Christophe Pirenne, All Things Must Pass. Vies et morts du rock
Christophe Pirenne, All Things Must Pass. Vies et morts du rock, Bruxelles, Académie royale de Belgique, 2021, 137 p.
Texte intégral
1Le titre de cet essai de Christophe Pirenne est un clin d’œil à l’album (un triple album en réalité) de Georges Harrison, édité en novembre 1970. All Things Must Pass est un mantra (« Toute chose doit passer ») qui donne son nom à l’album et à une ballade. Les cuivres accompagnent le lyrisme de cette chanson, qui fait l’éloge de la temporalité finie des joies comme des peines, tranchant avec les logiques de la société de consommation. Les références à l’âge d’or des Beatles sont évidentes, d’autant que la chanson avait été refusée par le reste du groupe, pour qui elle était restée au stade de démo. En 2021, pour son 50e anniversaire, l’album a fait l’objet d’une somptueuse réédition, avec des bonus, achetée probablement par des baby-boomers bénéficiant d’un fort pouvoir d’achat, nostalgiques de la musique de leur jeunesse.
2L’ouvrage porte essentiellement sur le déclin du rock au sein du paysage des musiques populaires. Christophe Pirenne rappelle que l’annonce de la mort du rock n’est pas récente et est identifiable dès la fin des années cinquante, chez les critiques comme chez les artistes. En filigrane c’est la définition, étroite ou large, de ce genre musical qui est en jeu dans cette rhétorique. En onze chapitres, courts et solidement argumentés, l’auteur accumule les preuves, sinon de la mort du rock, du moins de son incontestable effacement.
3Le premier signe est sa marginalisation progressive au sein du marché des musiques populaires. Dès 2011, dans son Histoire musicale du rock, synthèse inégalée en langue française, Christophe Pirenne pointait le décalage croissant entre la réalité du marché musical et une critique aveugle qui s’évertuait à ne traiter que du rock, en premier lieu l’Indie rock, et à négliger la présence désormais massive du rap, du RnB et des musiques électroniques. La décennie 2000-2010 enregistre la disparition, au profit du hip-hop et du RnB, du rock guitare et de l’Indie rock et ce aux États-Unis comme au Royaume-Uni, même si le rock résiste mieux au sein des classements britanniques. En France, où le rock n’a jamais dominé le marché musical, les données récentes du SNEP soulignent également l’effacement des « variétés françaises » au profit des « musiques urbaines ». En 2022, à l’heure du triomphe d’Orelsan, de Ninho, de Stromae et de Jul, on cherche désespérément les représentants du rock dans la liste des 100 albums les plus vendus : Imagine Dragons (14e rang au classement), Muse (43e), les Red Hot Chili Peppers (64e), Louise Attaque (88e) et Coldplay (97e) sont les buttes témoins d’un monde disparu.
4L’industrie musicale développe cependant un véritable commerce mémoriel destiné aux baby-boomers, nostalgiques de la musique de leur jeunesse : éditions de luxueux coffrets ; nouvelles tournées de concerts ; présence des vétérans du rock dans les principaux festivals, de Coachella aux Eurockéennes ; multiplication et succès des Tributes Bands ; patrimonialisation croissante avec les musées du rock, notamment aux États-Unis ; appropriation touristique et culturelle de Liverpool à Seattle.
5Pourtant, le rock est confronté à la fois à l’obsolescence de son modèle créatif affecté par les pratiques de travail collaborative et à la dépréciation de son modèle économique, devenu trop onéreux. Le déclin de son support de prédilection (le vinyle puis le CD) est encore renforcé par les nouvelles formes de médiation (streaming, playlists et algorithmes) qui ont contribué à la transformation des répertoires musicaux en simple commodité. Christophe Pirenne insiste sur la perte d’influence culturelle du rock. Les indices de cette perte sont nombreux : la diversification des lieux des musiques populaires, des Caraïbes à la Corée ; la remise en cause de la domination de la langue anglaise que traduit un repli nationaliste des marchés de la musique populaire ; une grammaire musicale démodée illustrée par le changement de l’organologie et l’émergence de nouveaux rythmes et de nouvelles sonorités. Les guitares et la batterie appartiennent à une époque largement révolue et ont cédé la place aux consoles et aux stations audionumériques. La question de l’authenticité, au cœur de la pratique d’auteurs-compositeurs-interprètes, ne fait plus recette à l’heure du recyclage et des appropriations globalisées.
6Cet essai se lit d’une traite ; souligne avec efficacité les différents indicateurs qui démontrent le déclin du rock comme genre musical dominant. Il pourra retenir l’attention des historiens culturalistes qui trouveront dans ce volume de pertinentes pistes de recherches sur les cycles et indicateurs qui permettent de comprendre les dynamiques de la vie culturelle. Cet intérêt dépasse la seule question des genres musicaux tant les analyses peuvent être mobilisées pour d’autres pratiques et formes culturelles. Le rock est sans doute en train de vivre ce que le jazz a connu à partir des années soixante : la transformation en une niche du marché des musiques populaires, tout en conservant un public vieillissant, ses festivals, ses revues, ses historiens aussi. The Times they Are a-Changing.
Pour citer cet article
Référence électronique
Philippe Poirrier, « Christophe Pirenne, All Things Must Pass. Vies et morts du rock », Revue d’histoire culturelle [En ligne], 6 | 2023, mis en ligne le 15 mai 2023, consulté le 03 décembre 2024. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/rhc/3750 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/rhc.3750
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