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Médias et écritures de l'histoire

Doc’s Kingdom (1989), Route One/USA (1989), Dear Doc (1990) : la trilogie de Doc

Doc’s Kingdom (1988), Route One USA (1989), Dear Doc (1990): Doc’s trilogy
Isabelle Singer

Résumés

Avec Route One USA (1989), Robert Kramer revient aux États-Unis faire le bilan de ce que le pays est devenu après huit ans de reaganisme : pauvreté, violence, discriminations, montée des intégrismes. C’est aussi le retour du personnage de Doc qui apparaît dans Ice (1970), Doc’s Kingdom, Route One USA en enfin Dear Doc, et avec lui vingt ans d’engagement. Ce personnage de fiction est au cœur du dispositif de Route One USA, nous faisant mettre en doute ce que nous estimons documentaire. Dans la structure rhizomatique des films, s’élabore la dimension critique de l’œuvre : rejet d'un état social injuste et violent, rejet aussi du cinéma dominant, cette « monoforme » dirait Peter Watkins, aliénante et simplificatrice.

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Texte intégral

  • 1 Route One USA 1, 00:02:25.

1Dans Route One USA (1989), Robert Kramer revient aux États-Unis après dix ans d’absence. « Coming back is what we said, not home, but back »1, dit-il au début du film. Il ne s’agit pas d’un retour nostalgique mais bien de prendre la mesure de ce que le pays est devenu après huit ans de reaganisme. Revenir sur un territoire déjà filmé, c’est intégrer le temps qui s’est écoulé depuis le précédent tournage, penser ce qui a changé, dans le territoire comme en soi-même.

  • 2 Robert Kramer, Notes de la forteresse (1967-1999), édition établie par Cyril Béghin, Paris, Post-Éd (...)
  • 3 Robert Kramer « Going (back) to Vietnam », Trafic, 1, 1991, p. 107.
  • 4 Cité par Janine Euvrard, « entretien avec RK », 24 images, 92, 1998, p. 33.

2Robert Kramer revient au Viêt Nam dans Point de départ (1993) après People’s War (1969), à la recherche d’images, de rencontres, de lieux, de scènes aussi proches « du sens de l’histoire, de la conscience du temps, de la durée, de “ce qui s’était passé”2». Il revient au Portugal en 1988 pour Doc’s Kingdom après y avoir tourné avec Phil Spinelli Scenes from the Class Struggle in Portugal entre 1975 et 1976. Revenir au Viêt Nam ou au Portugal, au-delà de la fidélité aux luttes d’émancipation des peuples, c’est « mettre à l’épreuve de vieilles structures de croyances3 ». La raison est la même : « le temps est quelque chose de presque solide ; si un point de vue change, je veux le voir changer, je veux le vivre4 ».

  • 5 Collectif de production et de diffusion de cinéma militant, fondé en décembre 1967 à la suite de la (...)

3Scenes from the Class Struggle in Portugal englobe dans une même stratégie de domination la colonisation, en particulier celle de l’Angola, et l’exploitation des classes populaires au Portugal, leur maintien dans un état de pauvreté. En miroir, les guerres d’indépendance et les luttes ouvrières sont saisies dans un même mouvement d’émancipation. Cette idée est aussi présente dans Ice, film dystopique qui nous plonge dans une Amérique sous régime fasciste, dans un contexte de guerre coloniale avec le Mexique. Avant de participer au Newsreel5 dont il est l’un des fondateurs, Kramer a été reporter en Amérique latine puis en Angola. Les images d’archives en Angola sont nombreuses dans Scenes from the Class Struggle in Portugal, en particulier des photographies et archives filmées des luttes pour l’indépendance de l’Angola entre 1961 et 1975. Ainsi, le Portugal appelle un autre territoire, l’Afrique, cette Afrique qui viendra hanter Doc dans Doc’s Kingdom et dans Route One USA.

Doc : un personnage singulier qui se construit sur plusieurs films

  • 6 Ice, 00:20:25.
  • 7 Doc’s Kingdom, 00:51:50.
  • 8 Ice, 02:07:05.

4Le personnage de Doc, interprété par Paul McIsaac apparaît dans Ice (1970), Doc’s Kingdom (1987), Route One USA (1989) et Dear Doc (1990). À travers Doc, nous assistons à vingt ans d’engagement, de la jeunesse idéaliste prête à tous les sacrifices et toutes les violences, à la maturité désenchantée qui trouve d’autres modes d’action. Dans Ice, le personnage n’est pas médecin, mais s’appelle déjà Jim, diminutif conforme à son nom dans Doc’s Kingdom : James Matter. Ice raconte la difficile mise en œuvre d’une guérilla dans un New York fictif des années 70, Jim étant celui qui doute, qui cherche à préserver ce que cet engagement a d’humain. Il se confie à une femme6, elle lui demande de se débarrasser de son revolver pour faire l’amour : « ça, ce n’est pas humain » dit-il à propos de ce revolver qu’il jettera, près de vingt ans plus tard, dans l’eau du Tage (Doc’s Kingdom)7. Ice témoigne d’une jeunesse engagée dans la lutte armée, habitée par le désir de liberté. Au dernier plan du film, Jim est porté par l’espoir d’une victoire prochaine, malgré la répression et les morts : « On a eu de sales pertes. Ce n’est qu’une question de temps. Tout le monde y est. Le printemps sera formidable. On y arrivera8 ».

  • 9 Doc’s Kingdom, 00:14:50.
  • 10 Doc’s Kingdom, 00:15:21.

5À l’ouverture de Doc’s Kingdom, on le retrouve près de vingt ans plus tard : échoué à Lisbonne, seul, alcoolique et malade. Le début du film raconte ce qui pourrait précéder Ice, et qui conditionne aussi son engagement ultérieur : jeune ouvrier, il est victime d’une maladie professionnelle, certains en meurent. Il se révolte, est jeté en prison. Puis il fait le récit de son passé d’activiste, sous le mode d’un « je » emprunté à un livre qu’il lit sous nos yeux, inscrivant ce destin révolutionnaire dans un collectif : « Je suis clandestin depuis quatre ans. Je ne dirai pas le nom de notre organisation9 ». Vient ensuite le récit rétrospectif de ce qui était en jeu dans Ice, à savoir le rapport à la violence : « Je me méfie de notre violence, de nos théories, à cause du rôle ambigu de la colère que j’identifie en moi-même ». Parallèlement à ce récit, Doc erre dans les rues de Lisbonne la nuit, sous l’emprise de l’alcool. Cette déchéance, c’est le prix à payer de l’engagement, de la vie clandestine. L’image de Doc inconscient, qui finira au petit matin sans ses chaussures, est un contre-point cruel à ses paroles : « J’ai réussi à m’en tirer. J’ai refait surface. Je me suis créé une nouvelle identité. Je voulais soigner les autres, devenir médecin […] j’avais de la volonté10 ». Dans l’écart entre ce qu’il dit et ce qu’on voit, on mesure le poids de ce qui s’est passé entre.

  • 11 Doc’s Kingdom, 00:33:26.
  • 12 Doc’s Kingdom, 01:07:12.
  • 13 Doc’s Kingdom, 01:04:00.

6Toujours dans Doc’s Kingdom, quelques allusions seront faites par la suite à ces années de lutte : lorsque Jimmy, le fils qu’il ne connait pas, trouve dans les affaires de sa mère (Rozzie), une balle de gros calibre et une lettre de Doc écrite en prison11, ou encore le récit, cocasse, qu’il fera à Jimmy de sa conception en prison12. À ce fils qu’il vient de retrouver, il devra aussi justifier ce choix d’une vie sans attaches : « J’étais fou. Pas de famille, ni de voiture, ni de maison, ni d’adresse, ni de numéro, ni de boîte postale […] il est important que tu comprennes que je n’ai jamais pensé que j’avais un fils13 ».

  • 14 Interprété par João Cesar Monteiro.
  • 15 Doc’s Kingdom, 00:54:20.
  • 16 Paul McIsaac, « Creating Doc », dans Vincent Vatrican, Cédric Venail (dir.), Trajets à travers le c (...)

7Ice et Doc’s Kingdom entrent également en résonance d’une façon plus collective : au dernier plan de Ice où Jim est exalté par l’insurrection qui s’amorce, répond César14 faisant un constat très amer dans Doc’s Kingdom : « toutes les causes sont complètement perdues15 ». À l’issue de ces dix-huit années de luttes et de sacrifices, c’est le temps du désenchantement, une réponse terrible à l’espoir qui s’était levé dans Ice. Comme le dit Paul McIsaac, parlant cette fois-ci pour lui-même et non pour son personnage de fiction : « après les années de dissolution personnelle et politique, de prison, de drogue, d’exil et d’isolement, nous nous sommes battus pour trouver une manière de vivre digne dans un monde injuste et corrompu16 ».

  • 17 Doc’s Kingdom, 00:24:07.
  • 18 Robert Kramer n’est pas stricto sensu derrière la caméra (Robert Machover est au cadre), mais à côt (...)
  • 19 Doc’s Kingdom, 00:54:54.

8Doc’s Kingdom annonce à plusieurs reprises le retour aux États-Unis, et même le projet de Route One USA, notamment dans la lettre que Doc écrit à Rozzie, « Je reviendrai aux States. On pourrait traverser le pays ensemble17… ». Doc conclut la lettre par le mot « … saouls ! » en fixant au lointain son regard égaré. Le raccord ici est très intéressant : au regard de Doc succède, comme par projection de ce désir, un plan de Jimmy se rendant au chevet de Rozzie. Au tout début du plan dans le couloir de l’hôpital, un drapeau américain est le seul point de lumière. Un drapeau américain en toc, en plastique semble-t-il, mais un drapeau américain quand même. Beaucoup plus tard, alors qu’il sait que Rozzie vient de mourir, Doc formule à nouveau ce désir de retour, lourd désormais de regrets. Il le formule face caméra, à Robert Kramer18 donc, avec qui il partagera ce voyage l’année suivante : « je voulais te raconter un rêve, une vision, où je pouvais rentrer, où deux vieux amis traversent le pays ensemble. Mais tu es morte19 ».

  • 20 Route One USA 1, 00:01:58.

9À la fin de Doc’s Kingdom, Doc prépare sa sacoche de médecin, assis sur le perron de sa maison lisboète. Au premier plan de Route One USA, il fait le même geste dans la cabine du bateau qui l’amène à New York. On le retrouve là où on l’avait laissé. Dans Route One USA, la biographie fictive de Doc est convoquée dès le début, par la voix off de Kramer : « Lui, c’est le Docteur. Nous avons décidé de revenir ensemble. Nous étions partis longtemps. Dix ans. Doc en Afrique, moi en Europe à faire des films20 ». Le spectateur qui a vu Doc’s Kingdom sait que Paul McIsaac est un acteur et qu’il n’a pas exercé la médecine en Afrique. Ce prologue mélange la biographie de Kramer et la fiction de Doc. Ce métissage peut prendre une forme très mise en scène, théâtrale.

Fig. 1 et 2. Route One/USA

Fig. 1 et 2. Route One/USA

© Les Films d’Ici

  • 21 Route One USA 1, 01:06:11.
  • 22 Une rangée de quatre aquariums est le seul élément de décor dans la pièce plongée dans le noir, où (...)
  • 23 Route One USA 1, 01:06:45.

10La scène dans l’aquarium de Boston21 raccorde parfaitement avec la présentation de Doc par lui-même dans Doc’s Kingdom ; on est dans la même esthétique, avec le même personnage dans le même costume, qui plus est avec un rappel du décor : l’aquarium22. Dans Route One USA, Doc s’adresse à Robert, le personnage commente la vie de son créateur : « Tu as choisi une autre vie, avec d’autres récompenses. Une vie sous la surface, au-delà de l’ordinaire. Et c’est ta vie. »23 alors qu’une tortue très brillante surgit des profondeurs de l’aquarium et traverse lentement le cadre, comme une métaphore de cette vie singulière.

Fig. 3. Route One/USA

Fig. 3. Route One/USA

© Les Films d’Ici

  • 24 Dear Doc, 00:12:50.
  • 25 Route One 1, 00:50:30.
  • 26 Pat Robertson (1930-2023), magnat des médias, fondateur de la Christian Coalition of America, fut c (...)
  • 27 Route One 1, 00:49:50.

11Doc intègre Kramer dans sa fiction, celle d’une vie dans la clandestinité – il s’agit bien d’une fiction puisque ni Paul McIsaac ni Robert Kramer n’ont vécu dans la clandestinité. Il est encore question d’un prix à payer, le renoncement à une vie de famille, cette famille dont Robert dira, dans Dear Doc, avec une certaine agressivité, qu’elle n’est pas la question24. Un peu plus tôt25, Doc s’est souvenu qu’il aurait pu avoir une famille. Il téléphone à Jimmy, son fils de fiction dans Doc’s Kingdom, qui lui reprochait avec forces larmes de ne lui avoir jamais donné le moindre signe de vie. Il ne sera plus question de Jimmy par la suite, et pour le spectateur qui n’a pas vu Doc’s Kingdom, la scène doit être anodine. En prolongement de Doc’s Kingdom en revanche, elle manifeste un besoin de réparation, le sentiment de ne pas avoir vécu ce qu’il y avait à vivre, et qu’il est désormais trop tard. La scène s’insère entre deux séquences de la campagne de Pat Robertson26, représentant de la droite la plus réactionnaire. Cet appel au fils est alors poignant : je t’ai sacrifié mais pour quel résultat ? « Je suis parti plus de dix ans. Je reviens, tout est différent et rien n’a changé. Rien n’a changé27 ».

Fig. 4. Route One/USA

Fig. 4. Route One/USA

© Les Films d’Ici

  • 28 Route One 1, 00:02:10.
  • 29 Route One 2, 00:08:32.

12Route One USA revient à plusieurs reprises sur la biographie fictive de Doc. Dès le début du film, la voix de Kramer insiste sur l’expérience africaine : « L’Afrique de Doc était la guerre, les hôpitaux bombardés, les villes en feu. Il n’en parlait jamais28 ». Doc poursuivra le récit bien plus tard sur la route, à New York, lorsqu’il assiste à une soirée caritative, le souvenir de l’Afrique surgit en total contraste avec le luxe du lieu et l’opulence des convives : « La saleté… la sueur… le soleil… les cases pleines de poussière. Les seringues réutilisées29 […] ». Un mouvement circulaire accompagne la remémoration fictive et le vertige qui l’accompagne. C’est le seul mouvement de caméra de ce type, la scène prend une allure de transe, un enfant déambule parmi les convives avec un vibraphone qui sonne trop fort. Il y a là une véritable mise en scène de la montée de l’imaginaire.

  • 30 Route One 1, 00:27:48. La scène est un dialogue entre Doc, qui raconte la manifestation organisée p (...)

13C’est aussi depuis cette Afrique de fiction que Doc est informé des luttes en cours aux États-Unis, comme la manifestation contre la construction d’un réacteur nucléaire à Seabrook en juin 1978 : « J’ai reçu la lettre en Afrique. 18 000 personnes ont encerclé le réacteur. »30 Commence alors un dialogue en off avec Kramer durant lequel ils se remémorent ce mouvement de contestation alors que la silhouette de Doc, de dos, occupe les lieux désormais vides.

  • 31 Route One 1, 00:28:27.

14Puis le récit africain reprend là où il a été laissé : « La lettre a mis quatre mois, les routes étaient coupées. Mais je l’ai lue et relue. Je m’imaginais ici avec des amis dans cette petite ville, les bateaux et les drapeaux, la centrale au loin, les feux de camp la nuit31 ».  L’image se creuse de ces réminiscences réelles, celles de la mobilisation écologiste à qui les voix murmurées donnent des images, et de celles fictives, de l’Afrique qui prive Doc d’en être acteur. Le vide du cadre contraste fortement avec le plein du texte, le temps se solidifie sous nos yeux, hier Doc aurait voulu être ici, aujourd’hui les luttes sont mortes.

Un processus de fabrication singulier : création collective et hybridation fertile du réel et de la fiction

  • 32 Route One 2, 01:00:03.

15Un autre élément de la biographie fictive de Doc héritée de Doc’s Kingdom est convoqué dans Route One USA : Rozzie, en particulier dans le Sud. Les séquences à Fayetteville en Caroline du Nord, alternent pèlerinage devant la maison que Doc est supposé avoir habitée avec Rozzie, et souvenirs très concrets de l’entraînement militaire à Fort Bragg – l’odeur de vomi dans l’avion et la peur – et du bonheur du saut en parachute32 qui eux, émanent de la biographie de l’acteur (Paul Mc Isaac).

  • 33 Paul McIsaac, « Creating Doc », op. cit., p. 62.
  • 34 Journaliste au Fayetteville Observer-Times, acteur (Night of the Living Dead, Tom Savini, 1990) et (...)
  • 35 Paul McIsaac, « Creating Doc », op. cit., p. 49.
  • 36 Route One USA 2, 02:04:08.

16« Dans le Sud, nous bâtissions l’histoire de Doc en utilisant des gens et des lieux issus de mon passé. Mes amis entrèrent dans le jeu, ils m’appelaient Doc, mais notre interaction avait pour base notre histoire33. » La rencontre avec Pat Reese34 est également une initiative laissée à Paul-Doc. « Nous avons souvent ignoré les distinctions habituelles entre auteur, acteur et réalisateur. Décrivant nos propres vies et celles d'autres personnes de notre génération, nous avons créé le personnage de Doc35. » Kramer laisse à chacun son autonomie, à l’acteur, à l’équipe (Richard Copans directeur de la photographie/producteur et Olivier Schwob ingénieur du son), et plus largement à tous ceux qui participent au film. C’est le sens de la dédicace finale : To Erica and to all who joined in the dance we invited them to dance with us36. Cette démarche collective de la création est clairement revendiquée :

  • 37 Cité par Bernard Eisenschitz, Points de départ : entretien avec Robert Kramer, Aix-en-Provence, Ins (...)

Une autre règle du jeu dans Route One USA était que chacun faisait son propre film. Je veux que l'ingénieur du son fasse son propre film. […] Une fois une ligne générale établie, je veux que Richard fasse […] son film de la lumière. […] Je veux que Paul construise le personnage du Docteur. Je me sens assez central et assez fort à l'intérieur de cette situation pour faire avec toutes ces forces centrifuges qui tendent à s'éloigner. Il peut y avoir des objectifs divers, mais la logique qui fait tenir le tout est le fait que nous vivons tout cela ensemble37.

  • 38 Cette séquence de près de quarante minutes fait un état des lieux saisissant de la ville – pauvreté (...)
  • 39 Route One USA 1, 01:36:00 et séquences suivantes.

17La longue séquence à Bridgeport dans Route One USA38 est un bon exemple de cette autonomie laissée à chacun : Kramer s’intéresse au ghetto, à la violence et aux inégalités. Paul au centre social où se prépare Thanksgiving, il rencontre le policier qu’ils suivront la nuit dans sa ronde, malgré les réticences de Kramer. Cette façon de laisser chacun explorer la ville avec sa sensibilité a alors des répercussions sur la structure du film, qui tisse par allers et retours, les différents lieux et les différents personnages : on passe ainsi du discours de l’héritier d’une grosse puissance industrielle39 au centre Thomas Meurton où l’on célèbre Thanksgiving avec les déshérités du quartier, pour revenir au jeune industriel qui survole la ville dans son hélicoptère et continue l’étalage de sa fortune, pour ensuite passer au couple de Portoricains qui préparent leur mariage, dont le jeune homme attend de passer en jugement et qui va alterner avec le procureur, fier de sa belle maison sur les hauteurs de la ville, lequel procureur va sans doute l’envoyer en prison.

18L’alternance des lieux et des personnages donne la mesure des inégalités, la pensée politique trouve son expression dans la forme cinématographique.

  • 40 Cité par C. Derouet et D. March dans Walk the Walk : Robert Kramer, 20 novembre 1996 (https://www.l (...)
  • 41 Cf. Paul McIsaac & Richard Copans on Route One USA, op. cit.
  • 42 Cité par Aaron Gerow et Fujiwara Toschifumi, “A discussion with Frederick Wiseman and Robert Kramer (...)
  • 43 Cecil Young se présente comme activiste, élu au conseil municipal, premier Noir candidat à la mairi (...)
  • 44 Route One USA 1, 01:55:04.

19Évidemment, faire du personnage un médecin n’est pas insignifiant. Dans Doc’s Kingdom, soigner, c’est pour Doc une autre façon de s’engager. Il y a un lien manifeste entre soigner les corps et soigner le corps social : « la meilleure manière de parler de politique, c’est de parler de santé. L’idée que l’on est responsable de la santé des autres est une manière de définir le travail politique différemment40 ». Le fait que Paul McIsaac est un acteur jouant le rôle d’un médecin était clairement annoncé à ses interlocuteurs. Il n’a pas joué le médecin à leur insu mais au contraire en leur demandant de jouer avec lui41. Kramer constate la propension des Américains à jouer un rôle : « les gens avaient une idée très précise de ce que cela signifie de jouer son propre rôle, de l’extérioriser et d’en tirer avantages, parfois d’une façon fantastique. Alors, vous sentez que tout le monde est un acteur. Cela donne à réfléchir différemment sur cette société où jouer son propre rôle est votre principal atout42 ». De fait, tous sont acteurs dans Route One USA, en particulier Cecil Young43, l’activiste de Bridgeport qui se rêve maire44. Il raconte sa vie avec les effets d’un télévangéliste, il manie la rhétorique et le métalangage, il répète (et ceci littéralement puisque la présence d’un champ contre-champ implique qu’il ait dit au moins deux fois son discours).

20Galvanisé par son rôle, plus rien ne l’arrête, ni la difficulté qu’il aura à placarder son portrait à côté de ceux des maires de la ville, ni les portes du bâtiment qu’il n’est pas supposé franchir. Le personnage est ici à l’intersection de la fiction et de l’autobiographie. On pourrait parler d’autofiction.

  • 45 Dear Doc, 00:00:30.

21Dans Dear Doc, Kramer met des mots sur le processus de création de Doc en s’adressant à Paul : « Je voulais te parler des films que nous avons faits ensemble. De ce personnage du docteur que nous avons créé. Ce docteur, c’est toi sans l’être. Mais c’est aussi moi. Une fiction où nos différences s’estompent, comme dans l’amour ou le travail. »45 Le titre du film – Dear Doc – et sa traduction – Lettre à Paul – traduisent bien ce flottement. Dans le film, il arrive que Kramer dise « Toi et le Docteur », « Toi ou le Docteur », comme s’il ne savait plus très bien à qui il s’adresse précisément.

Fig. 15. Dear Doc

Fig. 15. Dear Doc

© Les Films d’Ici

La dimension politique de la trilogie de Doc

  • 46 Route One USA 2, 01:52:09.

22Les trois films (quatre en intégrant Ice) sont dans un rapport intertextuel fort : comme un seul et unique film en devenir permanent. C’est dans ce tissu rhizomatique qui permet les connexions, résonances ou dissonances que s’élabore la dimension politique de l’œuvre. Route One USA évalue ce que les États-Unis sont devenus après huit ans de reaganisme, sur le plan économique et idéologique. Le bilan est sans appel : grande pauvreté, que ce soit à Bridgeport où on fait la queue pour de l’aide alimentaire, à Newark où Doc s’occupe d’enfants témoignant d’un contexte de misère et de drogue, ou encore à Miami où l’extrême pauvreté des marins haïtiens comparés à des forçats des Temps modernes côtoie l’opulence. Une séquence46 est remarquable où, depuis le port qui abrite les bateaux haïtiens, délabrés et surchargés, la caméra se déporte vers les immeubles ultramodernes, les plages, les bateaux de croisières et l’industrie touristique, prolongement esthétique d’une pensée politique qui dénonce cette coexistence insupportable.

Fig. 16 et 17. Route One/USA

Fig. 16 et 17. Route One/USA

© Les Films d’Ici

  • 47 Route One USA 1, 01:27:41.
  • 48 Route One USA 2, 00:02:48.
  • 49 Jacques Rancière, Le Spectateur émancipé, Paris, La Fabrique, 2008, p. 85.
  • 50 Route One USA 2, 00:14:12.

23Corollaire de la pauvreté, la violence s’exerce en particulier sur les enfants : impacts de balles sur la porte de l’école maternelle à Bridgeport. Une jeune mère témoigne de son quotidien, dans un climat d’extrême violence où les armes sont omniprésentes : « Je ne confie mes gosses à personne, avec tous ces coups de feu. Si ça commence à tirer, ils vont se mettre à courir et abandonner mes gosses47 ». Parce que Doc est, aux yeux des enfants, un médecin qui se préoccupe d’eux, il peut recueillir leurs paroles et ces paroles sont symptomatiques d'un état social très dégradé. Ainsi, un jeune garçon exprime ses angoisses48 : que sa mère, son frère ou lui-même soit tué par un drogué sous l’emprise du crack, Doc écoute, le panse et, à la fin de la scène, le renvoie chez lui : « Tu dois y retourner, non ? ». Il y a une grande pudeur dans cette scène, Doc est le catalyseur de la parole des enfants : selon Jacques Rancière dans Le Spectateur émancipé, « On peut appeler critiques des fictions qui remettent ainsi en cause les lignes de séparation entre régime d’expression […] en manifestant les capacités de parler et de jouer qui appartiennent à ceux et celles qu’une société rejette dans ses marges “passives”49 ».  Plus tard, Doc apprend aux enfants à réagir en cas d’accident ou de blessure par balle. Cette scène donne la mesure de ce que ces enfants vivent au quotidien. Lorsqu’on leur demande comment réagir face à une tentative de suicide, en réponse, le lapsus de l’enfant est terrible : « La vie est trop affreuse pour la gâcher50 ».

  • 51 Route One USA 1, 00:38:48.
  • 52 Cf. Scenes from the class Struggle in Portugal, 00:00:23:55
  • 53 Route One USA 1, 00:41:53.

24À Dover, au début du voyage, Doc assiste aux réunions de campagne de Pat Robertson pour la primaire républicaine. La scène commence sur un couple âgé absorbé par le spectacle d’un télévangéliste qui fabrique de la peur, dont on va observer ensuite la contagion et le moteur : le prêche du pasteur intime à l’obéissance aveugle : « Parce que le Chrétien comprend que la rébellion est dans le cœur de l’enfant, qu’il est né pécheur. Il faut qu’il reconnaisse le plus tôt possible qu’il faut payer le prix de la rébellion51 ! ». On verra le pasteur au milieu des convives lors de la visite de campagne de Robertson, alliance du politique et du religieux dont Kramer a déjà démonté les rouages dans Scenes from the class Struggle in Portugal (en l’occurrence le soutien de l’Église catholique aux forces réactionnaires après la Révolution des Œillets, et antérieurement, à la dictature salazariste52). Cet intégrisme que le pasteur incarne et diffuse sur les têtes penchées de ses fidèles défend les pires idées : apartheid, refus de l’avortement exposé comme du nazisme en pire – dans une manifestation, un vieil homme arbore une pancarte : Nazi : 5 million – Abortion : 19 million53.

  • 54 Route One USA 1, 00:45:46.

25Ce ne sont pas les gens qui soutiennent Pat Robertson qui sont la cible de Robert Kramer, mais ceux qui les manipulent. Des enfants distribuent des petits drapeaux à de vieilles personnes dont on ne sait pas vraiment s’ils savent de quoi il retourne. La colère de Doc/Paul/Robert est palpable sur le visage de Doc qui assiste à cette emprise54.

26Le couple âgé n’est pas méchant, ils sont sincères – et c’est sans doute ce qu’il y a de plus terrible. Une dame est très accueillante, elle se soucie de savoir si le réalisateur et son équipe ont faim, s’ils sont bien placés. On sent de la tendresse pour cette femme qui est toujours montrée dans une attitude d’accueil. C’est une composante de la complexité du film, dont Richard Copans témoigne :

  • 55 Richard Copans, dans Paul McIsaac & Richard Copans on Route One USA - Film at Lincoln Center, 30 ao (...)

[le film] présente une image dure, et en même temps, on peut aimer tous les gens qu’on rencontre […]. Ce n’est pas un film militant, absolument pas, ce n'est pas un pamphlet de plus disant “Oh, le méchant dragon de l’impérialisme américain” mais chacun apporte sa petite pièce et le puzzle prend forme à la fin, et vous pouvez aimer chaque petite pièce mais vous n’aimez pas l’image d’ensemble du puzzle55.

  • 56 Route One USA 2, 00:55:16.
  • 57 Route One USA 2, 00:34:46.
  • 58 Groupes paramilitaires pro-gouvernementaux à qui un rapport d’enquête de l’ONU attribue 90% des 70 (...)

27Si la politique de réduction des dépenses sociales menée par Reagan a conduit à un accroissement des inégalités et de la pauvreté, l’armée a vu ses budgets augmenter. L’idéologie militariste est bien présente dans le film, en particulier à Fort Bragg – mais là aussi sans vision simpliste du fait des souvenirs de Doc. Un colonel diffuse un clip de recrutement en même temps qu’il débite son texte – « l’armée doit être le fondement des valeurs de la nation56 » – nous faisant entendre deux discours d’endoctrinement à la fois. La reprise en main idéologique semble achevée : « La permissivité des années 70 appartient au passé, comme le chaos des années 60. Dieu merci, les jeunes qui nous arrivent, si on fait une comparaison, n’ont jamais été meilleurs. Ils représentent bien la société américaine des années 80 ». Cette idéologie prônant le combat et le sacrifice sur l’exemple des pères nourrit le caractère belliqueux de la politique américaine. À Washington, Doc se rend au Vietnam Veterans Memorial et regarde avec colère sa liste de victimes à perte de vue57. C’est un souvenir très récent puisque moins de quinze ans se sont écoulés depuis la fin de la guerre. Le Viêt Nam est pour la génération de Robert Kramer l’événement historique le plus traumatisant. Le film entrelace cette évocation de la guerre du Viêt Nam avec le quotidien de deux réfugiés salvadoriens qui témoignent des tortures qu’ils ont subies aux mains des escadrons de la mort58. Là aussi, l’ingérence américaine est sous-jacente, la junte militaire au Salvador ayant reçu le soutien de l’armée américaine. On accompagnera un des réfugiés au pied de l’Iwo Jima Memorial, monument aux morts de toutes les guerres depuis 1775. Au pied de la statue est gravée la liste de ces guerres qui n’ont jamais cessé. Et elle est longue : quarante-deux guerres jusqu’à Grenade, en 1983.

Fig. 20. Route One/USA

Fig. 20. Route One/USA

© Les Films d’Ici

  • 59 Le White Patriot Party est fondé en 1985 par Glenn Miller (ou Frazier Glenn Miller) et émane d’une (...)
  • 60 Route One USA 2, 00:57:30.
  • 61 Pat Reese contribuera à l’arrestation de Glenn Miller à l’automne 1987 alors que ce dernier prépare (...)

28Cette idéologie militariste nourrit un autre extrémisme. À Fort Bragg, Pat Reese raconte son enquête sur les Patriotes Blancs59, groupuscule paramilitaire accusé de meurtres racistes et homophobes60. Là aussi, le montage encadre cette séquence avec celles de l’entraînement militaire, reliant cette idéologie militariste ambiante avec l’émergence de tels mouvements. En l’occurrence, les Patriotes Blancs émanent d’un sergent61 des Forces spéciales à la retraite ayant réuni autour de lui d’anciens militaires, qui comme le dit Pat Reese n’ont appris qu’une chose : tuer.

Fig. 21. Route One/USA

Fig. 21. Route One/USA

© Les Films d’Ici

  • 62 Route One USA 2, 00:11:54.
  • 63 Route One USA 2, 00:11:03.

29Enfin, le film décrit un système de santé totalement en ruines. Les besoins sont colossaux, les moyens dérisoires et les soignants à bout de forces. Lorsqu’il postule pour travailler dans un hôpital public à Newark, le dialogue avec le personnel soignant replonge Doc dans une médecine telle qu’on la connaît dans les pays les plus pauvres : « C’est une guerre lente, contre les gens et contre nous. En Amérique, on meurt de faim, de malnutrition, et beaucoup mourront du sida parce qu’ils ignorent qu’ils en courent le risque. C’est une guerre lente62 ». Là encore, c’est sur la base de l’expérience fictive de Doc que le dialogue s’instaure, une femme met en doute la fiction du docteur dans une Afrique en guerre : « Comment il a pu travailler tout seul, pendant dix ans, si moi je suis au bout du rouleau en un an, avec un groupe. Comment as-tu fait pendant dix ans, sans ? Avec des gens dont tu parlais peu la langue, dont la culture t’était étrangère63 ? ». Pour elle, ce n’est pas crédible et le doute qu’elle exprime – et nous transmet – nous fait prendre la mesure de la dureté de leur quotidien. Il l'a fait parce que c'était de la fiction. Dans le réel, de toute évidence, ce n'est pas faisable. Plutôt que d’exposer le « réel », il s’agit de l’évaluer en prenant la fiction comme étalon.

  • 64 Route One USA 2, 01:46:45.

30Lorsque Doc est engagé comme médecin à Miami, la femme qui répond à Kramer et qui est censée l’avoir engagé joue, au sens plein et entier du terme : « Au début, j’hésitais à l’engager. […] D’abord, l’État ne peut pas payer les docteurs ce qu’ils valent. Et vivre à Miami avec un si petit salaire […] mais beaucoup ont un deuxième métier pour joindre les deux bouts. On se fait inviter à dîner64… ». Si la voix de Kramer qui intervient simule le documentaire, la scène est de pure fiction. Elle sait bien qu'il n'est pas médecin, mais la fiction permet de décrire la situation sociale précaire des médecins choisissant de travailler dans le secteur public.

  • 65 Robert Kramer, Notes de la forteresse (1967-1999), op. cit., p. 213.

31On pourrait parler aussi d’autres problèmes rencontrés au fil de la route : racisme, précarité de certains (retraités, ouvriers), pollution. Le tableau est exhaustif, et c’est bien le portrait d’une Amérique injuste qui nous est fait. Sans désespérance pour autant, par la mise en avant de toutes ces figures passées (Henry David Thoreau, Walt Whitman…) ou présentes (activistes, bénévoles, soignants…) qui s’engagent à la rendre plus équitable. « Les années 1980. Tout le monde parle de progrès et d’argent, de réussite personnelle. La matérialité, la globalisation des médias, la fin du socialisme. La fin des alternatives. Un monde, la renaissance de la religion, le retour à la normalité. Une sorte de solide couvercle descriptif, un épais brouillard de pollution plane sur le pays. En dessous, la peur65. »

Une proposition de cinéma en rupture avec le cinéma dominant

  • 66 Peter Watkins, Media Crisis, 3e éd., Paris, L’Échappée, 2015, p. 28.

32Le rejet de cette Amérique s’élabore par le dispositif très particulier du film, mêlant fiction et documentaire, laissant à chacun son autonomie. Cette démarche porte aussi le rejet d’un certain cinéma : le cinéma dominant, cette « Monoforme »66 dirait Peter Watkins, aliénante et simplificatrice dont il s’agit de déconstruire le pouvoir de fascination. Le cinéma de Robert Kramer partage nombre de points communs avec celui de Peter Watkins : un goût pour les films d’anticipation politique – Ice, The Edge (1968) pour Kramer, The War Game (1966) et Punishment Park (1971) pour Watkins. Kramer et Watkins élaborent un processus de création proche, basé sur l’ouverture et la collaboration. La dédicace de Route One USA résonne avec le générique de fin de Edvard Munch, La Danse de la Vie (1974) par exemple : « Écrit en collaboration avec les acteurs dont beaucoup expriment leurs propres opinions ». On pourrait aussi citer The Freethinker (1994) ou La Commune (1999). Ce travail en rupture avec le cinéma dominant a entraîné pour l’un comme pour l’autre des difficultés à produire leurs films dans leur pays d’origine, et les a conduits à vivre à l’étranger.

  • 67 Ibid., p. 38.

33La Monoforme telle que décrite par Watkins est le dispositif narratif de la télévision et du cinéma commercial : répétitif, prévisible, excluant toute participation des spectateurs. Ce dispositif vise à manipuler ces derniers en les empêchant de réfléchir à ce qu’ils regardent. « La structure narrative mono-linéaire aristotélicienne (“il était une fois” et “ils vécurent heureux”) a toujours comporté une dimension autoritaire, en ce sens qu’elle vise à soumettre un public passif à un processus de catharsis67. » À la structure monolinéaire de la Monoforme, Kramer oppose cette structure rhizomatique qui met en doute, nous fait réévaluer ce que nous avons vu ou cru.

  • 68 The War Game (La Bombe), Peter Watkins, 1966.
  • 69 Ibid., p. 8.
  • 70 Robert Kramer, Notes de la forteresse (1967-1999), op. cit., p. 205.
  • 71 Robert Kramer, Notes de la forteresse (1967-1999), op. cit., p. 205.

34Watkins et Kramer mènent des réflexions parallèles sur le soi-disant réalisme documentaire. Pour Watkins, ce sera par l’anachronisme : donner à Culloden (1964) par exemple, le style d’un reportage télévisuel. « J’espérais ainsi que l’incongruité d’un film consacrée à une bataille de 1746, donnant l’impression de se dérouler de nos jours, ou d’un film “réaliste” sur un événement qui ne s’était pas produit (une attaque nucléaire sur la Grande-Bretagne68), soulèverait des questionnements sur la validité du soi-disant “réalisme documentaire”69 ». Robert Kramer revendique la subjectivité : « […] la relation entre la caméra (ce qui est derrière la caméra) et ce qui est devant l’objectif, le contrechamp, est toujours une relation subjective ou “fictionnelle” […]. C’est une “fiction” au sens d’une interaction imaginative constante entre moi et le monde70 ».  Selon Watkins, la subjectivité doit être assumée et engager le cinéaste : « le concept d’objectivité, et toute prétention s’y rapportant, sont des mythes infondés des MMAV [Mass Media Audiovisuels]. Nos efforts ne peuvent tendre que vers le développement d’une subjectivité responsable71 ».

  • 72 Robert Kramer, Notes de la forteresse (1967-1999), op. cit., p. 205.
  • 73 Peter Watkins, Media Crisis, op. cit., p. 30.
  • 74 Route One USA 1, 01:19:20.

35Tous deux font l’éloge de la complexité comme moyen privilégié pour se défaire de la fascination que le cinéma exerce sur le spectateur. Pour Robert Kramer, « Il y a des fictions meilleures que d’autres. Certaines décrivent de façon plus exhaustive, avec une plus grande densité et une plus grande complexité, avec une ambiguïté qui invite au questionnement ; certaines créent un véritable dialogue avec notre expérience personnelle72 ». Peter Watkins milite pour des formes en rupture avec la Monoforme, visant aussi à interagir avec le spectateur : « Ces processus alternatifs pourraient ainsi s’appuyer sur la durée, la complexité, la dissociation, l’ambiguïté pour libérer le spectateur de l’emprise exercée par la Monoforme et ses dispositifs narratifs hollywoodiens73 ». Il y a dans Route One USA une très belle métaphore de ce travail qui préfère la complexité aux données définitivement établies, lorsqu’un homme s’explique sur le manège qu’il est en train de fabriquer : « Je fais ça surtout par envie de voir ce qui va se passer. C’est une aventure. Quand on fabrique des choses toute sa vie, on cherche des choses de plus en plus difficiles, de plus en plus folles. Rien que pour voir ce qui va se passer. […] Un écrivain écrit pour voir comment ça va se terminer. Sinon, pourquoi écrire ? Si on sait déjà, quel intérêt ? »74.

Fig. 22. Route One/USA

Fig. 22. Route One/USA

© Les Films d’Ici

36Ce refus du cinéma dominant a aussi une dimension politique, puisque dans cette fascination qui bride la pensée se joue un rapport de domination, un contrôle idéologique :

  • 75 Ibid., p. 131.

La structure narrative dominante […] doit être appréciée pour ce qu’elle est : un processus hautement autoritaire qui s’immisce dans tous les interstices de notre société. À cela s’ajoute le fait que les MMAV se chargent de supprimer tout espace et/ou processus qui pourraient permettre au public d’engager le dialogue ou de réfléchir à ce qu’il a vu ou entendu75.

37Kramer dénonce le même processus de domination :

  • 76 Robert Kramer, Notes de la forteresse (1967-1999), op. cit., p. 110. Le terme camérer est emprunté (...)

La convention, dans la plupart des films, est une caméra omnisciente, comme dieu, comme “celui qui voit tout”. La caméra peut aller n’importe où, montrer n’importe quoi, avoir le privilège de toute intimité. Mais cette convention ne fait que masquer la subjectivité de la caméra. Elle masque la conception, la manipulation, tous les aspects en fait de la “réalisation”. Derrière l’“objectivité” se trouve une sorte de coercition, d’autant plus dangereuse par sa prétention à ne faire que camérer76.

  • 77 Route One USA 1, 01:34:40.
  • 78 Route One USA 1, 01:35:07.
  • 79 Route One USA 1, 01:35:54.
  • 80 Robert Kramer, « Pour vivre hors-la-loi, tu dois être honnête », 1993 (http://derives.tv/pour-vivre (...)

38D’où la critique des médias qu’ils mènent tous deux : ce qu’on voit a l’air vrai, mais ne l’est pas. Une scène est très intéressante à ce titre dans Route One Usa. En aidant à préparer le repas de Thanksgiving, Paul McIsaac joue trop ouvertement à Doc : il dit regretter de ne plus travailler comme médecin et qu’on ne sache pas qui il est77. C’est un comble pour le spectateur qui sait qu’il joue un docteur. On est vraiment dans le jeu ici, à tous les sens du terme, en témoigne son petit sourire à son interlocutrice. Il s’interrompt, son regard est attiré hors champ, et quel est le contrechamp ? L’équipe de télévision venue faire un reportage et qui ne s’intéresse qu’au quantifiable : « Mille deux cents dindes et trois cents poulets78 ». Ils expédient l’interview et s’en vont aussi vite qu’ils sont arrivés. Ce que nous dit Kramer avec ce tremblement fictionnel, c'est que le réel réside moins dans les images télévisuelles que dans cette forme qui s’assume comme fictionnelle, joue même à cet instant avec l’adhésion du spectateur. La preuve, c’est que les journalistes n'ont rien vu de ce qu'il y avait à voir – la solidarité, le don de soi – « Qu’est-ce que tu as pris ? » demande le journaliste au cadreur. « Des cartons et des gens au travail79 ». Même si Doc est une fiction, ce que le film dit à travers lui est plus vrai que ce que la télévision serait à même de capter. « Le fait de prendre littéralement comme sujet la relation au monde qui nous entoure fait accéder ce genre de réalisation à un riche territoire. Un film de ce type a une relation asynchrone, voire antagoniste, avec le Pouvoir et l’un de ses composants majeurs, la télévision. […] Son atmosphère est essentiellement ambigüe, alors que le Pouvoir dicte “ça, c’est ça, point à la ligne80 !”».

39Il s’agit d’inviter le spectateur à être actif, à construire d’autres types de relation aux images, moins basés sur la crédulité. À propos de Guns (1980), Kramer écrit :

  • 81 Robert Kramer, Notes de la forteresse (1967-1999), op. cit., p. 129.

Comment entre-t-on en conversation avec un film ? L’écran s’enroule autour de nos têtes tandis que le son transperce toutes les barrières : il ne reste qu’une réaction réflexe. Ça produit bien sûr beaucoup de plaisir […]. Mais au-delà de cette jouissance concrète, les nouvelles technologies mettent en branle de subtils bouleversements somatiques. Il est de plus en plus difficile d’entretenir un autre type de relation avec l’écran. Ça reste le problème, ces “autres types de relation” étant bien plus intéressantes et prometteuses81.

  • 82 Peter Watkins, Media Crisis, op. cit., p. 40.
  • 83 Robert Kramer, « Pour vivre hors-la-loi, tu dois être honnête », art. cit.

40Comment dépasser le stade du divertissement que Watkins considère comme antithétique de toute forme de pensée : « Le divertissement devant, bien entendu, être suffisamment entraînant pour empêcher toute remise en cause par le public des formes et méthodes employées82 » ? La réponse de Kramer est le recours assumé à la fiction, la mise en lumière de l’artificialité de ce qu’on voit, nous incitant à mettre en œuvre notre esprit critique. Dans le dialogue de Doc’s Kingdom, Route One USA et Dear Doc, nous mesurons non seulement combien les films ne sont pas planifiés et se fondent sur une relation au monde partagée et subjective, mais encore que notre interprétation évolue, que le « réel » est complexe et mouvant, s’opposant là aussi au cinéma dominant : « Des films […] méticuleusement planifiés et assemblés, dont les qualités ont été sélectionnées par une féroce compétition pour des ressources insuffisantes, et qui presque invariablement réaffirment l’immuabilité des choses, du moins des choses comme on croit qu’elles sont83 ».

  • 84 Route One USA 2, 00:05:22.
  • 85 Route One USA 1, 00:59:47.

41Dans Route One USA, cela passe par la mise en évidence du dispositif de réalisation, par la résurgence des souvenirs fictifs de Doc en prolongement de ce que Doc’s Kingdom nous a appris du personnage. À Newark, Doc et Robert Kramer discutent de la suite à donner au film84. Est-ce une bonne idée de laisser Doc s’installer à Newark ? L’illusion de transparence à laquelle les films nous ont habitués s’effondre ici, on nous donne accès aux débats que suscite la réalisation. Et ce faisant, on nous invite à interroger notre rapport au cinéma, notre propension à nous laisser abuser. Ailleurs, cette prise de distance s’effectue par la mise en scène très appuyée, théâtralisée même. Paul McIsaac redevient ce qu’il est : un acteur sur une scène. C’est ainsi le plaidoyer de Thoreau en faveur de John Brown où Doc se dédouble85.

Fig. 23 et 24. Route One/USA

Fig. 23 et 24. Route One/USA

© Les Films d’Ici

42La séquence alterne des plans de McIsaac sur scène lisant le texte de Thoreau et des plans où il sonne la cloche, cette cloque qui, historiquement, n’a pas sonné pour Thoreau du fait de la couardise du pasteur de la ville. La mise en scène est théâtrale – par le lieu, l’éclairage, la frontalité du cadre et l’interprétation de McIsaac –, elle est volontairement artificielle, le découpage des plans est très précis. On a ici pour ainsi dire un niveau second de fiction : l’acteur joue un comédien. Cette façon de restituer un événement historique n’est pas loin de la démarche de Watkins qui se refuse à toute reconstitution réaliste qui produirait l’illusion d’un passé donné comme tel.

  • 86 Dear Doc, 00:00:22.
  • 87 Régis Dubois, « Quelle alternative à la monoforme ? Perspective historique », dans Sébastien Denis, (...)

43Dans Dear Doc, la mise en évidence du montage nous extrait de ce régime de fascination que les films exercent sur nous. Ce que nous prenions pour le « réel » est le fruit d’une représentation. Le montage est littéralement une manipulation. « C’est dans cette salle de montage, Paul, que je trouve mes limites86 » prévient Kramer, alors que sa main en ombre se pose sur l’image électronique. Il se met en scène dans la salle de montage, nous montrant en direct comment il construit les séquences. C’est une façon de mettre en évidence le dispositif cinématographique, et ainsi, comme l’écrit Régis Dubois à propos de Watkins, de « faire passer le spectateur d’une attitude de fascination passive à un état de compréhension active87 ».

44Dear Doc propose une narration alternative, démontrant ainsi les puissances du montage. Le film combine des extraits de Doc’s Kingdom, des rushes montés ou non de Route One USA (avec le time-code incrusté), des images en vidéo qui tiennent du journal intime ou de la mise en scène du cinéaste au travail, enfin des images qu’on pourrait qualifier de documentaires sur la création de la musique de Route One USA. Si dans Route One USA, Doc/Paul pouvait porter certaines séquences, ici, c’est clairement Kramer qui parle et dans ce jeu du remploi, propose une autre interprétation des images qu’on a pu voir dans Doc’s Kingdom ou Route One USA.

  • 88 Peter Watkins, Media Crisis, op. cit., p. 62.
  • 89 Dear Doc, 00:22:56.

45Avec la Monoforme, « le public se voit […] privé de tout véritable questionnement et de dialogue, tandis qu’on lui interdit l’accès à la connaissance de techniques de manipulation mises en œuvre88 ». Dans Dear Doc, les techniques de manipulation sont apparentes, en particulier en relation avec les deux films précédents. Dear Doc est une entreprise de démystification du spectateur à qui on montre comment on raccorde, où on coupe, comment on assemble. On a notamment accès à ce qui a été coupé, le montage étant par essence une opération de soustraction. Kramer rétablit ainsi l’intégralité du plan où Doc annonce à Kramer qu’il arrête le voyage, autrement dit qu’il quitte le film89. Les lignes vidéo et le son dégradé sont la preuve que Kramer a regardé encore et encore ces rushes.

Fig. 25. Dear Doc

Fig. 25. Dear Doc

© Les Films d’Ici

  • 90 Dear Doc, 00:05:51.
  • 91 Route One USA 1, 00:01:29.

46Il y a dans ces défauts les traces de son travail. Kramer et Doc débattent alors que, dans Route One USA, Kramer n’intervient plus, la scène se centre sur Doc, sur ses mains manifestant son désir de communauté. Dans Dear Doc, c’est davantage le couple qui est mis en scène, les arguments de Robert pour le retenir, le chantage affectif même, pourrait-on dire : « Ce n’est pas juste une question de solitude. Tu as été un guide pour moi ». De même, Kramer monte le plan d’arrivée à New York, avec la statue de la Liberté en arrière-plan90 un peu plus tôt que dans Route One USA91.

  • 92 Route One USA 1, 00:02:01.

47La focale est plus longue dans Route One USA, Kramer a zoomé dans l’intervalle. Dans ce début de prise, Doc se met à parler : « C’est étrange. Je suis parti il y a plus de dix ans ». Cette phrase de fiction (McIsaac est new-yorkais) va devenir, dans Route One USA, la parole de Robert sur le mode du « nous », lorsque Doc un peu plus tard traversera la ville la nuit : « Nous étions partis longtemps. Dix ans. Doc en Afrique, moi en Europe, à faire des films92 ».  On voit alors le cheminement de l’idée : Paul McIsaac qui prononce cette phrase sur le mode de l’improvisation, phrase qui est reprise à son compte a posteriori par Robert Kramer, et qu’on associe à une autre image, une autre temporalité. La manipulation de la matière filmique est ainsi mise en évidence.

  • 93 Cité par Patrick Leboutte, « Robert Kramer, le monde en face », L’image, le monde, 1, 1999.
  • 94 Ce mot si emblématique de l’œuvre de Kramer, comme le souligne Richard Copans : « Comment mettre su (...)
  • 95 Peter Watkins, Media Crisis, op. cit., p. 32.
  • 96 Cité par Civan Gürel, Bertram Dhellemmes et Cédric Verlynde, « Hommage à Robert Kramer », 1996 (htt (...)
  • 97 Gilles Deleuze, Pourparlers, Paris, Éditions de Minuit, 1990, p. 65-66.

48Les trois films – et l’ensemble des films de Kramer – tissent un réseau intertextuel riche qui fait bouger les lignes de démarcations entre régime documentaire et fictionnel, propose une représentation du réel vécu comme une construction en devenir, complexe et mouvante. Nous sommes face à une représentation de l’espace où le temps se solidifie. Concernant l’espace, on pourrait parler ici de la répugnance de Kramer quant aux mouvements de caméra : « cela fait longtemps que j’ai renoncé à toute idée de panorama. Ce n’est que par un travail sur les fragments que je trouve encore un peu de possibilité de reconstituer une vision du monde tout en ménageant un espace de réflexion93 ». Il préfère reconstruire le trajet94 avec des plans fragmentaires, qui nous invitent à penser leur association, les intervalles qui les séparent. Dans Doc’s Kingdom, c’est le trajet patiemment construit des bords du Tage à l’hôpital : Doc longe les quais en compagnie d’un chien boiteux, franchit une voie ferrée, s’approche de l’abattoir, traverse un terrain vague… « L’espèce humaine se caractérise par son besoin vital de temps, de durée et d’espace. Ces éléments sont indispensables à notre capacité de juger, de réfléchir, de nous interroger et de libérer notre pensée95 », dit dans le même ordre d’idée Peter Watkins. À hauteur d’homme, à la vitesse de ces pas, à la mesure de sa condition, nous accompagnons Doc sur son trajet, aux antipodes d’une vision globalisante et surplombante. On sait bien que le panoptisme est par nature autoritaire : « La vision panoramique correspond à l’idéal romanesque du XIXe qui voulait que l’auteur puisse prendre une position d'où il peut tout voir et tout expliquer. Je n’y crois pas du tout, une politique sensée est une politique où on dirait : on ne peut pas tout voir, on ne peut pas tout contrôler96 ». Ici, c’est par le et – un plan et un autre, et un autre ; un film et celui qui le précède, et celui qui le suit ; un acteur et un personnage ; le présent et le passé ; l’Amérique et l’Europe ; le réel et l’imaginaire ; la subjectivité et le politique… – que les films se construisent, et c’est par le et que nous pouvons penser. À propos de Six fois deux de Godard, Gilles Deleuze fait une analyse de cette idée de conjonction, qu’on peut étendre au cinéma de Kramer : « Le ET, c’est la diversité, la multiplicité, la destruction des identités. Le ET, ce n'est ni l'un ni l'autre, c'est toujours entre les deux, c'est la frontière, il y a toujours une frontière, une ligne de fuite […]. Et c'est pourtant sur cette ligne de fuite que les choses se passent, les devenirs se font, les révolutions s'esquissent97».

49Avec l'autorisation des Films d'ICI qu’Isabelle Singer remercie très chaleureusement pour la reproduction des photogrammes.

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Notes

1 Route One USA 1, 00:02:25.

2 Robert Kramer, Notes de la forteresse (1967-1999), édition établie par Cyril Béghin, Paris, Post-Éditions, 2019, p. 296.

3 Robert Kramer « Going (back) to Vietnam », Trafic, 1, 1991, p. 107.

4 Cité par Janine Euvrard, « entretien avec RK », 24 images, 92, 1998, p. 33.

5 Collectif de production et de diffusion de cinéma militant, fondé en décembre 1967 à la suite de la grande marche sur le Pentagone (21 octobre 1967).

6 Ice, 00:20:25.

7 Doc’s Kingdom, 00:51:50.

8 Ice, 02:07:05.

9 Doc’s Kingdom, 00:14:50.

10 Doc’s Kingdom, 00:15:21.

11 Doc’s Kingdom, 00:33:26.

12 Doc’s Kingdom, 01:07:12.

13 Doc’s Kingdom, 01:04:00.

14 Interprété par João Cesar Monteiro.

15 Doc’s Kingdom, 00:54:20.

16 Paul McIsaac, « Creating Doc », dans Vincent Vatrican, Cédric Venail (dir.), Trajets à travers le cinéma de Robert Kramer, Aix-en-Provence, Institut de l’Image, 2001, p. 64.

17 Doc’s Kingdom, 00:24:07.

18 Robert Kramer n’est pas stricto sensu derrière la caméra (Robert Machover est au cadre), mais à côté d’elle, l’acteur s’adresse à lui.

19 Doc’s Kingdom, 00:54:54.

20 Route One USA 1, 00:01:58.

21 Route One USA 1, 01:06:11.

22 Une rangée de quatre aquariums est le seul élément de décor dans la pièce plongée dans le noir, où Doc raconte ses débuts de médecin (Doc’s Kingdom, 00:18:22).

23 Route One USA 1, 01:06:45.

24 Dear Doc, 00:12:50.

25 Route One 1, 00:50:30.

26 Pat Robertson (1930-2023), magnat des médias, fondateur de la Christian Coalition of America, fut candidat à l’investiture du Parti Républicain pour l’élection présidentielle de 1988. Il est connu pour ses positions homophobes, antiféministes, antisémites, islamophobes, ainsi que ses relations controversées avec des dictateurs (Charles Taylor, Efrain Rios Montt).

27 Route One 1, 00:49:50.

28 Route One 1, 00:02:10.

29 Route One 2, 00:08:32.

30 Route One 1, 00:27:48. La scène est un dialogue entre Doc, qui raconte la manifestation organisée par la Clamshell Alliance le 24 juin 1978 (suite à plusieurs occupations dès 1976), et Robert, qui date l’événement en 1979, année de la dernière occupation du réacteur par des militants non-violents ( 6 octobre 1979).

31 Route One 1, 00:28:27.

32 Route One 2, 01:00:03.

33 Paul McIsaac, « Creating Doc », op. cit., p. 62.

34 Journaliste au Fayetteville Observer-Times, acteur (Night of the Living Dead, Tom Savini, 1990) et fondateur du Fayetteville Little Theater. Il est victime d’une tentative d’assassinat lors d’une enquête sur la santé mentale aux États-Unis.

35 Paul McIsaac, « Creating Doc », op. cit., p. 49.

36 Route One USA 2, 02:04:08.

37 Cité par Bernard Eisenschitz, Points de départ : entretien avec Robert Kramer, Aix-en-Provence, Institut de l’Image 2001, p. 109.

38 Cette séquence de près de quarante minutes fait un état des lieux saisissant de la ville – pauvreté, trafic de drogues, violence, discrimination – ainsi que le portrait de militants qui s’engagent pour les déshérités (bénévoles d’une soupe populaire, directrice d’un centre social…). Elle témoigne d’un état social catastrophique (Bridgeport perd près de 10% de sa population dans les années 1980).

39 Route One USA 1, 01:36:00 et séquences suivantes.

40 Cité par C. Derouet et D. March dans Walk the Walk : Robert Kramer, 20 novembre 1996 (https://www.lesinrocks.com/cinema/walk-the-walk-robert-kramer-99898-20-11-1996/, consulté le 21 juillet 2023) [accès payant].

41 Cf. Paul McIsaac & Richard Copans on Route One USA, op. cit.

42 Cité par Aaron Gerow et Fujiwara Toschifumi, “A discussion with Frederick Wiseman and Robert Kramer”, 1997 (http://derives.tv/a-discussion-with-frederick-wiseman-and-robert-kramer/, consulté le 21 juillet 2023), ma traduction.

43 Cecil Young se présente comme activiste, élu au conseil municipal, premier Noir candidat à la mairie de Bridgeport. Il est toujours actif, en particulier dans le domaine du logement et de la santé. Il s’est notamment opposé à Joe Ganim, maire de Bridgeport de 1991 à 2003, date à laquelle Ganim est condamné à neuf ans de prison pour corruption. Ganim sera réélu en 2015.

44 Route One USA 1, 01:55:04.

45 Dear Doc, 00:00:30.

46 Route One USA 2, 01:52:09.

47 Route One USA 1, 01:27:41.

48 Route One USA 2, 00:02:48.

49 Jacques Rancière, Le Spectateur émancipé, Paris, La Fabrique, 2008, p. 85.

50 Route One USA 2, 00:14:12.

51 Route One USA 1, 00:38:48.

52 Cf. Scenes from the class Struggle in Portugal, 00:00:23:55

53 Route One USA 1, 00:41:53.

54 Route One USA 1, 00:45:46.

55 Richard Copans, dans Paul McIsaac & Richard Copans on Route One USA - Film at Lincoln Center, 30 août 2020 (https://www.youtube.com/watch?v=sGSdaojVzcU, consulté le 21 juillet 2023), ma traduction.

56 Route One USA 2, 00:55:16.

57 Route One USA 2, 00:34:46.

58 Groupes paramilitaires pro-gouvernementaux à qui un rapport d’enquête de l’ONU attribue 90% des 70 000 victimes de la guerre civile du Salvador (1979-1992).

59 Le White Patriot Party est fondé en 1985 par Glenn Miller (ou Frazier Glenn Miller) et émane d’une branche du Ku Klux Klan en Caroline du Nord (Knights of the Ku Klux Klan). Le White Patriot Party sera impliqué dans plusieurs fusillades (massacre de Greensboro, massacre de la librairie de Shelby, projet d’assassinat de Morris Dees – militant pour les droits civiques). Cf. Mag Segrest, Memoir of a race traitor – fighting Racism in the American South, New Press, 2019.

60 Route One USA 2, 00:57:30.

61 Pat Reese contribuera à l’arrestation de Glenn Miller à l’automne 1987 alors que ce dernier prépare un attentat contre une synagogue et le massacre de cinquante Noirs à Atlanta pour déclencher une guerre raciale. Glenn Miller sera condamné en 2014 pour le meurtre antisémite de trois personnes à Overland Park au Kansas.

62 Route One USA 2, 00:11:54.

63 Route One USA 2, 00:11:03.

64 Route One USA 2, 01:46:45.

65 Robert Kramer, Notes de la forteresse (1967-1999), op. cit., p. 213.

66 Peter Watkins, Media Crisis, 3e éd., Paris, L’Échappée, 2015, p. 28.

67 Ibid., p. 38.

68 The War Game (La Bombe), Peter Watkins, 1966.

69 Ibid., p. 8.

70 Robert Kramer, Notes de la forteresse (1967-1999), op. cit., p. 205.

71 Robert Kramer, Notes de la forteresse (1967-1999), op. cit., p. 205.

72 Robert Kramer, Notes de la forteresse (1967-1999), op. cit., p. 205.

73 Peter Watkins, Media Crisis, op. cit., p. 30.

74 Route One USA 1, 01:19:20.

75 Ibid., p. 131.

76 Robert Kramer, Notes de la forteresse (1967-1999), op. cit., p. 110. Le terme camérer est emprunté à Fernand Deligny en opposition à filmer. Camérer, c’est produire des images sauvages, non parasitées par le langage.

77 Route One USA 1, 01:34:40.

78 Route One USA 1, 01:35:07.

79 Route One USA 1, 01:35:54.

80 Robert Kramer, « Pour vivre hors-la-loi, tu dois être honnête », 1993 (http://derives.tv/pour-vivre-hors-la-loi-tu-dois/, consulté le 21 juillet 2023).

81 Robert Kramer, Notes de la forteresse (1967-1999), op. cit., p. 129.

82 Peter Watkins, Media Crisis, op. cit., p. 40.

83 Robert Kramer, « Pour vivre hors-la-loi, tu dois être honnête », art. cit.

84 Route One USA 2, 00:05:22.

85 Route One USA 1, 00:59:47.

86 Dear Doc, 00:00:22.

87 Régis Dubois, « Quelle alternative à la monoforme ? Perspective historique », dans Sébastien Denis, Jean-Pierre Bertin Maghit (dir.), L’Insurrection médiatique. Médias, histoire et documentaire dans le cinéma de Peter Watkins, Bordeaux, Presses Universitaires de Bordeaux, 2010, p. 26.

88 Peter Watkins, Media Crisis, op. cit., p. 62.

89 Dear Doc, 00:22:56.

90 Dear Doc, 00:05:51.

91 Route One USA 1, 00:01:29.

92 Route One USA 1, 00:02:01.

93 Cité par Patrick Leboutte, « Robert Kramer, le monde en face », L’image, le monde, 1, 1999.

94 Ce mot si emblématique de l’œuvre de Kramer, comme le souligne Richard Copans : « Comment mettre sur la pellicule cette expérience, ce trajet, oui mais pas seulement l’espace, le sentiment d’y éprouver le monde, le temps qui passe ? », « Éprouver le monde », dans Trajets à travers le cinéma de Robert Kramer, op. cit., p. 137.

95 Peter Watkins, Media Crisis, op. cit., p. 32.

96 Cité par Civan Gürel, Bertram Dhellemmes et Cédric Verlynde, « Hommage à Robert Kramer », 1996 (http://derives.tv/hommage-a-robert-kramer/, consulté le 21 juillet 2023).

97 Gilles Deleuze, Pourparlers, Paris, Éditions de Minuit, 1990, p. 65-66.

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Table des illustrations

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Pour citer cet article

Référence électronique

Isabelle Singer, « Doc’s Kingdom (1989), Route One/USA (1989), Dear Doc (1990) : la trilogie de Doc »Revue d’histoire culturelle [En ligne], 8 | 2024, mis en ligne le 30 mai 2024, consulté le 02 décembre 2024. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/rhc/11375 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/11yd1

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Auteur

Isabelle Singer

Maître de conférences à la SATIS, école de cinéma d’Aix-Marseille Université, où elle enseigne l’image, Isabelle Singer est chercheuse à l’UMR PRISM. Ses recherches concernent les enjeux esthétiques du processus de fabrication des films, en particulier chez Robert Kramer, Atom Egoyan, Terrence Malick ou Peter Watkins. Elle est par ailleurs monteuse de documentaires et réalisatrice.

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