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Comptes rendus

Isabela MARES, Protecting the Ballot. How First-Wave Democracies Ended Electoral Corruption

Princeton, Princeton University Press, 2022
Christophe Voilliot
p. 203-205
Référence(s) :

Isabela MARES, Protecting the Ballot. How First-Wave Democracies Ended Electoral Corruption, Princeton, Princeton University Press, 2022, 241 p., $ 120.

Texte intégral

  • 1 Isabela Mares, From Open Secrets to Secret Voting. Democratic Electoral Reforms and Voter Autonomy, (...)
  • 2 Pipa Norris, Why Electoral Integrity Matters, New York, Cambridge University Press, 2014.
  • 3 Adam Przeworski, Michael Alvarez, Jose Cheibub, Fernando Limongi, Democracy and Development, New Yo (...)
  • 4 Daron Acemoglu, James A. Robinson, Economic Origins of Dictatorship and Democracy, New York, Cambri (...)

1Dans le prolongement de ses précédents travaux1, Isabela Mares nous propose une étude comparée sur les réformes électorales intervenues en Europe à la fin du xixe siècle en contrepoint de l’élargissement du suffrage. Ces réformes visaient à mettre fin à des pratiques jugées déviantes dans le cadre des campagnes électorales, des opérations de vote et de comptabilité des bulletins. Faisant écho aux travaux contemporains sur l’intégrité électorale2, cette étude tout à fait passionnante cherche à comprendre pourquoi et comment les élites au pouvoir ont consenti à modifier les règles du jeu. Le schéma qui résume l’ensemble des hypothèses de l’auteure met l’accent sur deux séries de facteurs : d’une part, les effets du développement économique sur l’accès aux ressources nécessaires pour mettre en œuvre des moyens illicites ; d’autre part, le risque de scission au sein des élites qui apparaît susceptible d’accroître le coût politique du recours à ces moyens. Isabela Mares confronte ses hypothèses aux théories de la modernisation3 et aux théories de la redistribution4 qu’elle juge toutes deux insuffisantes pour appréhender la complexité des processus de formation de coalitions parlementaires favorables aux réformes électorales.

2L’enquête repose sur l’analyse quantitative des débats parlementaires et s’appuie sur la littérature secondaire pour contextualiser ces votes. Pour mettre en œuvre cette démarche, il était nécessaire de construire une typologie des pratiques déviantes : l’auteure distingue par conséquent l’achat de votes, l’utilisation de ressources d’État dans les campagnes électorales et la fraude stricto sensu. Quant à l’analyse des propositions de loi, elle est appréhendée à l’aune des coûts supportés par les élites politiques et des avantages induits par ces réformes. L’intensité de la compétition partisane apparaît déterminante dans les réformes intervenues en Grande-Bretagne et en Belgique, alors qu’en France et en Allemagne c’est moins l’évolution législative que celle de la jurisprudence qui explique les restrictions majeures des pratiques électorales déviantes avant 1914.

  • 5 Michel Dobry, « Les voies incertaines de la transitologie : choix stratégiques, séquences historiqu (...)
  • 6 Christophe Voilliot, « L’entreprise comme lieu de pouvoir politique : la discipline électorale au C (...)
  • 7 Yves Déloye, Les Voix de Dieu. Pour une autre histoire du suffrage électoral : le clergé catholique (...)

3Si les résultats de l’enquête sont impressionnants et la démonstration rigoureuse, il n’en demeure pas moins que ce livre pose tout une série de problèmes méthodologiques qui montrent que ce domaine de recherche est encore en devenir. En premier lieu, la définition du périmètre de la comparaison apparaît fragile : pourquoi exclure l’Italie ou l’Espagne, qui sont aussi à cette époque des États parlementaires, et inclure l’Allemagne wilhelmienne qui apparaît comme assez éloignée de l’idéal démocratique ? Et ce d’autant plus que la notion de first-wave democracies prend appui sur les théories de la transition chères à la science politique américaine, mais dont les limites sont aujourd’hui patentes5. En deuxième lieu, la contextualisation des débats parlementaires français souffre parfois de quelques approximations : s’il est exact qu’ils souhaitaient entraver les « pressions patronales » sur lesquelles on disposait alors de témoignages consistants6, les radicaux, dont l’appui a rendu possible le vote de la loi du 29 juillet 1913, ont aussi agi en fonction de leur perception de l’ampleur des « pressions cléricales » et de l’activisme électoral du clergé catholique au tournant du siècle7. Quant à l’usage des ressources d’État, dans le cadre de candidatures recommandées, l’auteure les met justement en valeur, mais accorde trop de confiance aux deux essais d’Alexandre Pilenco, qu’elle considère comme un « observateur astucieux » (p. 194), alors qu’ils doivent beaucoup à l’humeur anti-parlementaire de l’entre-deux-guerres… En dernier lieu, on peut se demander si l’approche réaliste qui sous-tend l’analyse coût/avantages mobilisée dans cet ouvrage ne sous-estime pas la dimension symbolique et mémorielle des luttes politiques et leur impact sur les choix stratégiques des acteurs du champ politique. Ces quelques remarques ne doivent néanmoins pas dissimuler le fait que le livre d’Isabela Mares s’impose dès à présent comme une référence sur l’étude des processus de démocratisation des États parlementaires.

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Notes

1 Isabela Mares, From Open Secrets to Secret Voting. Democratic Electoral Reforms and Voter Autonomy, New York, Cambridge University Press, 2015. Voir le compte rendu de cet ouvrage par Christophe Voilliot, Revue d’histoire du xixe siècle, n°52, 2016/1, p. 234-326.

2 Pipa Norris, Why Electoral Integrity Matters, New York, Cambridge University Press, 2014.

3 Adam Przeworski, Michael Alvarez, Jose Cheibub, Fernando Limongi, Democracy and Development, New York, Cambridge University Press, 2000.

4 Daron Acemoglu, James A. Robinson, Economic Origins of Dictatorship and Democracy, New York, Cambridge University Press, 2006.

5 Michel Dobry, « Les voies incertaines de la transitologie : choix stratégiques, séquences historiques, bifurcations et processus de path dependence », Revue française de science politique, vol. 50, 2000/4‑5, p. 585‑614.

6 Christophe Voilliot, « L’entreprise comme lieu de pouvoir politique : la discipline électorale au Creusot à la fin du xixe siècle », Entreprises et histoire, n° 104, 2021, p. 213‑217.

7 Yves Déloye, Les Voix de Dieu. Pour une autre histoire du suffrage électoral : le clergé catholique français et le vote, xixexxe siècle, Paris, Fayard, coll. « L’espace du politique », 2006.

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Pour citer cet article

Référence papier

Christophe Voilliot, « Isabela MARES, Protecting the Ballot. How First-Wave Democracies Ended Electoral Corruption »Revue d'histoire du XIXe siècle, 66 | 2023, 203-205.

Référence électronique

Christophe Voilliot, « Isabela MARES, Protecting the Ballot. How First-Wave Democracies Ended Electoral Corruption »Revue d'histoire du XIXe siècle [En ligne], 66 | 2023, mis en ligne le 01 juin 2023, consulté le 06 décembre 2024. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/rh19/9161 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/rh19.9161

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Auteur

Christophe Voilliot

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CC-BY-SA-4.0

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