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Pierre RANGER, La France vue d’Irlande. L’histoire du mythe français de Parnell à l’État Libre

Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2011, 344 p. ISBN : 978-2-7535-1426-3. 20 euros.
Laurent Colantonio
p. 218-219
Référence(s) :

Pierre RANGER, La France vue d’Irlande. L’histoire du mythe français de Parnell à l’État Libre, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2011, 344 p. ISBN : 978-2-7535-1426-3. 20 euros.

Texte intégral

1Dans cet ouvrage tiré de sa thèse, Pierre Ranger fait l’histoire du « mythe français » qui a cours en Irlande entre les années 1870 et 1920. L’auteur soutient que le décryptage de cette image spécifique et magnifiée de la France – symbole de la révolution, incarnation de la souveraineté nationale et de la liberté, ennemie de l’Angleterre et alliée naturelle de l’Irlande, refuge pour les proscrits politiques – permet de porter un regard neuf sur l’élaboration du projet politique des nationalistes irlandais comme sur la fabrique de leur image.

  • 1 Roland Barthes, Mythologies, Paris, Le Seuil, 1957, p. 212.

2Ce travail s’inscrit dans la continuité de ceux d’Eric Hobsbawm, Benedict Anderson et Anne-Marie Thiesse sur la construction des identités nationales au XIXe siècle. En outre, et c’est plus novateur, il témoigne de l’infléchissement actuel de l’historiographie irlandaise dans un sens « transnational », au-delà du seul face-à-face entre l’Irlande et la Grande-Bretagne. Le livre se situe aussi dans une tradition, déjà ancienne et assez bien balisée, d’études consacrées aux liens historiques tissés entre l’Irlande et la France, ainsi qu’aux représentations de la France en Irlande et de l’Irlande en France. Il manque toutefois, dans ce volume qui choisit un mythe pour objet d’étude, une mise au point plus solide sur le sens donné ici à cette notion polysémique, que les acteurs, sans surprise, n’utilisent pas. Pierre Ranger ne reprend pas tout à fait la définition des anthropologues, ni celle des historiens de l’Antiquité, mais ce n’est pas dit. Il ne dialogue pas non plus avec Roland Barthes, dont la définition correspond pourtant assez bien au projet déconstructiviste qui parcourt le livre : « Le mythe, écrit Barthes, est une parole choisie par l’histoire : il ne saurait surgir de la “nature” des choses »1.

3Les principaux éléments constitutifs du mythe sont présentés dans le premier chapitre : l’épopée des brigades irlandaises jacobites au service de la France d’Ancien Régime, notamment lors de la bataille de Fontenoy (1745) ; le moment charnière de la Révolution française, modèle pour le républicanisme irlandais ; l’épisode vraiment fondateur du mythe, le débarquement de quelques centaines de soldats français mobilisés sous le commandement du général Humbert pour appuyer l’insurrection séparatiste de 1798 ; et enfin, à un degré moindre, la révolution de Février. Dans la suite du livre, l’auteur souligne bien les ressorts idéologiques, les significations et les usages successifs de la référence à cette France idéalisée qui devient, au service de la construction de la « communauté imaginée », une grille stéréotypée à travers laquelle les Irlandais sont invités à lire le contemporain et à projeter leur horizon commun. Le « mythe français » est aussi bien mobilisé pour se distinguer de la Grande-Bretagne que pour unifier le groupe national autour de valeurs positives, telles que le courage ou l’amour de la patrie. Il participe donc « à cette opération de séduction perpétuelle » (p. 29) à destination d’un public de plus en plus alphabétisé, qu’il s’agit de convaincre des thèses nationalistes. Le « mythe français » – ici la référence à la « tradition » républicaine et antibritannique – est notamment réactivé par Parnell et les partisans de l’autonomie (Home Rule) dans les années 1880, afin de séduire et d’obtenir la collaboration politique de groupes nationalistes plus révolutionnaires, en « utilisant une rhétorique qui se fait l’écho de certaines de leurs aspirations » (p. 91). Il est ensuite entretenu par la figure très francophile de Maud Gonne (« la Jeanne d’Arc irlandaise ») dans les années 1890, et reparaît à certains moments-clés de la relation triangulaire France/Grande-Bretagne/Irlande, notamment en 1898. À la faveur de la conjonction entre les commémorations du soulèvement de 1798 et les (brefs) espoirs suscités par « l’incident de Fachoda », les nationalistes se prennent à rêver la clôture d’une histoire restée inachevée, une guerre franco-britannique dont l’issue, cette fois, serait favorable à l’Irlande.

4Le livre aborde aussi la question des limites et de l’effacement progressif de la référence à la France. L’auteur rappelle que cet imaginaire « français » est surtout mobilisé par la branche radicale, séparatiste et républicaine du nationalisme irlandais. Les nationalistes constitutionnels, hostiles à la lutte armée, sont en général beaucoup moins enclins à se revendiquer de l’insurrection de 1798 ou de la République. D’autres encore, dans le sillage de l’Église catholique, ne se reconnaissent pas dans les politiques jugées amorales et anticléricales de la Révolution française et de la Troisième République. C’est à une autre image mythifiée de la France – catholique, rurale et conservatrice – qu’ils se réfèrent. Enfin, deux évolutions expliquent l’essoufflement du « mythe français » dans le discours propagandiste et identitaire irlandais au début du XXe siècle. L’étoile de la France commence sensiblement à pâlir dès lors qu’elle devient l’alliée de l’Angleterre, après l’Entente Cordiale et pendant la Grande Guerre. Et surtout, « le soulèvement de Pâques 1916 “assassine” le “mythe français” de 1798 » en offrant aux Irlandais de nouveaux martyrs et un « autre échec triomphal » (p. 310).

5Au terme de la lecture, si notre vision du nationalisme irlandais n’en sort pas bouleversée, il est indéniable que ce livre apporte d’utiles précisions sur la vigueur de certaines représentations de la France dans l’imaginaire irlandais. Pierre Ranger montre bien que la force du mythe, ce qui lui permet de fonctionner jusqu’au début du XXe siècle, réside dans sa nécessaire déconnexion d’avec la réalité française fin-de-siècle. La démonstration est claire et l’analyse s’appuie sur des connaissances solides et un réel travail de recherche, mené à partir d’un corpus varié, au sein duquel la presse, support de propagande médiatique privilégié, se taille à juste titre la part du lion. On pourra regretter que l’auteur ne se soit pas davantage intéressé aux représentations iconographiques du mythe, qu’on imagine nombreuses et qui auraient encore enrichi cette belle étude – la gravure choisie en couverture le suggère en tous cas.

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Notes

1 Roland Barthes, Mythologies, Paris, Le Seuil, 1957, p. 212.

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Pour citer cet article

Référence papier

Laurent Colantonio, « Pierre RANGER, La France vue d’Irlande. L’histoire du mythe français de Parnell à l’État Libre »Revue d'histoire du XIXe siècle, 45 | 2012, 218-219.

Référence électronique

Laurent Colantonio, « Pierre RANGER, La France vue d’Irlande. L’histoire du mythe français de Parnell à l’État Libre »Revue d'histoire du XIXe siècle [En ligne], 45 | 2012, mis en ligne le 02 avril 2013, consulté le 14 mars 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/rh19/4402 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/rh19.4402

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Auteur

Laurent Colantonio

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