l’ai vécu au Libé des historiennes et des historiens récemment, donc pour un journal. Autrefois, on venait à Libé, pendant la journée on faisait le journal et le soir on avait collectivement produit un objet. Mais cette année, j’ai eu le sentiment que chacun repartait avec son papier qu’il allait pouvoir diffuser un peu partout sur ses réseaux, ce qui déconstruit totalement cette idée des revues, et pour moi c’est un des dangers. Vous avez dit, on tape un nom et du coup on a les articles et non pas les numéros – même si on peut, parce que vos plateformes sont bien faites, aller dans les sommaires de chacun des numéros, mais au fond cette manière de lire à partir du sommaire disparaît. C’est un peu la même chose avec les archives – j’en parlais avec Claire Paulhan concernant les archives à l’Imec. Avant, on arrivait dans un fonds d’archives, on allait voir un dossier et puis dans le carton il y avait autre chose et puis on avançait en découvrant des pièces nouvelles. Si on va sur Gallica, on prend un objet, un article ou un livre et on ne regarde plus ce qu’il y a dans le rayon de la bibliothèque. Pour moi, les articles dans les revues numériques commencent à devenir des articles orphelins de leurs revues et je trouve qu’on perd énormément en intelligibilité scientifique.
Thomas Parisot : Il y a un effet de morcellement de l’attention qui est un effet d’internet et dépasse les seuls enjeux de notre secteur. Vous parliez de François Gèze, je lisais une somme aux Belles Lettres qui vient de paraître en rassemblant une sélection de ses publications parues depuis une quarantaine d’années. C’est intéressant de voir qu’il faisait très tôt le constat de la disparition des grands lecteurs, qui achetaient quasi systématiquement la production des éditeurs spécialisés avec, dès les années 1980, un morcellement des curiosités et des achats de livres, les préoccupations communes laissant la place aux intérêts particuliers. Nous parlons de notre côté de chasseurs-cueilleurs, qui prennent un article, un chapitre et s’en vont, sans créer de lien particulier avec les espaces numériques qu’ils fréquentent, ni réaliser qu’ils fréquentent parfois régulièrement Gallica, le portail de la BnF, Persée porté par le ministère de la Recherche, OpenEdition ou Cairn.info, et qu’ils y retrouvent la production de revues très différentes. La gratuité d’accès, lorsqu’elle est pratiquée à l’excès, accentue encore cette absence de lien, rendant inutile la prise de connaissance des conditions générales du site qu’on consulte, la fourniture de son identité ou la publicité de sa proposition. Beaucoup de gens ont un rapport très distant avec nos environnements, ce que nous essayons de dépasser en les sédentarisant, en créant un lien avec cette multitude d’internautes curieux et désireux de documenter leurs réflexions, leurs pratiques, leurs curiosités. Pour nous, cela passe par la création d’un compte, par une relation suivie qui doit être suffisamment suggestive pour être stimulante, pour pouvoir dire « attendez, si vous avez lu tel chapitre de Philippe Artières – je me permets de filer mon exemple – il y a peut-être deux ou trois lectures de cet auteur ou d’autres qui lui sont proches qui vous intéresseront ». Quand ils sont finement paramétrés, utilisés avec raison et respectent l’attention des lecteurs et lectrices, les algorithmes font ces associations avec une précision redoutable. Nous combinons cette approche technique avec des propositions humainement construites, comme des listes de lecture préparées par des curateurs, c’est-à-dire des collectifs issus du monde de la recherche ou, au-delà, proposant un parcours dans des publications qu’ils ont largement explorées. Bien sûr, le numéro de revue est, en tant que tel, un parcours de lecture stimulant, construit, qu’il faut mettre en valeur. Mais créer cette relation avec l’internaute connecté, c’est l’opportunité de multiplier les approches possibles, de gagner fortement en efficacité et de développer l’audience dans des proportions impressionnantes et partout dans le monde.
Evelyne Cohen : Oui, avec OpenEdition on peut voir les statistiques de consultation, et effectivement on constate que des continents divers sont représentés ; certes, pour nous, c’est plus l’Europe mais quand même.
Thomas Parisot : À ce jour, le trafic généré sur le continent africain représente un quart de l’audience de Cairn.info et dépasse désormais le trafic français pendant certains mois creux en Europe. Ce constat doit nous pousser à adapter aussi nos propositions en fonction des lieux de consultation, qui est un autre sujet sur lequel nous réfléchissons. Certaines barrières sautent, en termes d’accessibilité technique notamment, mais d’autres se dressent pour permettre l’appropriation des connaissances, c’est un processus passionnant qui nécessite de renouveler constamment nos efforts et de maintenir nos investissements à un niveau élevé.
Sandra Guigonis : Je vais prolonger ce que disait Thomas. Je pense qu’effectivement c’est le vrai enjeu pour nous, avec la taille que nous avons atteinte. Je voulais notamment mentionner que, sur la question des usages, nous avions mené un premier travail pour mieux comprendre qui lisait les contenus sur nos plateformes. On a cinq millions de visites mensuelles sur revue.org, mais une fois que l’on a dit ça, on n’a rien dit. Ce qu’il faut savoir, c’est qui vient ? Combien de temps ? Pour quel usage ? Pour quel besoin ?
Il y a eu plusieurs travaux de recherche et développement sur cette question. Il y avait notamment un prototype, qu’on appelait Umberto. C’était un détecteur de lecteurs. On a réussi à faire des observations sur trois ans, à partir notamment des pics de consultation excédant largement la moyenne de fréquentation d’un article de revue académique, qui représentent donc des anomalies statistiques. On peut dans ce cas-là retrouver qui est venu consulter. Et on peut découvrir qu’un article de la très sérieuse Revue d’histoire des chemins de fer était cité dans Topito par exemple, il était dans le top 10 de « ce que vous ne saviez pas sur la révolution » car quelqu’un avait pris comme source un article scientifique. Ça, c’est un des premiers prototypes qu’il y a eu, il y a cinq ans. Aujourd’hui, nous retravaillons là-dessus, pour réfléchir sur la manière dont on va pouvoir avancer. Nous avons la chance de bénéficier d’un jeune chercheur qui est titulaire d’une chaire chez nous, qui va travailler sur cette question des usages et relancer ce qui avait été avancé autour d’un observatoire des usages. L’idée, c’est de s’intéresser aux usages en termes de lecture des contenus proposés sur nos plateformes, pour identifier aussi bien quels seraient les usages académiques mais aussi non-académiques des contenus. C’est un travail qui va probablement nous occuper les cinq prochaines années.
Evelyne Cohen : Merci. Nous approchons de la fin de notre séance. Peut-être peut-on donner la parole à la salle. Allez -y madame.
Question dans la salle : Juste une remarque sur ce que vous venez de dire sur les usages et la fabrique d’indicateurs pour repérer les usages, y compris qui ne sont pas dans la langue dans laquelle est écrit l’article. Est-ce que vous communiquez là-dessus ? En tant que plateforme, est-ce que vous rendez compte au lectorat de la construction de vos indicateurs et de la manière dont vous observez les usages ?
Sandra Guigonis : Nous n’avons pas vocation à le garder pour nous. Par exemple, le premier travail sur Umberto a fait l’objet d’une série de billets où étaient commentés ces usages. J’ai beaucoup de plaisir à les relire encore aujourd’hui. Nous communiquons sur cette question pour l’instant sous cette forme. Nous prévoyons aussi de communiquer sur le projet à venir, que ce soit sous des formes académiques ou non-académiques. Chaque année, nous organisons des rencontres d’OpenEdition, et il y a déjà eu une matinée consacrée à des retours d’expérience et aux usages non-académiques des plateformes avec des témoignages de personnes qui parlaient de leurs usages. C’est une des puissances du numérique...
Philippe Artières : Nous travaillons aujourd’hui avec le Conseil national du sida et des hépatites virales sur la question des jeunes, du numérique et de la prévention, afin de savoir quels sont les usages, comment les Digital Natives vivent avec le numérique. Il y a quelques recherches de pointe sur ce sujet mais on entre dans un monde qui est très difficile à analyser. C’est aussi une question qu’on se pose à En attendant Nadeau. Comment le lecteur arrive à cet article, est-ce qu’il va voir autre chose, qui est le lecteur ou la lectrice ? Ça devient un peu un fantasme qui, parfois, arrête aussi les entreprises d’écriture en ligne. Pour moi, l’avantage majeur est que, grâce au numérique, et dans le moment où on est – le terme est galvaudé – dans un présentisme extraordinaire, on peut, grâce à ces plateformes, retrouver des articles anciens, voire très anciens. Ça me paraît très important parce que ça fait vivre la culture scientifique et dans un monde, faut-il encore le rappeler, où il y a de moins en moins de visas pour des étudiants étrangers. Les plateformes et la revue en ligne permettent de la démocratie intellectuelle et ça, c’est pour moi essentiel.
Thomas Parisot : Un tout petit rebond peut-être. On posait tout à l’heure la question de la liquidité des contenus, leur capacité de se remettre à jour en permanence, ce que vous indiquait M. Artières. Nous faisons un web assez particulier à OpenEdition et à Cairn, c’est un web publié qui réemprunte des codes qui peuvent paraître obsolètes et qui pourtant sont très importants dans la capitalisation et la consolidation de connaissances. On ne mettrait pas à jour un article des années 1970 en sociologie ou les premiers numéros de la recherche de Pierre Bourdieu. Eh bien il ne faut pas le faire non plus pour l’article de l’année dernière même si on l’a signé, car il a été commenté, il a été diffusé et, de notre point de vue en tout cas, sauf problème manifeste, il faut reprendre des codes qui sont ceux de l’erratum, de la republication, d’un droit de réponse.
Evelyne Cohen : Ultime question, n’avez-vous pas de problèmes d’archivage du web ?
Thomas Parisot : L’archivage est encore un autre problème. Il se trouve que la BnF est, depuis le début, partie prenante de Cairn.info et a pu développer une infrastructure très robuste de conservation numérique des publications, pour les fruits de ses propres efforts de numérisation mais bien au-delà. Notre base est ainsi hébergée par cet acteur d’envergure nationale mais aussi internationale sur ces questions complexes et nécessitant des investissements réguliers et très lourds. Le web est un objet extrêmement difficile à archiver, plus que le papier, les modalités techniques d’accès aux fonds évoluant constamment. La BnF fait partie des rares organismes à pouvoir garantir un service effectif à ce niveau, prenant en compte l’ensemble des dimensions patrimoniales de cette responsabilité, ce qui est une chance et nous a permis d’éviter de souscrire à des services nord-américains coûteux et lointains.
Marie-Anne Matard-Bonucci : La question que je me pose, c’est aussi comment faire pour que nos revues aient une plus grande lisibilité dans le contexte de désinformation qui existe. Je pense que les scientifiques ont un rôle à jouer. Ce qui est frappant c’est que, quand on tape un sujet maintenant, pratiquement quel qu’il soit, on arrive tout de suite sur Wikipédia. Et je me demandais s’il n’y avait pas quelque chose à construire, à inventer mais vous avez peut-être déjà réfléchi à tout cela, avec Wikipédia, parce qu’à la fin, quand on y pense, c’est une réussite extraordinaire de leur point de vue avec du bon et du moins bon. Mais est-ce qu’on ne devrait pas nous, les chercheurs, « se compromettre » ? On a dit beaucoup de mal de Wikipédia à nos étudiants à une époque, mais il se trouve que ce site s’est imposé sur le net, n’y aurait-il pas là un relais possible pour ce que nous faisons et si oui, comment ? Mais on ouvre là un autre débat.
Pour citer cet article
Référence électronique
Évelyne Cohen, Pascale Goetschel, Sandra Guigonis, Marie-Anne Matard-Bonucci, Lisa Vapné, Thomas Parisot, Philippe Artières et Élisa Capdevila, « Les revues de sciences sociales à l’ère numérique », Revue d’histoire culturelle [En ligne], 7 | 2023, mis en ligne le 15 décembre 2023, consulté le 10 octobre 2024. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/rhc/8091 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/rhc.8091
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