Jean-Louis ROBERT, Plaisance près Montparnasse. Quartier parisien, 1840-1985
Jean-Louis ROBERT, Plaisance près Montparnasse. Quartier parisien, 1840-1985, Paris, Publications de la Sorbonne, 2012, 626 p. ISBN : 978-2-85944-716-8. 42 euros.
Texte intégral
1Professeur émérite d’histoire contemporaine à l’université Paris 1, spécialiste d’histoire sociale, engagé, Jean-Louis Robert présente l’histoire du quartier parisien de Plaisance, où il réside, sur une longue durée allant de 1840 à 1985.
2À partir d’un vaste corpus, qui s’étend de la presse (locale et nationale) aux archives de police (mains-courantes du commissariat), en passant par les recensements, les listes électorales, et d’autres sources moins usitées (romans, chansons, peintures, photos), l’auteur retrace, en six chapitres chronologiques, près de 150 ans d’histoire sociale d’un faubourg parisien. Il en analyse la formation, l’évolution et les manières dont il a été pensé et géré. Il étudie la vie quotidienne, le développement de la culture urbaine et de la démocratie locale, au regard des politiques de développement urbain et de la modernité parisienne.
3Au début du XIXe siècle, ancienne banlieue issue d’un monde de jardiniers et de guinguettes autour du château dit du Maine (p. 15), Plaisance devient, par le renouvellement constant de sa population, un quartier populaire qui demeure en marge et cumule les inconvénients : un espace excentré, entre ville et campagne, que la révolution industrielle fait grandir trop vite. Au croisement de Vaugirard, de Malakoff et de Montrouge, il est souvent confondu avec Montparnasse dont il est l’« arrière-cour » (p. 254). Absorbé par la capitale dont il devient un quartier en 1860, faubourg républicain d’avant-garde et patriote, il prend part à la Commune. Plaisance est essentiellement habité par des ouvriers (la bourgeoisie représente 3 % de la population en 1876), parfois frondeurs, souvent rebelles, qui n’hésitent pas à s’engager politiquement et à se mobiliser dans la voie démocratique ouverte par la Troisième République et dans l’action associative, à l’image par exemple de la coopérative l’Avenir de Plaisance. Dans le dernier quart du XIXe siècle, le quartier s’inscrit dans la lutte entre l’Église et la République. En l’absence d’une droite classique, le boulangisme s’installe, évoluant vers le radicalisme et le nationalisme avant la « reconquête républicaine » (p. 204) et la montée du socialisme autour des Jaurésiens. Ses cadres, dont Pauline Kergomard, sont eux-mêmes natifs du lieu. Les acteurs politiques plaisanciens centrent les programmes électoraux sur le quartier (transport, voirie), le progrès urbain et l’anticléricalisme.
4Sa population, en partie composée de migrants provinciaux, croît rapidement et régulièrement, passant de 57 000 habitants en 1896 à 80 000 en 1914. Dans ce quartier pauvre (maisons insalubres, tuberculose), qui inquiète par la présence de « classes dangereuses », tous les signes de la détresse sociale (chômage, alcoolisme, violence et prostitution) sont présents. Les lieux de sociabilité demeurent « la rue » et « le bistrot » (p. 139). Après 1898, alors que Plaisance accuse un retard considérable en matière d’équipements, les autorités en place entendent en faire un quartier parisien ouvert (tramways, métro), moderne (alignement des rues, trottoirs, tout-à-l’égout, salubrité) et sûr (éclairage). Pourtant, bien que rénové, Plaisance reste enclavé et sous-équipé. Profitant des espaces encore vides et de la présence ouvrière, de grands établissements industriels remplacent les ateliers. La pauvreté et l’insalubrité persistent après 1900, en dépit de l’action de l’Église (notamment à l’initiative de l’abbé Soulanges-Bodin), de la construction des premiers logements sociaux (300 en 1914) et des grandes opérations d’habitat collectif sur les fortifications. À partir de 1930, grâce à la présence d’artistes – plasticiens et peintres habitués du cabaret de la mère Saguet –, le quartier s’intègre mieux dans la capitale, malgré la médiocrité persistante de l’habitat, la désindustrialisation, la diminution et le vieillissement de sa population. Les riverains n’en éprouvent pas moins un sentiment d’abandon dans « une ville en ruines » (p. 495) et se plaignent du « manque d’âme » (p. 471) des nouvelles constructions dans ce quartier que Jean-Louis Robert nomme « Plaisance assassinée » en s’interrogeant sur les travaux qu’il qualifie de « rénovation-destruction » (p. 455).
5Dans cet ouvrage, Jean-Louis Robert montre comment, passant « du Plaisance rural et champêtre du XVIIIe siècle au Plaisance des barrières, des guinguettes et des romantiques du premier XIXe siècle jusqu’aux lotissements de Chauvelot » (p. 581), le quartier s’est forgé une véritable identité mémorielle, mémoire plutôt silencieuse sur la Commune, l’affaire Dreyfus ou les guerres mondiales, mémoire sociale et populaire donnant l’image du peuple de Plaisance vivant, festif, résistant et oubliant sa misère omniprésente. Ce livre attachant, qui rend hommage au quartier, nous présente aussi les combats idéologiques, moteurs des changements dans le paysage et la physionomie du quartier. Au terme de ce voyage à travers le village de Plaisance, on peut toutefois regretter, d’une part, que l’auteur ne fasse pas davantage référence à d’autres travaux sur Paris et ses quartiers, ce qui aurait pu ouvrir de nouvelles perspectives à partir de cette page d’histoire locale et, d’autre part, l’absence d’illustrations et de cartes, qui auraient encore enrichi cet exposé dense et très documenté.
Pour citer cet article
Référence papier
Joëlle Louise Lenoir, « Jean-Louis ROBERT, Plaisance près Montparnasse. Quartier parisien, 1840-1985 », Revue d'histoire du XIXe siècle, 48 | 2014, 203-205.
Référence électronique
Joëlle Louise Lenoir, « Jean-Louis ROBERT, Plaisance près Montparnasse. Quartier parisien, 1840-1985 », Revue d'histoire du XIXe siècle [En ligne], 48 | 2014, mis en ligne le 18 septembre 2014, consulté le 09 décembre 2024. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/rh19/4702 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/rh19.4702
Haut de pageDroits d’auteur
Le texte seul est utilisable sous licence CC BY-SA 4.0. Les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés) sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.
Haut de page