David A. BATEMAN, Disenfranchising Democracy. Constructing the Electorate in the United States, the United Kingdom, and France
David A. BATEMAN, Disenfranchising Democracy. Constructing the Electorate in the United States, the United Kingdom, and France, Cambridge, Cambridge University Press, 2018, 348 p., 21,99 £.
Texte intégral
- 1 Revue d’histoire du xixe siècle, n° 52, 2016, p. 234-236.
- 2 Giovanni Capoccia et David Ziblatt, “The Historical Turn in Democratization Studies: A New Research (...)
1Ce livre de David A. Bateman, Assistant Professor of Government à la Cornell University (New York), s’inscrit, comme celui d’Isabela Mares précédemment recensé dans cette revue1, dans le courant des democratization studies, approche qui vise à étudier de manière comparative et institutionnelle les processus de démocratisation sans recourir pour autant aux méthodes de l’histoire globale ou de l’histoire connectée2. Les cas britanniques et français servent ici de test comparatif pour relire de manière critique l’histoire de la construction du corps électoral aux États-Unis au xixe siècle.
- 3 Voir le tableau 3.1 Democratizing and Disenfranchising Changes, 1789-1826, p. 86-88.
2L’auteur cherche à comprendre pourquoi, chronologiquement, le processus de démocratisation institutionnelle a coïncidé avec des restrictions dans l’accès au droit de vote (disenfranchising), ce qui le conduit à redéfinir ce processus moins comme une extension des droits politiques que comme « un effort délibéré pour changer la composition et le caractère d’une communauté particulière » (p. xiii), processus qui comporte certes une dimension institutionnelle mais qui va également reposer sur la construction d’une identité politique (people making). Aux États-Unis, c’est l’hypothèse centrale de l’ouvrage, ce processus a été surdéterminé par la dimension raciale, ce qui explique pourquoi les droits politiques associés à la citoyenneté électorale ont été réservés aux seuls hommes blancs. L’enjeu de cette recherche est par conséquent de déterminer les éventuels liens de causalité entre démocratisation et exclusion en mettant l’accent sur les choix effectués par les élites politiques et sur la construction idéologique d’une white man’s Republic. L’attitude de ces élites apparaît à l’auteur comme plus largement déterminée par les contraintes inhérentes à la formation de coalitions partisanes que par des rapports de classe spécifiques. Ces coalitions vont mettre en avant des principes servant à justifier les mécanismes d’inclusion et d’exclusion permettant de déterminer la composition du corps électoral. Ce n’est pas uniquement la culture politique américaine de l’époque, même si celle-ci est assurément marquée par des discours racistes, mais le jeu des factions au sein du parti républicain qui explique pour la période 1789-1826 les restrictions successives et concordantes des droits politiques des descendants d’esclaves dans les différents états3 ; par la suite, c’est plutôt le parti démocrate qui va jouer un rôle moteur dans cette dynamique.
- 4 Voir le tableau 6.3 Modest Disenfranchismement of 1875, p. 321.
- 5 En particulier Georges Ferrière, « La loi électorale du 30 novembre 1875. La difficile confirmation (...)
- 6 Comme le montre un autre ouvrage récemment paru : Henry Louis Gates, Jr., Stony the Road. Reconstru (...)
3Dans les deux derniers chapitres, David A. Bateman s’efforce de comparer cette situation avec les cas britanniques et français. Il cherche ainsi à identifier dans ces deux pays une coïncidence chronologique entre la démocratisation des institutions d’une part et des restrictions particulières apportées au droit de vote de l’autre. Il montre ainsi que si la réforme électorale de 1832 s’est traduite par la remise en cause du monopole dans l’accès aux institutions dont bénéficiaient les seuls protestants, elle a eu aussi pour conséquence la fermeture du jeu politique à la seule classe moyenne. Pour la France, c’est la période d’émergence des institutions de la Troisième République qui a retenu son attention. S’il considère que la loi électorale du 30 novembre 1875 a légèrement restreint le droit de vote4, sans malheureusement entrer dans le détail de ses calculs, il met surtout l’accent sur la consolidation de l’exclusion des femmes à l’issue de cette séquence. Les lacunes dans la bibliographie en langue française5 tout comme l’importance accordée aux seules institutions par rapport aux pratiques électorales effectives incitent toutefois à relativiser fortement cette comparaison. Si, comme l’auteur l’indique dans sa conclusion générale, le processus de démocratisation peut se résumer à un effort pour constituer et représenter un peuple particulier (particular people) aux détriments d’autres parties de la population et que ces choix ne relèvent pas d’un quelconque déterminisme culturel mais du résultat de luttes politiques, alors il est en effet possible de considérer comme nulle et non avenue l’idée d’un exceptionnalisme américain. Le débat reste néanmoins ouvert6.
Notes
1 Revue d’histoire du xixe siècle, n° 52, 2016, p. 234-236.
2 Giovanni Capoccia et David Ziblatt, “The Historical Turn in Democratization Studies: A New Research Agenda for Europe and Beyond”, Comparative Political Studies, vol. 43, 2010/8-9, p. 931-968.
3 Voir le tableau 3.1 Democratizing and Disenfranchising Changes, 1789-1826, p. 86-88.
4 Voir le tableau 6.3 Modest Disenfranchismement of 1875, p. 321.
5 En particulier Georges Ferrière, « La loi électorale du 30 novembre 1875. La difficile confirmation du suffrage universel », in Le concept de représentation dans la pensée politique. Actes du colloque de d’Aix-en-Provence (mai 2002), Aix-en-Provence, Presses universitaires d’Aix-Marseille, 2003, p. 421-447.
6 Comme le montre un autre ouvrage récemment paru : Henry Louis Gates, Jr., Stony the Road. Reconstruction, White Supremacy, and the Rise of Jim Crow, New York, Penguin Press, 2019.
Haut de pagePour citer cet article
Référence papier
Christophe Voilliot, « David A. BATEMAN, Disenfranchising Democracy. Constructing the Electorate in the United States, the United Kingdom, and France », Revue d'histoire du XIXe siècle, 59 | 2019, 231-232.
Référence électronique
Christophe Voilliot, « David A. BATEMAN, Disenfranchising Democracy. Constructing the Electorate in the United States, the United Kingdom, and France », Revue d'histoire du XIXe siècle [En ligne], 59 | 2019, mis en ligne le 11 janvier 2020, consulté le 13 décembre 2024. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/rh19/6709 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/rh19.6709
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