Politiques de communication
Texte intégral
Stéphane Olivesi, vous êtes le responsable éditorial de la revue Politiques de communication. Pourriez-vous nous expliquer le contexte de création de cette revue ?
Je vais essayer de vous répondre en puisant dans mes souvenirs et en essayant de vous livrer autre chose qu’une suite d’éléments, sans véritable cohérence, qui forment autant de pièces d’un puzzle bien difficile à recomposer. Pour cela, on pourrait distinguer trois ordres de contexte : le contexte scientifique/disciplinaire des SHS, le contexte éditorial et, enfin, le contexte dans lequel l’acteur « Stéphane Olivesi » évoluait au moment de la création de la revue en 2012-2013 (même s’il est toujours difficile pour ne pas dire illusoire de prétendre parler de soi comme d’un acteur que l’on objective froidement avec la distance nécessaire).
Ces trois ordres de contexte dessinent l’arrière-fond de la création de la revue. À son origine, la revue s’est positionnée dans l’espace éditorial scientifique en occupant une place perçue comme « vacante » ou, en tout cas, inoccupée par des revues voisines (Réseaux, Questions de communication, Mots…). Le projet a ainsi fédéré des chercheurs évoluant principalement en SIC et en science politique autour d’une approche « politique/stratégique » de la communication mettant tout particulièrement l’accent sur les jeux de pouvoir, la domination sociale, les processus de légitimation de celle-ci. Ces chercheurs, au-delà de leur commun intérêt pour des objets identiques mais aussi de leurs différences de parcours, de génération, de discipline, avaient et ont toujours en commun deux choses : une sensibilité critique largement partagée (qui ne leur est évidemment pas propre) et une même volonté de mobiliser les outils théoriques (Foucault, Bourdieu, Elias, Becker…) et les méthodes d’enquête empiriques propres aux SHS afin de produire une connaissance la plus rigoureuse possible.
Je peux ajouter que la revue a permis à des chercheurs en SIC, plus sensibles que d’autres à des thèmes tels que la domination et le rôle de la communication dans la reproduction sociale, de rencontrer des chercheurs en science politique qui ne disposaient pas d’un espace éditorial accueillant leurs propres travaux sur la communication (communication publique et politique, mais aussi presse écrite et audiovisuelle, renouvellement des formes de militantisme et réseaux sociaux, etc.). Ce n’est là qu’un point de rencontre mais c’est un aspect important parce qu’au final, une revue, c’est avant tout un outil servant à dynamiser la production de connaissances, servant à faire se rencontrer et se confronter des producteurs de savoir, à leur donner envie de travailler ensemble sur des projets novateurs. D’ailleurs, la revue mobilise des travaux et sollicite des experts relevant d’autres disciplines : sociologie, sciences du langage, histoire… Je suis personnellement très attaché à éviter tout repli disciplinaire, voire infra-disciplinaire (en spécialité), même si dans le contexte francophone de la recherche, cela ne va pas sans soulever quelques difficultés. L’identité de la revue ne renvoie donc pas à un domaine spécialisé d’études qu’il s’agirait de jalousement surveiller comme un pré carré, mais à la volonté commune de traiter de la communication, sous toutes ses formes et dans toutes ses dimensions, sous l’angle des relations de pouvoir qui en constituent la trame et de la domination dont elle est un des principaux vecteurs.
Au risque de paraître vulgaire, je dois enfin ajouter un facteur d’ordre strictement conjoncturel. À mon arrivée à l’UVSQ en 2012, nous (c’est-à-dire Pascal Dauvin et Nicolas Kaciaf, très impliqués dans la gestion de dispositifs de formation initiale et de formation en apprentissage mais aussi Isabelle Charpentier et Yves Poirmeur) disposions de ressources financières permettant d’envisager le montage de projets de recherche en toute autonomie. Rapidement, les discussions avec mes collègues nous ont conduits à définir un projet de revue et à contacter d’autres enseignants-chercheurs un peu partout en France et à l’étranger, susceptibles de se retrouver dans ce projet et de participer à la définition du cadre éditorial qui est toujours celui de la revue.
Quels sont les objectifs de la revue ?
Parler « d’objectifs de la revue » comme d’un but ultime à atteindre paraît quelque peu impropre. Et le lecteur de Michel Crozier que je suis pourrait répondre à titre individuel, en tant qu’acteur, mais je ne suis pas certain de savoir moi-même ce que sont mes objectifs et ma stratégie… Quant aux objectifs de la revue et à sa stratégie en tant qu’acteur collectif et coopérative de chercheurs, cela me paraît être une énigme et je n’ai pas envie de dissiper cette énigme derrière une fiction mal ficelée. Pour répondre de manière rigoureuse à cette question, il faudrait en effet mener une vaste enquête : d’abord, auprès de chacun.e de celles et de ceux qui participent à la vie de la revue afin de comprendre leurs investissements, leurs attentes, leurs projets ; parallèlement, il faudrait développer quasiment une sociologie du champ éditorial dans les SHS ; enfin, il faudrait faire converger les deux approches pour cerner le positionnement stratégique de Politiques de communication. Mais je ne suis pas le mieux placé pour réaliser ce travail qui renverrait, pour moi, à des travaux déjà anciens dont je me suis à présent éloigné (je fais référence en particulier à Référence, déférence. Une sociologie de la citation publié en 2007 chez L’Harmattan).
Pour conclure sur ce point, je renverrai plus volontiers à une citation de Michel Foucault (et al.) qui relève en partie d’une boutade : « Travail : ce qui est susceptible d’introduire une différence significative dans le champ du savoir, au prix d’une certaine peine pour l’auteur et le lecteur, et avec l’éventuelle récompense d’un certain plaisir, c’est-à-dire d’un accès à une autre figure de la vérité ». Je crois et j’espère que mes collègues qui participent activement à la vie de la revue se retrouvent dans cette définition et partagent avec moi cette illusio nécessaire à l’investissement dans la production critique de savoir.
Quel est son fonctionnement éditorial ?
Le fonctionnement de la revue est relativement banal. Nous avons un comité de rédaction et deux conseils (conseil scientifique et conseil international). C’est le comité de rédaction qui fixe les orientations générales et gère tout ce qui concerne la vie de la revue. Les articles et les projets de dossiers sont toujours expertisés en double aveugle (deux experts pour les articles, cinq pour les projets de dossiers). Les experts sollicités émanent essentiellement du comité de rédaction et du conseil scientifique. Sur ce point, on n’a rien inventé. On s’est contenté de s’inspirer de ce qui se faisait par ailleurs.
Cela dit, on essaie d’éviter les travers de certaines revues qui gèrent de manière très artisanale les rapports aux auteurs. On s’engage, par exemple, à leur répondre de manière précise (en envoyant les rapports justifiant l’avis final) dans un délai maximal de deux mois. Les auteurs jugent peut-être « sévères » les avis exprimés dans certains rapports d’expertise mais ceux-ci ne sont jamais injustifiés et s’attachent à être constructifs, rigoureux et argumentés, y compris quand l’avis final est négatif.
On ne pratique pas de discrimination positive à l’égard des doctorants/docteurs mais on veille davantage à les accompagner. En amont, en tant que coordinateur, j’effectue toujours un contrôle rapide avant d’envoyer l’article en expertise afin d’éviter une issue négative prévisible. J’essaie, si possible, de donner quelques conseils formels visant à rendre l’article plus acceptable pour les experts de la revue (souvent, les doctorants/docteurs ne maîtrisent pas les règles d’écriture d’un article de recherche et reproduisent une rhétorique de thèse inadaptée). En aval, si l’article, notamment en raison des données qu’il contient, est jugé « intéressant », l’auteur peut être aidé dans la mise en forme de ses résultats. Et si l’article est refusé, cela doit aussi pouvoir aider l’auteur à corriger d’éventuels défauts ou insuffisances.
Quelles sont les principales thématiques de recherche que la revue développe ?
La revue accueille des projets portés par ses membres ou par des personnalités externes. Elle reste ouverte à toutes sortes de propositions et veille surtout à ce que celles-ci soient relativement innovantes. Évidemment, ces propositions doivent s’inscrire dans le périmètre scientifique de la revue et, surtout répondre à certaines exigences éditoriales : rigueur, production de données originales, dimension critique, etc.
Par le passé, nous avons ainsi traité de sujets très divers allant de la sociologie du journalisme à la représentation des salariés en entreprise, des « big data » aux relations médecins-patients, des « sound studies » aux ancrages sociaux de la réception, etc. À l’avenir, il est vraisemblable que l’on maintienne cet apparent éclectisme thématique.
Comment envisagez-vous l'avenir de la revue ?
Je ne me projette pas dans un lointain avenir. Après une longue période de grève et de mobilisation collective, après le douloureux épisode du confinement mondialisé, on va essayer de faire fonctionner la revue de manière régulière et de mener à bien chacun des projets éditoriaux en cours. Car chaque numéro est une aventure éditoriale, comportant beaucoup d’incertitude mais aussi de belles satisfactions comme le plaisir de contribuer à l’édition de textes que l’on trouve intéressants, éclairants, utiles.
Pour citer cet article
Référence électronique
Bruno Chaudet, « Politiques de communication », Revue française des sciences de l’information et de la communication [En ligne], 19 | 2020, mis en ligne le 01 mai 2020, consulté le 11 janvier 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/rfsic/9069 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/rfsic.9069
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