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Lectures

Gabriel P. Weisberg (ed.), Montmartre and the Making of Mass Culture, New Brunswick, Rutgers University Press, 2001, 296 p. ISBN: 0 8135 3009 1. 30 dollars.

Dominique Kalifa

Texte intégral

1Fruit d’un colloque tenu en mars 1999 à l’Institute of Arts de Minneapolis, cet ouvrage décrit le processus par lequel une culture d’avant-garde, celle de la communauté d’artistes résidant à Montmartre dans les années 1880-1914, s’est progressivement « popularisée », au point de devenir au cours du second XXe siècle l’un des principaux pourvoyeurs de motifs et d’icônes diffusés par les industries touristique et culturelle. Mais plutôt que sur les voies et les moyens de cette diffusion, les auteurs, historiens et historiens de l’art réunis, se sont surtout attachés à comprendre ce qui, dans le moment et la pratique même de la culture montmartroise, encourageait et autorisait ce mouvement. L’argument développé est intéressant, invitant à mettre l’accent sur ce qui, à Montmartre, dans l’entrecroisement d’un lieu, d’un contexte et de pratiques créatrices spécifiques, préfigure et précipite le fonctionnement de la culture de masse.

2Trois idées principales s’en dégagent, surtout centrées sur le processus général de brouillage culturel dont Montmartre aurait été l’initiateur et que symbolise assez bien le tracé hésitant des danseurs de Renoir au Moulin de la Galette (1876). La confusion est d’abord celle des frontières et des hiérarchies esthétiques, qui mêlent le high et le low, l’art légitime et l’illustration populaire, la création d’avant-garde et le divertissement plus trivial. La publicité est au cœur de ces désordres, qui transforment en œuvre d’art des affiches, des lithographies ou des toiles initialement conçues pour la promotion des cabarets (on pense au Chat Noir de Steinlen, au Lapin Agile d’André Gill ou bien sûr à l’œuvre de Toulouse Lautrec). Mais le brouillage est aussi social, qui fait côtoyer sur la butte l’artiste déclassé, le voyou et le bourgeois en virée. Il est de fait aussi moral (vice et vertu provisoirement confondus) et idéologique (anarchistes, antisémites et beau monde mélangés). Au Moulin Rouge peut ainsi s’opposer le Sacré-Cœur, dont on sait la vocation expiatoire initiale, mais au sein duquel s’installe rapidement un magasin de souvenirs. Montmartre ou le mélange des genres, le travestissement et donc la subversion. Le dernier type de brouillage est celui qui s’instaure entre l’artiste et le public. Dans le jeu d’interactions et d’apostrophes que cultive le cabaret montmartrois, dans le mélange de spontanéité et de représentation qui en résulte, l’ouvrage veut voir quelque chose qui transgresse les codes usuels de la création artistique, préfigure les happenings et les performances contemporains. Croisant l’irrévérence, la provocation, l’humour vache et l’expérimentation esthétique, ces pratiques se sont peu à peu inscrites au cœur des formes contemporaines du divertissement de masse.

3Illustrés d’une centaine de reproductions noir et blanc de dessins, lithographies ou toiles d’artistes comme Steinlen, Willette, Somm, Luce, Seurat, Rivière, Robida ou Rusinol, les dix essais qui composent ce volume brossent des tableaux souvent informés et suggestifs, notamment sur la convergence du religieux et du profane en l’église du Sacré-Cœur, sur les formes prises par l’anarchisme de la butte, sur l’humour bohème et les performances du Chat Noir, du Mirliton et de la Taverne du Bagne. Mais l’ouvrage peine cependant à convaincre. Bien ramassée par Gabriel Weisberg et Karal Marling, l’argumentation principale est trop souvent oubliée dans de nombreuses contributions, qui demeurent repliées sur leurs problématiques internes. La réflexion d’ensemble souffre surtout d’un manque général de mise en perspective : l’univers évoqué (la bohème montmartroise) est aussi le produit d’une histoire longue qui ne débute ni brutalement, ni spontanément, au lendemain de la Commune de Paris ; tout un monde de traditions, de codes et de stéréotypes était aussi à prendre en compte. La notion, ici centrale, de « culture partagée » mériterait sans doute d’être davantage mise à l’épreuve des multiples microcosmes sociaux, qui pouvaient fort bien se côtoyer sans nécessairement se mêler, se comprendre ou même se remarquer. Surtout, les notions de « culture populaire » et de « culture de masse », utilisées ici de façon synonyme, sont données comme allant de soi, sans la moindre conceptualisation ni mise au point critique. On pourra de même s’étonner de l’absence d’analyses en termes d’industrie culturelle, de standardisation ou de commercialisation, escamotées ici au profit d’une seule approche interne des motifs et des formes de la culture montmartroise.

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Pour citer cet article

Référence électronique

Dominique Kalifa, « Gabriel P. Weisberg (ed.), Montmartre and the Making of Mass Culture, New Brunswick, Rutgers University Press, 2001, 296 p. ISBN: 0 8135 3009 1. 30 dollars. »Revue d'histoire du XIXe siècle [En ligne], 30 | 2005, mis en ligne le 19 février 2006, consulté le 14 mars 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/rh19/1056 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/rh19.1056

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