Navigation – Plan du site

AccueilNuméros9Comptes rendusGuillaume Frantzwa, L'image de la...

Comptes rendus

Guillaume Frantzwa, L'image de la puissance. La diplomatie culturelle de la France au XXe siècle

Paris, Perrin, Ministère de l'Europe et des Affaires étrangères, 2023
Marie-Claude Genet-Delacroix
Référence(s) :

Guillaume Frantzwa, L'image de la puissance. La diplomatie culturelle de la France au XXe siècle, Paris, Perrin, Ministère de l'Europe et des Affaires étrangères, 2023, 255 p.

Texte intégral

1Dans sa préface la ministre des Affaires étrangères Catherine Colonna insiste sur le centenaire de la création de l'Association Française d'Action Artistique (A.F.A.A.), issue du service des œuvres et des bureaux de la propagande, dirigée par Jean Giraudoux de 1921 à 1924 et devenue au XXIe siècle l'Institut Français. Cet organisme détermine l'orientation politique de la diplomatie culturelle qualifiée actuellement de soft power. Catherine Colonna en rappelle les principales phases de constitution à travers les réseaux des associations de l'Alliance Française, la première association privée fondée en 1883, des instituts français depuis 1907, de l'A.F.A.A. évoquée plus haut et de l'ensemble des services internationaux de tous les établissements scientifiques, culturels, universitaires, archéologiques. On précisera qu'ils furent gérés par les ministères de l'Instruction Publique et des Beaux-Arts au XIXe et au XXe siècle, avant de l’être par le ministère des Affaires Culturelles depuis 1958. Après une analyse des mutations depuis les années 1990, la ministre constate que la diplomatie culturelle française a su résister aux compétions féroces et s'affirmer par « la force de son réseau, par la diversité de ses formes et des publics qu'elle atteint » (p. 9).

2L'auteur de l'ouvrage est archiviste paléographe, docteur en histoire de l'art (Paris 1) et conservateur du Patrimoine au Centre des archives diplomatiques. Il dresse dans l’introduction de son ouvrage un panorama généalogique de « l'héritage du Soleil », où il rappelle les caractères de la politique pan-européenne de Louis XIV, reposant sur des fondations anciennes, « l'appui de la papauté dès le XIIIe siècle pour faire du royaume un pays indépendant de toute sujétion temporelle, notamment vis-à-vis du Saint-Empire » et, d'autre part, « une préférence protocolaire et commerciale offerte par l'Empire Ottoman dès 1525 dans le cadre de la lutte commune contre les Habsbourg » (p. 11). Apparemment contradictoires ces deux orientations étaient complémentaires en matière géopolitique et « eurent des résultats durables jusqu'à aujourd'hui » (p. 11). C'est ce modèle de la puissance culturelle française que poursuivra Napoléon Bonaparte, consul puis empereur : il perdurera après sa défaite et le congrès de Vienne grâce au maintien comme langue diplomatique de la langue française, et après la défaite de Napoléon III en 1870, grâce au rayonnement d’une France littéraire, artistique, scientifique, archéologique, sans cesse ravivé à l'occasion des Expositions Universelles organisées à Paris (1878, 1889, 1900), à celle de 1925 pour les Arts décoratifs et celle de 1937. Ces expositions continuaient d'exprimer « l'image de la puissance » française à travers sa diplomatie culturelle: « Préserver la situation et élaborer en fonction des impératifs géopolitiques, un système de diffusion mondial de la pensée française et de son parler est le mot d'ordre du XXe siècle » (p. 17) ; la notion de « diplomatie d'influence » sera ensuite précisée par celle de diplomatie culturelle puis après 2010 par l’expression anglaise soft power, concept développé en 1990 par l'universitaire américain Joseph Nye et traduit en français par « le pouvoir feutré » par le géo-politiste Gérard Chalian (p. 17).

3Après un rappel historique consacré au Centre Saint-Louis de Rome, l'auteur traite dans son premier chapitre qui couvre la période 1883-1940 de la naissance des « réseaux culturels modernes ». L'Alliance Française est créée le 21 juillet 1883 sous la présidence de Paul Cambon et elle constitue le pivot autour duquel vont venir se greffer les premiers instituts français à Florence, Athènes (1910), Londres et Madrid (1911) et Saint-Pétersbourg. Les implantations se répandent ensuite dans toute l'Europe, au Japon et Outremer. La synergie dans cette expansion entre les deux ministères des Affaires étrangères d'une part et de l’Instruction publique et des Beaux-Arts, puis de l’Éducation nationale à partir de 1932, d’autre part, n'est pas évoquée, mais l'ouvrage fourmille de faits, de références, de citations érudites nombreuses et passionnantes à lire, d’autant qu’elles sont émaillées de reproductions photographiques (notamment de documents, souvent manuscrits).

4Le second chapitre traite des années 1940-1950 « où la culture est mise à l'épreuve de la guerre ». Deux thèmes sont développés : l'histoire évènementielle du devenir des réseaux sous l'Occupation, d'une part, et celle de « la culture libre » qui s'oppose à la collaboration avec Vichy et avec l'occupant de l'autre : « À l'extérieur de la France, le réseau reprend ses activités selon des rythmes différenciés en fonction de l'état des établissements et des crédits que la métropole peut débloquer » (p. 102).

5« Maintenir une influence en Guerre froide » est l’objet du troisième chapitre. Alors que la langue française est en déclin, d'après une enquête du Conseil supérieur des Français à l'étranger, le monde communiste gagne un immense prestige dont profite le parti communiste français. Évoquant les positions de Raymond Aron sur le sujet, l'auteur développe une chronique très documentée des politiques d’André Malraux et de Jack Lang pendant la guerre froide et après les guerres de décolonisation.

6« Trouver sa place dans un monde globalisé » fait l'objet du quatrième chapitre qui décrit l'incertitude des indépendances dans le contexte de la mondialisation généralisée. La politique française telle qu’elle a été structurée depuis le Général de Gaulle suit son cours, comme le rappelle en 1986 François Mitterrand : « La politique extérieure de la France s'ordonne autour de quelques idées simples : indépendance nationale, l'équilibre des blocs dans le monde, la construction de l'Europe, le droit des peuples à disposer d'eux-mêmes, le développement des pays pauvres » (p. 154). Dans les anciens protectorats, pays sous mandat et les colonies, la décolonisation est le plus souvent négociée, exceptions faites de l’Indochine et de l’Algérie. Mais le réseau des instituts français ne peut s'y développer, seule l'Alliance française peut jouer de son statut privé pour développer ses réseaux dans les nouvelles nations. La francophonie s'organise sous l'impulsion de Léopold Senghor, président du Sénégal dès 1955. Georges Pompidou décide de formaliser le ralliement des pays francophones en Afrique et dans les autres continents dans une structure commune : l'agence de coopération culturelle et technique est créée à Niamey en 1970 par 21 États. L'élargissement des réseaux culturels se poursuit au niveau mondial à travers des programmes d'échange et de coopération (bourses d'étudiants, fournitures d'équipements, envois d'experts, attribution de subventions). L'Alliance française se dote en 1958 d'une structure financière ad hoc : la société immobilière des Amis de l'Alliance française. En 1969, le département du Quai d'Orsay compte 175 agents culturels auxquels s'ajoutent des conseillers scientifiques, tout ce personnel étant réparti dans une demi-douzaine de services spécialisés. Il décide de rationaliser sa gestion financière et d'attribuer aux établissements étrangers à l'étranger l'autonomie financière. En 1989, le réseau culturel prouve son efficacité dans l'organisation du Bicentenaire de la Révolution française. La « diplomatie sportive » n'est toutefois pas comprise dans celle de la culture. La diplomatie des musées est minutieusement étudiée et très documentée, ainsi que la frénésie de partenariats dans le secteur universitaire. Les universités françaises se jumellent avec d'autres universités à l'étranger, déployant les missions scientifiques dans le monde entier, surtout dans le domaine, privilégié dès le XIXe siècle, de l'archéologie. Des sous-chapitres concernent l'Institut Français pour le Développement du Sénégal, l'implication française dans l'O.N.U. et l'U.N.E.S.C.O. (p. 186) et la promotion des autres cultures (p. 192-197).

7Le cinquième chapitre analyse « les défis de la diplomatie culturelle du XXIe siècle ». Au tournant de l'an 2000 la politique mondiale est en pleine recomposition aussi bien dans ses dynamiques économiques et politiques que dans ses modes d'information et de circulation des biens et des personnes. Une sorte de détricotage des systèmes du XXe siècle ouvre de nouvelles perspectives et surtout de nouveaux défis (comme la culture de masse induite par internet « cheval de Troie des produits américains ») contraignant les réseaux culturels à forger de nouveaux outils stratégiques qui sont examinés avec précision (p. 207-210). Ils surprennent par leur succès, faisant de la France la référence culturelle dans le monde, ce dont témoigne le succès du Louvre Abu Dhabi, en dépit de la crise du Moyen Orient, de la logique de blocs engendrée par les découpages politiques mondiaux qui soulèvent des enjeux identitaires exacerbés et une « guerre des narratifs » (p. 233).

8L'ouvrage s'achève sur une vision positive et un optimisme institutionnel et politique en affirmant que la culture est « le premier réseau mondial de la France ». Après les réformes drastiques menées depuis les années 2000, Jean-Yves Le Drian a stabilisé en 2018 l’hémorragie financière, et le rapport commandé par le Sénat sur le réseau culturel extérieur, tout en « exprimant ses inquiétudes pour l’avenir […] [rappelle] aussi combien la nation peut être fière de cet outil » (p. 239). Témoigne de sa vitalité, la création aux U.S.A. de la Villa Albertine le 2 juillet 2021, présentée comme un réseau de résidences d'artistes dans dix villes universitaires. Un bilan statistique clôture l'ouvrage (p. 240) : il permet de considérer la France comme la nation la mieux implantée dans le monde par son réseau culturel extérieur, comprenant 5 000 agents répartis dans une multitude de services, d'agences et d'établissements, animés depuis Paris par 400 personnes, sans parler de tous les intervenants externes qui interviennent dans les missions culturelles (artistes, enseignants etc.), qui forment une nébuleuse de près de 15 000 personnes. On trouvera en fin de volume les notes, les sources, la bibliographie, l'index, les crédits iconographiques. Au total cet ouvrage qui comble un vide dans l’histoire culturelle est indispensable à la connaissance de la politique extérieure de la France plus ou moins occultée par celle des ministères de l'Éducation nationale puis du ministère des Affaires culturelles après 1958.

Haut de page

Pour citer cet article

Référence électronique

Marie-Claude Genet-Delacroix, « Guillaume Frantzwa, L'image de la puissance. La diplomatie culturelle de la France au XXe siècle »Revue d’histoire culturelle [En ligne], 9 | 2024, mis en ligne le 31 octobre 2024, consulté le 23 mars 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/rhc/11898 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/1321q

Haut de page

Auteur

Marie-Claude Genet-Delacroix

Professeur émérite à l'Université de Reims Champagne-Ardenne

Articles du même auteur

Haut de page

Droits d’auteur

CC-BY-NC-ND-4.0

Le texte seul est utilisable sous licence CC BY-NC-ND 4.0. Les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés) sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.

Haut de page
Rechercher dans OpenEdition Search

Vous allez être redirigé vers OpenEdition Search