François Gaudin (dir.), Avec la rouge bannière !
François Gaudin (dir.), Avec la rouge bannière !, préface de Jean-Yves Mollier, Limoges, Éditions Lambert-Lucas, 2023, 168 p.
Texte intégral
- 1 . Voir François Gaudin, Maurice Lachâtre, éditeur socialiste (1814-1900), Limoges, Éditions Lambert (...)
1Sous un titre emprunté à Maurice Lachâtre (1814-1900), comme le rappelle en introduction François Gaudin, ce recueil d’une douzaine de textes rassemble les actes d’un colloque tenu à l’ENS en 2014, à l’occasion du centenaire « d’un utopiste réalisateur, militant et entrepreneur, anticlérical et spirite », initiateur notamment de plusieurs dictionnaires ainsi que d’une sulfureuse Histoire des papes1. Croisant des contributions de linguistes et d’historiennes et historiens, l’ouvrage rend compte du parcours sinueux et de la diversité des centres d’intérêt de Maurice Lachâtre en abordant une large variété de thématiques.
2Ainsi, Jacqueline Lalouette souligne l’engagement anticlérical de Lachâtre lorsqu’en 1874, une trentaine d’années après la parution de son Histoire des papes, il publie un Manuel des confesseurs de Mgr Bouvier, évêque du Mans. Cette traduction française d’un ouvrage de théologie morale, destiné à la formation des prêtres, porte en particulier sur les questions de sexualité. Il s’agit alors surtout pour Lachâtre de dénoncer l’Église catholique en mettant en avant la lubricité du clergé tout en s’attachant un lectorat féru d’anticléricalisme.
- 2 . En 1841, Lachâtre avait édité les Fragments historiques 1688 et 1830 par le Prince Napoléon Louis (...)
3À partir de 1852, Maurice Lachâtre publie un Dictionnaire universel, ouvrage initialement annoncé dès l’automne 1851 sous le titre de Dictionnaire du peuple. Michel Cordillot s’interroge sur la réaction relativement tardive du pouvoir face à cet ouvrage, qui ne sera condamné que lors de la relance de la répression politique et sociale dans le cadre de la loi de Sûreté générale du 19 février 1858. Sans doute, un temps, la livraison par fascicules à partir du printemps 1852 a-t-elle bénéficié d’une certaine incapacité des censeurs à déceler le contenu contestataire de l’ouvrage qui ne se présentait pas ouvertement comme un manifeste républicain et socialiste. En revanche, Michel Cordillot ne semble pas croire à une mansuétude du pouvoir impérial qui aurait pu tolérer la publication d’un tel ouvrage au nom d’anciennes activités éditoriales de Maurice Lachâtre2.
4Un texte de Judith Lyon-Caen rappelle que Maurice Lachâtre a aussi entretenu une correspondance et des relations étroites comme éditeur avec Eugène Sue avant la saisie d’avril 1857 des Mystères du peuple, peu avant le décès de l’auteur. Ces lettres esquissent le portait d’un Lachâtre travailleur et fortement engagé, bien loin de l’image de dandy converti au socialisme par opportunisme que voudraient en donner ses détracteurs, notamment l’écrivain légitimiste Barbey d’Aurevilly.
- 3 . Celle-ci a d’ailleurs fait l’objet d’une publication ultérieure enrichie de François Gaudin : Tra (...)
5De même, Jean-Numa Ducange souligne l’intérêt de la correspondance entretenue entre Maurice Lachâtre et Karl Marx. L’éditeur a en effet publié en français entre 1872 et 1875 le livre I du Capital, ainsi que la correspondance qu’il a entretenue avec l’auteur3. Comme l’indique Jean-Numa Ducange, celle-ci permet notamment de mieux saisir les positions de Marx par rapport aux thèses de Proudhon ainsi que ses réactions concernant les romans d’Eugène Sue, en particulier Les Mystères de Paris.
6Plusieurs contributions abordent plus spécialement les questions de lexicographie et l’étude des dictionnaires dont Maurice Lachâtre a été un ardent promoteur, comme éditeur, parfois avec des associés, dont Hippolyte Léon Denizard Rivail (1804-1869), plus connu sous le pseudonyme d’Allan Kardec. Françoise Guérard analyse ainsi les apports du Dictionnaire des écoles, qu’elle qualifie de « chimère pédagogique pour temps incertain », ainsi que les rapports entre Lachâtre et la néologie à travers son Nouveau dictionnaire universel (1851). Christophe Rey envisage quant à lui les liens existants entre le Dictionnaire du peuple et le français « populaire », une approche qui s’appuie principalement sur le Dictionnaire universel (1852-1856) de Lachâtre et son Nouveau dictionnaire universel (1865-1870). Selon l’auteur de la contribution, le premier nommé semble davantage être un dictionnaire « du peuple » que le second. Entre les deux, un important travail de neutralisation de la variation linguistique paraît en effet avoir été réalisé.
7Lexicographe ouvert sur le monde et la société, Maurice Lachâtre a aussi dénoncé les formes de domination sociale et politique. Cela l’a amené à introduire dans ses dictionnaires la féminisation des entrées qui pouvaient s’y prêter et aussi à s’intéresser à la réforme de l’orthographe. Christine Jacquet-Pfau se propose ainsi d’envisager l’utopie orthographique de Casimir Henricy (1814-1900) auquel le Nouveau dictionnaire universel consacre une notice d’une quarantaine de lignes. Rédacteur au National dans les années 1830 puis dans La Réforme de Ledru-Rollin, il prit une part active à la Révolution de 1848 et a participé directement aux débats sur l’orthographe, suite au décret de 1835 qui avait rendu obligatoire l’enseignement de l’orthographe du Dictionnaire de l’Académie. Très engagé dans le champ linguistique, Henricy fonde en 1858 La Tribune des linguistes, organe de la Société internationale de linguistique qui vise à créer un alphabet et une langue universelle tout en promouvant la réforme de l’orthographe. Il collabore au Dictionnaire universel de Maurice Lachâtre et y publie en annexe une imposante « Réforme de l’orthographe » (p. 1557-1582). Il s’agit donc d’une forme de militantisme lexicographique agissant à la fois pour la réforme de la société et en faveur du changement volontaire de la langue.
8Une autre dimension des activités de l’éditeur Maurice Lachâtre est son implication dans le spiritisme, croyant au dialogue avec les esprits avec l’ambition de renouveler le christianisme par la réconciliation de la science et de la religion. Comme le rappelle Nicole Edelman dans sa contribution, l’engagement spirite de l’éditeur – qu’il partage avec Rivail/ Kardec – suppose de croire au somnambulisme magnétique et de revisiter le dogme catholique. Le spiritisme radicalement anticlérical de Maurice Lachâtre, qui s’y est converti dès 1857, lui vaut d’ailleurs de subir un autodafé de ses livres, revues et brochures le 9 octobre 1861, alors qu’il cherche à diffuser la doctrine spirite lors de son exil à Barcelone. Cet engagement spirite de Lachâtre est néanmoins nuancé dans la contribution d’Alexandre Rocha, qui souligne que l’éditeur s’est intéressé à ce mouvement parmi d’autres courants de pensée, poussé en premier lieu par ses conceptions de libre-penseur et de libertaire.
9À travers la comparaison entre deux parcours d’éditeurs engagés au xixe siècle, Maurice Lachâtre et Léo Taxil, Robert Rossi met quant à lui en exergue des points communs, en particulier leur anticléricalisme et leur adhésion aux idées révolutionnaires, mais aussi des divergences dans leur manière d’être. Autant Maurice Lachâtre reste fidèle jusqu’à sa mort à ses engagements idéologiques, autant les palinodies de Léo Taxil paraissent récurrentes, à tel point qu’il a pu être soupçonné dans les années 1880 d’entretenir des liens étroits avec la police.
10Au total donc, ces contributions diversifiées permettent d’appréhender à la fois la richesse de l’itinéraire d’un éditeur et lexicographe engagé, partie prenante des enjeux politiques, religieux, littéraires, et lexicographiques de son époque, tout en soulignant l’actualité d’une démarche fondée sur les idéaux de liberté, d’égalité et de fraternité.
Notes
1 . Voir François Gaudin, Maurice Lachâtre, éditeur socialiste (1814-1900), Limoges, Éditions Lambert-Lucas, 2014. Cet ouvrage est aussi un prolongement à la publication en 2006 des actes d’un précédent colloque qui envisageait les multiples facettes de ce personnage hors du commun : François Gaudin (dir.), Le Monde perdu de Maurice Lachâtre (1814-1900), Paris, Honoré Champion, 2006.
2 . En 1841, Lachâtre avait édité les Fragments historiques 1688 et 1830 par le Prince Napoléon Louis Bonaparte. Il s’agissait d’une réflexion sur les causes et les effets des révolutions en Angleterre en 1688 et en France en 1830. Voir : Yannick Marec, « Maurice Lachâtre éditeur de Karl Marx et de Louis-Napoléon Bonaparte : 1848 dans un itinéraire », in Le Monde perdu de Maurice Lachâtre (1814-1900), op.cit., p. 25-50.
3 . Celle-ci a d’ailleurs fait l’objet d’une publication ultérieure enrichie de François Gaudin : Traduire Le Capital. Une correspondance inédite entre Karl Marx, Friedrich Engels et l’éditeur Maurice Lachâtre, présentée et annotée par François Gaudin, Mont-Saint-Aignan, Presses universitaires de Rouen et du Havre, 2019.
Haut de pagePour citer cet article
Référence papier
Yannick Marec, « François Gaudin (dir.), Avec la rouge bannière ! », Revue d'histoire du XIXe siècle, 68 | 2024, 229-232.
Référence électronique
Yannick Marec, « François Gaudin (dir.), Avec la rouge bannière ! », Revue d'histoire du XIXe siècle [En ligne], 68 | 2024, mis en ligne le 01 juillet 2024, consulté le 24 janvier 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/rh19/9655 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/1218u
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