Julien Rycx, Georges Laguerre, un Bel-Ami en politique (1858-1912)
Julien Rycx, Georges Laguerre, un Bel-Ami en politique (1858-1912), Villeneuve d’Ascq, Presses universitaires du Septentrion, 2023, 434 p.
Texte intégral
- 1 . Bertrand Joly, Aux origines du populisme. Histoire du boulangisme (1886-1891), Paris, CNRS Éditio (...)
- 2 . Christophe Voilliot, « Une décennie décisive pour la genèse d’un champ politique en France ? », i (...)
1L’analyse biographique se prête bien à l’exercice de la monographie parlementaire dans la mesure où elle peut s’appuyer sur une connaissance solide de l’institution et de ses membres. Encore faut-il faire preuve d’une certaine prudence dans l’interprétation, en particulier lorsque les sources archivistiques sont lacunaires ou viennent à manquer. De ce point de vue, l’ouvrage de Julien Rycx, issu d’une thèse de doctorat soutenue en 2021 à l’Université de Lille, est remarquablement bien construit et contribue à enrichir notre connaissance de la vie politique de la Troisième République. La trajectoire de Georges Laguerre s’avère intéressante à étudier, d’une part car elle s’inscrit au cœur de l’épisode boulangiste, comme l’a montré Bertrand Joly1, et de l’autre parce que son entrée en politique coïncide avec les débuts du processus d’autonomisation de l’activité politique2.
2Issu d’une famille bourgeoise, Georges Laguerre fait une entrée politique fracassante. Le jeune avocat ambitieux qui très tôt manifeste « un réel désir de briller, d’accéder aux plus hautes strates de la société, et de faire une carrière politique » se fait volontiers le défenseur des ouvriers et des anarchistes dans les années 1882-84. Le « jeune prodige radical » est élu à la Chambre des députés comme représentant du Vaucluse en 1883. Dès les débuts de sa carrière politique, G. Laguerre a été confronté à des attaques et à des caricatures virulentes, mais c’est son adhésion au boulangisme qui explique la profusion de portraits à charge en « séducteur et manipulateur ». L’enquête réalisée par Julien Rycx permet de faire la part des choses entre les effets de réputation et les pratiques financières objectivement contestables du personnage. S’il « ne laisse jamais rien au hasard », G. Laguerre éprouve parfois des difficultés à se plier aux règles d’un métier politique en train de s’inventer. Cela ne l’empêche pas de se rendre indispensable vis-à-vis du général Boulanger à l’été 1887 « par son pragmatisme et ses précieux réseaux d’amitiés politiques » et mondains au sein desquels sa maîtresse, la comédienne Marguerite Durand, joua un rôle important. G. Laguerre se retrouve ainsi « au cœur de la matrice boulangiste ». Acceptant de côtoyer en son sein bonapartistes et monarchistes, il apparaît alors comme un traître à ses anciens amis radicaux qui finissent par l’exclure du groupe d’extrême-gauche de la Chambre des députés en avril 1888. Il devient alors rédacteur en chef de La Presse qu’il transforme, après son rachat, en organe de propagande boulangiste au prix de « dettes abyssales ». Devenu un « véritable caméléon opérant sur l’ensemble du spectre politique », G. Laguerre ne ménage pas son soutien à l’entreprise électorale du général. Face à la contre-offensive gouvernementale menée par Ernest Constans, G. Laguerre va rapidement voir ses espoirs s’effondrer. Son immunité parlementaire est levée à l’issue d’un vote intervenu le 14 mars 1889. « Étonnamment désorienté » par la fuite du général, G. Laguerre tente alors de maintenir l’unité des boulangistes et de s’imposer comme le « gardien de la flamme » et comme l’héritier de la mémoire révolutionnaire. L’échec des candidats révisionnistes lors des élections générales de 1889, même si Laguerre est facilement élu dans le XVe arrondissement de la capitale, va sonner le glas de l’entreprise boulangiste : « Laguerre paye davantage son audace que ses convictions et participe, à sa modeste mesure, à la chute d’un mouvement dont il se présentait comme l’ardent messager ». Contraint de quitter la Maçonnerie et la direction de son journal, radié du barreau de Paris, G. Laguerre perd peu à peu tout crédit au sein du monde parlementaire. Il s’exile alors à Figeac, « ultime bravade d’un enfant gâté », mais il se voit rattrapé en 1893 par le scandale de Panama et n’est pas réélu à la Chambre des députés. Débute alors pour lui « une longue traversée du désert durant laquelle même la Sûreté ne lui accorde plus la moindre attention ». Seul Maurice Barrès lui conserve son amitié comme en témoignent leurs échanges épistolaires nourris. Il bascule définitivement dans le camp nationaliste lors de l’affaire Dreyfus. Il réussit néanmoins à se faire réélire comme député « radical-socialiste » dans la circonscription d’Apt en 1910 en profitant de la division de ses adversaires. Endetté, épuisé et malade, il s’éteint « dans une indifférence quasi-générale » deux ans plus tard.
Notes
1 . Bertrand Joly, Aux origines du populisme. Histoire du boulangisme (1886-1891), Paris, CNRS Éditions, 2022.
2 . Christophe Voilliot, « Une décennie décisive pour la genèse d’un champ politique en France ? », in Pierre Allorant, Walter Badiner et Jean Garrigues (dir.), Les Dix décisives : 1869-1879, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2022, p. 125-134.
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Référence papier
Christophe Voilliot, « Julien Rycx, Georges Laguerre, un Bel-Ami en politique (1858-1912) », Revue d'histoire du XIXe siècle, 68 | 2024, 232-233.
Référence électronique
Christophe Voilliot, « Julien Rycx, Georges Laguerre, un Bel-Ami en politique (1858-1912) », Revue d'histoire du XIXe siècle [En ligne], 68 | 2024, mis en ligne le 01 juillet 2024, consulté le 06 décembre 2024. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/rh19/9658 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/1218v
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