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Lectures

Jean-Claude CARON et Nathalie PONSARD (dir.), La France en guerre. Cinq « années terribles ». 1792-1793. 1814-1815. 1870-1871. 1914-1915. 1939-1940

Emmanuel Debruyne
p. 244-246
Référence(s) :

Jean-Claude CARON et Nathalie PONSARD (dir.), La France en guerre. Cinq « années terribles ». 1792-1793. 1814-1815. 1870-1871. 1914-1915. 1939-1940, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2018, 420 p., 29 euros.

Texte intégral

1Fruit d’un colloque tenu à Clermont-Ferrand en 2016, La France en guerre propose un retour collectif sur la notion d’« année terrible », popularisée par Victor Hugo pour désigner l’année 1870-1871. À cette acception hugolienne, Jean-Claude Caron et Nathalie Ponsard proposent d’ajouter quatre autres séquences de l’histoire de France marquées par l’invasion étrangère et le déferlement de la violence, et dans certains cas par le spectre de la défaite ou de la guerre civile. Le chrononyme s’en trouve étendu, en amont, aux années 1792-1793 et 1814-1815 et, en aval, à 1914-1915 et 1939-1940. Au-delà des événements politiques et militaires majeurs qui les caractérisent, ces années sont aussi celles de bouleversements moraux et identitaires appelés à faire date.

2L’ouvrage se garde bien de calquer son propos comme son découpage sur ce séquençage chronologique. Sa structure en trois parties envisage au contraire d’écouter ce terrible quintet dans trois registres différents. Les « expériences du basculement » constituent le premier, qui examine comment des individus ont perçu et vécu à leur niveau le caractère terrible des choix et des situations au moment d’être immergés dans l’événement, et comment celui-ci a parfois continué à laisser son empreinte sur leur interprétation du monde. L’individu à l’heure des choix est au cœur de la contribution d’Anne Rolland-Boulestreau qui reconstruit les vies parallèles de trois notables d’Anjou, proches par leur condition sociale, mais que leurs décisions dans la tourmente de 1792-1793 engagent sur des trajectoires tragiques et opposées. L’expérience du basculement est de son côté décortiquée dans la temporalité fine de l’événement 1914 via la correspondance, les carnets et les souvenirs brillamment analysés par Nicolas Beaupré. Celui qui deviendra Céline est de ceux qui expérimentent ce basculement vers le dégoût de la guerre, mais aussi le rejet de la modernité comme le démontre Odile Roynette. En 1940, c’est une autre forme de basculement, du volontarisme à l’impuissance, qu’expérimente Paul Reynaud, dont le bref passage à la présidence du conseil est mis en lumière par Thibault Tellier qui confronte ses idées, sa légitimité et sa conduite depuis la Grande Guerre à ses choix aux heures critiques du printemps 1940.

3Les « filiations, décalages et contre-pied » constituent le deuxième registre, qui examine la manière dont la mémoire des épreuves précédentes est mobilisée au cours des « années terribles », un phénomène déjà suggéré par plusieurs contributions de la première partie, mais aussi comment ces mêmes années renouvellent certaines représentations. Dans la famille Hertz, que Nicolas Mariot suit en 1914-1915, le précédent de 1792-1793 fait figure de mythe glorieux et inspirant, alors que 1870-1871 s’érige au contraire en repoussoir. Les contributions d’Alexandre Dupont et d’Aurélien Lignereux interrogent le caractère « terrible » de ces années en montrant comment elles rouvrent aussi le champ des possibles pour des courants politiques ultérieurement catalogués parmi les vaincus de l’histoire. La première nous montre l’investissement des catholiques et légitimistes dans la défense nationale en 1870-1871, et l’espoir de reconquête du pouvoir qu’il alimenta. Le second se penche sur le département de l’Isère pour révéler les successions de craintes, de tensions et de soulagements au gré des nombreux retournements de situation militaires et politiques de 1814-1815. La contribution de Dominique Kalifa offre un contre-pied fascinant en montrant comment la notion de « Belle époque » s’ancre à partir de l’année 1940, dans le contraste nostalgique qu’elle offre avec cette « année terrible ». Dans celle d’Emmanuelle Retaillaud, c’est au contraire un type, celui de la Parisienne, qui est remodelé au fil des « années terribles » durant lesquelles sont mis à l’épreuve les rapports de genre.

4Les constructions mémorielles des séquences étudiées forment le propos du troisième registre : « Restaurer, représenter, résister ». Alors que les deux premières parties puisaient de manière équilibrée dans les différentes « années terribles », cette dernière est dominée par l’année 1940, qui constitue par exemple le cadre de l’examen par Julien Blanc de l’usage du passé dans les premiers pas de la Résistance. Les dernières contributions de cet ouvrage sont, d’une certaine manière, hantées par L’Étrange défaite de Marc Bloch, comme si la plume de l’historien était convoquée pour clore le cycle de ces « années terribles ».

5On reprochera sans doute à l’ouvrage d’incorporer quelques contributions qui, si elles ne sont pas dépourvues d’intérêt, soutiennent difficilement la comparaison avec leurs homologues, par manque de rigueur ou d’une problématique forte. Il n’en reste pas moins que cet ensemble de vingt-quatre contributions, encadrées et enrichies par une introduction et une conclusion générales, ainsi que par trois introductions de partie très travaillées, constitue au final un plaidoyer convaincant pour l’intérêt heuristique de cette notion d’« année terrible », envisagée autant comme expérience vécue que comme lieu de mémoire, voire comme généalogie mémorielle ou comme écriture historienne.

6L’éveil de cet intérêt peut aussi conduire à regretter la réduction de la notion d’« année terrible » à un phénomène purement français. Certes, l’ouvrage porte sur La France en guerre, mais pas une seule fois les auteurs ne suggèrent la possibilité de mieux cerner les spécificités du cas français en le confrontant à d’autres, y compris pour des séquences strictement concomitantes aux cinq années envisagées et liées à l’histoire française. De 1792-1793 dans les Pays-Bas autrichiens à 1939-1940 en Pologne, les possibilités ne manquaient pourtant pas de déborder de l’Hexagone pour mieux l’apprécier. Deux contributions s’essaient cependant à mettre en lumière un regard étranger sur le naufrage français de 1940 : celle d’Iveta Slavkova sur les projets utopiques de l’artiste allemand Wols, interné au camp des Milles, et celle de Clément Million qui analyse comment le souvenir de 1870-1871 est utilisé dans les revues universitaires nazies pour justifier la position de l’Allemagne face à la France défaite. L’« année terrible » reste donc bien strictement française dans ces deux cas, mais le regard scruté est allemand.

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Pour citer cet article

Référence papier

Emmanuel Debruyne, « Jean-Claude CARON et Nathalie PONSARD (dir.), La France en guerre. Cinq « années terribles ». 1792-1793. 1814-1815. 1870-1871. 1914-1915. 1939-1940 »Revue d'histoire du XIXe siècle, 59 | 2019, 244-246.

Référence électronique

Emmanuel Debruyne, « Jean-Claude CARON et Nathalie PONSARD (dir.), La France en guerre. Cinq « années terribles ». 1792-1793. 1814-1815. 1870-1871. 1914-1915. 1939-1940 »Revue d'histoire du XIXe siècle [En ligne], 59 | 2019, mis en ligne le 11 janvier 2020, consulté le 01 novembre 2024. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/rh19/6781 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/rh19.6781

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