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Lectures

Anne-Claude Ambroise-Rendu, Petits récits des désordres ordinaires. Les faits divers dans la presse française des débuts de la Troisième République à la Grande guerre, Paris, Éditions Seli Arslan, 2004, 332 p., ISBN : 2-84276-102-2. 32 euros.

Annik Dubied
p. 153-209

Texte intégral

  • 1 . Dominique KALIFA, L’encre et le sang. Récits de crime et société à la Belle Époque, Paris, Librai (...)

1L’ouvrage d’Anne-Claude Ambroise-Rendu se penche sur une source peu valorisée par les chercheurs, à l’exception de Dominique Kalifa, qui leur avait donné une large place dans son étude sur les récits de crime 1 : la chronique des faits divers dans la presse. L’auteure choisit de travailler sur la fin du XIXe siècle (1870-1910) en France, période-clé dans l’histoire des médias, rappelle-t-elle, car c’est à cette époque que se développe la presse de masse, désormais accessible à presque tous puisque presque tous savent lire et peuvent se la procurer et l’acheter. Le fait divers joue les premiers rôles dans la naissance et le développement de ces journaux de masse, qui en font un usage conséquent.

2Son remarquable travail sur un corpus de faits divers tirés de quatre journaux de l’époque est présenté en trois parties. Dans un premier temps, Anne-Claude Ambroise-Rendu se penche sur les formes que prennent les faits divers depuis la naissance de la presse de masse. Elle observe leur évolution au fil des décennies, notant que l’on voit transparaître dans leurs récits les exigences et les formes d’un nouveau métier, le journalisme. Objectivité, enquête, précisions factuelles, mais aussi un lexique de plus en plus stéréotypé s’imposent peu à peu dans les récits qu’elle étudie en même temps que le journalisme devient une profession. « Forme canonique, rapidement figée dans ses stéréotypes et ses paradigmes, mais pour cela même transparente et réaliste, voilà comment s’impose le récit de fait divers à la fin du XIXe siècle » (p. 53).

3Dans une deuxième partie, elle se penche sur les rôles que semble jouer le fait divers à travers les thèmes qu’il aborde et les manières qu’il privilégie pour les présenter. En distinguant chacun des organes de presse qu’elle étudie, et en rendant justice aux différences qu’il y a entre eux (politiques, religieuses, commerciales), elle note les peurs, les volontés de contrôle, les évolutions sociales qui se traduisent à travers le nombre et la forme des faits divers étudiés. Inquiétudes liées à l’urbanisation et au nouveau « vivre ensemble » qu’elle induit (récits de crimes) et besoin de régulation de ce « vivre ensemble », peur de l’industrialisation et des mutilations du corps qui y sont liées (récits d’accidents), mise en scène de diverses figures de l’autorité et de leurs combats répétés contre les désordres institués par le fait divers, volonté de montrer la famille (et en particulier la femme) telle qu’elle devrait être (récits de crimes passionnels) sont quelques exemples de ce qui s’avère souvent être une mise en place et une négociation de nouvelles normes, qui s’adaptent à des changements sociaux considérables. Le fait divers, qui par définition met en scène la transgression, puis le rétablissement de la norme, s’avère un excellent informateur en la matière. Il est aussi, comme le montre l’auteure, un véhicule d’idéologie, qui varie considérablement en fonction de l’organe de presse concerné Finalement, si dans les faits divers, « […] le dévoilement du réel ordinaire doit […] normaliser les conduites sociales. […] Tout se passe comme si la presse s’efforçait aussi de proposer des solutions à ces écarts, pour y remédier. Ces solutions passent en grande partie par la civilisation des mœurs, la discipline individuelle et collective, l’élévation du sens moral » (p. 15).

4Dans une troisième partie, l’auteure revient sur son corpus en y privilégiant l’observation des lieux, des temps et des acteurs décrits et en y décelant ce qu’elle appelle des « figures de la menace ». La banlieue, la nuit, l’extérieur, les hommes et en particulier les hommes jeunes sont par exemple souvent présentés comme menaçants, même si la définition par les faits divers de ces menaces peut varier d’un organe de presse à l’autre. Ces variations, comme bien d’autres, semblent dépendre de quelques grandes oppositions récurrentes, du type ville/campagne, droite/gauche, catholiques/laïques.

5Au terme de ce très beau parcours, on voit se dessiner la société de l’époque, ses divisions, ses luttes, ses seuils de tolérance, sa pudeur et l’évolution de ses mœurs. L’auteure offre à l’historien, mais aussi à l’analyste des médias ou au sociologue, un tableau très subtil des représentations d’une époque. Avec une grande maîtrise, aussi bien des théories d’analyse de discours et de contenu que des théories sociologiques ou anthropologiques, Anne-Claude Ambroise-Rendu réussit le pari de démontrer que le fait divers est une source scientifique digne d’intérêt, voire incontournable, pour connaître une époque et la comprendre. Même si, comme elle le souligne à plusieurs reprises au cours de son travail, le fait divers traduit rarement la réalité statistique de son époque, et qu’il faut le lire plutôt comme un (excellent) indicateur symbolique. À travers son étude est réaffirmé le constat que c’est parfois à travers l’anodin (du fait divers) que se définissent les limites de l’acceptable. « Les chroniques, véritables observatoires de l’homme par l’homme, servent de miroir à une civilisation qui non seulement se contemple mais aussi se pèse, se soupèse et se juge. Elles sont à la fois un appareil d’observation et un appareil de régulation et de contrôle social » (p. 318).

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Notes

1 . Dominique KALIFA, L’encre et le sang. Récits de crime et société à la Belle Époque, Paris, Librairie Arthème Fayard, 1995.

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Pour citer cet article

Référence papier

Annik Dubied, « Anne-Claude Ambroise-Rendu, Petits récits des désordres ordinaires. Les faits divers dans la presse française des débuts de la Troisième République à la Grande guerre, Paris, Éditions Seli Arslan, 2004, 332 p., ISBN : 2-84276-102-2. 32 euros. »Revue d'histoire du XIXe siècle, 32 | 2006, 153-209.

Référence électronique

Annik Dubied, « Anne-Claude Ambroise-Rendu, Petits récits des désordres ordinaires. Les faits divers dans la presse française des débuts de la Troisième République à la Grande guerre, Paris, Éditions Seli Arslan, 2004, 332 p., ISBN : 2-84276-102-2. 32 euros. »Revue d'histoire du XIXe siècle [En ligne], 32 | 2006, mis en ligne le 04 novembre 2008, consulté le 24 mars 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/rh19/1114 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/rh19.1114

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