Les régions montagneuses ont été et sont encore pertinentes pour la production industrielle, à la fois régionale et mondiale. Le processus d’industrialisation des montagnes a beaucoup évolué dans le temps et l’espace, depuis les premières exploitations hydroélectriques des Alpes européennes (Dalmasso 2007, Gebhardt 1990) à la fin du dix-neuvième siècle, aux plus récents développements dans les régions montagneuses des pays du Sud (Perlik 2019). En raison des ressources naturelles abondantes, les zones de montagne font généralement l’objet d’activités industrielles intensives et invasives liées à l’extraction, l’utilisation et la transformation primaire de matières premières. Cependant, un certain potentiel d’industries légères, plus écologiques et orientées vers le numérique émerge localement, en particulier au niveau européen. Celui-ci est favorisé par des stratégies de développement et des politiques de réindustrialisation spécifiques.
La présence de divers types et formes de productions industrielles a généré et génère, en montagne, des paysages productifs aux caractéristiques et aux dynamiques uniques, difficilement comparables à ceux qui sont traditionnellement incorporés ou trouvés dans des zones urbaines denses (Modica 2022). L’interaction spatiale et fonctionnelle entre les activités industrielles et les environnements semi-naturels, en considérant également la morphologie complexe et accidentée des vallées montagneuses, se résume souvent à des modes d’utilisation des terres fortement contrastés, avec une convertibilité inhérente très faible. Dans certains cas, l’exploitation locale de ressources naturelles et la mise en place d’installations industrielles de traitements dans des régions montagneuses, auparavant rurales ou isolées, a encouragé certaines formes d’urbanisation (Perlik 2019), allant de simples cités ouvrières à de nouveaux centres industriels, changeant donc le visage et le sort de vallées entières. Dans d’autres cas, c’est une industrie développée comme une unité technologique autonome dans des environnements naturels très sensibles qui a été encouragée, tels que les complexes énergétiques hydroélectriques ou miniers à haute altitude (Dalmasso et al. 2011, Weilacher et Modica 2019). En général, les paysages productifs en montagne sont conçus pour exister selon une approche clairement fonctionnaliste envers l’environnement d’accueil, dans lequel son exploitation matérielle (la montagne est utilisée pour l’objectif économique de la production) est accompagnée d’un détachement concret de celui-ci (l’industrie en tant qu’une « machine » technologique autonome).
Indépendamment de leur origine, principes fondateurs ou typologie, ces paysages productifs sont de plus en plus impliqués dans la transition socioécologique actuelle, conçue comme une transition cruciale pour nos économies et sociétés vers une condition de durabilité. Nous entendons par « durabilité » la possibilité de préserver le bien-être humain à travers le temps, soumis aux contraintes représentées par des facteurs écologiques et où les régions montagneuses représentent le terrain d’essai le plus pertinent à l’échelle mondiale. Savoir si et comment cette transition historique impacte les paysages industriels dans les régions montagneuses reste une question très ouverte, celle que cet appel à articles souhaiterait aborder.
Les effets peuvent être mesurés en termes de gestion d’héritages problématiques, tels que la question de la désindustrialisation des communautés montagnardes faisant face à un déclin socio-économique et à une dégradation répandue de l’environnement (Müller et al., 2006 ; Migliorati, 2021). En ce qui concerne la gestion des héritages post-industriels, ces communautés locales sont-elles réellement moins autonomes et équipées que les communautés urbaines, comme cela semble être le cas où, peut-être, ont-elles seulement besoin d’adopter une approche différente en matière de recouvrement et de revitalisation ? Les contraintes structurelles des territoires et communautés isolés et périphériques peuvent effectivement être profitables aux essais d’approches novatrices afin d’encourager des voies de développement durables et alternatives. La transition socioécologique pourrait également avoir un impact sur les paysages productifs de montagne du fait de la transformation nécessaire des modèles spatiaux liés au secteur, tels que des systèmes montagne-urbains émanant ou associés à des activités industrielles spécifiques, en particulier si elles sont toujours en fonctionnement (Sega & Perlik, 2022). Compte tenu de leur implantation dans l’environnement fragile de la montagne, comment ces installations et ces morphologies urbaines font-elles face à la transition écologique ? De plus, l’impact de la transition peut également être considéré sous l’angle de nouvelles formes/nouveaux formats de production qui pourraient avoir lieu dans des zones de montagne, selon des paradigmes de circularité émergents et de plus en plus affirmatifs, d’une transition juste et d’une réindustrialisation « verte » des économies existantes. De tout nouveaux paysages productifs vont-ils apparaître dans les régions montagneuses ? Contrairement à leurs prédécesseurs, vont-ils se développer en harmonie avec l’environnement caractéristique des montagnes ?
Les contributions attendues devraient explorer, présenter et discuter de la corrélation entre le changement induit par la transition et les paysages productifs dans les zones de montagne au sujet de leur transformation spatiale, sociale, économique et environnementale. Des approches et contributions interdisciplinaires sont plus que souhaitables dans la mesure où la transformation en question s’opère à travers différents processus et différentes formes. Les clés de lecture interprétatives peuvent concerner des secteurs industriels spécifiques (tels que l’extraction et l’activité minière, l’industrie lourde ou légère), leurs configurations spatiales (y compris les processus d’urbanisation tels que les villes industrielles et les implantations industrielles de montagne), ou même être axées sur le processus (rétrécissement, abandon ou redéveloppement, y compris les héritages et conflits liés). D’un point de vue géographique, des contributions présentant et discutant des cas spécifiques des régions de montagne au niveau mondial (en dehors des frontières européennes) sont plus que souhaitables, même si une attention particulière sera accordée au contexte européen.
Trois axes thématiques encadrent cet appel à articles. Le premier axe se concentre sur les héritages matériels et immatériels de l’industrialisation en montagne, perçus à travers le prisme des paysages comme réceptacles d’images et de processus sociaux, économiques et environnementaux. Le deuxième axe traite de la création d’espaces connectés aux industries de montagne, c’est-à-dire les transformations physiques survenant et étant survenues dans des territoires isolés, ce qui implique souvent des formes d’urbanisation ou au moins d’anthropisation. Enfin, le troisième axe se focalise sur les formes émergentes et les concepts futurs des paysages productifs de montagne par rapport à l’économie circulaire et aux paradigmes de transition juste.
L’industrialisation des zones de montagne a laissé une empreinte durable, ce qui pose des défis considérables et offre des opportunités de recherche. Le calcaire, le charbon, le bois et autres ressources ont été exploités pendant des siècles, s’agissant du principal moteur de développement pour des localités par ailleurs inconnues, tout en ayant cependant de lourdes conséquences sociales, environnementales et économiques. Nombre de ces anciennes communautés ou régions de montagne industrialisées connaissent aujourd’hui un déclin plus ou moins important de leur base industrielle, en raison de la délocalisation, de l’obsolescence ou des préoccupations écologiques grandissantes (Modica 2019).
Le rétrécissement, l’abandon ou les processus de redéveloppement difficiles sont des problèmes communs au sein de nombreux paysages post-industriels des zones de montagne, ce qui soulève des interrogations complexes au sujet de l’héritage et des conflits associés à la désindustrialisation dans ces réalités territoriales spécifiques (Storm, 2016 ; Migliorati, 2021). Comment les communautés locales vivant dans les régions montagneuses font-elles face aux héritages post-industriels, qu’ils soient socioculturels, culturels, économiques ou environnementaux ? En considérant que l’héritage industriel est un changement définitif du paysage, quel est ou sera son rôle dans le processus de recouvrement ? Quelles stratégies, interventions ou initiatives sur la gestion de l’héritage post-industriel dans les zones de montagne peuvent être trouvées ? Dans le cadre de la transition socioécologique actuelle, faire face à un héritage si problématique, qui implique des éléments matériels (friches industrielles polluées, espaces et bâtiments délabrés) comme immatériels (héritage culturel oublié, identité et imaginaire local), requiert des approches interdisciplinaires mélangeant l’aménagement du territoire aux sciences sociales et environnementales, ainsi que des processus participatifs menés par les communautés pour recréer un sentiment d’appartenance (Modica & Solero, 2022).
Ce premier axe appelle aux contributions liées à la gestion de l’héritage post-industriel dans les montagnes, répondant aux enjeux socioculturels, écologiques ou économiques spécifiques liés à la désindustrialisation et à sa gestion « quotidienne » par les communautés touchées au niveau local et régional. Des propositions d’articles peuvent examiner l’héritage post-industriel soit d’un point de vue historique (chronologique), en s’intéressant à la création de cet héritage durant notre passé récent, soit en problématisant la situation avec une interprétation plurithématique des dynamiques et des faits.
La deuxième hypothèse de cet appel est d’explorer l’impact de l’industrialisation sur la production de l’espace et son influence à long terme sur des processus d’urbanisation dans les zones de montagne. Le point de départ est qu’en ayant lieu souvent dans des régions éloignées, ces transformations territoriales liées à l’industrie génèrent souvent des formes spécifiques d’urbanisation périphérique (Perlik, Messerli & Bätzing, 2001). Par exemple, la création de villes était directement liée à l’organisation d’un site de production, menant à la création de communautés ou d’une nouvelle urbanisation aux alentours. Souvent installées comme des camps de travail temporaires prévus ou spontanés, ces installations se sont graduellement transformées en centres urbains desservant directement les sites de production adjacents, offrant des services de bien-être, en premier lieu généralement contrôlés par la capitale industrielle, puis contrôlés par d’autres types d’organisations démocratiques (De Almeida Santos, 2022). Les expressions urbaines de zones industrielles dans les régions montagneuses sont à la fois un phénomène historique et une réalité contemporaine mondiale caractérisée par l’extraction continue de ressources et le cycle de production industrielle.
Alors que l’urbanisation d’habitats productifs a une longue histoire liée à l’exploitation des terres et les périodes d’avancées industrielles et technologiques ; de nos jours, l’influence des processus industriels dans les zones de montagne refait surface, alimentée par de nouvelles demandes de matières premières et les préoccupations croissantes face aux crises écologiques en parallèle de l’instabilité socio-économique. Quelles formes de développement urbain subsistent dans les zones de production en montagne, et que peuvent-elles nous faire gagner ? Pouvons-nous envisager un contre-projet qui imagine de nouvelles zones de production en montagne et crée de nouveaux modes de vie écologiques compatibles avec la transition socioécologique ?
Face à ces défis, cet axe thématique a pour but d’explorer et d’interpréter de façon critique les morphotypologies de l’urbanisation industrielle dans les montagnes. Cela inclut, mais sans s’y limiter, l’examen des cités ouvrières, des villes minières, des pôles agro-industriels, des centres logistiques et de toute autre manifestation territoriale liée aux processus de production. De plus, des contributions peuvent s’intéresser aux effets provoqués par les décisions stratégiques et politiques prises par les entreprises les plus importantes dans ces zones urbaines qui ont marqué et marquent encore les développements urbains et ont influencé les cadres de gouvernance urbaine.
Au cours de la dernière décennie, les réglementations européennes (comme le Mécanisme pour une transition juste ou le Règlement relatif aux matières premières critiques) ont pris des mesures pour assurer l’égalité et l’équité de la transition écologique vers une économie bas-carbone. Les régions montagneuses sont historiquement des régions riches en ressources. Elles servent de modèle territorial dans la compréhension des conséquences des paradigmes mondiaux de la transition socioécologique à l’échelle locale. Les besoins en nouvelles matières premières pourraient engendrer une augmentation de 60 % de l’extraction d’ici à 2060 (PNUE, 2024). Cette tendance semble être en désaccord avec les défis socioécologiques auxquels nous sommes confrontés.
Les procédés à fort impact écologique doivent être examinés lorsqu’ils concernent des zones à haute valeur environnementale. Cette approche fonctionnaliste de l’utilisation de la nature semble consciente de sa présence massive sur le territoire ainsi que de l’appauvrissement qu’elle engendre, mais elle est détachée de l’environnement lui-même. L’exploitation des sols et de l’environnement ainsi que la dégradation causée par les activités industrielles se heurtent à la demande croissante relative aux matières premières critiques. Leur rôle dans la transition écologique rend inévitable la confrontation des territoires aux défis écologiques à l’échelle mondiale. La transition socioécologique pourrait-elle servir de paradigme pour confronter de nouveaux modèles de production et des problématiques liées au changement climatique dans les régions montagneuses ? La recherche de nouvelles ressources, vertes et alternatives exacerbe-t-elle la consommation de ressources, ou soutient-elle les actions menées pour une transition juste ?
Les contributions attendues dans le cadre de cet axe thématique peuvent traiter de l’importance fondamentale de rechercher un juste milieu entre le développement industriel et la préservation de l’environnement, pour que les zones de montagne bénéficient d’un futur viable. Le déséquilibre entre la consommation de la production et la transition socioécologique, les usages des matériaux et l’impact de telles activités d’extraction dans les régions montagneuses, ainsi que les scénarios alternatifs aux environnements montagnards extractivistes et productivistes.
Le Dr Marcello Modica est spécialiste de l’urbanisme et de l’aménagement du territoire (Université polytechnique de Milan) et titulaire d’un doctorat (Université technique de Milan). Il travaille actuellement en tant que chercheur post-doctoral dans le département polytechnique d’ingénierie et d’architecture (DPIA) de l’Université d’Udine. Ses recherches couvrent la transformation post-industrielle des paysages, la revitalisation et le développement territorial dans des contextes de fragilité et de périphérie, ainsi que les approches interdisciplinaires de « research-by-design » en aménagement du territoire. Entre 2018 et 2021, il a piloté le projet européen Interreg trAILs – Alpine Industrial Landscape Transformation [Transformation des paysages industriels alpins]. Il est l’auteur et le co-auteur de deux études, respectivement Alpine Industrial Landscapes. Towards a new approach for brownfield redevelopment in mountain regions [Paysages industriels alpins. Vers une nouvelle approche pour le réaménagement des friches industrielles dans les régions montagneuses] (2022) et Brownfield transformation in fragile territories. An Interreg-based action research [Transformation des friches industrielles dans les territoires fragilisés. Une étude s’appuyant sur l’action d’Interreg] (2022), toutes deux publiées chez Springer.
Anna Karla De Almeida Santos (Brésil, 1990) est une architecte urbaniste et historienne de l’industrie, assistance doctorale au Laboratoire d’urbanisme (LAB-U) de l’EPFL. Son travail traite des implications historiques et politiques des villes industrielles et de leurs habitats productifs. Anna Karla est membre du programme Marie Skłodowska-Curie -EPFLinnovators, et mène des recherches sur les conditions d’habitabilité dans une ville-usine, sous la direction de la Professeure Paola Viganò. Depuis 2020, Anna Karla est membre du Conseil d’administration du Centre de recherches sur l’habitat au sein de l’EPFL, et est responsable de la recherche relative aux habitats productifs au sein du Centre de Recherche. Précédemment, elle était membre du Comité national américain des monuments et des sites (US/ICOMOS), et travaillait au bureau de la préservation historique à San Antonio, Texas. Elle a également travaillé comme assistante diplômée au Dipartimento di Scienze Storiche, Geografiche e dell'Antichita' (DiSSGeA) [Département des sciences historiques, géographiques et de l’Antiquité] à l’Université de Padoue, Italie.
Les propositions d’articles, d’environ 1 000 mots, doivent être envoyées en français (si l’auteur est de langue maternelle française) ou en anglais (si l’auteur est d’une autre langue maternelle) avant le 1er novembre 2024 à Marcello Modica (marcello.modica@uniud.it), Anna Karla De Almeida Santos (anna.dealmeidasantos@epfl.ch) ainsi qu'à l'équipe éditoriale, adressée à Cristina Del Biaggio (cristina.del-biaggio@univ-grenoble-alpes.fr) et Maxime Frezat (m.frezat@protonmail.com).
Les articles finaux sont attendus pour le 1er janvier 2025. Les articles finaux doivent être soumis dans l'une des langues dans lesquelles la revue est publiée : Langues alpines (français, italien, allemand, slovène), espagnol ou anglais. L’auteur doit veiller à ce que l'article soit traduit dans la deuxième langue après avoir été évalué.