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Comptes rendus

André Humbert, 2012, Le géographe et le tapis volant

Casa de Velasquez, Madrid, 186 p.
Jean-Pierre Husson
Référence(s) :

André Humbert, 2012, Le géographe et le tapis volant. Madrid, Casa de Velasquez, 186 p.

Texte intégral

1Dans un style alerte, très personnel, ce livre expose une suite d’analyses établies pour nous faire partager, avec un souci didactique toujours en éveil, des expériences paysagères lues et vues du ciel. André Humbert, à la fois géographe ruraliste et pilote d’avion léger,  nous offre un bel essai, une œuvre de synthèse. D’un regard en hauteur pris à plusieurs centaines de mètres, il ausculte la face de la terre, ses épidermes, ses couvertures, ses drapés, ses cicatrices et palimpsestes. Il  établit des  assemblages, de la mise en scène des territoires et encore des courts-circuits entre paysage et archéologie. Cette démarche tisse du lien entre les lentes et prudentes sécrétions paysagères souvent débutées dès le néolithique ou les temps de la pax romana et l’actuel. Il s’agit en particulier des constructions des finages et terroirs établies au rythme du pas du cheval ou de l’âne bâté. C’est encore les aménagements contemporains superposés à tous les legs et traces archéologiques inscrits dans la mémoire du sol exhumée et décryptée autrement avec la prise d’altitude.

2Passionnante aventure qui prend pour terrains d’études privilégiés l’Andalousie, l’Atlas et la vallée de l’oued Sous et bien sûr la terre de ses racines ; la Lorraine et tout spécialement la vallée de la Seille. Les contrées énoncées ont été couvertes par une multitude de clichés pris à l’oblique et archivés dans la banque d’images du CERPA mise au service de tous. Ces clichés sont le support à des analyses systèmiques et évolutives qui rendent le paysage bavard, avec au final parfois davantage de questions que de réponses. Ces relevés de terrain dessinent des échelles  de temps lents et longs télescopées par des ruptures, accidents, accélérations techniques et économiques (par exemple, dans le sud Maroc, la destruction des systèmes d’irrigations anciens par la concurrence des forages profonds équipés de motopompes). Les espaces identifiés du ciel permettent de croiser de façon originale les apports des échelles de temps et d’espaces, ce qui place l’homme au cœur des noosphères qu’il arbitre et fait évoluer. Ces espaces conservent la mémoire d’organisations territoriales qui s’en vont : il y a un demi siècle, l’openfield lorrain gommé par les réunions de parcelles dessinées en mosaïques à grandes maille; aujourd’hui, et à un rythme très rapide, les systèmes d’irrigations anciens, en particulier ceux des vallées atlasiques où la vieille trilogie agraire s’était finement construite autour du bled bour occupé par de maigres et aléatoires cultures pluviales, du bled seguia ou targa  irrigué, dessiné en points ou rubans verts et les immenses aires de parcours secs, étendues arides, plus ou moins stériles; ce qui relevait d’une organisation patiemment érigée, améliorée par des siècles d’observations et surtout  d’efforts stoïques des fellah. Aujourd’hui, tous ces assemblages prudents  s’effondrent sous les effets conjugués de l’exode à croiser avec ceux  de la transition démographique, de la sahélisation associée aux dysfonctionnements climatiques  et encore du choc des irrigations modernes qui rendent obsolètes les systèmes anciens (canaux souterrains des khettara, irrigation temporaire et occasionnelle  faïd, etc.) avec l’implacable rabattement des nappes.

3Croiser le pilotage aérien et la géographie est une aventure pleine de sensations physiques et de plaisirs esthétiques à découvrir des compositions picturales infinies (par exemple, les paysages à couper le souffle des salins du Haut-Atlas occidental). S’ajoutent à cela des notes de poésie qui rapprochent immanquablement du récit du Petit prince d’A. de Saint-Exupéry. Lors de ces missions, les profits scientifiques  s’engrangent et des peurs insondables et indicibles peuvent arriver. C’est le mélange de la solitude et de la liberté, la dépendance face à l’éventuelle vulnérabilité mécanique et surtout la confrontation aux caprices de la météo. Plus de quarante années de vol  forgent le tempérament. Les lectures faites pour ausculter la terre lue du ciel invitent à se rapprocher du concept de macroscope (Joël de Rosnay, 1975) pour dégager et articuler à la fois la mise en scène et le détail ; bref passer du paysage admiré au paysage expliqué avec l’exposé d’études de cas à réinvestir  pour transmettre Cette démarche  s’engage dans des emboîtements d’échelles fructueux et sert encore à voir ce qui est caché pour le piéton. La démonstration en est faite avec l’analyse urbaine de Cahors, Cordoue ou avec l’évocation de la polygénie des villes marocaines (Taroudant) La mission aérienne libère le géographe des seules analyses réductrices permises par le terrain et la  carte. Elle sert à  dégager d’autres perspectives pour comprendre des continuum et des chambardements dans les organisations et restructurations des territoires. La méthode sert  par exemple à éclairer les processus d’évolution des systèmes marginaux, reliques, détruits. L’avion permet aussi d’interpréter les formes d’habitats introverties (douars, derb en ville) ou qui ont tendance à se retourner (actuel village lorrain rurbanisé). L’avion lit l’habitat vu au dessus des toits, avec des cours fermées, des jardins et potagers en arrière. Il relève l’intime, ce qui n’est pas exposé au regard et vu de la rue. Il permet également de fouiller en creux, d’aborder le terrain par sa texture. Ceci sert à avancer des interprétations à la fois fonctionnelles,  génétiques et évolutives. Ce constat se renouvelle le long des littoraux qui dessinent pour l’aviateur un fil d’Ariane. Le suivi  du trait de côte  sert à apprécier la diversité des faciès, qu’il s’agisse des systèmes dunaires et des écoulements rétro littoraux contrariés,  des marais dessinés en « somptueuses tapisseries » (p. 126), des alternances de couleurs vertes, dorées puis noires laissées sur les rizières andalouses et encore les types de ports et stations balnéaires qui ont poussé sur la Costa del  Sol (Marbella).

4Les voyages évoqués se terminent par une intense réflexion sur le temps qui file, laisse des témoins traduits en ruines, objets disparus, sites évanouis, palimpsestes, inscriptions « comme des pesanteurs ou des cicatrices d’anciens aménagements » (p. 149) Ces pages tissent du lien entre la géographie historique, la géohistoire tentée par Fernand Braudel et encore l’archéologie qui  offre des continuités avec l’observation géographique. A ce sujet, A. Humbert évoque la fugacité et l’instant, des conditions particulières d’hygrométrie ou de gel qui livrent l’ombre de l’inexistant, par exemple le tracé du théâtre gallo-romain de Tarquimpol (p. 157). Il vogue dans le temps où se succèdent des villae apparues sur les openfields, des mottes féodales, sans oublier les traces du front de 1914 et en évoquant pour finir le champ fertile de l’archéoindustrie suite aux récentes fermetures et abandons d’usines devenues les ombres de systèmes défunts quand des opérations de rénovation ont fait place nette.

5Le livre est terminé par un cahier de vingt-deux planches choisies afin d’illustrer ce que l’avion apporte pour ne plus avoir un regard myope sur les territoires.

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Pour citer cet article

Référence électronique

Jean-Pierre Husson, « André Humbert, 2012, Le géographe et le tapis volant »Revue Géographique de l'Est [En ligne], vol. 52 / 3-4 | 2012, mis en ligne le 01 juillet 2013, consulté le 12 décembre 2024. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/rge/3764 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/rge.3764

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