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Comptes rendus

« Parisiennes citoyennes ! » Engagement pour l’émancipation des femmes (1789-2000)

Musée Carnavalet, Paris, 28/09/2022-29/01/2023
André Rauch
Bibliographical reference

Christine Bard (dir.), Catherine Tambrun (dir.), Juliette Tanré-Szewczyk (dir.), « Parisiennes citoyennes ! » Engagement pour l’émancipation des femmes (1789-2000), Paris, Paris Musées, 2022, 463 p.

Full text

1Avis aux visiteur(e)s : ici, l’histoire est en mouvement. Pour celles et ceux qui n’avaient pas mesuré la mission essentielle du Musée Carnavalet (ré-ouvert en 2021 au 23 de la rue de Sévigné) – celle de devenir un lieu de l’histoire de Paris –, l’exposition Parisiennes-Citoyennes ! Engagements pour l’émancipation des femmes (1789-2000) devrait les convaincre que sa vocation est bien historique, d’abord, parisienne ensuite, et mobilisatrice de mémoires et de savoirs. Mémoires des événements historiques, mais aussi mémoires de leurs archives et de leurs œuvres d’art.

2La première impression du visiteur qui entre dans l’exposition surgira de son immersion dans une iconographie aussi riche ou enthousiaste qu’envoûtante et passionnante. Du 28 septembre 2022 au 29 janvier 2023, peintures, sculptures, gravures, photos, affiches, tracts, partitions, manuscrits, archives sonores et clips acides, bandes dessinées (dont celle signée Bocquet) ont fleuri sur les murs du musée. A l’écart des cimaises, dans des vitrines, de multiples objets complètent l’archive. On y trouve aussi bien des savonnettes « suffragistes » qu’un sac-à-main à double fond, souvenir ou témoignage de Résistante. Le léger et le tragique. C’est dire que cet ensemble ne rassemble pas simplement une documentation, ne produit pas seulement des pièces à conviction : tous ces objets envahissent l’espace comme une foule manifeste dans les rues de la ville et monte à la barricade. Place à l’émotion et à la passion.

3Cette iconographie réunit des prêts multiples, du musée lui-même, certes, mais aussi des riches fonds de la bibliothèque Marguerite-Durand, de la Bibliothèque historique de la ville de Paris, de la Bibliothèque nationale de France. Impossible de citer toutes les institutions, publiques et privées, qui ont nourri ce foisonnement iconographique. La plupart sont parisiennes, mais un nombre non négligeable, sont « montées » de la province, certaines extraites de collections privées, d’autres tirées de collections ou d’instituts de pays étrangers.

4Le commissariat scientifique est marqué du souci de synthèse : Christine Bard, professeur à l’université d’Angers et membre de l’Institut Universitaire de France, Catherine Tambrun, du département Photographies et images numériques au musée, Juliette Tanré-Szewczyk, conservatrice du patrimoine, Valérie Guillaume, directrice du musée. Dès la première salle, une vidéo à vocation didactique plonge le visiteur dans l’ambiance : une conception chronologique de la citoyenneté parisienne, puis, une galerie avant-gardiste des personnalités qui ont marqué les périodes sélectionnées. Parmi les figures retenues, Olympe de Gouges, Hubertine Auclert, Joséphine Baker, Juliette Gréco, Simone Veil, Gisèle Halimi. La documentation réunie rappelle la nature populaire, touffue, des mouvements revendicatifs et révolutionnaires durant la période. Ce sont bien les grandes révolutions du XIXe siècle (1789, 1830, 1848, la Commune de Paris) qui initient le parcours du visiteur ou de la visiteuse. Leurs héroïnes sont dénommées suffragettes, pacifistes, résistantes, syndicalistes, élues politiques, militantes, artistes ou intellectuelles engagées, mais aussi ouvrières ou plus largement travailleuses, en grève et/ou manifestantes. Des épouses également, au travail invisible et qui militent pour leur visibilité. Au cœur de l’exposition, des panneaux illustrés par Lisa Mandel, autrice de bande dessinée. Douze « Histoires de Meufs » illuminent les thématiques de cette mise en scène. Ni passives, ni résignées, ces femmes se sont mobilisées avec détermination, et non sans humour. En un mot, une exposition à l’écart du dogmatisme mais forte de ses convictions.

5Cinq étapes rythment le parcours : Le temps des utopies (de 1789 à la Commune de Paris) ; Le temps des suffragettes (1871-1914) ; D’une guerre à l’autre (1914-1939) ; Entre deux vagues (de la Résistance à Mai 1968) ; Le temps des libérations (1970-2000). Qu’on ne s’y trompe pas, cette stricte chronologie ne prend pas le visiteur de court. Les images présentes brillent comme des rappels ou des clins d’œil ; elles signalent la pluralité des fronts, la variété des combats, la diversité des stratégies. C’est ce foisonnement qui retient surtout l’attention et donne à l’ensemble sa valeur avant-gardiste : une invite à un véritable engagement.

6En un mot, ce qui fait de cette grande manifestation autre chose qu’une réussite muséale, c’est qu’elle mobilise le regard autant qu’elle incite à poursuivre l’action. De façon remarquable, elle traite de la période révolutionnaire comme des développements des années 1970 à 2000 autour du MLF. Ces Parisiennes défilent en photos et sur les affiches avec des tenues vestimentaires qui illustrent leurs revendications (pantalons, jupes courtes…), menant des luttes pour leurs droits et pour le contrôle de leur corps. On a pu entendre couiner parfois que les salles de l’exposition étaient envahies par tant de jeunes, lycéen(ne)s ou pas, on peut aussi se réjouir de l’exaltation d’une telle passion pour l’histoire des citoyennes à Paris.

7Des mises en garde préviennent : aucune avancée, aucune victoire n’est définitive. Si la Révolution française institue le mariage civil, mais aussi le divorce, le Code civil de 1804 et le Code pénal de 1810 vont rapidement (r)établir l’ordre patriarcal. Bref, rien n’est jamais acquis pour toujours : c’est le propre de l’histoire. Des chantiers se sont ouverts à celle-ci : l’éducation, l’égalité au sein de la famille, la liberté de disposer de soi et donc de son corps. Liberté ? À vrai dire émancipation pour les femmes des milieux populaires. L’action de Flora Tristan dont l’œuvre a « réveillé la France » reste un des symboles de l’exposition. Mais on retiendra aussi que, sous la Troisième République, Hubertine Auclert érigea le droit de vote en priorité des combats et réunit à Paris l’une des premières manifestations féministes de France. La rétrospective, qui souligne l’action de personnalités en vue, rappelle également la participation de femmes anonymes dans les manifestations de 1848 et pendant la Commune en 1871.

8De grands fronts marqués de luttes nouvelles font l’histoire de ces Parisiennes citoyennes. Les « garçonnes » des Années folles – auxquelles Christine Bard a consacré précédemment une étude –, entrouvrent la frontière du genre ; l’avènement du sport révolutionne les habitudes vestimentaires des deux sexes et déshabille les femmes pour pratiquer la natation, le tennis ou l’athlétisme. Plus récemment, ces citoyennes ont conquis leur possible participation à la vie politique : le droit de vote en 1944, l’élection de Marthe Richard au Conseil municipal de Paris, celle de Marie-Claude Vaillant-Couturier à l’Assemblée nationale, autant d’étapes marquantes. Plus proche de nous encore, l’ouverture d’un Centre de Planning familial en 1961 marque un nouveau déplacement des luttes. On veut la vie de la cité, mais aussi celle du corps, des attentions au corps, et, pourquoi pas, des jouissances du corps. Ces revendications portent sur la maîtrise de la fécondité, mais également sur le plaisir sexuel féminin et la contestation de la norme hétérosexuelle ou binaire.

9Alors que paraît ce compte-rendu, l’exposition a fermé ses portes. Il reste le catalogue – à lire de toute urgence. Rédigé par Christine Bard, il dessine un parcours chronologique qui retrace l’émancipation des femmes à Paris, « du droit de cité pour les femmes pendant la Révolution jusqu’à la loi sur la parité ». Richement illustré, il exalte le rouge, couleur du combat, du sang et de la liberté. La qualité des textes, la beauté de l’iconographie le cèdent presque à la générosité de la mise en page, à la violence révolutionnaire des couleurs, à leur fidélité. Il poursuit la mobilisation des femmes engagée par l’exposition. A lire même par les hommes.

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References

Electronic reference

André Rauch, “« Parisiennes citoyennes ! » Engagement pour l’émancipation des femmes (1789-2000)”Revue d’histoire culturelle [Online], 6 | 2023, Online since 15 April 2023, connection on 06 December 2024. URL: http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/rhc/3549; DOI: https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/rhc.3549

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