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Spicilège

Le Parti pirate sur YouTube : contradiction du politique et du communicationnel

The Pirate Party on YouTube : Contradiction between Policy and Communication
Christine Chevret-Castellani

Résumés

Nous interrogeons le sens de l’usage de YouTube par le Parti pirate français dans le cadre d’un répertoire d’actions en périodes électorales (2012-2019). Né en France en 2006 d’un mouvement de citoyens contestant la légitimité de la loi relative au droit d’auteur et aux droits voisins dans la société de l’information, dite « DADVSI », ce parti politique est présent à des élections nationales depuis 2012. S’il se présente, par rapport aux formations politiques traditionnelles, comme voulant exercer un contre-pouvoir mais aussi défendre une culture libriste se pose alors la question de la conciliation de son positionnement politique avec ses propres pratiques communicationnelles, en particulier ici celle relative à l’usage d’une plate-forme appartenant à une industrie du Web 2.0 telle que YouTube, pour mener une campagne électorale.

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Texte intégral

Introduction

  • 1 Les lois dites « HADOPI » renvoient à deux lois, celle du 12 juin 2009 « favorisant la diffusion et (...)
  • 2 Les intitulés de certaines de ses productions audiovisuelles du Parti pirate attestent de la dénomi (...)
  • 3 GAFAM : Google, Apple, Facebook, Amazon, Microsoft

1Le Parti pirate français est né en France en 2006 d’un mouvement de citoyens, de militants de l’internet, contestant la légitimité de la loi dite « DADVSI », relative au droit d’auteur et aux droits voisins dans la société de l’information, en discussion cette année-là. Il est devenu un parti politique, dans sa forme actuelle, en 2009 au moment du vote de deux autres lois relatives à la protection du droit d’auteur sur l’internet, les lois dites « HADOPI »1. Le Parti pirate français est présent à des élections depuis 2012. Se positionnant par rapport aux formations politiques traditionnelles, il se présente avant tout comme voulant exercer un contre-pouvoir et se caractérise par la défense des droits et libertés numériques. Il mène des campagnes électorales avec des éléments de programme autour de la liberté d’expression et la protection de la vie privée sur l’internet, du libre partage des contenus du Web ainsi que de la transparence politique. Le Parti pirate français conduit ces campagnes essentiellement en ligne et de manière récurrente par la publication de ce qu’il nomme des « clips »2. Pour déposer ses clips de campagnes, il utilise différentes plates-formes en ligne, dont YouTube. D’un côté, la ligne programmatique de ce parti politique vise à combattre la préemption des contenus par les industries du Web 2.0. Le Parti pirate français développe une critique de l’hégémonie de ces industries et se montre opposé en particulier au « GAFAM3 ». D’un autre côté, YouTube est un objet dont l’usage porté par l’internet engage toute une conception de la communication (Jeanneret, 2014 : 13). En effet, les discours y sont déterminés par des formats dont la normalisation est exigée par les industries du Web 2.0 ; une plate-forme détenue par Google est d’abord régie par une logique socio-économique (Bouquillion et Matthews, 2010 ; Smyrnaios, 2017). Cependant, ce formatage est non seulement socialement accepté, mais aussi repris en contrepartie de promesses d’exposition attendues par les internautes. Les fonctionnalités de YouTube propres à un réseau socio-numérique ont séduit les 12-35 ans (Frau-Meigs, 2017 : 128) et ont contribué à rendre la plate-forme populaire. En déposant des vidéos sur cette plate-forme, le Parti pirate utilise-t-il un outil pour une campagne électorale essentiellement en ligne de manière à atteindre un public le plus large possible ? Dès lors comment peut-il concilier son positionnement politique avec ses propres pratiques communicationnelles, notamment ici celles relatives à l’usage de cette plate-forme détenue par Google ?

  • 4 Nous travaillons ici indistinctement sur les clips et les spots, mais suivant une spécificité qui e (...)
  • 5 Pour des raisons liées à la protection du droit à l’image des personnes, les captures d’écran font (...)

2Pour répondre à ce questionnement, nous partons de l’idée selon laquelle les clips électoraux ne sont pas que des outils d’une communication politique mais des moyens d’agir. Ces « clips » sont caractérisés, à l’instar des clips musicaux, comme incluant de la musique et peu de discours (Gourevitch, 1989), de manière distinctive d’un spot politique qui se conclut par un plan fixe et un slogan4. Ils représentent des moyens d’agir dans le cadre d’un « répertoire d’actions électorales » (Desrumaux et Lefebvre, 2016) dont les significations peuvent être plurielles et différentes suivant les usages (Offerlé, 2008 : 197). Dans l’objectif de situer ces significations, la méthode de collecte et de traitement des données relatives aux clips de campagne du Parti pirate5 français s’ancre dans la sémio-pragmatique de Roger Odin, opérante pour le traitement d’un corpus audiovisuel, qui conduit à s’intéresser aux qualités inhérentes d’un mode discursif du point de vue d’un univers de référence, ainsi que du point de vue de la construction d’une entité énonciative (Odin, 2011). Le recours à la sémiotique visuelle telle qu’elle est envisagée par Jean-Marie Floch (1985, 2010) nous permet l’analyse des couleurs (signes chromatiques), des formes et structures (signes propres au design) et des images (signes picturaux figés) du format dans lequel les vidéos de campagnes sont enchâssées. La techno-sémiotique (Candel et Gomez-Mejia, 2013) contribue de manière complémentaire à la mise à plat des signes saillants de la chaîne YouTube du Parti pirate français ou des pages des comptes de ses membres. Ainsi, ces méthodes nous donnent la possibilité d’analyser différentes modalités discursives, celles des discours verbaux et celles des discours visuels de manière à envisager la cohérence performative, celle du discours avec l’action. L’observation a été complétée par une veille sur des espaces de discussion en ligne du Parti pirate français (« forum.partipirate.org » et « discourse.partipirate.org »), afin de situer la manière dont circulent les discours au sujet de YouTube au sein de la communauté pirate. La recherche est délimitée temporellement, en amont par la première campagne électorale à laquelle cette organisation politique a activement participé en 2012 et, en aval, par les élections européennes de 2019. Elle est circonscrite par l’activité du Parti pirate français né il y a quatorze ans, activité qui se situe essentiellement autour de quatre élections. La consultation de la base de données Europresse, laquelle donne accès à 1500 titres de la presse régionale, nationale et internationale (ainsi qu’à des fils de presse, des rapports, des sites Web et des blogs thématiques), a permis de manière complémentaire de circonscrire le contexte de ces élections. Nous partons de l’usage de YouTube dans le cadre d’une étude comparative des campagnes de 2012 à 2019 (Législatives de 2012, Européennes de 2014, Législatives de 2017, Européennes de 2019).

  • 6 Nous entendons par « patchwork » une structure (Floch, 2010) résultant d’un assemblage de formes di (...)
  • 7 Le premier numéro de Transposition consacré à « Polyphonie et société » met en évidence la différen (...)

3Les différents outils numériques utilisés par le Parti pirate, dans le cadre d’élections, appartiennent à ce que la science politique envisage comme un « répertoire d’actions électorales » (Desrumaux et Lefebvre, 2016) ici lié à une culture spécifique qui est d’abord « pirate »/hacker, c’est-à-dire renvoyant à un monde informatique inventif et ludique (Himanen, 2001, Krasteva, 2013, Burkart, 2014), mais aussi libriste à l’instar de celle fondée par Richard Stallman. En effet, comme le souligne Sébastien Broca, ces cultures sont inextricablement reliées : « En lien étroit avec cette tradition [hacker], le Libre valorise la créativité technique et cherche à défendre les conditions sociales qui rendent celle-ci possible. » (Broca, 2013 : 134). Or, le Parti pirate français a alimenté sur la plate-forme YouTube une première chaîne à partir de 2012, puis une autre à partir des élections de 2017. Ces chaînes se présentent comme un « patchwork visuel »6 dont témoigne la diversité des formats et des formes utilisés. C’est ce que nous voyons dans une première partie. Les contenus déposés sur ces chaînes répondent à des tactiques de communication audiovisuelle également plurielles. Nous envisageons, dans une deuxième partie, cette pluralité comme une « polyphonie ». Cette dernière est entendue par métaphore, dans le cadre d’analyse qui nous intéresse, avec le sens qui lui est donnée en musique – c’est-à-dire comme pratique vocale collective qui implique tout à la fois l’autonomie des voix et leur interdépendance – et non d’un point de vue linguistique7. Enfin, dans une troisième partie, nous exposons nos analyses concernant les enjeux des paradoxes des pratiques communicationnelles du Parti pirate français avec son positionnement politique, paradoxes susceptibles de le conduire à une contradiction. En effet, à l’échelle européenne, au moment de la réforme du droit d’auteur entre 2016 et 2019 via la directive sur le droit d’auteur dans le marché unique numérique, la revendication de la libre circulation des créations et des productions sur l’internet a amené le Parti pirate à la défense d’une certaine conception de la liberté d’expression. Celui-ci a alors rejoint les intérêts des industries du Web 2.0 dans leur contestation de la légitimité du droit d’auteur tel qu’il se construit aujourd’hui.

Le « patchwork visuel » des chaînes YouTube : les changements dans la place des signes et dans l’identité visuelle

  • 8 L’idée de « démocratie liquide » est novatrice quand le Parti pirate s’en saisit en 2012. Le terme (...)

4Différents types d’outils de communication en ligne sont utilisés dans le cadre de campagnes électorales. Ces dernières sont ici à situer dans le cadre d’une « mise en œuvre concurrentielle d’ensembles de pratiques, de techniques et de savoirs visant à solliciter le suffrage des électeurs, dans une séquence temporelle précédant le vote » (Desrumaux et Lefebvre, 2016 : 8). Le Parti pirate envisage les usages des outils en ligne à la fois comme moyens de communication et comme outils nécessaires au développement de la démocratie dite « liquide »8, c’est-à-dire d’une démocratie au sein de laquelle le pouvoir s’exerce de manière horizontale. Ces outils sont issus d’une culture du logiciel libre comme par exemple Mastodon ou Framatube. Cependant, parmi ces outils, le Parti pirate utilise aussi ceux investis par le plus grand nombre d’internautes, tel que YouTube sur lequel il a produit une première chaîne en 2012 puis une seconde en 2017.

La première chaîne YouTube du Parti pirate (2012-2017) : de la dispersion des contenus à la démarche d’indexation

5Sur la première chaîne alimentée par le Parti pirate français sur YouTube à partir de 2012, les clips sont soit transmis par des membres du Parti pirate sur leurs propres comptes soit publiés sur la chaîne. Ils sont présentés à la verticale de manière ante-chronologique (image 1).

Image 1 – capture d’écran de la chaîne YouTube du Parti pirate français avant les élections législatives de 2017

Image 1 – capture d’écran de la chaîne YouTube du Parti pirate français avant les élections législatives de 2017

Source : image d’archives personnelles de www.youtube.com/user/partipirate. Le lien n’est plus actif

  • 9 Une analyse plus détaillée des signes utilisés par le Parti pirate français et de ses liens avec un (...)

6Leur présentation peut être abordée selon trois angles : les formes, les couleurs et la structure. (Floch, 1985, 2010). Concernant les formes et les couleurs, dans le bandeau, le logo de ce parti politique y est noir sur fond blanc. La forme arrondie de la voile du bateau de ce logo renvoie à un objet ludique (Floch, 2010). Cet objet révèle une relation spécifique des Youtubeurs « pirates » avec les technologies. Les significations du logo peuvent renvoyer à la promotion d’une attitude ludique face aux objets techniques qui invite à la créativité (Himanen, 2001). Cette posture induit que, pour les « pirates », certaines technologies sont émancipatrices et d’autres aliénantes9.

7Du point de vue de la structure, les clips de campagnes représentent sur la plate-forme un sous-ensemble d’un bloc de vidéos. Ils constituent un assemblage dont le nombre d’éléments est variable. Ainsi, en 2014, le Parti pirate français dépose dans un premier temps trois clips de campagnes sur YouTube : « Le Parti Pirate à l’abordage des Européennes en 2014 » (1’07 minutes, 746 vues au 7 août 2014), « Le Parti Pirate d’Outre-Mer à l’abordage des Européennes » (3’35 minutes, 261 vues au 7 août 2014), « Le Parti Pirate à l’abordage des Européennes en 2014 » (1’21 minutes, 5981 vues au 7 août 2014). Dans un second temps, la seule vidéo qui sera conservée sur la chaîne est celle qui a fait le plus de vues, « Le Parti pirate à l’abordage des européennes de 2014 ». YouTube servant notamment au Parti pirate d’espace d’archives de ses contenus audiovisuels mis auparavant en ligne sur des sites Web dédiés aux élections, il reste par l’indexation une plate-forme permettant de maintenir l’accessibilité de contenus les plus populaires.

La deuxième chaîne YouTube du Parti pirate (2017-2019) : l’hybridation des signes

  • 10 Un échange sur la plate-forme de discussion Discourse en février 2017, portant sur le compte YouTub (...)

8Sur la nouvelle chaîne ensuite créée pour les Législatives de 201710 et présentée dans la catégorie « Actualités et politique », on voit dans le bandeau le nom du parti suivi d’une extension « .fr », à l’instar de l’adresse URL d’un site, aux couleurs de ce parti politique, notamment le violet. Sous le bandeau, le logo, à gauche, est désormais cerclé du violet du Parti pirate français. Il y apparaît également le nombre d’abonnés à la chaîne (40) au moment des élections législatives de 2017 (image 2).

Image 2 – capture d’écran de la chaîne du Parti pirate français depuis les élections législatives de 2017

Image 2 – capture d’écran de la chaîne du Parti pirate français depuis les élections législatives de 2017

Source : https://www.youtube.com/​channel/​UCTK5TnSLvuBg4XDzrV-s5Xw/​featured

9En 2017, l’interface de YouTube a fait l’objet d’un changement de format de présentation. Ce changement de format détermine en partie le sens de lecture, dans la mesure où il implique davantage de visibilité à la fois de l’identité visuelle du Parti pirate français et des contenus audiovisuels. Les échanges des membres de ce parti politique sur les plates-formes de discussion en ligne renvoient d’ailleurs à l’idée d’apporter du soin au webdesign (https://forum.partipirate.org/​viewforum.php ?f=415/, consulté le 15 novembre 2018). Ils témoignent de la préoccupation d’harmoniser les différents visuels, le bandeau étant comparable – y compris du point de vue de la typographie utilisée – à celui du site Web officiel du Parti pirate français en ligne déjà depuis 2015 (images 2 et 3). Cette démarche d’harmonisation conduit aussi à une uniformisation et à une indifférenciation des outils de communication.

Image 3 – capture d’écran du site Web du Parti pirate en 2017

Image 3 – capture d’écran du site Web du Parti pirate en 2017

Source : https://partipirate.org., « CC-BY-SA, Parti Pirate »

10Cependant, le « patchwork » visuel de la chaîne YouTube se caractérise par une hybridation des signes. En effet, d’un côté, se mêlent des types de signes propres à une culture Libre, tels que les symboles des licences Creative Commons (Lessig, 2008), ou d’une culture considérée comme hacker politiquement libertaire, comme le bandeau noir. D’un autre côté, apparaissent sur la page d’accueil des « petites formes » (Candel, Jeanne-Perrier et Souchier, 2012) (image 2) ou des signes relatifs à la plate-forme – comme le pouce du like (image 4) – qui participent de l’instrumentation, notamment via l’algorithme, de l’internaute au profit d’intérêts commerciaux, c’est-à-dire qui renvoient au « modèle sémio-économique » (Candel et Gomez-Mejia, 2013 : 144) de YouTube.

Image 4 – capture d’écran de la chaîne du Parti pirate français depuis les élections législatives de 2017

Image 4 – capture d’écran de la chaîne du Parti pirate français depuis les élections législatives de 2017

Source : https://www.youtube.com/​channel/​UCTK5TnSLvuBg4XDzrV-s5Xw/​featured

  • 11 Deux vidéos qui ne portaient pas sur des clips de campagnes ont été éliminées du corpus.
  • 12 Si la chaîne YouTube du Parti pirate français ne crée pas de véritable communauté politique, à des (...)
  • 13 Les principes de la démocratie liquide sont implémentés, pour le Parti pirate, dans trois plates-fo (...)

11Quelle lecture peut-on faire de l’appropriation de ces « petites formes » ou de ces signes propres à la plate-forme comme le like par les internautes ? Les contenus sont peu « likés » ou commentés. En 2017, les commentaires sont courts et constitués d’onomatopées ou d’émoticônes. Quand ils sont très longs, les propos y sont sans rapport avec le contenu de la vidéo, par exemple un exposé par un internaute de ses propres idées politiques. Mis à part le « Clip de campagne législatives 2017 du Parti Pirate » publié par S. O. (2’38 minutes, 28 likes, 5 dislikes, 3 183 vues, 3 commentaires), on compte, en 2017, entre 115 et 333 vues en juin11 au moment des élections législatives. On constate d’abord qu’il n’y a aucun commentaire, pas de dislikes et en moyenne 5 likes. Cette faible moyenne du nombre de likes ne doit pas conduire à minimiser leur importance. En effet, la quantité dans la rubrique « Actualités et politique » n’est pas comparable à celle des likes déposés sur des vidéos culturelles, parce que les usages n’y sont pas les mêmes. L’enquête menée par Franck Babeau sur les pratiques des internautes en rapport avec les vidéos politiques l’a conduit à mettre en évidence que « […] le “likeˮ politique a une certaine solennité et engage son auteur, contrairement aux “likesˮ destinés à des contenus culturels » (Babeau, 2014 : 144). L’usage de YouTube par le Parti pirate français ne vise pas essentiellement à construire une communauté via la plate-forme12. Dans la mesure où les commentaires sont soit courts, soit très longs mais sans rapport avec le contenu de la vidéo, il y est notamment difficile d’envisager une dimension dialogique favorable au débat politique. Si les clips de campagnes du Parti pirate français sont aussi peu likés, l’ambition de ce parti politique ne repose pas sur la préoccupation de créer sur YouTube une communauté en ligne. Ce n’est pas pour un « pirate », sur cette plate-forme que se joue nécessairement la création du collectif, mais plutôt depuis 2017 sur des plates-formes implémentant des principes de la « démocratie liquide » comme Personae, Congressus et Fabrilia13.

  • 14 La chaîne du Parti pirate présente six clips « piratés » : « Clip Piraté - Pirate Socialiste », 1’0 (...)

12Pour les élections européennes de 2019, le Parti pirate publie sur sa chaîne YouTube, trois types de clips dont l’intitulé est « clip de campagne officiel » : « clip de campagne officiel 1/3 » (1’31 minutes, 4485 vues au 24 mai 2019), « clip de campagne officiel 2/3 » (0’35 minutes, 748 vues au 24 mai 2019) et « clip de campagne officiel 3/3 » (1’31 minutes, 1242 vues au 24 mai 2019). Parallèlement à ces vidéos officielles, sont déposés des clips « piratés »14 dont la finalité n’est pas programmatique mais de détourner des messages d’autres partis politiques présents à ces élections. Ce détournement humoristique – dont la vocation est ici essentiellement d’inciter à voter – implique de jouer sur les significations de « piraté », adjectif signifiant à la fois que le clip est accaparé au profit du Parti pirate et investi du message de ce parti politique. Entre la parodie et le pastiche, il emprunte aussi à une culture audiovisuelle en ligne humoristique spécifique (Leveneur, 2014) présente en particulier sur YouTube. Ainsi, du point de vue sémiologique, la configuration de l’interface de la chaîne présente une juxtaposition d’éléments d’une culture politique traditionnelle, par exemple l’utilisation du clip de campagne « officiel » tel qu’il peut être présenté de manière institutionnelle sur une chaîne de télévision de service public, et de contenus propres à une culture numérique désormais populaire mais originellement hacker (Himanen, 2001).

13Le « patchwork visuel » des chaînes YouTube s’explique enfin essentiellement pour plusieurs raisons. Il est d’abord dû à une construction progressive de l’identité visuelle du Parti pirate français, notamment avec une prédominance croissante de l’utilisation du violet, couleur distinctive du Parti pirate. Ainsi, dans la structure que représente l’interface pour le lecteur les formes et les couleurs varient en fonction de cette construction et ce parti politique est conduit, par l’uniformisation et l’indifférenciation de ses outils de communication, à une appropriation tactique de YouTube dans le cadre de son répertoire d’actions électorales. De la même manière qu’il y a une évolution de l’usage de cette plate-forme par ce parti politique, la mise en ligne des vidéos témoigne de tactiques plurielles. Les discours s’y caractérisent par une polyphonie.

La polyphonie des discours dans les clips de campagne : de la pluralité des univers de références à la personnalisation de la prise de parole

14La communication audiovisuelle en ligne relative aux thèmes de campagnes du Parti pirate révèle une diversité des discours verbaux et visuels. Les éléments de programme récurrents en relation étroite avec le slogan « Liberté, Démocratie, Partage » portent respectivement sur la promotion de la liberté d’expression (« Liberté »), la protection de la vie privée sur l’internet et la transparence politique (« Démocratie ») et le libre partage des contenus du Web (« Partage »), auquel s’ajoute le thème de la « démocratie liquide » devenu central dans la campagne pour les élections législatives de 2017. Cependant, parallèlement à ces thèmes des défenseurs des droits et libertés numériques, en émergent d’autres propres à des promoteurs d’une offre alternative aux partis politiques traditionnels. Pour aborder la diversité des discours verbaux et visuels sur la chaîne YouTube, nous nous appuyons sur la méthode sémio-pragmatique de Roger Odin (2011) qui permet une lecture des contenus discursifs et visuels. Cette méthode favorise à la fois la recherche de la circulation des signes et la possibilité de construire les univers de référence ainsi que les relations énonciatives dans les clips.

La pluralité des univers de référence

  • 15 Le Parti pirate français a publié quatre clips de campagne notamment sous licence « art libre » : t (...)
  • 16 Le détail de l’ensemble de la campagne du Parti pirate français pour les élections législatives de (...)
  • 17 Le recoupement avec la liste des 102 candidats à ces élections indique qu’il s’agit de candidats d’ (...)

15Dans les clips publiés15 pour les élections législatives de 201216, selon leur mode « documentarisant » (Odin, 2011) de lecture qui implique notamment d’interroger à la fois les énonciateurs en termes d’identité et d’analyser la production d’informations, les énonciateurs ne dévoilent pas eux-mêmes leurs identités17. Ils sont parfois nommés, contrairement à d’autres membres du Parti pirate parfois interviewés dans les médias traditionnels, par exemple à la télévision, qui refusent de l’être. Ces candidats reprennent tout d’abord les codes couleurs de leur parti politique comme le noir. Ainsi, on constate une continuité sémiotique entre la première image constituée d’éléments propres au Parti pirate (logo, adresse du site internet, etc.) avec le noir et blanc pour « Élections législatives 2012 ».

  • 18 La candidate présente dans le clip pour le premier tour des élections, mais aussi pour le second to (...)

16Le vert est repris dans l’arrière-plan de l’image présentant sur fond de verdure une candidate pour l’Île-de-France. Cette mise en scène est réintroduite par les candidats aux élections législatives de 2017 à Toulouse : Michel Amorosa » (1re circonscription), Raphaël Isla (2e circonscription), Carole Fabre (3e circonscription), Philippe Mattéi (4e circonscription), Éric Mahuet (5e circonscription), Jeremy Collot (6e circonscription), Pascal Durand (9e circonscription). Elle renvoie, par l’omniprésence de la couleur verte, à un univers de référence partagé avec les écologistes ; le Parti pirate étant notamment associé au groupe « Verts-Alliance libre européenne » au Parlement européen. Du point de vue de l’énonciation, la candidate parisienne18 retrace l’histoire du Parti pirate depuis sa fondation en Suède. La production d’informations concerne le programme de ce parti politique, programme qui se rapporte ici aux exigences démocratiques (« l’indépendance de la justice » et « la transparence de la vie politique »), mais avant tout aux droits et libertés numériques : « la lutte contre le fichage abusif », « l’ouverture des données publiques », « la légalisation du partage » notamment des contenus culturels en ligne, thèmes reproduits en noir et blanc sur fond violet – avec un arrière-plan vert contenant le drapeau du Parti pirate – à la fin des clips.

  • 19 L’Accord Commercial Anti-Contrefaçon ou Anti-Counterfeiting Trade Agreement (ACTA) était un traité (...)

17Dans les clips pour le second tour des élections législatives de 2012, les énonciateurs présents changent peu par rapport à ceux du premier. Les univers de référence y sont cependant modifiés. Le quatrième clip relève en effet de la production de valeurs, selon un « mode moralisant » (Odin, 2011, op. cit.). Les sept acteurs de ce clip radicalisent leur discours en affirmant l’indépendance du Parti pirate par rapport aux autres partis politiques et revendiquent leurs « valeurs », notamment leur condamnation d’accords – comme l’Accord Commercial Anti-Contrefaçon19 ou la directive européenne relative au respect des droits de propriété intellectuelle adoptée en avril 2004 –  qui leur semblent avoir été négociés sans les citoyens. Ils insistent ainsi sur leur préoccupation de protéger les droits humains fondamentaux.

  • 20 En 2014, la chaîne YouTube (79 vidéos) remplit différentes fonctions : présentation des clips de ca (...)
  • 21 Les trois clips de campagne pour les Européennes sont les suivants : « Le Parti Pirate à l’abordage (...)

18Au moment des élections européennes de 2014, la chaîne YouTube du Parti pirate20 propose trois vidéos destinées à la campagne21. D’un point de vue sémio-pragmatique, selon le « mode documentarisant », les énonciateurs y sont interrogeables en termes d’identité ; ce sont Marie-France Gallet pour l’Outre-Mer, Véronique Vermorel et Éric Mahuet. Leurs discours révèlent des tactiques dissonantes. En effet, s’il s’agit pour les candidats respectivement d’Île-de-France – Français de l’étranger et du Sud-Ouest de proposer un programme pour l’Europe, la candidate d’Outre-Mer circonscrit ses préoccupations aux problématiques locales. Cependant, elle seule évoque la « transparence », en l’associant aux exigences que les citoyens peuvent formuler à destination du Parlement européen. Selon un « mode moralisant », nous observons des glissements relatifs aux valeurs. En effet, alors que le thème de « la protection de la vie privée » est récurrent, d’autres sont exclusivement relatifs à des programmes « locaux ». Si certains sont propres aux principes fondateurs du Parti pirate (par exemple, « lutter contre la censure de l’internet » et en faveur de « la liberté d’expression »), d’autres sont sans coloration politique spécifique (par exemple, « lutter pour la paix »).

  • 22 C’est aussi à partir de 2017 que le Parti pirate français expérimente les trois autres types d’outi (...)

19Les discours des membres du Parti pirate sont polyphoniques, c’est-à-dire constitués de voix différentes et autonomes, parce que même s’ils répondent à un programme politique spécifique qui tisse leur interdépendance, cette ligne programmatique n’est pas dogmatique. Ainsi, pour les élections législatives de 2017, les différences se situent entre des promoteurs d’une offre alternative à celle des partis politiques traditionnels et les chantres des droits et libertés numériques. Les échanges sur la plate-forme de discussion en ligne Discourse témoignent alors aussi de résistances idéologiques de la part de certains partisans concernant l’usage de cet outil qu’est YouTube. Ainsi juste avant les élections législatives de 2017, un contributeur, Simon en mars de cette année-là, évoquant les chaînes de la plate-forme, écrit : « dommage qu’elles soient hébergé chez un géant du Web » (https://discourse.partipirate.org/​t/​la-youtubinformation/​1125, consulté le 15 novembre 2018). Le Parti pirate français tente aussi, depuis avril 201722, de déposer ses productions audiovisuelles sur des plates-formes libres à l’instar de Framatube (https://discourse.partipirate.org/​t/​et-les-videos-du-parti-pirate/​6106, consulté le 15 novembre 2018). La polyphonie des discours est une conséquence possible de la promotion de l’horizontalité du pouvoir comme principe et pratique de ce parti politique, principe et pratique supposant la libre expression des individualités y compris dans leurs différences voire leurs divergences.

La personnalisation croissante de la prise de parole dans les clips électoraux et ses enjeux

20Pour les élections législatives de 2017, sur la chaîne YouTube du Parti pirate on trouve tout d’abord un clip dit « officiel » (https://www.youtube.com/​watch?v=M8Nlz6Rm6Qk, consulté le 7 juillet 2020) qui ne présente pas exclusivement des membres du Parti pirate français. Ce dernier s’est en effet allié à d’autres partis et mouvements politiques (Relève citoyenne, La Belle démocratie, 100 % citoyen, PACE, Demain en commun, À nous la démocratie, 10 nov., Groupe de réflexion et d’action métropolitaines), avec la collaboration de Synergie démocratique. C’est au sein de ce collectif, que Thomas Watanabe-Vermorel (porte-parole du parti), habillé en noir et violet, se construit comme un énonciateur « pirate ». Selon une lecture du clip suivant le « mode moralisant », les énonciateurs produisent non seulement des informations concernant leur programme, mais aussi des valeurs relatives à leur manière de situer le rôle d’un député en démocratie, comme participant à « la transparence » et à « la moralisation » de la vie publique en France.

21Dans les deux autres types de clips (trois vidéos de témoignages d’adhérents et un clip déposé par les membres du Parti pirate d’Ille-et-Vilaine) publiés pour ces élections de 2017, les témoignages de deux jeunes femmes peuvent être lus selon le « mode du témoignage » (Odin, 2011, op. cit.). En effet, y prédominent des structures narratives propres à l’histoire de chacune et à la manière dont elles ont été conduites à militer pour ce parti politique. Si chacune est ici interrogeable en termes d’identité, c’est la construction du « JE » de l’énonciatrice qui ici prédomine : par exemple, « je suis travailleuse du sexe » (interview de L.), permettant ainsi non seulement l’identification mais aussi la personnalisation.

  • 23 Le clip dit « officiel » ne peut être que celui où apparaît le porte-parole du Parti pirate françai (...)

22Sur la chaîne YouTube du Parti pirate français, les vidéos pour les élections législatives de 2017, présente une cohérence des discours verbaux. Cependant, ils se distinguent les uns des autres par les mises en scène élaborées. Par exemple, une vidéo intitulée « clip de campagne législatives 2017 du Parti Pirate » est publiée par un membre de ce parti, S. O. qui le présente comme un « clip officiel ». Ce dernier révèle cependant une démarche dissidente23 perceptible à travers une mise en scène à l’opposé de celle des autres vidéos de la chaîne YouTube, mais témoigne aussi de la manifestation de la production personnalisée et créative de contenus.

23En effet, dans la première partie du clip publié par S. O. (https://www.youtube.com/​watch?v=amm3TSw32No&t=51s, consulté le 7 juillet 2020) on voit une « Marianne » républicaine se déshabillant à chaque renoncement à des principes démocratiques : « la formation des assemblées constituantes », l’interdiction du « cumul des mandats », « la révocation des élus », la prise « en compte du vote blanc » et « la protection des lanceurs d’alerte ». Ainsi, suivant un « mode spectacularisant » (Odin, 2011, op. cit.) mettant le spectateur à distance, y est présenté un personnage fictif – celui d’une femme contrainte de se déshabiller et humiliée par une assemblée de notables – mais surtout symbolique – celui d’une « Marianne », dont la mise en scène répond à une spectacularisation. Cette dernière se retrouve également dans la vidéo déposée par les candidats dans la circonscription d’Ille-et-Vilaine. Le clip, présentant une scène de rue, est appelé « reverse graffiti » parce que la performance consiste ici à reproduire un logo du Parti pirate sur un pavé de la chaussée. Le clip montre plus exactement un « flash mob » mettant en scène ces candidats accourant avec divers objets symboliques, à l’instar du drapeau, estampillés aussi du logo.

24La tête de liste pour les élections européennes de 2019, Flore Marie, apparaît de manière récurrente dans les trois clips officiels publiés par le Parti pirate. Ces vidéos présentent la ligne programmatique pour ces élections incluant des préoccupations écologiques, à l’instar du réchauffement climatique, communes avec celles des Verts. Le premier clip présente aussi des images autres que celles des membres du parti pirate contenues essentiellement dans les deux autres et des discours verbaux emprunts de « valeurs », comme celle relative à la liberté de partager des contenus. Dans les discours visuels, le « partage des contenus » est évoqué à travers la représentation d’un chat comparable à celui d’un « chat mignon » (image 5), image d’une photographie de cet animal assorti d’un commentaire humoristique, d’une culture numérique aujourd’hui populaire.

Image 5 – capture d’écran du « Clip officiel de campagne 1/3 » pour les élections européennes de 2019 », 1’31 min.

Image 5 – capture d’écran du « Clip officiel de campagne 1/3 » pour les élections européennes de 2019 », 1’31 min.

Source : https://www.youtube.com/​watch?v=vRNvrPu6zXY&t=5s

25Le mot dièse « #SaveYourInternet », comme légende de l’animal – grimaçant et menaçant – débranchant son ordinateur, se substituant à un texte humoristique, a pour finalité de faire référence au combat conduit contre la réforme européenne du droit d’auteur, l’adoption de la directive dite « copyright » du 12 novembre 2018, autour duquel le Parti pirate a participé à la mobilisation des internautes. Ce mot dièse rassemble les militants de l’internet et les revendications du collectif contre cette réforme se cristallisent sur un site Web dédié nommé « SaveYourInternet »24. Nous reviendrons sur les enjeux de ce combat.

  • 25 La revendication d’un renouvellement de l’équipe électorale est signifiée sur le site du Parti pira (...)

26Ainsi, on observe, entre 2012 et 2019, des continuités dans les tactiques de communication audiovisuelle du Parti pirate français lors des élections. C’est notamment le cas dans la manière de prendre la parole devant le drapeau du Parti pirate ; tout comme cadre à hauteur d’œil et plan rapproché se retrouvent aussi bien en 2014 qu’en 2017. On constate cependant aussi des variations. C’est surtout le dévoilement progressif des identités de tous les membres du Parti pirate français qui constitue une évolution profonde. Ce dévoilement conduit même désormais à une personnalisation de la prise de parole. Ainsi, le Parti pirate s’éloigne de mouvements socio-politiques auxquels il a été associé, à l’instar d’Anonymous (Bocquet, 2014). La personnalisation de la prise de parole dans les vidéos se confirme lors des élections européennes de 2019. On voit apparaître dans ces clips de nouveaux visages, comme la tête de liste Flore Marie, apparition souhaitée dans le cadre d’un renouvellement du parti revendiqué par ailleurs, notamment sur son site Web25. Ainsi, au moment même où le Parti pirate se mobilise contre la directive sur le droit d’auteur dans le marché unique numérique, il se détache des mouvances les plus radicales des militants de l’internet.

27Dès lors, demeure la question consécutive aux prises de positions militantes du Parti pirate contre cette directive dite « copyright », dans le cadre des élections européennes de 2019, des enjeux de la conciliation des pratiques communicationnelles du Parti pirate sur YouTube avec son positionnement politique, à savoir si ces pratiques sont finalement cohérentes avec leurs conditions d’énonciation c’est-à-dire une plate-forme appartenant à une industrie du Web 2.0. La défense d’une certaine conception de la liberté d’expression, impliquant la libre circulation des contenus sur l’internet, ne risque-t-elle pas aussi de conduire le Parti pirate à des convergences idéologiques incompatibles avec sa ligne programmatique initiale ?

Les paradoxes politiques et communicationnels du Parti pirate français : les enjeux du risque de contradiction

Du « techno-pragmatisme » dans le « répertoire d’actions électorales »…

  • 26 On entend ici par « libertés numériques » des libertés individuelles dont la défense est liée, nota (...)
  • 27 Le terme de « pirate » est d’ailleurs une dénomination revendiquée par ce parti politique comme pro (...)

28Dans la communication politique du Parti pirate français sur YouTube, si certaines thématiques évoluent comme celles relatives à la démocratie liquide, ce parti politique se présente, depuis 2006, comme promouvant la lutte pour des libertés numériques26 et combattant l’enclosure, la clôture des droits de propriété27 sur l’internet (Keucheyan, 2008). Il a cependant été parfois assimilé à une « marque politique » (Baygert, 2014 : 84). En Islande, où le Parti pirate est arrivé troisième aux élections législatives de 2016 et a obtenu 10 sièges sur 63 à l’assemblée, il est d’ailleurs nommé « parti Facebook » (Cordier, 2016 : 71), eu égard à un usage du réseau socio-numérique devenu une marque. S’il paraît difficile de considérer le Parti pirate français comme une « marque politique », son attachement aux cultures Libre et hacker (Burkart, 2014), étant prégnant, l’usage de YouTube dans son répertoire d’actions électorales révèle un « techno-pragmatisme » – caractérisé par la préoccupation du succès de l’action permise par la technique –  (Granjon, 2015 : 219) qui se manifeste aujourd’hui au sein de certaines mouvances libertaires.

29Comme le Parti pirate tend à promouvoir un pouvoir de type horizontal, réalisé grâce à la « démocratie liquide » permettant d’éviter toute hiérarchie (Himanen, 2001), il dénonce la manière de l’exercer aujourd’hui, c’est-à-dire de manière verticale. En effet, l’originalité de son programme politique reposant sur une conception horizontale censée être calquée sur la dimension réticulaire de l’internet, la constitution d’une communauté reposerait ainsi sur le modèle de la connexion et la libre circulation des contenus. La revendication de cette libre circulation des productions sur l’internet le conduit à la défense d’une certaine conception de la liberté d’expression et le Parti pirate rejoint paradoxalement les intérêts des industries du Web 2.0 dans leur contestation de la légitimité du droit d’auteur. Cette convergence d’intérêts trouve son point d’ancrage dans les débats autour de la réforme européenne du droit d’auteur.

…à la convergence avec les intérêts de YouTube dans le cadre de la réforme européenne du droit d’auteur

30À l’échelle internationale, les rapports des « pirates » avec la question du droit d’auteur sont complexes dans la mesure où entre 2014 et 2018 ils ont été conduits à de nombreuses concessions au Parlement européen sur un point fondamental de leur ligne programmatique. Suite à la création du Parti pirate européen en 2014, deux candidat-e-s à la présidence de la Commission Européenne sont présentés cette année-là sans succès, Amélia Andersdotter (députée pirate suédoise de 2011 à 2014) et Peter Sunde. Amélia Andersdotter est réputée pour son rôle dans le combat contre l’Accord Commercial Anti-Contrefaçon (ACTA), qui a conduit au rejet de cet accord en 2012 par le Parlement européen. D’origine norvégienne et finlandaise, Peter Sunde a été porte-parole de The Pirate Bay. Condamné en Suède, il est arrêté par la justice suédoise juste après ces élections pour facilitation de mise à disposition de contenus protégés par des droits d’auteur liée à cette plate-forme. Dans le cadre de la réforme ayant conduit à la directive dite « copyright » de 2019, la Commission Européenne confie à la députée pirate allemande Julia Reda – qui succède en 2014 aux deux eurodéputés pirates Amélia Andersdotter et Christian Engström – la rédaction d’un rapport. Lorsqu’elle rend ce rapport disponible en ligne le 19 janvier 201528, la jeune députée a déjà œuvré à de nombreux compromis, par exemple sur les durées de protection des droits patrimoniaux de l’auteur.

  • 29 La Documentation française, « Droit d’auteur : une réforme controversée de la directive européenne  (...)
  • 30 « Article 13 – On répond à vos questions  », https://www.YouTube.com/watch ?v =j2ZpGIdcUY8&t =96s, (...)
  • 31 Au moment de l’adoption définitive de la Directive, YouTube avait déjà mis en place depuis plusieur (...)

31À partir de 2015, après le dépôt du rapport dit « Reda », s’ensuit une bataille inédite de lobbying au Parlement européen29. Le 10 décembre 2018, une pétition en ligne s’opposant à l’article 13 de la Directive récolte plus de quatre millions de signatures de citoyens européens. Julia Reda conteste le texte adopté de la directive dite « copyright », au nom de la liberté d’expression. Elle est soutenue par le Parti pirate allemand mais aussi sa mouvance française à travers le mouvement «  ». Le slogan est aussi repris par les acteurs de YouTube. Ce dernier a, par exemple, sollicité son « spécialiste » du droit d’auteur de la plate-forme ainsi qu’un chargé de relations avec les auteurs notamment via des vidéos en ligne intitulées «  »30 pour tenter de mobiliser les internautes. En effet, l’article 13 – devenu ensuite l’article 17 – de cette Directive prévoit que des accords de licence entre les plates-formes et les ayants droit deviennent systématiques. À défaut d’accords possibles, les plates-formes comme YouTube doivent mettre en place des systèmes de filtrage pour empêcher automatiquement la mise en ligne de contenus soumis au droit d’auteur. Pour les militants de l’internet, cet article peut être considéré comme limitatif de la liberté d’expression pour deux raisons, une première liée à des pratiques des internautes telles que le mème qui implique des reprises de contenus à des fins parodiques et dont les finalités s’éloignent de préoccupations commerciales – pratiques devenues d’ailleurs des exceptions dans la version définitive, celle du 26 mars 2019, du texte de la Directive –, la seconde impliquée par l’excès de filtrage consécutif à un calcul algorithmique aveugle pouvant même conduire, par exemple, un musicien à l’auto-censure involontaire de son œuvre et auquel le Content ID de YouTube n’échappe déjà pas31. Cependant, cet article 13 de la directive dite « copyright » conduit à changer profondément la situation de plates-formes comme YouTube dans la mesure où il devient désormais possible de leur demander d’assumer des responsabilités auxquelles elles pouvaient auparavant échapper grâce à leur statut d’hébergeurs, statut très différent de celui d’un producteur de contenus et beaucoup moins engageant juridiquement mais aussi financièrement.

  • 32 Dans cette affaire, la Cour suprême des États-Unis a condamné, le 26 juin 1997, ce qu’elle a consid (...)

32Les combats des militants de l’internet en faveur d’une certaine conception de la liberté d’expression et contre la censure ne sont pas récents (Chevret, 2006). On peut les situer aux États-Unis, dans les années 1990, où leurs motivations ont fini par rejoindre les intérêts d’acteurs économiques. Cela fut par exemple le cas dans la lutte contre le Communications Decency Act, en 1996, aux États-Unis. L’action juridique conduite contre ce texte – qui devait permettre davantage de criminalisation de la cyberpornographie – avait été financée par des fournisseurs de connexions ; des industries de l’informatique comme Apple ou Microsoft y avaient également apporté leurs soutiens. En effet, le Communications Decency Act, signé par Bill Clinton le 8 février 1996, interdisait la diffusion sur les réseaux de messages jugés « indécents » ou « offensants » susceptibles d’être vus par des mineurs. Dans un premier temps, ses détracteurs, dont les militants de « l’internet libre », avaient déposé une requête demandant à un tribunal fédéral de Philadelphie de juger inconstitutionnelle cette loi sur « la décence ». En appel du jugement de Philadelphie, la Cour suprême des États-Unis a estimé qu’il existe d’autres moyens, que celui qui consiste à limiter la liberté d’expression, notamment celui de l’usage d’un filtre parental32. Ainsi, cette décision ouvrait un nouveau marché, celui des systèmes de filtrage, qui pouvait profiter aux industries informatiques. Autre exemple, en France, les détracteurs de la loi sur la confiance en l’économie numérique, en 2004, avaient trouvé leurs meilleurs alliés dans les associations de fournisseurs d’accès. La défense de la liberté du commerce finit régulièrement par emporter la victoire des deux côtés de l’Atlantique. La culture hacker, peut souffrir de paradoxes quand il s’agit de contester l’encadrement juridique de l’internet, ceux en lien avec une confusion de la liberté politique avec la liberté économique. C’est sur le rejet de l’intervention étatique que se rejoignent parfois libertaires et néo-libéraux, et finalement sur l’acceptation ou l’exigence d’une régulation par le marché plutôt que par l’État.

Conclusion

33Le Parti pirate français dépose des vidéos sur YouTube, en périodes électorales, dans le cadre de son répertoire d’actions eu égard à un « techno-pragmatisme » (Granjon, 2015) consistant ici en la nécessité de rester visible sur une plate-forme populaire. Cette recherche de visibilité n’est cependant pas anecdotique lorsqu’il s’agit d’un parti politique dont certains membres, en France, ont été proches du mouvement hacktiviste Anonymous. Ce dernier représente en effet un mouvement dont, par définition, les acteurs restent anonymes. Or, entre 2012 et 2019, les vidéos du Parti pirate français témoignent d’une évolution dans la manière de communiquer par un dévoilement progressif des identités des énonciateurs jusqu’à la personnalisation de la prise de parole, comme en témoignent les contenus audiovisuels publiés dans le cadre des campagnes électorales de 2017 puis de 2019.

34Cette recherche de visibilité conduit le Parti pirate à une contradiction entre sa ligne programmatique et le choix d’un outil de sa communication politique. Par rapport aux différentes modalités discursives propres aux clips de campagne qui ont été ici analysés, nous reprenons plus exactement l’expression conceptuelle d’« autocontradiction performative » utilisée par le philosophe Karl Otto Apel (1994) concernant un discours. Nous l’appliquons ici plus spécifiquement au discours politique et l’utilisons dans le sens suivant pour désigner ce qui a été observé. Ce n’est pas essentiellement l’énoncé en lui-même qui est ici susceptible d’être contradictoire ; la contradiction réside dans la distorsion existant entre le contenu et le fait même qu’il puisse être énoncé, les conditions même de son énonciation. Au-delà du patchwork visuel de sa chaîne et de la polyphonie des discours dans les vidéos, introduire l’usage de YouTube dans son répertoire d’actions conduit le Parti pirate à une autocontradiction performative selon laquelle les pratiques discursives, sont contredites par les conditions d’énonciation, c’est-à-dire sur une plate-forme détenue par Google. Plus encore, comme en témoignent des engagements contre la directive européenne sur le droit d’auteur dans le marché unique numérique de 2019 finalement concomitants de ce qui ressemble à un éloignement des mouvements les plus radicaux comme Anonymous, les libertaires à l’instar de ceux du Parti pirate ont fini par rejoindre les industries du Web 2.0 dans leur lutte contre la régulation de l’internet.

35Cependant, les fondements des prises de positions des membres du Parti pirate et des ultra-capitalistes ne sont pas identiques. Au-delà de leur diversité, la promotion de l’horizontalité du pouvoir et de la liquidité de la démocratie supposant l’expression des individualités, les différents types de discours des pirates Youtubeurs se rejoignent sur un point essentiel de la ligne programmatique. Ces prises de positions témoignent en effet d’une « politique du code » (Auray et Ouardi, 2014) se caractérisant, dans ce cas, par la volonté de participer à une transformation politique par l’internet ainsi que par la croyance dans le pouvoir d’émancipation de l’informatique, bien éloignées des menaces d’aliénation des industries du Web 2.0.

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Bibliographie

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Notes

1 Les lois dites « HADOPI » renvoient à deux lois, celle du 12 juin 2009 « favorisant la diffusion et la protection de la création sur internet » et celle du 28 octobre 2009 « relative à la protection pénale de la propriété littéraire et artistique sur internet ».

2 Les intitulés de certaines de ses productions audiovisuelles du Parti pirate attestent de la dénomination « clips » : « Clip de campagne législatives 2017 du Parti Pirate » par S. O., trois « Clips officiels de campagne » pour les élections de 2019.

3 GAFAM : Google, Apple, Facebook, Amazon, Microsoft

4 Nous travaillons ici indistinctement sur les clips et les spots, mais suivant une spécificité qui est la périodicité liée à un temps d’élections.

5 Pour des raisons liées à la protection du droit à l’image des personnes, les captures d’écran font ici l’objet d’un floutage des visages. Il a aussi été choisi par ailleurs de ne mentionner que les initiales de candidats du Parti pirate qui ne sont pas des membres « historiques » de ce parti en France.

Ci-après, liste des vidéos sur YouTube (https://www.youtube.com) - Élections législatives de 2012 : quatre vidéos « Élections législatives 2012 », 4’53 min., 1’47 min., 2’33 min., 1’48 min. - « Michel Amorosa/Parti Pirate/1ère circonscription », 2’41 min. - « Raphaël Isla/Parti Pirate/2e circonscription », 2’05 min. - « Carole Fabre/Parti Pirate/ 3e circonscription », 7’07 min. - « Philippe Mattéi/Parti Pirate/4e circonscription », 5’38 min. - « Éric Mahuet/Parti Pirate/5e circonscription », 3’12 min. - « Jeremy Collot/Parti Pirate/6e circonscription », 4,’11 min. - « Pascal Durand/Parti Pirate/9e circonscription », 2’19 min. - Élections européennes de 2014 : « Le Parti Pirate à l’abordage des Européennes en 2014 », 1’07 min. - « Le Parti Pirate d’Outre-Mer à l’abordage des Européennes », 3’35 min. -.« Le Parti Pirate à l’abordage des Européennes en 2014 », 1’22 min. - Élections législatives de 2017 : « Clip de campagne législatives 2017 du Parti Pirate » par S. O., 2’38 min. - « Parti Pirate Ille-et-Vilaine », 1’39 min. - « Officiel Caisse Claire Parti Pirate », 1’46 min. - « Législatives 2017, interview de Caroline adhérente du Parti Pirate », 1’28 min. - « Législatives 2017, interview de [L.] adhérente du Parti Pirate », 1’21 min. - « Législatives 2017, interview de Thomas porte-parole du Parti Pirate français », 2’06 min. - Élections européennes de 2019 : trois « Clips officiels de campagne », 1’31 min., 0’35 min., 1’31 min.

6 Nous entendons par « patchwork » une structure (Floch, 2010) résultant d’un assemblage de formes disparates.

7 Le premier numéro de Transposition consacré à « Polyphonie et société » met en évidence la différence entre la signification du terme « polyphonie » en musique et en linguistique. Cette dernière, respectivement à travers Mikhaïl Bakhtine et Oswald Ducrot, a théorisé la polyphonie textuelle de différentes manières mais impliquant finalement l’articulation autour des deux phénomènes : la pluralité des contenus dans un même énoncé, et la pluralité des instances énonçantes, toujours au sein d’un même énoncé (2011 : 4).

8 L’idée de « démocratie liquide » est novatrice quand le Parti pirate s’en saisit en 2012. Le terme de « liquide » est inspiré des travaux de Zygmunt Bauman, qui en 2000 publie Liquid Modernity, et qualifie d’abord ce que devient une institution dans une société post-moderne eu égard à la « fluidité » inhérente à la liquidité de la modernité supposant que les choix individuels soient désormais inclus aux projets collectifs. Les « pirates » reprennent cette idée de liquidité et l’interprètent comme possibilité de partir d’individualités à l’initiative de projets, mais surtout comme nécessité de fluidifier le pouvoir (Renault, 2013) jusqu’à que celui-ci s’exerce de manière horizontale. Ce thème de la « démocratie liquide » a d’abord été introduit, dans une ligne programmatique, par le Parti pirate allemand à partir de 2009. Il s’agit de considérer que si la démocratie représentative doit être abandonnée, la démocratie directe de type athénien n’est plus souhaitable ; faute de temps et de compétences, les citoyens ne sont plus mobilisables sur toutes les questions. Dès lors, chacun peut soit participer aux votes et aux décisions collectives, soit décider de déléguer volontairement ce pouvoir, par exemple s’il ne se sent pas compétent dans un domaine et préfère s’en remettre à des plus experts. La finalité de la « démocratie liquide » est aussi d’introduire des formes de participation, dans les processus de décisions politiques sur l’internet, et de mettre des participants en relation via des plates-formes. Pour le Parti pirate, ces formes de participation ont d’abord été développées grâce à un logiciel dédié à cette fonction, LiquidFeedback.

9 Une analyse plus détaillée des signes utilisés par le Parti pirate français et de ses liens avec une culture hacker est restituée dans un article précédent auquel nous nous permettons de renvoyer : Christine Chevret-Castellani, « Le noir et la transparence dans la campagne du Parti pirate français pour les élections législatives de 2012 », Mots. Les langages du politique, n° 105, 2014, p. 67-84.

10 Un échange sur la plate-forme de discussion Discourse en février 2017, portant sur le compte YouTube, souligne que le mot de passe de la chaîne précédente aurait été perdu (https://discourse.partipirate.org/t/creation-d-un-compte-YouTube-et-utilisation/985, consulté le 15 novembre 2018).

11 Deux vidéos qui ne portaient pas sur des clips de campagnes ont été éliminées du corpus.

12 Si la chaîne YouTube du Parti pirate français ne crée pas de véritable communauté politique, à des moments dits forts de la vie démocratique que représenteraient les élections, c’est aussi ici au regard de plusieurs pratiques qu’induit la plate-forme. Le like est un signe polysémique. Comme le souligne Franck Babeau, les internautes lui donnent d’ailleurs des significations plurielles : gratifier la qualité d’une vidéo, encourager un mouvement politique, faire remonter les messages les plus approuvés dans la hiérarchisation de présentation des vidéos par YouTube, voire servir à l’internaute de marque-page dans la mesure où il retrouvera ainsi plus rapidement ses contenus lorsqu’il les a « likés » (Babeau, 2014).

13 Les principes de la démocratie liquide sont implémentés, pour le Parti pirate, dans trois plates-formes différentes : Personae pour la délégation de pouvoir, Congressus pour les votes et la gestion des tâches, ainsi que Fabrilia pour l’identification des ressources et des compétences. Les objectifs du développement de ces outils résident dans la possibilité de soulever ces questions relatives à l’internet, que d’offrir aux citoyens des conditions d’une participation plus active.

14 La chaîne du Parti pirate présente six clips « piratés » : « Clip Piraté - Pirate Socialiste », 1’04 min., 518 vues, « Clip Piraté - Union des Pirates Réformistes », 1’03 min., 310 vues, « Clip Piraté - Union pour une Majorité Pirate », 1’09 min., 241 vues, « Clip Piraté - Debout les Pirates », 1’23 min., 254 vues, « Clip Piraté - Les Pirates en Marche ! », 1’18 min., 368 vues, « Clip Piraté - Les Pirates insoumis », 1’08 min., 681 vues.

15 Le Parti pirate français a publié quatre clips de campagne notamment sous licence « art libre » : trois pour le premier tour du 10 juin (une version longue de 4’53 min., une version courte de 1’47 min. et une autre version courte de 1’48 min.) et un pour le second tour du 17 juin (2’33 min.).

16 Le détail de l’ensemble de la campagne du Parti pirate français pour les élections législatives de 2012 est précisé dans l’article mentionné dans la note 9 (Chevret-Castellani, 2014, op. cit.).

17 Le recoupement avec la liste des 102 candidats à ces élections indique qu’il s’agit de candidats d’Île-de-France (Paris, Hauts-de-Seine, Yvelines et Seine-Saint-Denis).

18 La candidate présente dans le clip pour le premier tour des élections, mais aussi pour le second tour, se révèle être Véronique Vermorel.

19 L’Accord Commercial Anti-Contrefaçon ou Anti-Counterfeiting Trade Agreement (ACTA) était un traité international qui aurait conduit au renforcement des droits de propriété industrielle. Il a été rejeté par le Parlement européen au mois de juillet 2012.

20 En 2014, la chaîne YouTube (79 vidéos) remplit différentes fonctions : présentation des clips de campagnes, documentaires et films des assemblées générales. Pour les Européennes, deux clips de soutiens d’une ancienne députée suédoise siégeant au Parlement européen (Amélia Andersdotter) et du premier fondateur d’un Parti pirate (Rick Falkvinge) y sont également déposés.

21 Les trois clips de campagne pour les Européennes sont les suivants : « Le Parti Pirate à l’abordage des Européennes en 2014 » (1’07 min., 746 vues au 7 août 2014), « Le Parti Pirate d’Outre-Mer à l’abordage des Européennes » (3’35 min., 261 vues au 7 août 2014), « Le Parti Pirate à l’abordage des Européennes en 2014 » (1’21 min., 5981 vues au 7 août 2014).

22 C’est aussi à partir de 2017 que le Parti pirate français expérimente les trois autres types d’outils implémentant les principes de la démocratie liquide que LiquidFeedback : Personae, Congressus et Fabrilia.

23 Le clip dit « officiel » ne peut être que celui où apparaît le porte-parole du Parti pirate français, Thomas Watanabe-Vermorel.

24 « SaveYourInternet » : https://saveyourinternet.eu/, consulté le 20 juillet 2019.

25 La revendication d’un renouvellement de l’équipe électorale est signifiée sur le site du Parti pirate français (https://partipirate.org, consulté le 20 juillet 2019).

26 On entend ici par « libertés numériques » des libertés individuelles dont la défense est liée, notamment pour le Parti pirate, à des pratiques sur l’internet spécifiques : cryptographier pour garantir la confidentialité de la correspondance et des échanges électroniques, conserver l’anonymat dans sa navigation sur le Web et partager des biens culturels immatériels (Goldenberg et Proulx, 2010 : 506-507).

27 Le terme de « pirate » est d’ailleurs une dénomination revendiquée par ce parti politique comme propre à une analogie avec la piraterie utilisée pour désigner la pratique du téléchargement illégal.

28 Julia Reda, « Le rapport Reda expliqué » : https://juliareda.eu/le-rapport-reda-explique/, consulté le 20 juillet 2019.

29 La Documentation française, « Droit d’auteur : une réforme controversée de la directive européenne », Vie publique, 12 septembre 2018 : https://www.vie-publique.fr/actualite/alaune/droit-auteur-reforme-controversee-directive-europeenne.html, consulté le 20 juillet 2019.

30 « Article 13 – On répond à vos questions  », https://www.YouTube.com/watch ?v =j2ZpGIdcUY8&t =96s, consulté le 20 juillet 2019.

31 Au moment de l’adoption définitive de la Directive, YouTube avait déjà mis en place depuis plusieurs mois le « Content ID » qui est un outil « pour aider les titulaires de droits d’auteur à identifier et à “gérer” leur contenu. Les vidéos mises en ligne sur YouTube sont comparées à une base de données de fichiers fournis par les propriétaires de contenu » (https://support.google.com/YouTube/answer/2797370 ?hl =fr, consulté le 20 juillet 2019).

32 Dans cette affaire, la Cour suprême des États-Unis a condamné, le 26 juin 1997, ce qu’elle a considéré comme une limitation de la liberté. Le premier amendement de la Constitution exige en effet des critères précis et le caractère « indécent » ou « obscène » n’aurait pas été défini par la loi censurée.

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Table des illustrations

Titre Image 1 – capture d’écran de la chaîne YouTube du Parti pirate français avant les élections législatives de 2017
Crédits Source : image d’archives personnelles de www.youtube.com/user/partipirate. Le lien n’est plus actif
URL http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/rfsic/docannexe/image/9932/img-1.png
Fichier image/png, 421k
Titre Image 2 – capture d’écran de la chaîne du Parti pirate français depuis les élections législatives de 2017
Crédits Source : https://www.youtube.com/​channel/​UCTK5TnSLvuBg4XDzrV-s5Xw/​featured
URL http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/rfsic/docannexe/image/9932/img-2.png
Fichier image/png, 72k
Titre Image 3 – capture d’écran du site Web du Parti pirate en 2017
Crédits Source : https://partipirate.org., « CC-BY-SA, Parti Pirate »
URL http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/rfsic/docannexe/image/9932/img-3.png
Fichier image/png, 399k
Titre Image 4 – capture d’écran de la chaîne du Parti pirate français depuis les élections législatives de 2017
Crédits Source : https://www.youtube.com/​channel/​UCTK5TnSLvuBg4XDzrV-s5Xw/​featured
URL http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/rfsic/docannexe/image/9932/img-4.png
Fichier image/png, 22k
Titre Image 5 – capture d’écran du « Clip officiel de campagne 1/3 » pour les élections européennes de 2019 », 1’31 min.
Crédits Source : https://www.youtube.com/​watch?v=vRNvrPu6zXY&t=5s
URL http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/rfsic/docannexe/image/9932/img-5.png
Fichier image/png, 324k
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Pour citer cet article

Référence électronique

Christine Chevret-Castellani, « Le Parti pirate sur YouTube : contradiction du politique et du communicationnel »Revue française des sciences de l’information et de la communication [En ligne], 20 | 2020, mis en ligne le 01 septembre 2020, consulté le 23 janvier 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/rfsic/9932 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/rfsic.9932

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Auteur

Christine Chevret-Castellani

Christine Chevret-Castellani est Maître de conférences en Sciences de l’information et de la communication à l’Université Sorbonne Paris Nord. Elle est membre du Laboratoire des Sciences de l’information et de la communication (LabSIC). Courriel : christine.chevret(at)univ-paris13.fr

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Droits d’auteur

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Le texte seul est utilisable sous licence CC BY-NC-SA 4.0. Les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés) sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.

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