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Dossier - Cultures olympiques. Appropriations, pratiques, représentations
Le tournant de l’entre-deux-guerres

Les Jeux olympiques de Paris en 1924, une fête du muscle

The Paris Olympic Games in 1924, a muscle festival
Aurélien Chèbre

Résumés

En nous appuyant sur des archives variées, tant imprimées qu’audiovisuelles, notre article se propose d’analyser les Jeux olympiques de Paris 1924 – en particulier la semaine athlétique du 6 au 13 juillet – au prisme de la fête et des émotions qu’elle suscite. Ces dernières, partie intégrante de la culture olympique, font l’objet d’une attention particulière de la part des organisateurs. La technologie du stade olympique de Colombes autorise une mise en spectacle inédite des émotions, catalysant ainsi une forme de « sympathie musculaire » entre spectateurs et athlètes. La médiatisation des performances complète cette aide en direct dont bénéficie le profane pour mieux apprécier les courses. Les journalistes rappellent les enjeux sportifs et symboliques des épreuves dans leurs chroniques ou donnent les impressions à chaud des athlètes après les courses. Pourtant, malgré cette démarche pédagogique, la fête sportive ne se déroule pas sans accrocs. La démonstration des affects chez les athlètes ne correspond pas toujours aux attentes des spectateurs ou des journalistes, à l’instar du champion finlandais Paavo Nurmi, trop peu démonstratif. Par ailleurs, l’épreuve du cross-country, disputée sous une chaleur torride, suscite de vives réactions non seulement en raison des circonstances exceptionnelles de la course, mais aussi de son inadéquation avec l’essence émotionnelle de la pratique.

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Texte intégral

  • 1 Juliette Michenaud, « Jeux olympiques. Pour Tony Estanguet, “Tokyo est un moyen d’apprendre” pour P (...)
  • 2 Sandrine Lefèvre, « JO : en 2024, Paris sera vraiment une fête », Le Parisien, 9 août 2021, en lign (...)
  • 3 Office de tourisme de Paris. Site officiel, « Les Jeux Olympiques 2024 se déroulent à Paris ! », en (...)
  • 4 Georges Rozet, Les Fêtes du muscle, Paris, Grasset, 1914, avant-propos, s.p.
  • 5 Une simple recherche sur Gallica permet de mesurer le nombre impressionnant d’occurrences pour l’ex (...)
  • 6 Gabriel Hanot, « Le bilan matériel, sportif et moral des jeux olympiques », Almanach du miroir des (...)
  • 7 « Les Jeux Olympiques ne sont point de simples championnats mondiaux, mais bien la fête quadriennal (...)
  • 8 Pour Roger Chartier, dans son avant-propos de l’édition française de Sport et civilisation. La viol (...)
  • 9 De nombreux historiens, sociologues et philosophes appréhendent l’empreinte émotionnelle de la prat (...)

1À l’approche des Jeux olympiques de Paris en 2024, Tony Estanguet, président du comité d’organisation, espère « une grande fête populaire »1. Journalistes et professionnels du tourisme soulignent, eux aussi, le caractère festif de l’événement à venir : « En 2024, Paris sera vraiment une fête »2 ; « Paris est en fête !3 » Cette ritournelle associant étroitement sport et fête n’est pas nouvelle. Dès 1914, le journaliste Georges Rozet publie Les Fêtes du muscle, ouvrage dans lequel il entend dresser des « tableaux de la vie athlétique », des récits et impressions au cœur d’événements sportifs comme le Tour de France ou les Jeux olympiques de Stockholm en 19124. L’initiative de consacrer un opuscule spécialement dédié au caractère festif du sport reste singulière, mais l’usage de l’expression « fête du muscle » n’est ni rare, ni inédite au début du XXe siècle5. Désignant de nombreuses manifestations sportives, elle est surtout employée pour caractériser les Jeux olympiques. D’autres tournures similaires sont également utilisées à l’instar de l’Almanach du miroir des sports en 1925, qui mentionne une « foire universelle du muscle »6. Pierre de Coubertin dans son discours pour la rénovation des Jeux olympiques dans le grand amphithéâtre de la Sorbonne en 1894 et dans ses nombreux ouvrages publiés par la suite évoquait quant à lui « la fête universelle du printemps humain »7. Le terme « fête » ne doit pas ici être entendu dans son acception restreinte, éliasienne, associé au folklore des jeux anciens8, mais plutôt dans le sens d’une célébration des corps en mouvement. La dramaturgie et la solennité de ces joutes sportives ritualisées constitueraient ainsi le terreau favorable à l’expression d’émotions partagées entre les athlètes et les spectateurs9.

  • 10 La « chevalerie sportive » représente, selon l’historien Patrick Clastres, « une catégorie sociolog (...)
  • 11 Philippe Tétart, « Introduction », dans id. (dir.), Histoire du sport en France, t. 1, Du Second Em (...)
  • 12 Comité olympique français, Les Jeux de la VIIIe Olympiade (Paris 1924). Rapport Officiel, Paris, Li (...)
  • 13 Anne Roger, L’Entraînement en athlétisme en France (1919-1973) : une histoire de théoriciens ?, thè (...)
  • 14 Comité olympique français, Les Jeux de la VIIIe Olympiade…, op. cit., p. 42.
  • 15 Pierre de Coubertin, Mémoires olympiques..., op. cit., p. 78.
  • 16 Gaston Vidal, « Le sport est devenu affaire d’État », Le Miroir des sports, n° 345, 29 juillet 1920 (...)
  • 17 Jean Saint-Martin, « Sport, nationalismes et propagande (1918-1939) », dans Philippe Tétart, Histoi (...)
  • 18 Michaël Attali, « Introduction générale », Sports et Médias. Du XIXe siècle à nos jours, Biarritz, (...)

2Si la fête olympique se veut universelle, démocratique et populaire, elle reste dans les années 1920 l’apanage d’une élite urbaine séduite par la « chevalerie sportive »10. La pratique sportive ne concerne en effet que 2 à 3 % des Français à l’aube des années 1910, selon les estimations de Philippe Tétart11. L’athlétisme, « la base de tout l’édifice olympique »12, ne fait pas exception. Le manque d’infrastructures, de financements publics ou d’entraîneurs compétents, notamment en province, expliquent en grande partie la faible culture athlétique en France au début du XXe siècle13. Exceptionnellement, le gouvernement français alloue 20 millions de francs pour l’organisation et la bonne tenue des Jeux de 1924, auxquels s’ajoutent 10 millions de francs investis par la ville de Paris14. Derrière l’image pacifiste et rassembleuse des Jeux et sous couvert d’« internationalisme démocratique »15, ces derniers n’en restent pas moins traversés par des enjeux géopolitiques. Dès 1920, à la veille des Jeux olympiques d’Anvers, le président de l’Union des sociétés françaises de sports athlétiques (USFSA) et député de l’Allier Gaston Vidal déclarait que « Nos champions d’athlétisme donneront le meilleur d’eux-mêmes pour doter la France sportive d’un prestige aussi grand que celui de la France intellectuelle et artistique »16. Quatre ans plus tard, les objectifs sont identiques. Les athlètes de la République de Weimar, et plus largement les vaincus de la Grande Guerre, ne sont toujours pas autorisés à concourir à l’Olympiade de Paris. L’argument diplomatique avancé selon lequel le gouvernement n’envisage de relations sportives officielles qu’avec des États admis à la Société des Nations masque la peur de voir l’Allemagne triompher sur le sol français17. Cette politique menée au service du prestige de la nation par le sport s’appuie sur l’inflation de l’information sportive, y compris dans la presse généraliste, et l’émergence de la figure du champion dans l’écriture journalistique18.

  • 19 Nous privilégierons dans cet article une acception large du terme « émotions », à l’instar des hist (...)
  • 20 Nous reprenons l’expression de Pascal Ory, dans La belle illusion. Culture et politique sous le sig (...)
  • 21 Christian Bromberger, « Passion sportive », dans Alain Corbin, Jean-Jacques Courtine, Georges Vigar (...)
  • 22 Jean-Yves Guillain, « Quand la capitale des arts et des lettres accueille la troisième édition des (...)
  • 23 « Jeux Olympiques de 1924 à Paris », Pathé documentaire, 1924, Archives Gaumont-Pathé, DOC55, 69’, (...)

3La valorisation des émotions sportives est au cœur de la culture olympique19. Pourtant, il n’existe à notre connaissance aucune étude historique qui tente d’appréhender cette « culture vécue »20. Les quelques travaux sur les sensibilités, sensations ou émotions sportives offrent une première piste d’analyse, mais demeurent insuffisants pour mettre au jour les ressorts émotionnels spécifiques de ces joutes quadriennales rénovées par Coubertin à la toute fin du XIXe siècle21. Ainsi, lorsque paraissent sous la direction de l’historien Thierry Terret les quatre imposants volumes consacrés aux Jeux olympiques de 1924 à Paris, la place des émotions se retrouve reléguée aux seules dimensions artistiques et littéraires22. Notre article se propose d’élargir ce sillon, en prenant comme focale la semaine athlétique du 6 au 13 juillet 1924, acmé de la fête olympique. Une approche par les fêtes autorise en effet une autre lecture de ces Jeux, plus incarnée, plus proche du vécu et des ressentis à l’effort. Il s’agit de comprendre comment s’opère la construction d’un répertoire festif dans l’organisation, le déroulement des épreuves athlétiques et enfin leur médiatisation. Pour ce faire, les hebdomadaires sportifs Le Miroir des sports, L’Écho des sports, le quotidien L’Auto et la rubrique sportive de Paris-Soir et de L’Humanité ont fait l’objet d’une analyse systématique pour l’année 1924. Le bulletin officiel de la Fédération française d’athlétisme (FFA), le rapport officiel des Jeux de 1924 ainsi qu’une vingtaine d’ouvrages littéraires à thème sportif complètent ce corpus. Enfin, nous nous appuyons également sur les onze bobines du documentaire Pathé consacrées aux Jeux de Paris, disponibles aux archives Gaumont-Pathé23.

Fête organisée : la mise en scène des émotions sportives

  • 24 Thierry Terret, « Introduction générale », Les Paris des Jeux olympiques de 1924…, op. cit., p. 9-2 (...)
  • 25 Christophe Granger, « Les lumières du stade : football et goût du spectaculaire dans l’entre-deux-g (...)
  • 26 Comité olympique français, Les Jeux de la VIIIe Olympiade..., op. cit., p. 72-73.
  • 27 Ibid., p. 73.
  • 28 « Les bons résultats et l’avenir magnifique du “Public-Adress” », L’Auto, n° 8 623, 25 juillet 1924 (...)
  • 29 Comité Olympique Français, Les Jeux de la VIIIe Olympiade..., op. cit., p. 74.

4Entre le 15 mars et le 27 juillet 1924, 3 092 athlètes de 45 pays différents s’affrontent pour la victoire dans près de 120 épreuves24. Les importantes subventions étatiques et municipales doivent permettre de répondre au moderne appétit de spectaculaire qui s’affirme en Europe dans les années 192025. La fête olympique s’organise en conséquence pour mettre en valeur l’effort athlétique et exacerber les émotions qu’il procure. En effet, le stade de Colombes se dote d’un imposant tableau d’affichage – 35 mètres de largeur et 15 mètres de haut – fonctionnant « avec célérité » grâce aux liaisons téléphoniques26. Doublé d’un système de haut-parleurs, le speaker peut « s’arrêter plus longuement sur les détails, sur les péripéties d’une épreuve. Il permet le commentaire qui corrige l’aridité des chiffres »27. Malgré le léger décalage de deux à trois secondes par rapport à l’intrigue de la course, un opérateur de la société « Le Matériel Téléphonique » renseigne le public, sous l’œil attentif de M. Prenat, responsable des systèmes d’amplification installés dans les différents sites de l’olympiade : « Il ne sera plus un profane qui ne puisse s’intéresser à ce qui se passe sur la piste si l’on prend soin de le lui expliquer28. » Enfin, la Téléphonie Sans Fil (TSF) installée dans le stade complète l’arsenal technologique. Elle facilite le suivi des épreuves mobiles comme le marathon ou le cross-country au moyen d’une voiture-poste d’émission : « Ainsi, le public du Stade vivait la course dans ses moindres détails, suivant la progression ou la défaillance de tel ou tel autre coureur29. »

  • 30 Ibid., p. 73.

Illustration 1. Plan du réseau téléphonique au stade olympique de Colombes30

Illustration 1. Plan du réseau téléphonique au stade olympique de Colombes30

Crédit : Comité olympique français, Les Jeux de la VIIIe Olympiade (Paris 1924). Rapport Officiel, Paris, Librairie de France, 1924, p. 74.

  • 31 Maurice Boigey, « Le sport et la beauté », Manuel scientifique d’éducation physique, Paris, Payot, (...)

5Un vaste outillage technique et technologique s’invite dans l’enceinte sportive dans le but de rendre le spectacle de la fête plus lisible auprès du public. Lorsqu’un spectateur pénètre dans l’enceinte du stade olympique de Colombes, l’expérience sensorielle est complète. Guidé par le speaker, il contemple la beauté du style, écoute les clameurs, s’époumone, vibre et frissonne aux rythmes des foulées victorieuses ou à l’annonce d’un record battu, donnant vie à l’aphorisme du médecin-sportif Maurice Boigey : « Toute la morale du stade n’est que sympathie31. »

6Le répertoire festif des Jeux s’appuie aussi largement sur les dimensions symboliques et rituelles. Les épreuves sont rythmées par un ensemble de codes et de pratiques qui persuadent les participants et les spectateurs que la fête se déroule en dehors du cadre ordinaire :

  • 32 Ibid., p. 69.

Est-il besoin de dire que, durant les Jeux de Paris, le protocole olympique fut scrupuleusement observé ? Minutieux et impératif, il a le mérite d’avoir été conçu par des hommes qui, ayant une idée élevée de l’olympisme, ont su l’exprimer dans des rites qui manifestent un sens très vif des spectacles populaires. Les défilés, les discours, le serment olympique ! La proclamation du Chef de l’État, les hymnes, les salves d’artillerie, les pavois, le drapeau olympique qui s’élève le long de sa hampe32

7Le protocole olympique crée une atmosphère solennelle et participe à plonger le spectateur dans une ambiance propice à l’exaltation des émotions sportives. Le journaliste Jean de Pierrefeu identifie ce changement de peau lorsqu’un individu pénètre dans le stade, et devient un acteur du spectacle :

  • 33 Jean de Pierrefeu, Paterne, ou l’ennemi du sport, Paris, Ferenczi, 1927, p. 114-115.

À peine est-on assis, incorporé au Stade, partie infime de cette mer vivante qui palpite autour de vous, l’atmosphère change. Un souffle d’enthousiasme gonfle les poitrines. On est transporté hors du temps, dans je ne sais quel pays fabuleux de beauté violente, d’émotion joyeuse au sein duquel chacun aspire à une vie plus mâle et plus ardente. Débarrassés des rites officiels dont la banalité m’avait déplu, les Jeux ont repris leur caractère de fête du muscle33.

  • 34 Comité olympique français, Les Jeux de la VIIIe Olympiade..., op. cit., p. 81-92.
  • 35 Ibid., p. 84.
  • 36 Ibid., p. 85.
  • 37 Gaston Bénac, « “Je proclame l’ouverture des Jeux Olympiques de Paris célébrant la VIIIe Olympiade (...)
  • 38 Nous reprenons la formule de Nicolas Mariot dans « Qu’est-ce qu’un “enthousiasme civique” ? Sur l’h (...)

8Dans cet extrait, l’auteur met l’accent sur les performances athlétiques plutôt que sur les « rites officiels », ennuyeux à ses yeux. Pourtant, ce sont précisément ces rites qui instituent le passage d’une simple réunion internationale à la grande fête quadriennale du muscle imaginée par Coubertin. Dès la cérémonie d’ouverture le 5 juillet, de nombreux rites hautement symboliques s’enchaînent34. Les athlètes défilent nation par nation dans le stade par ordre alphabétique, avec un porte-drapeau. Ensuite, le président de la République Gaston Doumergue prononce les mots sacramentels fixés par le protocole : « Je proclame l’ouverture des Jeux olympiques de Paris célébrant la huitième olympiade de l’ère moderne. » À ce moment, une sonnerie de trompette retentit, le canon tonne, le drapeau olympique aux cinq anneaux enlacés est hissé au sommet du mât central tandis qu’un lâcher de pigeons vient compléter la cérémonie : « La grande foule, saisie de la beauté solennelle du spectacle, applaudit mais c’est maintenant seulement qu’elle va connaître la minute de suprême émoi35. » En effet, Géo André, porte-drapeau de l’équipe de France, s’apprête à prononcer le serment olympique : « Nous jurons, dit-il, que nous nous présentons aux Jeux olympiques en concurrents loyaux, respectueux des règlements qui les régissent et désireux d’y participer dans un esprit chevaleresque pour l’honneur de nos pays et la gloire du sport36. » D’autres éléments du protocole viennent jalonner les épreuves tout au long des Jeux comme la remise des médailles et diplômes olympiques, la célébration des hymnes nationaux ou encore la cérémonie de clôture. Ces rites protocolaires, jouant sur les traditions helléniques et l’exaltation patriotique, prennent l’aspect d’une fête religieuse, sacrée, solennelle, savamment mise en scène. Après la cérémonie d’ouverture, le journaliste Gaston Bénac est immédiatement sous le charme : « C’est le sport pur qui tient ses assises, les plus grandioses des temps modernes, les plus étendues de l’humanité37. » Ainsi, l’atmosphère immersive que cherche à créer le spectacle olympique s’appuie à la fois sur la technologie pour rendre lisible les efforts, les progrès et les records, mais également sur les rites traditionnels renouant avec l’héritage hellénique. Loin d’un enthousiasme spontané, c’est la « reconnaissance du contexte festif » qui fabrique l’émotion olympique38.

  • 39 Comité olympique français, Les Jeux de la VIIIe Olympiade..., op. cit., p. 95.
  • 40 Ibid., p. 97. Ce calcul comprend la journée du samedi 5 juillet avec la cérémonie d’ouverture rasse (...)
  • 41 Ibid.
  • 42 Jacques Mortane, « Le bilan des Jeux d’Athlétisme de la VIIIe Olympiade », Très sport, n° 28, 1er a (...)
  • 43 François Oswald, « Les banquettes vides », L’Écho des sports, n° 1 968, 15 juillet 1924, p. 1.
  • 44 Gérard Edelstein, « L’aigle Nurmi a plané au-dessus de Colombes », Le Miroir Olympique, n° 7, n. d. (...)
  • 45 Victor Breyer, « À Colombes », L’Écho des sports, n° 1 962, 9 juillet 1924, p. 1. Jacques Mortane a (...)

9Tout semble réuni pour offrir au plus grand nombre la meilleure exhibition sportive possible. Le président de la Fédération internationale d’athlétisme amateur Sigfrid Edström s’estime d’ailleurs satisfait de la bonne tenue des épreuves sur piste : « Les Jeux Athlétiques de 1924 furent donc un succès sans précédent au point de vue numérique39. » De nombreux records olympiques et mondiaux sont battus tandis que le nombre d’engagés sur les différentes épreuves athlétiques surpasse de loin celui des autres sports olympiques. Si Edström présente à travers ces considérations générales les aspects « numériques » de l’athlétisme aux Jeux, il omet cependant d’évoquer le nombre de spectateurs présents. L’information n’est pas difficile à trouver et le rapport officiel propose un tableau récapitulatif de l’affluence au stade quelques pages plus loin : 106 307 personnes assistent aux neuf journées athlétiques, soit une moyenne de 11 811 spectateurs par journée40. La fréquentation est moindre en semaine, avec une chute à 6 408 places vendues pour la journée du vendredi 11 juillet, dans une arène qui peut accueillir 60 000 places – 20 000 places assises et 40 000 places debout –, soit à peine plus de 10 % des places41. Malgré les aménagements du stade de Colombes, de nombreux envoyés spéciaux fustigent les tribunes clairsemées et l’absence d’engouement pour les épreuves : « Les Jeux d’Athlétisme de la VIIIe Olympiade n’ont pas attiré la foule que certains croyaient avec une étonnante ingénuité42. » François Oswald constate que les banquettes sont vides en semaine et diagnostique un « fiasco réellement complet »43. Gérard Edelstein regrette quant à lui « l’absence du grand public parisien »44. Les exemples sont nombreux. Non pas que les épreuves soient dénuées d’intérêt. Le spectacle sportif est au rendez-vous : « Inutile d’insister sur l’attrait incomparable qu’offre le menu sportif quotidiennement offert à Colombes. [...] dans ce genre, on n’a jamais vu plus beau45. » C’est plutôt l’organisation générale qui n’apparaît pas à la hauteur de l’événement.

  • 46 Comité Olympique Français, Les Jeux de la VIIIe Olympiade..., op. cit., p. 97. La critique sur le p (...)
  • 47 Ces chiffres ont été obtenus à partir des données présentes dans l’ouvrage de Thomas Piketty sur le (...)
  • 48 Marcel Delarbre, « Le Monde où l’on s’ennuie... », L’Écho des sports, n° 1 962, 9 juillet 1924, p.  (...)
  • 49 Victor Breyer, « À Colombes », art. cité, p. 1.
  • 50 Jean de Pierrefeu, Paterne, ou l’ennemi du sport, op. cit., p. 102.
  • 51 Ibid., p. 113.
  • 52 Henry [sic] Decoin, « Autour des Jeux... Justice immanente... Le mauvais jeu de ceux qui ont joué s (...)

10La première critique porte sur les tarifs élevés des places, entre 3 et 10 francs en gradins, de 10 à 30 francs en tribune Marathon et de 40 à 50 francs pour la tribune d’honneur, sans compter les programmes à 1 franc46. Pour donner quelques points de comparaison, le salaire journalier d’un facteur rural en 1924 est de 12 francs, 15 francs pour un ouvrier moyen et 31 francs pour un instituteur en fin de carrière47. Viennent ensuite les remarques concernant le programme trop copieux des journées athlétiques qui se terminent tard dans l’après-midi. Les longues pauses entre les épreuves engourdissent les spectateurs et il est bien difficile de réveiller l’enthousiasme de ces derniers : « L’ennui plane au-dessus de Colombes48. » La technologie mise en avant dans le rapport officiel des Jeux connaît elle aussi des ratés. Le chroniqueur Victor Breyer relève l’affichage parfois défectueux, les haut-parleurs hors de portée de nombreux spectateurs, le manque de renseignements apportés aux journalistes ayant fait le déplacement49. Enfin, les critiques ne se limitent pas au spectacle proposé à l’intérieur de l’enceinte. Les abords du stade ne sont guère plus reluisants. Jean de Pierrefeu – qui ne tarit pas d’éloge sur l’atmosphère hellénique qui règne dans le stade – fustige en revanche la ville moderne de Colombes avec sa « pétarade ininterrompue des moteurs d’autos et le fracas assourdissant des klaxons [...] »50. Les sens sont mis à rude épreuve. Outre le bruit, le visiteur subit les odeurs pestilentielles et le bariolage des affiches monumentales. La conclusion de Jean de Pierrefeu est rude : « Ce coin de banlieue est devenu un des lieux pathétiques de l’univers51. » Les boutiques les plus diverses s’entassent en grappes à quelques encablures du stade. Au total, près de 200 commerces espèrent tirer profit des semaines olympiques : bars, brasseries, tabacs des sports, vendeurs de sandwichs, de frites, de glaces, de bonbons, de cafés, etc. La faible affluence au stade aura finalement raison de la soif de profits des vendeurs : « Vous voyez par vous-même. J’ai fait des frais et personne n’est venu. Vos Jeux Olympiques sont une rigolade. On devait gagner de l’argent. J’ai perdu 1 500 francs et ma chambre n’a pas été louée52... » La déception est grande.

  • 53 Michaël Delépine, Le Stade de Colombes et l’enjeu d’un grand stade en France..., op. cit., p. 160-1 (...)

11Toutes ces critiques et désillusions illustrent le décalage entre le commentaire enthousiaste du rapport officiel et les accrocs de la fête. Les aménagements technologiques du stade de Colombes et les rites olympiques permettent de mettre en valeur l’effort des athlètes, mais ne suffisent pas à créer un véritable engouement populaire. La situation géographique excentrée, le calendrier étiré avec de nombreuses épreuves en semaines ou encore les tarifs des transports et des places, expliquent en partie la faible affluence au stade53.

Fête incarnée : Paavo Nurmi le taciturne

  • 54 André Obey, L’Orgue du stade, Paris, Fluo INSEP, 2012 [1924], p. 145-146.

Il courut… ou plutôt non : il essaya sa machine, il tâta le circuit comme Goux ou Ascari la veille du Grand Prix Automobile. Il brusquait un levier, changeait de vitesse, risquait de courts virages, démarrait sec, ralentissait pour repartir pleins gaz. Sa course faite (en 15 minutes 28) il descendit de voiture et se rhabilla – sans donner une seconde l’illusion de la vie. Quelqu’un disait, dans mes parages, quelqu’un de Paris, grand ouvert, enthousiaste, quelqu’un qu’avait gelé cet athlète de glace : – Elle marche bien cette mécanique… Oui, vraiment, c’est pas mal. Du beau travail, bien imité. Regardez donc : on dirait un homme54.

  • 55 « La fête est un excès permis par lequel l’individu se trouve dramatisé et devient ainsi le héros, (...)
  • 56 Gaston Bénac, « Les adieux du “phénomène” », L’Auto, n° 8 612, 14 juillet 1924, p. 1. Son compatrio (...)

12Les aménagements du stade ne peuvent pas créer de la « sympathie musculaire » ex nihilo, en l’absence de grandes performances athlétiques. Les Jeux olympiques, avec leurs épreuves standardisées, leurs rituels et leur histoire, créent justement un espace symbolique propice à l’expression de l’exploit et à l’institution du héros sportif55. Dans la mesure où la semaine athlétique constitue la partie la plus importante du programme, l’athlète finlandais Paavo Nurmi avec ses quatre victoires dans les 1 500 mètres, 5 000 mètres, cross-country et 3 000 mètres par équipe représente sans conteste la figure la plus emblématique de ces Jeux de 192456. Au-delà de ses victoires, c’est son style en course qui retient toute l’attention des chroniqueurs sportifs. Son aisance, sa puissance, sa souplesse et sa fluidité fascinent car il ne donne jamais l’impression de donner la pleine mesure de son effort, tout en maintenant une efficacité maximale.

  • 57 « L’histoire du Finlandais Paavo Nurmi, le plus grand coureur à pied de tous les temps », Le Miroir (...)

Illustration 2. Nurmi aux Jeux olympiques de Paris, surnommé le « Finlandais volant »57

Illustration 2. Nurmi aux Jeux olympiques de Paris, surnommé le « Finlandais volant »57

Crédit : « L’histoire du Finlandais Paavo Nurmi, le plus grand coureur à pied de tous les temps », Le Miroir des sports, n° 588, 8 avril 1925, p. 212.

  • 58 Paul Souriau, L’Esthétique du mouvement, Paris, Félix Alcan, 1889, p. 172 ; Georges Demenÿ, « Beaut (...)

13Le philosophe Paul Souriau et le scientifique Georges Demenÿ expliquaient déjà avant la Première Guerre mondiale que le visage de l’athlète dépourvu d’émotions constitue un critère d’esthétique rationnelle à l’effort, ainsi qu’une stratégie de course pour déstabiliser les adversaires58. Nurmi exploite à merveille cette tactique de l’effort masqué. Son visage ne trahit aucun signe de fatigue, ce qui entretient le mythe du héros surnaturel, surhumain :

  • 59 Jean de Pierrefeu, Paterne, ou l’ennemi du sport, op. cit., p. 122-123.

Cette figure fermée, absente, ne révèle rien d’intellectuel. Le corps seul est en mouvement, ce corps si prodigieusement organisé qu’on ne peut surprendre en lui la moindre trace d’effort, ni le moindre signe de fatigue. […] La volonté du coureur n’a point l’air de participer à la lutte. […] Un Nurmi vous fait ressentir l’enthousiasme, pur de tout alliage, et la sereine admiration qu’on réserve aux Dieux à qui tout est facile. Pour mieux marquer le caractère surnaturel de ce héros du stade, derrière lui la longue théorie des athlètes offrait un visage dramatisé par la fatigue59.

  • 60 Gaston Bénac, « Le “phénomène” finlandais Paavo Nurmi gagne le 1.500 et le 5.000 mètres à une heure (...)
  • 61 « L’imbattable Paavo Nurmi remporte le cross-country et sa troisième victoire », L’Auto, n° 8 611, (...)
  • 62 Almanach du miroir des sports, Année 1925, p. 69-70.

14Même lorsqu’il enchaîne à une heure et demie d’intervalle la finale du 1 500 mètres et la finale du 5 000 mètres qu’il remporte en battant le record olympique60, ou encore lorsqu’il enlève le cross-country « disputé par une chaleur sénégalienne »61, il ne semble pas éprouvé par les efforts, tout juste la sueur détrempe son maillot62.

  • 63 Géo Charles, VIIIe Olympiade (1924-1928), Paris, l’Équerre, 1928, p. 48.
  • 64 Gabriel Hanot, « L’extraordinaire champion de course à pied Paavo Nurmi gagnerait à être moins ferm (...)
  • 65 Gérard Edelstein, « L’Aigle Nurmi a plané au-dessus de Colombes », Le Miroir Olympique, art. cité, (...)
  • 66 Marcel Delarbre, « La glorieuse journée du Finlandais Nurmi », L’Écho des sports, n° 1 964, 11 juil (...)
  • 67 Jean Prévost, « L’homme à la montre », Plaisirs des sports : essais sur le corps humain, Paris, La (...)

15Cette attitude de détachement face aux efforts est telle que les spectateurs, les chroniqueurs sportifs ou les écrivains ont du mal à ressentir et valoriser le spectacle festif de la course. Nurmi manque d’empathie, il manque d’humanité : « Il semble courir seul, hors du style et du temps. [...] face fermée, absence [...] fleur blonde insensible du Nord [...] Fleur de misanthropie63. » La description de l’athlète finlandais dans ce poème de Géo Charles s’accorde avec les commentaires à chaud que dispensent les journalistes dans la presse sportive. Selon ces derniers, Nurmi vit à l’écart des hommes et du monde, il suit son propre régime végétarien, il cultive sa propre méthode d’entraînement, qu’il ne divulgue à personne : « Paavo Nurmi vit en dehors de l’humanité. Il est de plus en plus grave, fermé, concentré, pessimiste, fanatique. Il est d’une telle froideur et sa maîtrise de lui-même est si grande que, pas un instant, il ne manifeste ses sentiments64. » Cette distance avec le public et plus largement avec le genre humain est un reproche récurrent : « Dommage qu’il ne soit pas plus humain [...] mais est-ce vraiment un homme65 ? » Le caractère froid de Nurmi est associé à l’existence réputée sobre et austère des athlètes scandinaves. De plus, il ne quitte jamais sa montre en compétition, qu’il tient fermement dans sa main droite et qu’il consulte à chaque tour pour maintenir une allure parfaitement régulière66. Ainsi, même pendant la course, Nurmi vit isolé, n’écoutant que les avertissements de sa montre pour régler une mécanique bien huilée, courant vers un idéal mathématique, scientifique, économique67.

  • 68 L’expression « sympathie musculaire » n’est pas rare au début du XXe siècle, employée entre autres (...)
  • 69 Marcel Mauss, « L’expression obligatoire des sentiments (rituels oraux funéraires australiens) », J (...)
  • 70 Maurice Halbwachs [texte présenté et annoté par Christophe Granger], « L’expression des émotions et (...)

16En définitive, Paavo Nurmi est à la fois admiré pour ses exploits, ses records et sa grande aisance en course, mais également incompris. Les spectateurs ne parviennent pas à partager les ressentis, les impressions, la souffrance de l’athlète lors de son effort, malgré l’aide de la technologie au stade de Colombes et les récits vivants des journalistes et écrivains. Or, l’enjeu principal du spectacle sportif est de parvenir à transmettre des émotions, par « sympathie musculaire »68. Les rites qui jalonnent l’organisation des Jeux olympiques impliquent à ce titre une forme « d’expression obligatoire des sentiments », pour reprendre les mots de Marcel Mauss69. Le public s’attend à percevoir certaines réactions de la part des athlètes, à des moments précis : un visage crispé en fin de course pour « le suprême effort » ; une manifestation de joie une fois la ligne franchie ; les mains levées vers le ciel lors d’une victoire. Ainsi, l’expression des émotions athlétiques n’est pas simplement la conséquence d’une stimulation psychologique individuelle, mais le fruit d’une maîtrise des règles collectives qui ordonnent la nature, les circonstances et les manifestations des affects70. Nurmi ne semble pas partager ces codes, et crée ainsi un décalage entre l’émotion ressentie, l’émotion exprimée et l’émotion attendue par le public.

Fête gâchée : les déboires du cross olympique

  • 71 Le cross-country est une discipline athlétique particulièrement en vogue au début du XXe siècle. Le (...)
  • 72 « Il y a bien un poste de T.S.F. qui doit nous renseigner sur les phases du cross-country, mais les (...)
  • 73 Bill Cotterell s’impose en individuel lors du Cross des Nations 1924.
  • 74 André Obey dans son ouvrage sur les beautés des Jeux de 1924 consacre un chapitre aux 10 000 mètres (...)

17Rendre les affrontements sportifs attractifs et divertissants est un souci de chaque instant pour les organisateurs des Jeux de 1924. L’épreuve du cross-country ne fait pas exception, même s’il s’agit d’une épreuve se déroulant principalement hors du stade, loin des tribunes71. Pour les spectateurs parqués dans les gradins de Colombes, la TSF autorise le commentaire en direct des moindres faits de course. Diffusé grâce aux haut-parleurs, le public est tenu en haleine tout au long de l’épreuve et non pas uniquement au départ et à l’arrivée. Malgré les déboires d’une transmission parfois chaotique72, la technologie s’invite dans l’enceinte sportive afin de rendre le cross olympique plus spectaculaire. Sur la ligne de départ, les meilleurs crossmen du monde se pressent et comptent bien figurer en bonne place dans les classements individuels et par équipes. L’équipe de Finlande fait figure de favorite, avec les deux locomotives Paavo Nurmi et Ville Ritola, vainqueur du 10 000 mètres quelques jours plus tôt. L’équipe de Grande-Bretagne, lauréate du Cross des Nations 1924, n’est pas en reste avec Bill Cotterell73. La Suède possède aussi de dangereux éléments comme Edvin Wide, vice-champion olympique du 10 000 mètres et dont le duel avec Ritola est encore dans tous les esprits74. Enfin, la très jeune équipe de France qui se compose de Lucien Dolques, Gaston Heuet, Robert Marchal, Maurice Norland, pour les plus connus, espère tirer son épingle du jeu.

  • 75 Pierre Lewden, Un champion à la hauteur. Les souvenirs d’un médaillé olympique, Paris, Polymédias, (...)
  • 76 Comité olympique français, Les Jeux de la VIIIe Olympiade…, op. cit., p. 151.
  • 77 Pierre Lewden, Un champion…, op. cit., p. 169.

18Tous les éléments semblent réunis pour offrir le 12 juillet la meilleure exhibition possible de cross-country. Pourtant, lorsque les athlètes s’alignent au départ aux alentours de 15h30, l’implacable thermomètre affiche une température de 45°. Le parcours peu ombragé se transforme en étuve surchauffée. Le long de la Seine, le passage en cuvette s’avère particulièrement exposé aux rayons du soleil. Dépôt d’immondices, cloaque brûlant, cette « porcherie » génère « une atmosphère suffocante, putride, dégagée par la fermentation des ordures en faisant le réceptacle asphyxiant et malsain d’odeurs pestilentielles »75. De nombreux accidents, insolations, malaises et abandons sont à déplorer dans ces conditions extrêmes. Sur les 55 coureurs inscrits, 38 prennent le départ et seulement 15 parviennent à terminer cette danse du feu76. Les opérateurs se gardent bien d’en informer le public en tribune, absorbés par les épreuves du décathlon et du triple saut en cours, alors que des infirmiers sont dépêchés pour venir en aide aux concurrents à bout de force le long du parcours77.

  • 78 « Jeux Olympiques de 1924. Cérémonie d’ouverture », Pathé documentaire, 1924, 10’48’’, Archives Gau (...)

Illustration 3. Défaillance d’un athlète lors du cross olympique de 192478

Illustration 3. Défaillance d’un athlète lors du cross olympique de 192478

Crédit : « Jeux olympiques de 1924. Cérémonie d’ouverture », Pathé documentaire, 1924, 10’48’’, Archives Gaumont-Pathé, DOC55SEQ1, noir et blanc, muet [voir l’extrait à 10’13’’].

  • 79 Ibid. [voir l’extrait à 9’45’’].
  • 80 « Les Jeux Olympiques. Journée creuse, l’odieux cross-country », L’Humanité, n° 7 502, 13 juillet 1 (...)
  • 81 Géo André, « Un cross dangereux », Le Miroir des sports, n° 554, 16 juillet 1924, p. 75.
  • 82 Pierre Lewden, Un champion…, op. cit., p. 171.
  • 83 Gaston Bénac, « L’imbattable Paavo Nurmi remporte le cross-country et sa troisième victoire », L’Au (...)
  • 84 Comité olympique français, Les Jeux de la VIIIe Olympiade..., op. cit., p. 151, 155.

19Sur cette image issue d’un documentaire Pathé sur les Jeux olympiques, l’athlète portant le dossard 746 tente de franchir une petite butte, titube, avant de chuter, victime d’un malaise. Les quelques officiels à proximité lui viennent en aide. La séquence confirme la dureté de l’épreuve, disputée dans des conditions particulièrement difficiles, mais plutôt que de souligner les erreurs d’organisation et leurs conséquences sur l’état de santé des athlètes, le documentaire Pathé préfère mettre en exergue la bravoure des crossmen dans l’effort, conforme à l’esprit olympique. Le zèle du carton introductif ne laisse d’ailleurs guère de doute sur l’interprétation des images : « En présence d’une foule immense et extrêmement enthousiaste, ces athlètes, fleurs de leur race, montrent le plus bel exemple de courage79. » Toutefois, ces propos dithyrambiques restent marginaux et ne reflètent pas la critique partagée par l’ensemble des journalistes ayant assisté à l’épreuve. La presse spécialisée et généraliste condamne unanimement cet « odieux cross-country »80, ce « cross dangereux »81, ce « massacross »82, « disputé par une chaleur sénégalienne »83. Même le rapport officiel des Jeux, pourtant assez élogieux et complaisant vis-à-vis de l’organisation olympique, reconnaît le caractère « tragique » de l’épreuve84. La victoire de Paavo Nurmi passe au second plan, éclipsée par les circonstances exceptionnelles de la course.

  • 85 « Les Jeux… », art. cité, L’Humanité, n° 7 502, 13 juillet 1924, p. 3.
  • 86 Voir notamment ses prises de position critiques dans Gaston Frémont, L’Auto, n° 3 312, 18 septembre (...)
  • 87 Aurélien Chèbre, Jean-Nicolas Renaud, « La socialisation par l’effort. L’exemple du cross-country e (...)
  • 88 Ces échanges sont relatés dans les colonnes de L’Athlétisme : n° 107, 20 octobre 1923, p. 10 ; ° 10 (...)
  • 89 L’Athlétisme, n° 134, 26 avril 1924, p. 13.

20À l’heure du bilan, athlètes et journalistes tirent plusieurs enseignements majeurs de ce fiasco. En premier lieu, tous s’accordent pour en imputer la responsabilité aux instances fédérales, condamnant « le je m’enfichisme technique des dirigeants officiels », incapables d’annuler ou de reporter l’épreuve85. Le choix du parcours sans reliefs ni sous-bois est également critiqué, en particulier par Gaston Frémont, l’un des seuls à avoir émis des réserves dès l’annonce du tracé officiel86. En effet, comme à chaque compétition de cross-country depuis le début des années 1920, une querelle oppose les tenants des tracés « à la française », escarpés, boisés, avec de nombreux obstacles naturels, et les tenants des tracés « à l’anglaise » plus standardisés, souvent sur hippodrome87. Ces débats n’épargnent pas le choix du tracé olympique. Dès octobre 1923, les échanges réguliers qu’entretiennent la commission technique et d’organisation de la Fédération française d’athlétisme et le Comité olympique français (COF) doivent permettre d’élaborer un projet d’itinéraire à proximité du stade de Colombes88. Après avoir reconnu plusieurs fois le terrain, le tracé définitif est adopté le 15 avril 1924 lors d’une réunion au siège du COF89.

  • 90 Comité olympique français, Les Jeux de la VIIIe Olympiade..., op. cit., p. 152.

Illustration 4. Parcours du cross olympique de 1924, à proximité du stade de Colombes90

Illustration 4. Parcours du cross olympique de 1924, à proximité du stade de Colombes90

Crédit : Comité olympique français, Les Jeux de la VIIIe Olympiade (Paris 1924). Rapport Officiel, Paris, Librairie de France, 1924, p. 152.

  • 91 « Le Cross olympique. Les Anglais ne sont pas contents ! ! ! », Paris-Soir, n° 226, 18 mai 1924, p. (...)
  • 92 Fred Liévin, « Les Anglais ne peuvent pas déclarer forfait au cross olympique », Paris-Soir, n° 223 (...)

21Cette décision ne semble pas avoir été communiquée hors du cénacle de la FFA puisqu’un mois après le verdict, la National Cross-Country Union s’inquiète encore d’hypothétiques tractations françaises auprès du Comité international olympique, défavorisant les athlètes anglais91. Même si les jeux sont déjà faits, un ultimatum est lancé : « Si le parcours du cross olympique n’est pas un véritable tracé de course à travers la campagne, suivant la conception anglaise, l’Angleterre déclarera forfait92. » Le journaliste Fred Liévin, rapportant ces propos dans les colonnes de Paris-Soir, relativise ces menaces « exagérées » en rappelant que le tracé du dernier cross international à Newcastle avantageait incontestablement les Anglais. La méfiance est réciproque. Au final, le parcours retenu par le comité olympique – très plat, rapide, à découvert, n’ayant que peu d’obstacles et de variations de terrain – s’accorde parfaitement avec la conception anglaise du cross-country. Heureuse incidence, le choix d’un tel parcours n’est en aucune mesure motivé ou influencé par les desiderata anglais. Il s’agissait avant tout de proposer un parcours rapide et spectaculaire, non loin du stade, sans imaginer les conséquences potentielles sur la santé des athlètes.

  • 93 Géo Charles, VIIIe Olympiade (1924-1928), op. cit., p. 61.
  • 94 Jean-Robert Pitte, Géographie culturelle, Paris, Fayard, 2006, p. 22.
  • 95 À l’approche des Jeux olympiques de Paris en 2024, le projet d’un retour du cross-country au progra (...)
  • 96 Gaston Frémont, « Le phénomène Nurmi ... », art. cité, p. 4.

22Les déboires du cross-country écornent la fête olympique. Au-delà des circonstances climatiques exceptionnelles, la vague d’indignations chez les athlètes et les journalistes trahit un malaise plus profond, sorte de malentendu culturel entre les attentes des spectateurs et celles des athlètes. Si les organisateurs ont conçu l’épreuve en pensant procurer des émotions en priorité au public, les crossmen font valoir d’autres critères pour assurer la réussite de la fête, parfois incompatibles avec les exigences du spectacle olympique. Le premier point soulevé s’exprime sous la forme d’un cri du cœur : « Officiels ! Qu’on nous rende l’hiver93. » Sport saisonnier, il apparaît évident du point de vue des athlètes que le cross-country ne peut être pratiqué que d’octobre à mars, avant de laisser place à la saison sur piste. Outre les dangers qu’occasionne une épreuve disputée sous un soleil de plomb, la programmation estivale du cross olympique n’est pas sans conséquences sur la préparation des athlètes. Avec ce calendrier étiré, les crossmen ne sont pas en mesure de maintenir leur niveau de forme jusqu’à l’été, après les grandes compétitions hivernales. Par ailleurs, c’est tout un imaginaire autour de l’environnement de pratique qui se retrouve ébranlé. Les crossmen ne sont pas prêts à renoncer aux joies de l’hiver, aux surprises d’un parcours varié, à la fraîcheur d’une brume matinale, aux bruissements des sous-bois. Ils restent profondément attachés à l’authenticité du « paysage » selon l’acception que propose Jean-Robert Pitte : une nature ou un pays appréhendé par les sens, comme un filtre culturel propre au groupe94. Ainsi, le cross-country est totalement incompatible avec les Jeux olympiques d’été tant la mise en spectacle dénature l’essence émotionnelle de la pratique. La débâcle de 1924 n’en serait qu’un révélateur, un traumatisme décourageant toute velléité olympique95. C’est finalement avec beaucoup d’amertume que Gaston Frémont, crossman invétéré, souhaite mettre un terme à ce triste spectacle : « J’espère qu’aux prochains Jeux le cross-country sera supprimé96. » Face à l’émoi provoqué, la Fédération internationale d’athlétisme finira effectivement par retirer cette épreuve du programme olympique.

Conclusion : créer de la « sympathie musculaire »

  • 97 Nous reprenons une nouvelle fois l’expression « culture vécue » à Pascal Ory dans La belle illusion (...)

23Les Jeux olympiques de 1924, considérés comme la plus grande fête du muscle du calendrier, sont censés exalter les prouesses des champions et provoquer en conséquence des émotions sportives singulières dans le public. Pour ce faire, une nécessaire mise en spectacle des épreuves s’impose. Les haut-parleurs, la TSF, le tableau d’affichage géant dans le stade de Colombes constituent des moyens modernes pour faciliter la compréhension d’une performance athlétique parfois abstraite pour le néophyte. Les journalistes participent également à cette entreprise pédagogique, en marge des épreuves. Les très nombreux articles dans les journaux spécialisés ou généralistes s’attardent sur les enjeux sportifs d’une course en amont, proposent des entretiens ou un compte rendu détaillé une fois l’épreuve terminée, multiplient les tableaux comparatifs, les schémas, les photographies, donnent au lecteur des clés pour mieux apprécier la dramaturgie d’une course. En sus des chroniques papiers, les images viennent compléter cette éducation au spectacle athlétique, grâce aux documentaires ou actualités filmées. Pourtant, toute cette énergie déployée n’est pas suffisante pour assurer la réussite de la fête. Les spectateurs ne sont pas toujours au rendez-vous, en témoignent les gradins parfois clairsemés lors de la semaine athlétique. Ils peinent à s’enthousiasmer devant les performances exceptionnelles de Paavo Nurmi au regard du décalage entre les réactions émotionnelles attendues et l’impassibilité du coureur finlandais. La déconfiture du cross-country parachève une semaine d’épreuves athlétiques en demi-teinte. Ainsi, la réussite d’une fête du muscle n’est possible qu’à condition de trouver un compromis entre les attentes des spectateurs et celles des athlètes. Aidé par les organisateurs et les journalistes, le public s’attend à percevoir une certaine mise en scène des émotions de la part du champion : être maître de soi tout en restant « humain », avoir le visage crispé par la souffrance au cœur de la course ou les bras levés lorsque la ligne d’arrivée est franchie en vainqueur ou qu’un record est battu. Si c’est le cas, les spectateurs sont alors susceptibles d’éprouver des émotions liées au spectacle par « sympathie musculaire ». En retour, les athlètes souhaitent participer à une épreuve conforme à leurs attentes sur les plans règlementaires et surtout culturels. À l’instar du cross-country, la logique de spectacularisation d’une épreuve peut dénaturer l’essence émotionnelle de la pratique, et ainsi gâcher la fête. Au final, notre article s’est concentré exclusivement sur la semaine athlétique du 6 au 13 juillet 1924 : l’analyse des différents tournois sportifs de l’olympiade au prisme de la fête et de la « culture vécue » pourrait faire l’objet à l’avenir d’un heureux prolongement97.

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Notes

1 Juliette Michenaud, « Jeux olympiques. Pour Tony Estanguet, “Tokyo est un moyen d’apprendre” pour Paris 2024 », Ouest-France, 19 mai 2021, en ligne : https://www.ouest-france.fr/jeux-olympiques/jeux-olympiques-pour-tony-estanguet-tokyo-est-un-moyen-d-apprendre-pour-paris-2024-2d67d970-b7f4-11eb-94ac-b40320beb720

2 Sandrine Lefèvre, « JO : en 2024, Paris sera vraiment une fête », Le Parisien, 9 août 2021, en ligne : https://www.leparisien.fr/sports/JO/jo-en-2024-paris-sera-vraiment-une-fete-08-08-2021-RR42Z674SZFSDMEN7K54QGCDZQ.php

3 Office de tourisme de Paris. Site officiel, « Les Jeux Olympiques 2024 se déroulent à Paris ! », en ligne : https://www.parisinfo.com/decouvrir-paris/les-grands-rendez-vous/jeux-olympiques-paralympiques-paris-2024/jeux-olympiques-paralympiques-2024-paris/les-jeux-olympiques-paris# :~ :text =Paris %20est %20en %20f %C3 %AAte %20 !,Paris %20accueille %20les %20Jeux %20Olympiques %20 !

4 Georges Rozet, Les Fêtes du muscle, Paris, Grasset, 1914, avant-propos, s.p.

5 Une simple recherche sur Gallica permet de mesurer le nombre impressionnant d’occurrences pour l’expression « fête du muscle » entre 1890 et 1940. Nous ne prendrons que trois exemples : La Gymnastique, n° 19, 12 mai 1889, p. 142 ; Le Petit Journal, n° 14 727, 23 avril 1903, p. 1 ; Le Miroir des sports, n° 343, 15 juillet 1920, p. 18 ; Bulletin officiel du « club Vosgien », 4e année, n° 1, 1er janvier 1924, p. 136.

6 Gabriel Hanot, « Le bilan matériel, sportif et moral des jeux olympiques », Almanach du miroir des sports, Paris, 1925, p. 57.

7 « Les Jeux Olympiques ne sont point de simples championnats mondiaux, mais bien la fête quadriennale de la jeunesse universelle, du “printemps humain”, la fête des efforts passionnés, des ambitions multiples et de toutes les formes d’activité juvénile de chaque génération apparaissant au seuil de la vie. » (Pierre de Coubertin, Mémoires olympiques, Lausanne, Bureau International de Pédagogie Sportive, 1931, p. 77).

8 Pour Roger Chartier, dans son avant-propos de l’édition française de Sport et civilisation. La violence maîtrisée de Norbert Elias et Eric Dunning, « le sport, en son principe, n’a ni fonction rituelle, ni finalité festive ». Il estime en effet que le sport moderne, institutionalisé, compétitif et réglementé, se construit à la fin du XIXe siècle en France à partir d’un espace-temps spécifique et autonome, en opposition au temps festif des jeux anciens. Ces jeux comme la soule ou le folk football s’inscrivaient jusqu’alors dans le calendrier des fêtes religieuses, communautaires ou folkloriques. Au regard de cette analyse, le sport moderne semble se distinguer très nettement de la fête. Voir Roger Chartier, « Le sport ou la libération contrôlée des émotions », dans Norbert Élias, Eric Dunning, Sport et civilisation : La violence maîtrisée, Paris, Pocket, 1998 [1986], p. 15.

9 De nombreux historiens, sociologues et philosophes appréhendent l’empreinte émotionnelle de la pratique comme l’un des éléments fondamentaux de la culture sportive : Michel Bouet, Signification du sport, Paris, L’Harmattan, 1995 [1968] ; Bernard Jeu, Le Sport, l’émotion, l’espace, Paris, Vigot, 1977 ; Christian Pociello, Les cultures sportives. Pratiques, représentations et mythes sportifs, Paris PUF, 2005 [1995] ; Jacques Defrance, « La culture sportive », Sociologie du sport, Paris, La Découverte, 2011, p. 50).

10 La « chevalerie sportive » représente, selon l’historien Patrick Clastres, « une catégorie sociologique d’un nouveau genre qui transcenderaient les hiérarchies sociales propres à la société bourgeoise de l’ère industrielle. […] Cette chevalerie se recruterait en dehors de toute considération de naissance ou de revenus, pour peu que l’impétrant se comporte en gentleman, en homme “bien élevé”, et qu’il fasse preuve “de loyauté, de distinction et de politesse”. […] La “chevalerie sportive” est ainsi présentée comme éminemment “démocratique”. Mais il s’agit d’une expérience démocratique entre soi, entre jeunes gens issus des élites. » (Patrick Clastres, « Inventer une élite : Pierre de Coubertin et la “chevalerie sportive” », Revue française d’Histoire des idées politiques, 22, 2005, p. 51-71).

11 Philippe Tétart, « Introduction », dans id. (dir.), Histoire du sport en France, t. 1, Du Second Empire au régime de Vichy, Paris, Vuibert, 2007, p. 1.

12 Comité olympique français, Les Jeux de la VIIIe Olympiade (Paris 1924). Rapport Officiel, Paris, Librairie de France, 1924, p. 95. Voir aussi « Les Jeux Olympiques », L’Auto, n° 8 600, 2 juillet 1924, p. 4.

13 Anne Roger, L’Entraînement en athlétisme en France (1919-1973) : une histoire de théoriciens ?, thèse de doctorat sous la direction de Thierry Terret, Université Claude Bernard Lyon 1, 2003, p. 27, 86, 95.

14 Comité olympique français, Les Jeux de la VIIIe Olympiade…, op. cit., p. 42.

15 Pierre de Coubertin, Mémoires olympiques..., op. cit., p. 78.

16 Gaston Vidal, « Le sport est devenu affaire d’État », Le Miroir des sports, n° 345, 29 juillet 1920, p. 50.

17 Jean Saint-Martin, « Sport, nationalismes et propagande (1918-1939) », dans Philippe Tétart, Histoire du sport en France..., op. cit., t. 1, p. 191.

18 Michaël Attali, « Introduction générale », Sports et Médias. Du XIXe siècle à nos jours, Biarritz, Atlantica, 2010, p. 16-17.

19 Nous privilégierons dans cet article une acception large du terme « émotions », à l’instar des historiens anglophones. Pour ces derniers en effet, emotion regroupe à la fois l’« émotion » proprement dite, entendue comme un affect transitoire entraînant des réactions physiologiques aiguës, et le « sentiment » qui s’inscrit sur une temporalité plus longue et stable. Voir en particulier Barbara H. Rosenwein, Emotional communities in the Early Middle Ages, Ithaca, Cornell University Press, 2006, p. 3-5.

20 Nous reprenons l’expression de Pascal Ory, dans La belle illusion. Culture et politique sous le signe du Front Populaire, Paris, CNRS éditions, 2016 [1994], p. 17.

21 Christian Bromberger, « Passion sportive », dans Alain Corbin, Jean-Jacques Courtine, Georges Vigarello (dir.), Histoire des émotions, t. 3 : De la fin du XIXe siècle à nos jours, Paris, Seuil, 2017, p. 446-459 ; Pierre Charreton, Les Fêtes du corps. Histoire et tendances de la littérature à thème sportif en France 1870-1970, Saint-Étienne, Éditions Travaux XLV, Centre Interdisciplinaire d’Études et de Recherches sur l’Expression Contemporaine, 1985, p. 115-120 ; Georges Vigarello, Le Sentiment de soi. Histoire de la perception du corps (XVIe-XXe siècle), Paris, Seuil, 2014.

22 Jean-Yves Guillain, « Quand la capitale des arts et des lettres accueille la troisième édition des concours d’art olympiques », dans Thierry Terret (dir.), Les Paris des jeux olympiques de 1924, Paris, Atlantica, vol. 4, 2008, p. 993-1029 ; Julie Gaucher, « Le héros olympique des jeux de 1924 : regard des œuvres littéraires », dans Thierry Terret (dir.), Les Paris des jeux olympiques..., op. cit., p. 1069-1091.

23 « Jeux Olympiques de 1924 à Paris », Pathé documentaire, 1924, Archives Gaumont-Pathé, DOC55, 69’, noir et blanc, muet.

24 Thierry Terret, « Introduction générale », Les Paris des Jeux olympiques de 1924…, op. cit., p. 9-28.

25 Christophe Granger, « Les lumières du stade : football et goût du spectaculaire dans l’entre-deux-guerres », Sociétés & Représentations, 31, 2011, p. 105-124.

26 Comité olympique français, Les Jeux de la VIIIe Olympiade..., op. cit., p. 72-73.

27 Ibid., p. 73.

28 « Les bons résultats et l’avenir magnifique du “Public-Adress” », L’Auto, n° 8 623, 25 juillet 1924, p. 1-2.

29 Comité Olympique Français, Les Jeux de la VIIIe Olympiade..., op. cit., p. 74.

30 Ibid., p. 73.

31 Maurice Boigey, « Le sport et la beauté », Manuel scientifique d’éducation physique, Paris, Payot, 1923, p. 519.

32 Ibid., p. 69.

33 Jean de Pierrefeu, Paterne, ou l’ennemi du sport, Paris, Ferenczi, 1927, p. 114-115.

34 Comité olympique français, Les Jeux de la VIIIe Olympiade..., op. cit., p. 81-92.

35 Ibid., p. 84.

36 Ibid., p. 85.

37 Gaston Bénac, « “Je proclame l’ouverture des Jeux Olympiques de Paris célébrant la VIIIe Olympiade de l’ère moderne” a dit M. Doumergue », L’Auto, n° 8 604, 6 juillet 1924, p. 1.

38 Nous reprenons la formule de Nicolas Mariot dans « Qu’est-ce qu’un “enthousiasme civique” ? Sur l’historiographie des fêtes politiques en France après 1789 », Annales. Histoire, Sciences Sociales, 63-1, 2008, p. 128.

39 Comité olympique français, Les Jeux de la VIIIe Olympiade..., op. cit., p. 95.

40 Ibid., p. 97. Ce calcul comprend la journée du samedi 5 juillet avec la cérémonie d’ouverture rassemblant 16 677 personnes, qui n’est pas une journée spécifiquement consacrée à l’athlétisme. Si l’on retire cette journée du calcul pour ne se concentrer que sur les journées consacrées uniquement aux épreuves athlétiques, la moyenne des spectateurs par journée tombe à 11 203. Le taux de remplissage se situe à 18,7 % des capacités du stade, ce qui est légèrement supérieur aux 14,6 % du taux de remplissage pour l’ensemble de l’olympiade, mis en évidence par Michaël Delépine dans Le Stade de Colombes et l’enjeu d’un grand stade en France : des origines à 1972, thèse de doctorat sous la direction de Francis Demier, Paris Ouest Nanterre La Défense, 2015, p. 157.

41 Ibid.

42 Jacques Mortane, « Le bilan des Jeux d’Athlétisme de la VIIIe Olympiade », Très sport, n° 28, 1er août 1924, p. 37.

43 François Oswald, « Les banquettes vides », L’Écho des sports, n° 1 968, 15 juillet 1924, p. 1.

44 Gérard Edelstein, « L’aigle Nurmi a plané au-dessus de Colombes », Le Miroir Olympique, n° 7, n. d. [sûrement juillet 1924], p. 22.

45 Victor Breyer, « À Colombes », L’Écho des sports, n° 1 962, 9 juillet 1924, p. 1. Jacques Mortane ajoute : « Si au point de vue du spectateur, on n’enregistra qu’une réussite relative, par contre au point de vue sportif, jamais Paris n’avait vécu d’aussi vives émotions pendant huit jours » (Jacques Mortane, « Le bilan des Jeux d’Athlétisme de la VIIIe Olympiade », art. cité, p. 37).

46 Comité Olympique Français, Les Jeux de la VIIIe Olympiade..., op. cit., p. 97. La critique sur le prix des places est portée par Victor Breyer (« À Colombes », art. cité, p. 1).

47 Ces chiffres ont été obtenus à partir des données présentes dans l’ouvrage de Thomas Piketty sur les hauts revenus en France au XXe siècle. En annexes, il explique à partir de nombreux tableaux que le salaire nominal net annuel à plein temps d’un ouvrier en 1924 était de 5 433 francs, 4 520 francs pour un facteur rural et 11 320 francs pour un instituteur. J’ai pris la liberté de diviser ces chiffres par 365 pour obtenir le salaire journalier de ces professions (Thomas Piketty, Les hauts revenus en France au XXe siècle. Inégalités et redistributions 1901-1998, Paris, Grasset, 2001, p. 679-680, 688).

48 Marcel Delarbre, « Le Monde où l’on s’ennuie... », L’Écho des sports, n° 1 962, 9 juillet 1924, p. 1.

49 Victor Breyer, « À Colombes », art. cité, p. 1.

50 Jean de Pierrefeu, Paterne, ou l’ennemi du sport, op. cit., p. 102.

51 Ibid., p. 113.

52 Henry [sic] Decoin, « Autour des Jeux... Justice immanente... Le mauvais jeu de ceux qui ont joué sur les Jeux... », L’Auto, n° 8 628, 30 juillet 1924, p. 1. Voir aussi M.O., « Au pays de la désolation », L’Auto, n° 8 613, 15 juillet 1924, p. 4.

53 Michaël Delépine, Le Stade de Colombes et l’enjeu d’un grand stade en France..., op. cit., p. 160-162.

54 André Obey, L’Orgue du stade, Paris, Fluo INSEP, 2012 [1924], p. 145-146.

55 « La fête est un excès permis par lequel l’individu se trouve dramatisé et devient ainsi le héros, le rite réalise le mythe et permet de le vivre », dans Roger Caillois, Le Mythe et l’homme, Paris, Folio essais, 2002 [1938], p. 188.

56 Gaston Bénac, « Les adieux du “phénomène” », L’Auto, n° 8 612, 14 juillet 1924, p. 1. Son compatriote finlandais Ville Ritola n’est pas en reste et remporte les épreuves du 10 000 mètres en battant le record du monde, du 3 000 mètres steeple avec un record olympique à la clef et enfin du cross-country par équipe.

57 « L’histoire du Finlandais Paavo Nurmi, le plus grand coureur à pied de tous les temps », Le Miroir des sports, n° 588, 8 avril 1925, p. 212.

58 Paul Souriau, L’Esthétique du mouvement, Paris, Félix Alcan, 1889, p. 172 ; Georges Demenÿ, « Beauté de l’effort », L’Éducation de l’effort, Paris, Félix Alcan, 1914, p. 129.

59 Jean de Pierrefeu, Paterne, ou l’ennemi du sport, op. cit., p. 122-123.

60 Gaston Bénac, « Le “phénomène” finlandais Paavo Nurmi gagne le 1.500 et le 5.000 mètres à une heure d’intervalle », L’Auto, n° 8 609, 11 juillet 1924, p. 1.

61 « L’imbattable Paavo Nurmi remporte le cross-country et sa troisième victoire », L’Auto, n° 8 611, 13 juillet 1924, p. 1.

62 Almanach du miroir des sports, Année 1925, p. 69-70.

63 Géo Charles, VIIIe Olympiade (1924-1928), Paris, l’Équerre, 1928, p. 48.

64 Gabriel Hanot, « L’extraordinaire champion de course à pied Paavo Nurmi gagnerait à être moins fermé, moins sauvage et plus humain », Le Miroir des sports, n° 554, 16 juillet 1924, p. 66.

65 Gérard Edelstein, « L’Aigle Nurmi a plané au-dessus de Colombes », Le Miroir Olympique, art. cité, p. 23-24.

66 Marcel Delarbre, « La glorieuse journée du Finlandais Nurmi », L’Écho des sports, n° 1 964, 11 juillet 1924, p. 1. Les documentaires Pathé sur les Jeux olympiques de Paris confirment cette habitude qu’a Nurmi de consulter régulièrement sa montre. Il est possible de voir à plusieurs reprises le champion finlandais jeter un œil sur la trotteuse au passage de la ligne lors des épreuves du 1 500 mètres et du 3 000 mètres par équipes (« Jeux Olympiques de 1924 à Paris », Pathé documentaire, 1924, 7’08’’, Archives Gaumont-Pathé, DOC55SEQ2, noir et blanc, muet [voir l’extrait à 2’32’’ et 5’03’’].

67 Jean Prévost, « L’homme à la montre », Plaisirs des sports : essais sur le corps humain, Paris, La Table ronde, 2003 [1925], p. 159-160.

68 L’expression « sympathie musculaire » n’est pas rare au début du XXe siècle, employée entre autres par le philosophe Paul Souriau, le journaliste Georges Rozet et le médecin Maurice Boigey. Elle désigne le fait pour un spectateur de comprendre et ressentir dans ses propres chairs l’effort des coureurs.

69 Marcel Mauss, « L’expression obligatoire des sentiments (rituels oraux funéraires australiens) », Journal de psychologie, n° 18, 1921, p. 425-434.

70 Maurice Halbwachs [texte présenté et annoté par Christophe Granger], « L’expression des émotions et la société », Vingtième Siècle. Revue d’histoire, 123, 2014, p. 39-48.

71 Le cross-country est une discipline athlétique particulièrement en vogue au début du XXe siècle. Les parcours, compris entre 12 et 16 kilomètres, sont particulièrement variés. Les crossmen traversent prairies et forêts, arpentent talus et raidillons, franchissent cours d’eau, clôtures et toutes sortes d’obstacles naturels.

72 « Il y a bien un poste de T.S.F. qui doit nous renseigner sur les phases du cross-country, mais les récepteurs ne doivent rien entendre, car longtemps le cross se déroule hors de notre vue ou de nos oreilles. », dans « Autour du stade et en quelques lignes », L’Auto, n° 8 611, 13 juillet 1924, p. 4.

73 Bill Cotterell s’impose en individuel lors du Cross des Nations 1924.

74 André Obey dans son ouvrage sur les beautés des Jeux de 1924 consacre un chapitre aux 10 000 mètres olympiques et au duel Ritola-Wide : André Obey, L’Orgue du stade, op. cit., p. 95-105. Jean Prévost revient lui aussi sur ce duel dans son livre Plaisirs des sports, au chapitre sur les champions : Jean Prévost, Plaisirs des sports..., op. cit., p. 155-158.

75 Pierre Lewden, Un champion à la hauteur. Les souvenirs d’un médaillé olympique, Paris, Polymédias, 1991, p. 171, rapportant les propos d’Alfred Spitzer.

76 Comité olympique français, Les Jeux de la VIIIe Olympiade…, op. cit., p. 151.

77 Pierre Lewden, Un champion…, op. cit., p. 169.

78 « Jeux Olympiques de 1924. Cérémonie d’ouverture », Pathé documentaire, 1924, 10’48’’, Archives Gaumont-Pathé, DOC55SEQ1, noir et blanc, muet [voir l’extrait à 10’13’’].

79 Ibid. [voir l’extrait à 9’45’’].

80 « Les Jeux Olympiques. Journée creuse, l’odieux cross-country », L’Humanité, n° 7 502, 13 juillet 1924, p. 3.

81 Géo André, « Un cross dangereux », Le Miroir des sports, n° 554, 16 juillet 1924, p. 75.

82 Pierre Lewden, Un champion…, op. cit., p. 171.

83 Gaston Bénac, « L’imbattable Paavo Nurmi remporte le cross-country et sa troisième victoire », L’Auto, n° 8 611, 13 juillet 1924, p. 1. Le documentaire Pathé sur les Jeux de Paris évoque une « chaleur tropicale » (« Jeux Olympiques de Paris. 1924 », Pathé documentaire, 1924, 69’00’’, Archives Gaumont-Pathé, DOC55, noir et blanc, muet).

84 Comité olympique français, Les Jeux de la VIIIe Olympiade..., op. cit., p. 151, 155.

85 « Les Jeux… », art. cité, L’Humanité, n° 7 502, 13 juillet 1924, p. 3.

86 Voir notamment ses prises de position critiques dans Gaston Frémont, L’Auto, n° 3 312, 18 septembre 1923, p. 4 ; Gaston Frémont, « Est-il possible d’organiser le cross olympique à Colombes ? », L’Auto, n° 8 369, 14 novembre 1923, p. 5 ; Gaston Frémont, « Cross-country », L’Auto, n° 8 403, 18 décembre 1923, p. 4 ; Gaston Frémont, L’Auto, n° 8 551, 14 mai 1924, p. 3 ; et enfin Gaston Frémont, « Le phénomène Nurmi et l’équipe de Finlande enlèvent le cross-country », L’Auto, n° 8 611, 13 juillet 1924, p. 4.

87 Aurélien Chèbre, Jean-Nicolas Renaud, « La socialisation par l’effort. L’exemple du cross-country en France (1907-1924) », 20&21. Revue d’histoire, 149, 2021, p. 13-18.

88 Ces échanges sont relatés dans les colonnes de L’Athlétisme : n° 107, 20 octobre 1923, p. 10 ; ° 108, 27 octobre 1923, p. 10 ; n° 119, 12 janvier 1924, p. 8 ; n° 128, 15 mars 1924, p. 6 ; n° 129, 22 mars 1924, p. 8 ; n° 130, 29 mars 1924, p. 6 ; n° 131, 5 avril 1924, p. 6 ; n° 134, 26 avril 1924, p. 13.

89 L’Athlétisme, n° 134, 26 avril 1924, p. 13.

90 Comité olympique français, Les Jeux de la VIIIe Olympiade..., op. cit., p. 152.

91 « Le Cross olympique. Les Anglais ne sont pas contents ! ! ! », Paris-Soir, n° 226, 18 mai 1924, p. 4.

92 Fred Liévin, « Les Anglais ne peuvent pas déclarer forfait au cross olympique », Paris-Soir, n° 223, 15 mai 1924, p. 4.

93 Géo Charles, VIIIe Olympiade (1924-1928), op. cit., p. 61.

94 Jean-Robert Pitte, Géographie culturelle, Paris, Fayard, 2006, p. 22.

95 À l’approche des Jeux olympiques de Paris en 2024, le projet d’un retour du cross-country au programme olympique un siècle après la dernière édition refait surface, porté notamment par le président de la FFA André Giraud et le président de la Fédération internationale d’athlétisme Sebastian Coe (Audrey Mercurin, « Vers un retour du cross-country aux JO ? », Ouest-France, 11 mars 2018, en ligne : https://www.ouest-france.fr/bretagne/finistere/vers-un-retour-du-cross-country-aux-jo-5618172). Un format attractif et spectaculaire doit permettre de relancer une discipline qui peine à sortir de l’ornière. Pourtant, à l’instar des années 1930, les problématiques de calendrier hivernal, de tracés et surtout de concurrence entre les disciplines sportives désirant intégrer le programme viennent une fois encore refroidir les ambitions olympiques. Les même logiques économiques et culturelles s’affrontent, comme une antienne.

96 Gaston Frémont, « Le phénomène Nurmi ... », art. cité, p. 4.

97 Nous reprenons une nouvelle fois l’expression « culture vécue » à Pascal Ory dans La belle illusion..., op. cit., p. 17.

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Table des illustrations

Titre Illustration 1. Plan du réseau téléphonique au stade olympique de Colombes30
Crédits Crédit : Comité olympique français, Les Jeux de la VIIIe Olympiade (Paris 1924). Rapport Officiel, Paris, Librairie de France, 1924, p. 74.
URL http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/rhc/docannexe/image/10460/img-1.png
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Titre Illustration 2. Nurmi aux Jeux olympiques de Paris, surnommé le « Finlandais volant »57
Crédits Crédit : « L’histoire du Finlandais Paavo Nurmi, le plus grand coureur à pied de tous les temps », Le Miroir des sports, n° 588, 8 avril 1925, p. 212.
URL http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/rhc/docannexe/image/10460/img-2.png
Fichier image/png, 491k
Titre Illustration 3. Défaillance d’un athlète lors du cross olympique de 192478
Crédits Crédit : « Jeux olympiques de 1924. Cérémonie d’ouverture », Pathé documentaire, 1924, 10’48’’, Archives Gaumont-Pathé, DOC55SEQ1, noir et blanc, muet [voir l’extrait à 10’13’’].
URL http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/rhc/docannexe/image/10460/img-3.png
Fichier image/png, 212k
Titre Illustration 4. Parcours du cross olympique de 1924, à proximité du stade de Colombes90
Crédits Crédit : Comité olympique français, Les Jeux de la VIIIe Olympiade (Paris 1924). Rapport Officiel, Paris, Librairie de France, 1924, p. 152.
URL http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/rhc/docannexe/image/10460/img-4.png
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Pour citer cet article

Référence électronique

Aurélien Chèbre, « Les Jeux olympiques de Paris en 1924, une fête du muscle »Revue d’histoire culturelle [En ligne], 8 | 2024, mis en ligne le 31 mai 2024, consulté le 02 décembre 2024. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/rhc/10460 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/11ycu

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Auteur

Aurélien Chèbre

Aurélien Chèbre est professeur agrégé d’EPS et docteur en histoire du sport. Membre du laboratoire Valeurs, Innovations, Politiques, Socialisations et Sports (VIPS2) à Rennes, ses thématiques de recherche portent sur les sensibilités à l’effort en course à pied au début du XXe siècle en France. aurelien.chebre@wanadoo.fr

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