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Comptes rendus

Peter Burke, Qu'est-ce que l'histoire culturelle ?

Paris, Les Belles Lettres, 2022
Marie-Claude Genet-Delacroix
Référence(s) :

Peter Burke, Qu'est-ce que l'histoire culturelle ?, traduit par Christophe Jacquet, avant-propos d'Hervé Mazurel, préface à l'édition française par Peter Burke, Paris, Les Belles Lettres, 2022, 262 p.

Texte intégral

1Composé en forme de récit linéaire et chronologique, l'ouvrage retrace la généalogie de l'histoire culturelle depuis sa naissance germanophone incarnée par Jacob Burckardt, Johan Huizinga et Aby Warburg, chantres de la tradition classique, reprise par les successeurs marxistes anglophones tels Frederick Antal, Edward Thompson et Eric Hobsbawm, puis développée par les théoriciens français (qu'ils soient structuralistes, marxistes, spiritualistes...) comme Michel Foucault, Pierre Bourdieu, Michel de Certeau, et enrichie par les anthropologues et sociologues américains Clifford Geertz, Marshall Sahlins et Erving Goffman.

2Ce récit est doublé comme en miroir par un contre-récit évoquant les débats, les problèmes, les questionnements, les polémiques et les controverses suscités par les divisions qui opposent ces divers « historiens culturels » (sic) entre eux et qui marquent leurs différences avec les autres, « les historiens ordinaires » (sic). Ce double procédé narratif prend tout son sens pour un lecteur non spécialiste ou un étudiant en phase de recherche, ce qui est le public visé. La référence à la scène théâtrale souvent utilisée par l'auteur dans ses comparaisons entre les diverses interprétations de ce qu’est, pourrait-être, ou devrait être l'histoire culturelle à partir d'un résumé rapide de chaque ouvrage cité (et il y en a beaucoup…) s'applique très bien à cette orchestration d'un chœur de voix discordantes qui se cherchent dans l'horizon infini de « qu'est-ce que l'histoire culturelle ? ». Tout au long de ce parcours historiographique, Peter Burke explore les cheminements qui ont permis aux « historiens culturels » de s’éloigner progressivement de la littéralité positiviste, et sur l’apport décisif de la pluridisciplinarité qui a permis de tirer profit des apports théoriques et méthodologiques de l’anthropologie et de l’ethnologie.

3Dans un des derniers chapitres, intitulé « Une scène qui change », l'auteur affirme qu'à force de s'étendre à tous les sujets et tous les territoires, dans l'espace des civilisations et le temps de l'histoire : « il semble qu'il n'y ait plus un seul sujet dont l'histoire culturelle n'ait pas été écrite aujourd'hui » (p. 189). Dans un autre, traitant de « l'histoire culturelle et [de] son voisinage », il rappelle que « l'histoire culturelle n'est pas le monopole des historiens. Elle est à la fois multidisciplinaire et interdisciplinaire. Elle est issue de lieux et de départements universitaires différents et elle est pratiquée aussi en dehors de l’academia », d'où la difficulté de répondre à la question simple « qu'est-ce que l'histoire culturelle ? » (p. 195). À cette difficulté fait écho la difficulté de définir ce qu’est une culture, ce qui permet d’ailleurs de souligner avec Gilberto Freyre l’un des usages positifs de l’histoire culturelle : mieux cerner les cultures pour échapper à l’essentialisation et permettre compréhension et communication entre elles (p. 205-206).

4L’ouvrage se termine sur les menaces qui pèsent sur une histoire culturelle qui, conçue pour s’opposer à l’« histoire batailles », est à son tour attaquée : « le concept de culture est sous le feu » car il « a besoin d'être vague pour remplir sa fonction [...] Nous pourrions parler d'un tournant naturel dans l'étude de l'histoire. » (p. 207). Et de conclure : « Le défi le plus récent pour l'histoire culturelle est l'apparition d'une histoire non humaine, dans le cadre des « post-humanités » (p. 208) : éco-histoire et histoire environnementale, histoire des animaux non humains, histoire des objets (le dernier mot revient à Matisse : « l'objet est l'acteur », ce qui nous ramène au théâtre !), une histoire privée d'homme voire contre l'homme ? Là est en question l'avenir de l'histoire, devenue marché à son tour.

5La vraie conclusion personnelle de l'auteur, dont chaque lecteur averti a l’intuition dès les premières pages qui évoquent ce monde que nous avons perdu, est qu’il ne croit pas « que l'histoire culturelle soit la meilleure forme d'histoire. Elle n'est qu'un élément nécessaire de l'entreprise collective ». Cet inventaire exhaustif, quasi universel – quoique presqu’exclusivement masculin – ordonné, classé selon les générations, les genres scientifiques, les styles rhétoriques et les formes de raisonnement, représente un formidable travail bibliographique international dont il n’est pas question ici de nier l’utilité, surtout pour des étudiants, mais il n’aboutit finalement qu’à dresser une sorte de cartographie typologique. Comment l'historien professionnel ne pourrait-il pas le penser dès le début de ses recherches ? Parce que « c'est une mode » et que « les modes ne sont pas faites pour durer pour les praticiens comme moi » (p. 212). Cet ouvrage pédagogique qui avait en 2004 pour vocation d’offrir aux étudiants anglais de Cambridge « un guide de la diversité des histoires culturelles » s’achève ainsi paradoxalement sur une note quelque peu désabusée.

6La première version de 2004 n’évoquait presque pas la production française, mais un gros effort a été fait pour combler cette lacune pour la présente édition et l’auteur peut s’en féliciter à juste titre dans sa nouvelle préface. Soulignons d’ailleurs pour terminer l’intérêt des références bibliographiques sélectionnées et hiérarchisées et des notes en bas de pages rassemblées à la fin de l'ouvrage, ainsi que la présence d’un index très complet dont la consultation sera précieuse pour tout étudiant et chercheur en sciences humaines.

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Pour citer cet article

Référence électronique

Marie-Claude Genet-Delacroix, « Peter Burke, Qu'est-ce que l'histoire culturelle ? »Revue d’histoire culturelle [En ligne], 6 | 2023, mis en ligne le 15 avril 2023, consulté le 24 mars 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/rhc/3530 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/rhc.3530

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Auteur

Marie-Claude Genet-Delacroix

Professeur émérite à l'université Champagne-Ardenne

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