Bulletin des bibliothèques de France
Texte intégral
1Reine Bürki, vous êtes rédactrice en chef du Bulletin des bibliothèques de France depuis 2017. Nathalie Marcerou-Ramel, vous êtes directrice de publication depuis 2019 lorsque vous avez été nommée directrice de l’École nationale supérieure des sciences de l’information et des bibliothèques. Cette revue a 64 ans !
Quel regard portez-vous sur cette longue histoire ?
Le Bulletin des Bibliothèques de France paraît pour la première fois en 1956, à l’initiative de Julien Cain, administrateur de la Bibliothèque nationale et directeur des bibliothèques de France. La revue est née de la fusion de deux publications professionnelles : le Bulletin de documentation bibliographique et le Bulletin d’information de la Direction des Bibliothèques de France. Dans son avant-propos à ce premier numéro, Julien Cain souhaitait que cette nouvelle publication atteigne « une large audience non seulement en France, mais aussi au-delà des frontières. » Le BBF est devenu une publication francophone majeure dans son domaine. La nouvelle revue visait plusieurs objectifs : si le lien initial avec l’administration centrale n’a pas été maintenu, le BBF propose toujours des articles de référence, des informations d’actualité, des recensions de publications. Il constitue ce moyen d’expression de grande ampleur que Julien Cain appelait de ses vœux. Enfin, la revue procède toujours « d’un effort collectif et témoigne de l’esprit de rénovation qui anime les bibliothèques » et leurs professionnels. En un peu plus de 60 ans, le Bulletin des bibliothèques de France a cependant « muté » dans sa forme éditoriale afin de suivre les pratiques de lecture et d’information des professionnels tout en conservant des contenus de haut niveau : revue papier, puis « papier et numérique » et maintenant, nous y reviendrons, « numérique et papier ». Accessible gratuitement en ligne, y compris pour ses derniers dossiers, elle témoigne de l’engagement fort de l’Enssib et de sa communauté professionnelle en faveur de l’accès libre et ouvert.
Ces soixante et quelques années de production éditoriale témoignent aussi de la singularité et du souci constant d’une profession qui évolue avec ses missions, lance des débats, expérimente : la base d’archives recense plusieurs milliers d’articles ! Et c’est peut-être là tout l’intérêt d’une revue qui s’adresse aussi bien aux professionnels de la filière territoriale, qu’universitaire ou culturelle : écrire une histoire commune, avoir un espace de réflexivité pour débattre et sauvegarder une culture professionnelle riche mais pas toujours évidente à défendre dans un contexte qui tend à spécialiser les profils et cloisonner les terrains d’exercice.
Chaque contenu publié dans la revue existe en tant que tel, mais du fait d’être publié dans un même espace, il alimente avec d’autres textes des archives professionnelles et une réflexion plus globale sur les bibliothèques et leur écosystème. À la différence de publications éphémères ou éclatées sur des supports moins identifiables, ce sont peut-être cette unité de lieu et cette temporalité longue qui donnent du sens au BBF en tant que revue professionnelle et qui contribuent à sa longévité.
Le BBF constitue également un témoignage sur l’évolution d’un modèle, celui de la bibliothèque en tant qu’institution. Chaque dossier, article, recension, contribue à documenter la bibliothèque comme objet in progress, en adaptation continue aux enjeux de son environnement et qui se remodèle pour relever les défis posés par les évolutions sociétales et technologiques au fil du temps : informatisation des catalogues, libre accès, numérisation, ressources électroniques, formation, action culturelle, médiation numérique, open access… Ces problématiques se renouvellent sans s’effacer et la revue témoigne de ces évolutions qu’elle capitalise pour/et par/la profession. Il s’agit moins d’aborder ces sujets sous l’angle d’une d’expertise que d’inscrire cette technicité propre à notre métier dans ses dimensions stratégiques et prospectives : quels impacts en termes d’organisation, de pilotage, de partenariats, de compétences ? Cette évolution n’est pas spécifique au monde des bibliothèques, c’est en partie lié à l’impact du numérique sur nos façons d’appréhender notre travail quotidien dans une plasticité et une transversalité sur lesquelles nous n’avions auparavant pas de vision, mais peut-être également à la nécessité aujourd’hui de démontrer sa valeur ajoutée.
Quels sont les objectifs de la revue ?
Tout dépend de ce qu’on entend par « objectifs ».
Si nous nous référons à notre propre expérience, c’est-à-dire de professionnelles/lectrices du BBF, puis de membre de la rédaction du BBF pour l’une, directrice de la publication pour l’autre, nous avons toujours perçu cette revue comme un bien commun au service de la profession, sans établir de ligne de partage entre les établissements (lecture publique, universitaire, culture) ou les spécialités. Le signe aussi d’une identité professionnelle forte qui se mesure dans la production éditoriale qu’elle génère : presse professionnelle, collections et maisons d’édition dédiées aux bibliothèques et à leurs acteurs, revues, blogs… La place occupée par le BBF dans ce paysage éditorial se décline sous le double objectif de relayer une information à valeur ajoutée (par des rubriques comme « Tour d’horizon » qui propose des comptes rendus de manifestations professionnelles, mais aussi des critiques d’ouvrages ou des billets d’actualité) et d’offrir un espace de réflexivité qui permette de croiser et de rassembler des articles de professionnels, d’universitaires, d’acteurs de notre écosystème au sens large (dossiers et articles hors-thématique).
- 1 Boutet, Alexandre, Derrez, Annie, Feuchot, Nicole, Prémel, Benjamin, Saxcé, Agnès de, Le Bulletin d (...)
Par ailleurs, et sans que cet objectif n’ait été formulé au départ, le BBF, de par son épaisseur et la constance avec laquelle il a tendu un miroir à la profession, constitue un outil majeur de connaissance des évolutions des bibliothèques, de leur contexte, de leurs missions et des métiers des bibliothèques. Comme l’a très bien montré un mémoire de diplôme de conservateur de bibliothèque rédigé en 1994, à la veille du cinquantenaire de la revue, « l’inscription du BBF dans l’actualité des sujets est également dépositaire de sa mémoire »1.
Quel est son fonctionnement éditorial ?
Rattaché depuis 2018 au pôle des publications, au sein de la direction de la valorisation de l’Enssib, le BBF est toujours placé sous la responsabilité d’un rédacteur ou d’une rédactrice en chef et animé par un comité éditorial, qui valide les évolutions de la revue.
Le BBF est aujourd’hui composé de plusieurs offres, et donc de plusieurs temporalités : flux d’informations, suivi de l’actualité professionnelle, dossiers thématiques et articles hors-dossier.
Le repérage d’informations et le traitement de l’actualité « à chaud » sont assurés par l’équipe aux moyens de la veille et de l’activation du réseau professionnel. Les contenus éditoriaux longs font l’objet d’une sélection soit en amont lors de la constitution des dossiers dont les sujets sont débattus avec le comité de rédaction de la revue, soit en aval avec un circuit de sélection des articles hors-dossier par un binôme de relecteurs. La revue est rattachée à l’Enssib depuis 2009, mais conserve une indépendance éditoriale dans la sélection et le traitement des sujets. Les auteurs sont principalement issus des communautés professionnelles (bibliothèques, métiers de la documentation et de l’information), auxquels s’associent selon les thématiques des contributions d’universitaires et d’acteurs venus d’autres sphères professionnelles (designers, sociologues, éditeurs, etc.), en France et à l’international.
Quelles sont les principales thématiques de recherche que la revue développe ?
Le dossier thématique est en quelque sorte un instantané, il soulève des questions tout autant qu’il croise des expériences ou des réflexions, sans vocation à l’exhaustivité sur un sujet. Si l’on observe les thématiques développées ces dernières années, on s’aperçoit qu’elles sont de plus en plus transversales. Bien sûr, le terrain de réflexion et d’expérience, ce sont toujours les bibliothèques, mais celles-ci s’impliquent de façon de plus en plus large et proactive dans leur environnement. Il faut pouvoir aborder de façon transversale les problématiques auxquelles doivent faire face aujourd’hui les professionnels des bibliothèques : l’éducation aux médias, la qualité de l’information, la requalification des espaces, la fracture numérique, la science ouverte, le développement durable… Les thématiques ne sont pas fermées, c’est leur angle d’approche et leur connexion avec notre environnement professionnel qui les rendent légitimes à être traitées dans le BBF.
Comment envisagez-vous l’avenir de la revue ?
La revue vient de prendre un tournant avec la dématérialisation des dossiers désormais complètement numériques, et une offre en ligne qui se veut plus réactive, axée sur l’actualité professionnelle. Ce n’est pour autant pas un abandon complet du support papier, puisqu’il est prévu de publier une fois par an un volume qui retracera l’Année des bibliothèques, avec une sélection d’articles, de rubriques et de faits marquants.
Aujourd’hui – avec le numérique – une revue professionnelle peut devenir un formidable espace d’expérimentation pour fédérer de la veille, prospecter, débattre, tester des projets et inventer d’autres formes éditoriales pour accompagner les évolutions rapides de nos environnements professionnels. Nous écrivons toujours selon les modalités du support papier, avec ses temps longs d’écriture et de lecture et cette écriture de fond doit pouvoir être préservée pour les contenus réflexifs, mais elle peut aussi coexister avec de nouveaux modes d’écriture plus réactifs et adaptés aux nouvelles façons de s’informer et de faire circuler l’information. Le numérique nous offre des potentialités pour inscrire le BBF de façon plus audacieuse et réactive dans son temps.
Notes
1 Boutet, Alexandre, Derrez, Annie, Feuchot, Nicole, Prémel, Benjamin, Saxcé, Agnès de, Le Bulletin des bibliothèques de France dans l’histoire des bibliothèques, Enssib, Juillet 2005, mémoire de recherche, <https://www.enssib.fr/bibliotheque-numerique/notices/1612-le-bulletin-des-bibliotheques-de-france-dans-l-histoire-des-bibliotheques>, p. 8.
Haut de pagePour citer cet article
Référence électronique
Bruno Chaudet, « Bulletin des bibliothèques de France », Revue française des sciences de l’information et de la communication [En ligne], 20 | 2020, mis en ligne le 01 septembre 2020, consulté le 22 janvier 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/rfsic/9928 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/rfsic.9928
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