1Depuis une vingtaine d’années, l’industrie française de l’animation cinématographique connaît une véritable démocratisation, incarnant ce que Richard Neupert qualifie de Nouvelle Vague de l’animation française (Neupert, 2011). Le succès, critique et commercial, dépasse les frontières, les collaborations internationales se développent et les productions sont discutées au prisme de la politique des auteurs. Michel Ocelot, Sylvain Chomet ou encore Marjane Satrapi sont ainsi considérés dans la lignée des grands auteurs français d’animation du XXe siècle, tels Émile Cohl ou Paul Grimault. Si ce processus de légitimation a permis au public de l’animation cinématographique français de se diversifier et de s’agrandir, l’animation télévisuelle et sérielle française reste, à ce jour, encore pensée comme un medium propre à la culture enfantine (Brougère et François, 2018). Un phénomène qui s’explique par la démocratisation de la télévision dans les foyers des années 1950 et, en conséquence, l’émergence de la jeunesse comme nouveau public de l’image animée. Le cartoon cinématographique traditionnel de masse est à cette période repensé comme un programme télévisuel à destination des enfants (Mousseau, 1982) et, afin de limiter la censure, « la production standardisée et la bienséance [sont] désormais de rigueur, tout propos vulgaire ou acte immoral susceptible d’être reproduit dans la réalité [est] soigneusement écarté » (Cheval, 2014, p. 260). Par la suite, la multiplication des programmes et émissions télévisées d’animation pour enfants, depuis l’arrivée retentissante de l’animation japonaise à la télévision à la fin des années 1970, n’a pas seulement fermement installé ce nouveau public : on assiste à un foisonnement de discours portant sur l’animation télévisée (Pruvost-Delaspre, 2016).
- 1 Ségolène Royal, Le Ras-le-bol des bébés zappeurs, Paris, Robert Lafont, 1989.
- 2 Christine Baudry, « Sexe, idéologie, violence. Faut-il priver les enfants de télé ? », 50 millions (...)
- 3 Sylvie Kerviel, « Le film "Sausage Party" reste interdit aux moins de 12 ans », Le Monde, 14 décemb (...)
2Celle-ci est dans l’obligation d’éviter les représentations choquantes ou trop réalistes, au risque d’affronter une levée de boucliers systématique. Ainsi, Ségolène Royal publie en 1989 Le Ras-le-bol des bébés zappeurs1 ; dans le même temps 50 millions de consommateurs consacre un dossier entier dans son numéro de janvier 1991 à la question : « Faut-il interdire les enfants de télévision ?2 ». Ces discours se trouvent encore présents dans le paysage français contemporain. En 2016, deux associations proches de la Manif pour tous, Promouvoir et Action pour la dignité humaine, tentent de faire changer le visa d’exploitation du film d’animation américain Sausage Party, réalisé par Greg Tiernan et Conrad Vernon, pour l’interdire aux mineurs (sans succès), en raison de sa représentation animée d’une orgie de légumes dans sa séquence finale. Bien que Sausage Party ait conservé son visa d’exploitation et n’ait pas été considéré comme une œuvre pornographique par le tribunal administratif de Paris3, cet exemple a soulevé la question de la possibilité de l’existence d’une animation qui ne se destine pas à un public d’enfants, et qui par ailleurs pourrait également être qualifiée d’érotique ou de pornographique. Dans ces conditions, est-il possible, en France et en 2019, de produire et distribuer de manière pérenne et rentable des séries d’animation érotique et/ou pornographique ? Et, dès lors, que cela nous apprend-il sur le secteur de l’animation française dans son ensemble ? Afin de répondre à cette question, je retracerai ici l’histoire de la circulation de l’animation érotique et pornographique en France. S’en suivra une étude de cas, à savoir celle d’un objet audiovisuel récent et symptomatique des problèmes que rencontre cette industrie : la mini-série d’animation française Peepoodo and the Super Fuck Friends (2018) du studio d’animation français Bobbypills et réalisée par Balak, coproduite avec Bobbyprod.
3Peepoodo and the Super Fuck Friends est une série humoristique qui met en scène des animaux anthropomorphes dont les relations sexuelles sont explicitement représentées : celle-ci a d’abord été diffusée sur la plateforme mobile de vidéo à la demande Blackpills durant l’été 2018, avant que cette dernière n’interrompe définitivement son fonctionnement en 2019. Le choix d’une série d’animation comme étude de cas, plutôt que d’un court métrage ou d’un long métrage, permet de s’éloigner d’une production indépendante qui existe principalement dans des logiques de distribution alternatives (écoles, festivals, etc.) et qui est souvent réalisée en réaction à une industrie perçue comme standardisée et commerciale. Il s’agira donc de se demander ici si une industrie d’animation pornographique et érotique commerciale peut exister de nos jours dans le contexte français. Le premier objectif de cet article sera ainsi de donner une visibilité à l’histoire de la production et de la distribution française de films et de séries d’animation pornographiques et érotiques ; le second, d’apporter des pistes de réflexion concernant le futur de cette industrie sur le territoire français, et d’en dégager une problématique qui allie production, distribution et réception. En effet, il me semble nécessaire de mobiliser ces trois approches afin d’appréhender pleinement la possibilité d’une industrie de l’animation pornographique et érotique en France ou dans tout autre pays.
4La pornographie et l’érotisme ayant fait l’objet de définitions diverses (Nicolic, 2003), il est important de préciser le contour de ces termes tels qu’ils seront mobilisés dans cet article. Ici, est considéré comme érotique et pornographique ce qui suggère ou représente une activité sexuelle explicite, permise par la plasticité du corps et de l’image animée. Bien que dans la production en prise de vues réelles, l’érotisme et la pornographie tendent à se différencier par la représentation explicite et réaliste (associée à la seconde notion), Bastien Cheval souligne la complexité de définir l’animation pornographique simplement par sa représentation du corps humain (comme l’illustre au passage l’exemple évoqué ci-dessus du film Sausage Party) :
[L]’approche réaliste du corps ne suffit pas à elle seule à restituer la sexualité en raison de l’absence d’incarnation ; sans parler du fait que les budgets alloués pour ce type de production de niche, inférieurs à l’accoutumée, ne permettent pas d’obtenir un résultat visuellement séduisant. (Cheval, p. 272)
- 4 Loi de finances pour 1976 du 30 décembre 1975.
5Ainsi, ma définition ne se limite pas à l’unique logique d’intention de la part des créateurs de réaliser formellement un spectacle pornographique. Est ici également considéré comme pornographique ce qui est qualifié comme tel par son public, mais ce qui l’est aussi légalement selon le classement des œuvres cinématographiques et audiovisuelles. En France, la pornographie cinématographique est appréhendée depuis 1975 comme devant faire l’objet d’un « classement X », ce qui implique une sortie des circuits d’exploitation traditionnels du cinéma en salles pour les films qui tombent sous la coupe de ce classement. Les productions audiovisuelles à caractère pornographique ne peuvent par ailleurs pas recevoir d’aide à la production, tout comme les salles qui les diffusent ne sont de ce fait plus éligibles aux dispositifs de soutien financier4. Il apparaît que la « pornographie » est ainsi pensée à la fois comme une catégorie de productions culturelles et comme une catégorie de régulation des représentations de la sexualité (Hunt, 1993).
6Bien que le travail de Bruno Edera dans les années 1970 et 1980 reste à souligner, ainsi que la thèse de doctorat de Bastien Cheval, soutenue en 2014, intitulée Le cinéma d’animation et l’interrogation du réel qui aborde ces questions, l’animation pornographique et érotique reste un sujet historiquement peu traité en France par les milieux critique et académique. Certes, il est difficile d’identifier la totalité de la production circulant dans des circuits souterrains – ne serait-ce qu’en raison de la problématique de l’accès aux sources pour identifier ces films. Aussi je me focaliserai ici sur des œuvres ayant bénéficié d’une certaine exposition, afin de dresser un portrait de l’histoire commerciale de l’animation pornographique et érotique en France, portrait qui ne se veut pas exhaustif mais autant que possible représentatif de l’industrie.
- 5 Je remercie Marie-Josée Saint-Pierre de m’avoir transmis son archive personnelle du numéro de 1976 (...)
- 6 Kyrou propose une retranscription de l’arrêt prononcé par John M. Woolsey, juge suprême de la Cour (...)
7Dans deux articles, l’un en 1976 dans Fantasmagorie et l’autre en 1980 dans La Revue du cinéma. Image et son, outre un long travail de documentation sur la production mondiale d’animation pornographique et érotique, Bruno Edera évoque la rédaction en cours d’un ouvrage dédié au sujet, mais qui ne semble jamais avoir vu le jour5. Une dizaine d’années plus tôt, dans Amour, érotisme et cinéma, le théoricien du cinéma Ado Kyrou consacrait un bref chapitre aux dessins animés et revenait sur « l’interdit assassin » que représentait le personnage de Betty Boop de Max Fleischer dans les années 1930, dont la représentation jugée trop suggestive fut censurée par le code Hays (Kyrou, 1967, p. 271). Déjà, l’animation semblait dotée d’un pouvoir de provocation érotique qui ne pouvait qu’être légalement régulé6. Kyrou fait ensuite état des films d’animation français de l’époque qui sollicitaient selon lui un imaginaire érotique, plus spécifiquement : Une nuit sur le mont chauve (1933) réalisé par le Russe Alexandre Alexeiff et l’Américaine Claire Parker, La Joie de vivre (1934) de l’Américain Hector Hoppin et du Britannique Anthony Gross, Épouvantail (1943) de Paul Grimault, Le Petit soldat (1947) et La Bergère et le ramoneur (1952) également de Paul Grimault et Jacques Prévert. Si ces films se situent plus du côté d’un érotisme suggéré que de la pornographie, ils témoignent de fait de l’instabilité de la définition du spectacle pornographique selon les époques. Dans le texte « Eros. Image par image » paru en 1980 dans La Revue du cinéma, Edera mentionne une production plus ancienne encore de courts métrages pornographiques destinés aux maisons closes produits dès les années 1920, et plus particulièrement le film Eveready Harton in Buried Treasure (1928 ?).
- 7 J. S., « “Anthologie du plaisir” d’Alex Renzy », Le Monde, 3 mai 1975.
- 8 « Dès les années vingt, on trouve des films d’animation pornographiques destinés aux maisons closes (...)
8Ce film a été réalisé anonymement, même si George Stallings, George Cannate, Rudy Zamora et Walter Lantz font partie des réalisateurs présumés (Cohen, 1997, p. 12). Il est considéré comme le premier film d’animation pornographique conçu comme tel au monde (Cheval, p. 256), et a été diffusé pour la première fois à Paris en 1975 lors de la projection du film américain Anthologie du plaisir d’Alex de Renzy (1970). Le film, qui consiste en une rétrospective historique de la production cinématographique pornographique de l’époque, a pu alors bénéficier d’un visa d’exploitation commerciale. Le 3 mai 1975, un article du journal Le Monde7 critique cette intrusion de la cinéphilie intellectuelle dans le spectacle pornographique, affirmant que cette « frontière pseudo-culturelle entre le spectacle sexuel et le spectateur [prive] pratiquement les plans les plus précis de leur incitation émotionnelle ». L’article rappelle également que Eveready Harton in Buried Treasure ne pouvait qu’inciter au rire puisqu’il s’agissait d’un dessin animé : « Et l’on ne peut que rire d’un dessin animé de 1930 où la pornographie tourne à la parodie ». Cet article témoigne du rejet latent, déjà présent alors, aussi bien de la pornographie comme production dont la place n’est pas dans les salles d’arts et d’essai que de l’animation pornographique et érotique comme objet pornographique légitime. Toutefois, Edera considère que ces apparitions de l’animation pornographique dans les cinémas spécialisés sont beaucoup plus anecdotiques que la vente de vidéos en format réduit et pour usage privé dans les sex-shops et autres magasins spécialisés (Edera, 1980, p. 95)8.
- 9 Steve Rose, « Who flamed Roger Rabbit? », The Guardian, 11 août 2006.
9Trois ans avant la première diffusion française d’Eveready Harton in Buried Treasure, la sortie sur les écrans français en 1972 du film d’animation indépendant Fritz le chat réalisé par Ralph Bakshi a déjà participé à une première forme de démocratisation de l’animation érotique et pour adulte sur grand écran. Mettant en scène un chat anthropomorphe et hédoniste dans une satire de l’Amérique des années 1960, le film est considéré pornographique en raison de scènes de sexe explicites. Par conséquent, la distribution et la promotion du film restent limitées autant aux États-Unis qu’en France (Cohen, 1997, p. 83). Malgré cela, le film rapporte quelques 100 millions de dollars de recettes à ses producteurs. En 2006, Bakshi revient sur la catégorisation pornographique du film qui a été, selon lui, injustifiée9. Après sa sortie cinématographique française, le film est diffusé sur la chaîne câblée Canal+ en 1992, ainsi qu’à de nombreuses reprises sur Arte (en 1996, 1997, 2010 et 2011), consolidant ainsi son statut de film d’auteur bien plus que son appartenance au cinéma pornographique. Il bénéficie de ce que Ruwen Ogien qualifie d’une exigence de « qualité littéraire » pour les œuvres à contenu sexuellement explicite, qui permet à certaines d’éviter les sanctions légales (Ogien, 2006, p. 101). Ainsi, de nombreux longs métrages en prise de vues réelles échappent au fil des années à la catégorisation pornographique du système de classification français, malgré leur représentation explicite d’actes sexuels – on peut citer Baise-moi (2000) de Virginie Despentes, Nymphomaniac (2013) de Lars von Trier ou encore Love (2015) de Gaspard Noé.
- 10 Les données sur la production et distribution des œuvres La Honte de la jungle, Le Parfum de l’Invi (...)
10Le dessinateur et animateur belge Picha a aussi grandement contribué à la démocratisation dans les années 1970 du cinéma d’animation érotique et pour adulte au sein de la francophonie. Il réalise en 1975 en collaboration avec Boris Szulzinger La Honte de la jungle, une parodie pornographique du mythe de Tarzan produite par SND et Valisa Films10. Le succès du film, qui rassemble plus d’un million de spectateurs sur le territoire français, est certainement alimenté par le contexte de l’époque. En effet, sur les 501 longs métrages diffusés au cinéma en 1974 en France, 128 d’entre eux sont classés « érotiques », constituant 16 % des entrées totales dans les salles (Ousselin, 2011). Le cinéma pornographique est alors à son apogée, encouragé par un relâchement de la censure suivant l’élection de Valéry Giscard d’Estaing la même année. Le développement brutal d’une culture de masse pornographique voit une résistance idéologique se mettre en place : autorités religieuses et politiques (tant de droite que de gauche), professionnels du cinéma « traditionnel », presse, certains mouvements féministes, etc. Il s’agissait d’endiguer ce déferlement d’images, mais sans pour autant le censurer. La loi du 30 décembre 1975 (la loi « X ») instaura alors une séparation entre le cinéma dit traditionnel et les films pornographiques et ultra-violents, leur attribuant alors un réseau de salles spécialisées, leur interdisant la publicité et taxant 20 % des bénéfices des films en plus de la TVA au taux majoré. La production cinématographique s’effondrera après l’instauration de cette loi. En 1977, les désormais salles « X » ne font plus que 5 % des entrées en France, pour environ huit millions de spectateurs annuels (Ousselin, 151).
- 11 Compte tenu de l’inflation, ce budget équivaut à environ 40 millions d’euros au 4 janvier 2020. Sou (...)
- 12 Renaud Callebaud, « Que sont-ils devenus ? Picha, l’homme-cartoon », Le Soir, 3 juillet 1999.
11Picha réalise ensuite en 1987 Le Big Bang, film d’animation pornographique de science-fiction produit par Stout Studio, Zwanz et Comedia, qui ne fait, lui, que 100 000 entrées françaises pour un budget de 150 millions de francs11. Dans une interview de 1999, Picha justifie cet échec par l’évolution des mentalités qui s’est déroulée entre 1975 et 1987 : « Côté mœurs, ce n’était plus l’époque de Tarzoon. Le sida faisait ses premières victimes et tout ce qui touchait au cul était évacué »12. La Honte de la jungle reste le seul film d’animation à avoir été juridiquement qualifié de pornographique, mais la décennie suivante n’en est pas vide pour autant. En 1997, le studio Provision adapte Le Parfum de l’Invisible, bande-dessinée pornographique italienne de Milo Manara publiée en 1986, que Canal+ diffuse pour la première fois le 7 février 1998. La chaîne câblée a déjà diffusé en 1995 Les Sales Blagues de l’Écho, suite de programmes courts de deux minutes, adaptée de la bande-dessinée humoristique de Philippe Vuillemin publiée dans le magazine L’Écho des Savanes, et produit par Rooster Studio, Canal+, Merjithur et PMMP, la série animée mettant en scène de nombreux actes sexuels explicites.
- 13 Il est connu dans la communauté d’anime française que lors de la première distribution vidéo du hen (...)
12Si, à partir des années 2000, faute de réels succès commerciaux, il est difficile de parler de l’existence d’une industrie de l’animation pornographique et érotique française, il ne faut pas occulter la diffusion massive de l’animation pornographique et érotique japonaise (appelée hentai) sur ce territoire depuis la deuxième partie des années 1990, ainsi que ses conséquences. En effet, dès 1994, la maison d’édition de mangas et de supports vidéo Kazé publie progressivement dans des versions doublées en français le contenu de son catalogue « EVA » (Erotic Video Animation). Jusqu’en 2010, le rythme de distribution est mensuel, faisant de Kazé un acteur important de la distribution légale d’animation japonaise pornographique en France. Les chaînes câblées spécialisées dans le cinéma – qui, rappelons-le, font l’objet d’obligations spécifiques d’investissement dans la production cinématographique – ayant l’autorisation de diffuser des films X ou interdits aux moins de 18 ans après 22h, en deviennent une autre vitrine. Paris Première programme par exemple le 29 mai 2002 la première édition de son émission spécialisée dans la pornographie animée japonaise, Nuit nippone, nuit friponne. Cette décision qui suit les premiers succès commerciaux du hentai illustre la prise de conscience qu’il existe en France un public pour l’animation pornographique. En 2004, la chaîne câblée XXL, spécialisée dans la diffusion de films pornographiques, programme une soirée spéciale hentai et diffuse notamment La Fille du 20 heures (2001) et Bible Black (2001) à partir de minuit. Bible Black est rediffusée sur la chaîne câblée MCM à partir de 22 h 20 pendant l’émission Les Mangas sexy de Katsuni, animée par l’ex-actrice pornographique Céline Tran, qui propose des hentai interdits aux moins de 16 ans. En 2011, le Conseil supérieur de l’audiovisuel note que malgré la présence d’un pictogramme « - 16 », la chaîne omet de faire figurer la mention « déconseillé aux moins de 16 ans » pendant le programme. De plus, le CSA ne considère pas Bible Black comme un dessin animé érotique, mais bel et bien comme un film pornographique présentant des relations sexuelles explicites, ainsi que des scènes de grande violence. Cette catégorisation démontre l’instauration progressive de la pornographie animée japonaise comme objet pornographique dans la perception française13, et donc également l’animation comme véritable vecteur pornographique. Dans son journal officiel du 21 mars, le CSA dénonce des épisodes constitués
- 14 « Programmes sous-classifiés : MCM mise en demeure », CSA, 21 mars 2011, [en ligne], URL : https:// (...)
[d’]une succession de sévices sexuels, notamment de viols de jeunes filles droguées, et de relations sexuelles très crues et obscènes qui, par les images, le langage utilisé et le fait que l’action se situe dans un lycée, sont susceptibles de perturber gravement les repères du public adolescent.14
13La pénalisation de Bible Black relève un cas particulier. Étant à l’origine de sa production une série d’OVA (Original Video Animation, une production d’animation japonaise destinée uniquement à l’exploitation sur support vidéo), il ne s’agit pas d’une œuvre cinématographique conçue pour être diffusée dans les salles de cinéma et donc nécessitant l’obtention d’un visa d’exploitation et le passage devant la Commission de contrôle du CNC. C’est dans ce cas de figure au CSA de déterminer la classification à adopter, et donc s’il s’agit ou non d’un programme érotique, pornographique ou représentant une grande violence. La décision est ainsi laissée à une assemblée d’individus, avec la possible entrée en scène d’« entrepreneurs de morale » (Becker, 1963) que cela peut impliquer. En effet, Becker a démontré que les normes régissant officieusement ou officiellement les sociétés sont souvent davantage instaurées par les « entrepreneurs de morale » (un terme d’autant plus adéquat dans l’étude de la pornographie) que par un large consensus autour de valeurs partagées. En ce sens, la qualification de déviance à partir desdites normes dépend du jugement porté sur cette transgression par ces individus et du pouvoir dont ils disposent. Ainsi, l’assemblée du CSA qui a décidé de la catégorisation pornographique de Bible Black a fait ce choix en ayant peut-être elle-même des réserves sur les raisons d’une diffusion d’animation pornographique, comme l’indique sa remarque sur le supposé « public adolescent » de ce programme, un public qui ne devrait donc pas être exposé à un spectacle pornographique.
14Il n’est alors pas étonnant que la pornographie se soit peu à peu éloignée de la télévision pour se déporter presque entièrement vers un autre médium à la distribution bien moins régulée : Internet. De fait, depuis le milieu des années 2000, la consommation pornographique est en France majoritairement numérique, domestique, individuelle, et illégale, c’est-à-dire consommée sans s’acquitter de frais de visionnage (Delaporte, 2016). De son côté, la production de longs-métrages d’animation française pour adulte prend plutôt la direction des écrans de cinéma grâce à sa légitimation auprès des distributeurs et du public, laissant de côté son aspect érotique afin de ne pas risquer son existence en salle face à des visas d’exploitation limitant la distribution d’une production déjà coûteuse
15L’animation sérielle pour adultes trouve plutôt sa place sur le web ou les chaînes câblées, comme la chaîne américaine Adult Swim par exemple, et s’inscrit donc dans le cadre d’une distribution plus alternative. En France, Adult Swim est diffusée comme un programme sur la chaîne câblée Toonami entre 23h et 2h du matin, et est disponible en vidéo à la demande sur la plateforme de distribution de chaînes télévisées sur Internet, Molotov. Netflix s’est également positionné comme un acteur important de la diffusion d’animation pour jeunes adultes et adultes en France, en acquérant les droits de diffusion de séries internationales, mais aussi en proposant son propre contenu tel que BoJack Horseman (2014-) de Raphael Bob-Waksberg ou encore Big Mouth (2017-) créée par Nick Kroll, Andrew Goldberg, Mark Levin et Jennifer Flackett. Mais ces chaînes et plateformes ne se risquant pas à une diffusion pornographique, les possibilités de diffusion pour une animation pornographique ou érotique sont restreintes, et ce même auprès des diffuseurs d’animation pour adultes.
16En conséquence, la possibilité d’existence d’une industrie de l’animation pornographique en France semble compromise par une absence de financement de la production et par une absence de plateformes de distribution légale. Pour autant, l’exemple de Peepoodo and the Super Fuck Friends démontre que l’animation pornographique et érotique française peut rencontrer un succès public, cependant qu’on la laisse exister.
- 15 N’étant tous deux, de leur côté, pas pornographiques, Vermin et Crisis Jung ont été achetés par Net (...)
17Annoncé en 2017 et développé par le studio d’animation Bobbypills, Peepoodo and the Super Fuck Friends (que nous abrégerons ensuite en Peepoodo) réalisée par Balak, fait partie du catalogue de contenus d’une plateforme de vidéo à la demande pour mobiles, Blackpills. Fondée par Daniel Marhely et Patrick Holzman, cette dernière affiche un public-cible d’adultes. Lors de sa création par David Alric, le studio d’animation Bobbypills n’est d’ailleurs censé produire de contenus que pour Blackpills : Peepoodo fait partie des trois mini-séries d’animation commandées par la plateforme, avec Vermin d’Alexis Beaumont et Crisis Jung de Jérémie Périn15. La première saison de 18 épisodes de Peepoodo connaît un succès international et les créateurs de la série revendiquent 7 millions de vues cumulées sur leur site internet. Un tel succès s’explique alors non seulement par la popularité du studio Bobbypills et de ses réalisateurs (à qui l’on doit donc Les Kassos, ainsi que l’adaptation de la bande dessinée Lastman réalisée par Jérémie Périn), mais également par les codes visuels et narratifs mobilisés par Peepoodo.
18Peepoodo a pour particularité d’être à la fois produite comme une parodie pornographique de programmes d’animation télévisuelle pour enfants – de la même manière que Les Kassos, série produite par Bobbyprod de 2013 à 2015, se rapproprie des personnages d’animation populaires auprès des jeunes enfants en les parodiant alors qu’ils doivent se rendre devant une assistante sociale –, et de s’inspirer des codes visuels de l’animation pornographique et non-pornographique télévisuelle japonaise. L’animation 2D, utilisée afin de représenter des personnages anthropomorphes aux couleurs pastel, ainsi que la structure narrative, jouent donc sur les tropes télévisuels – narratifs et visuels – des programmes d’animation pour enfants : dans chaque épisode d’en moyenne 4 minutes de la saison 1, Peepoodo, petit hamster rose et héros de la série, est confronté à un problème ou à une énigme qu’il tente de résoudre avec l’aide de ses amis les animaux « de la forêt » (même si se trouvent inclus un éléphant et un taureau). Le retour de ce schéma est encouragé par l’industrialisation des productions, télévisées, avec des formules reproduites de série en série (Pasquier, 1995). Cet aspect sériel permet aussi d’instaurer ce que Stéphane Benassi qualifie de sérialité matricielle (Benassi 2016), c’est-à-dire ce qui composent les aspects supposément invariants d’une œuvre plurielle : par exemple l’histoire, ou encore les images et les sons. Dans le cas de Peepoodo, les personnages principaux – Peepoodo lui-même, Grocosto, Kévin/Evelyne et le Docteur Monique Lachatte – apparaissent dans presque chaque épisode, l’histoire prend toujours place dans la Forêt Jolie, et l’aspect visuel de la série reste cohérent.
19Le récit prend donc la forme d’une matrice s’étendant à l’infini autour d’invariables. Le spectateur est conscient que chaque problème auquel les héros sont confrontés trouvera une résolution dans le laps de temps d’un épisode de cinq minutes. L’attention du spectateur est donc sollicitée lorsque le récit défie ce modèle auquel il a été habitué, comme lors du dernier épisode de la saison 1 se finissant par la destruction de l’univers par Peepoodo. Mais l’existence de cette matrice peut également instaurer un horizon d’attente (Jauss 1978) pour le spectateur, et ce avant même que ce dernier n’ait vu l’œuvre en question. C’est donc la singularité narrative de Peepoodo – l’aspect sexuellement explicite des aventures vécues par les personnages (problèmes d’érection, addiction aux jeux vidéo pornographiques, etc.) –, qui remet en question la supposée connaissance du spectateur de dessin animé sériel pour enfants, comme l’avait fait auparavant la série animée américaine Happy Tree Friends (1999-) de Kenn Navarro, Aubrey Ankrum et Rhode Montijo en mettant en scène des personnages à l’esthétique mignonne et une violence extrême, et ce dans un format court similaire.
- 16 Par exemple, la série d’animation Lastman (2016) réalisée par Jérémie Perin et produite par Everybo (...)
20Les épisodes sont donc ponctués par les interventions du Docteur Monique Lachatte, félin anthropomorphe érotisé et au patronyme évocateur, qui aide les personnages à résoudre leur problème de façon ludique, par le biais d’une leçon d’éducation sexuelle. La reprise de l’anthropomorphisme animalier propre à l’animation traditionnelle depuis les premiers cartoons a permis à la série d’une part de se distancier de la pornographie en prise de vue réelles et d’autre part d’éviter une exigence de réalisme impossible dans le cas de la sexualité animée, ce que souligne bien Bastien Cheval dans son travail de doctorat (2014). Peepoodo and the Super Fuck Friends se doit également d’être pensé comme un objet trans-acculturel (Pellitteri, 2010), c’est-à-dire une production d’animation française mobilisant des codes visuels japonais – grands yeux, personnages kawaii (mignons), furry, corps disproportionné – et bénéficiant alors des prédispositions du public pour une telle esthétique16. Rappelée précédemment, la forte présence sur le territoire français de pornographie japonaise animée depuis la deuxième partie des années 1990 incite à penser Peepoodo comme une œuvre s’inscrivant dans la directe lignée de cet héritage audiovisuel. Donc, en tant que produit culturel, Peepoodo, démontre l’importance de penser l’industrie de la pornographie animée française contemporaine comme une industrie qui résulte de politiques culturelles transnationales, de sorte que cette dernière soit bien consommée et reçue comme telle par son public. Si l’animation pornographique japonaise n’avait pas été massivement importée en France, s’insérant peu à peu dans les codes pornographiques français, Peepoodo and the Super Fuck Friends n’aurait probablement pas rencontré le même succès sur ce territoire.
- 17 Élodie Carcolse, « Dossier : l’animation ce n’est pas que pour les enfants, l’exemple de Blackpills (...)
- 18 Marina Alcaraz et Nicolas Madelaine, « L'application de vidéos pour mobile Blackpills arrêtée », Le (...)
- 19 Le 12 septembre 2018, le compte Twitter officiel de Bobbypills poste « FUCK IT ! WE'RE DROPPING PEE (...)
21Ce parti pris esthétique a été rendu notamment possible par la position des producteurs de la série, qui officient également comme distributeurs. En effet, le studio a ainsi bénéficié d’une carte blanche afin de réaliser la première saison, une situation rare dans l’industrie de l’animation commerciale française, « une liberté artistique et une grande liberté de ton17 » comme l’explique David Alric dans une interview de 2018. Cette situation est si inédite que son évolution n’a pas été anticipée, et lors de la fermeture du service de vidéo à la demande qui l’hébergeait jusqu’en avril 2019 (Blackpills a en effet décidé de se concentrer sur la production de contenus pour des tiers, plutôt que sur la diffusion18), Peepoodo and the Super Fuck Friends s’est retrouvée non seulement sans distributeur mais également sans coproducteur. Le 12 décembre 2019, Bobbypills lance justement une campagne de financement participatif afin de produire la deuxième saison de la série avec l’aide des spectateurs, en espérant rassembler un budget de 290 000 euros devant couvrir au minimum la fabrication de cinq épisodes. Déjà le 12 septembre 2018, après la diffusion estivale de Peepoodo and the Super Fuck Friends, Bobbypills et Blackpills ont mis à disposition l’entièreté de la série, sous-titrée en plusieurs langues, sur la plateforme de partage de vidéos Youtube, et ce malgré la présence de scènes pornographiques et de nudité (un contenu interdit par les règles de diffusion de la plateforme) : s’ensuit alors une incitation sur le compte Twitter du studio d’animation à aller voir la série avant qu’elle ne soit retirée de la plateforme par les modérateurs pour effraction des conditions d’utilisations19.
22Après ce retrait définitif le 10 octobre 2018, Bobbypills crée une archive accessible à tous, composée des commentaires Youtube rédigés en réaction aux vidéos20. Le 16 octobre 2018, soit six jours plus tard, le site web peepoodo.com est mis en ligne, permettant de visionner les dix-huit épisodes de la série gratuitement après création d’un compte associé à un numéro de téléphone français (le consommateur acceptant ainsi les conditions d’utilisation de Blackpills). Après l’annonce de l’arrêt de la plateforme Blackpills, la série est mise en ligne le 2 mai 2019 sur son propre site interdit aux mineurs21, et ce sans inscription nécessaire au visionnage. Dans une interview en novembre 2019, Balak explique ce choix de distribution :
- 22 Flavien Appavou, « Faire de l’animation pour adulte : c’est faire du punk rock. Entretien avec Bala (...)
Peepoodo, on le diffuse nous-même puisque là, ça y est, on a compris au bout d’un moment que c’était indiffusable n’importe où. […] Avec Peepoodo, c’est très simple, c’est juste parce qu’il y a des bites que l’on peut le mettre nulle part. C’est pour ça que je suis très énervé en général contre l’animation dite adulte américaine puisqu’on est vraiment dans ce qu’est l’Amérique, c’est-à-dire (et j’adore South Park), pour que ce soit adulte, il faut que ce soit moche et il faut qu’il n’y ait surtout pas de zizis. Et on peut dire des trucs crados [sic] mais ne jamais les montrer. On peut aller dans la violence, mais jamais dans le sexe. Ça, c’est une constante.22
23Le cas de Peepoodo and the Super Fuck Friends démontre la difficulté, non seulement à parvenir à faire financer la production d’un projet d’animation pornographique dans le paysage audiovisuel français, mais également le défi à simplement parvenir à le distribuer sur des plateformes vidéo. Ainsi, un contenu devient extrêmement difficile à diffuser s’il franchit la limite de la représentation sexuelle explicite, ce qui implique une distribution limitée en termes de rentabilité. Il s’avère alors complexe de trouver une plateforme d’hébergement et parfois nécessaire de devenir soi-même acteur de la distribution, par exemple par la mise en place d’un financement participatif et la création de sa propre plateforme de diffusion, avec toutes les limites économiques que de tels choix impliquent.
- 23 Décret n° 90-174 du 23 février 1990.
- 24 Décision du Conseil d’État, 30 juin 2000.
- 25 Décret n° 2001-618 du 12 juillet 2001.
24Contrairement à d’autres productions d’animation françaises, l’animation pornographique et érotique ne semble pouvoir exister que si sa production et sa distribution sont, dès le départ, intrinsèquement liées, lui garantissant alors une plateforme de diffusion. La question de la distribution du spectacle pornographique ne peut en effet se défaire de la question économique. En France, le 23 février 1990 est établie la classification des films classés « X » par la commission du classement des œuvres cinématographiques rattachée au Ministère de la culture. Ainsi, la Commission de contrôle devient la Commission de classification des œuvres cinématographiques. La Commission, chargée d’attribuer le visa d’exploitation des films, distingue alors cinq mentions : « autorisation tout public avec avertissement », « interdit aux moins de 12 ans », « interdit aux moins de 16 ans », « classé X » et interdiction totale de l’œuvre23. Les œuvres pornographiques sont également redéfinies comme : « des films sans ambition artistique proclamée, calibrés et pensés comme des produits X ; toute présence de velléités scénaristiques ou esthétiques hors de ce canon fait du film une œuvre « normale », c’est-à-dire non-X. » (Jullier, 2008). En 2001, le scandale du film Baise-moi de Virginie Despentes et Coralie Trinh Thi amène à la création d’une nouvelle catégorie : « interdiction aux mineurs de moins de 18 ans » (Simonin, 2015). En effet, à sa sortie le 28 juin 2000, le film provoque une levée de boucliers de la part d’entrepreneurs de la morale, notamment l’association Promouvoir (qui s’était également manifestée lors de la sortie de Sausage Party). Le président de l’association, André Bonnet, dépose une requête au Conseil d’État afin de contester le visa « interdit aux moins de 16 ans » attribué au film. Le 30 juin 2000, le Conseil d’État juge que les scènes de sexe non simulées et celles de grande violence oblige le film à être classé « X »24, faute de ne pouvoir seulement l’interdire aux mineurs. Le vise d’exploitation est alors annulé et il est demandé aux exploitants de cesser sa diffusion. La mobilisation politique en résultant, associant cette action à la mise en place d’une censure orchestrée par l’État et l’extrême-droite, amène Catherine Tasca, alors Ministre de la Culture, à proposer le 5 juillet 2000 le retour de l’interdiction de projection aux mineurs sans classement « X », qui avait été supprimé avec le décret de 1990. Le nouveau décret est signé le 12 juillet 200125.
- 26 Communiqué de la production et des réalisateurs, « Histoire de Sexe(s) », 6 octobre 2009 : « Histoi (...)
25Pour Ovidie et Jack Tyler, les coréalisateurs d’Histoires de sexe(s) (2009), premier film à avoir été classé véritablement « X » de la part du Centre national du cinéma et de l’image animée depuis 1996, ce « ixage » (Servois, 2009) a pour vocation, pour les paraphraser, de « ghettoïser » le cinéma pornographique, en l’empêchant de sortir de la marginalité que les institutions lui imposent26. Selon eux, il s’agit d’une censure de fait due à des restrictions économiques : la distribution du film est limitée et sa rentabilité économique en souffre grandement. De la même façon, limiter la distribution de l’animation pornographique revient non seulement à potentiellement réduire son impact économique, mais aussi, à peut-être créer des obstacles au niveau de sa production : comment justifier la production coûteuse d’une série d’animation dans l’impossibilité récurrente de trouver un diffuseur ? Les défenseurs de Peepoodo and the Super Fuck Friends peuvent argumenter qu’il ne s’agit pas ici d’un objet pornographique car il présente une absence de volonté masturbatoire et donc ne devrait pas considérer comme tel par les distributeurs. Pour autant, comme nous avons expliqué en introduction, la pornographie se construit par ses auteurs, son public, mais également sa législation. Peepoodo reste légalement catégorisée comme pornographique car la série montre des scènes de sexes explicites, et ce peu importe leur vocation. La série est malgré elle symptomatique du traitement réservé à la représentation de la sexualité animée en France.
26En 1980, dans son article « Eros. Image par image », Bruno Edera argumentait qu’il fallait garder un œil sur la télévision, alors en plein processus de libéralisation, comme potentielle nouvelle plateforme pour l’animation pornographique (Edera, 1980, p. 94). Depuis la fin des années 1990 cependant, c’est Internet qui est la plateforme de prédilection d’une grande majorité de la pornographie occidentale (Nikunen, Saarenmaa, Paasonen, 2007). Cependant, les sites d’hébergement de vidéos à contenu pornographique dits tubes (tels que Pornhub, Youporn, Brazzers, etc.) ne peuvent suffire à rentabiliser la diffusion d’une production d’animation pornographique, en raison de leur modèle économique de consommation sans abonnement obligatoire. Il en résulte donc un effacement de contenus longs ou sériels d’animation, au profit de formats gratuits de quelques minutes en animation 2D et limitée ou de détournements pornographiques de machinima, ces vidéos faites à partir d’images (souvent de synthèses) de jeux vidéo, comme l’indique une recherche dans les tags « animation » de ces tubes. Ces contenus, sans identité commune, dévoilent l’existence d’une distribution d’animation pornographique internationale pour adulte, mais ayant lieu en dehors des réseaux d’animation traditionnelle. En voulant faire exister légalement Peepoodo, ces créateurs démontrent une volonté de création d’une industrie pornographique française.
- 27 La campagne continue sur le site de série, via Paypal, jusqu’au 28 février 2020 et 20 200 euros se (...)
27Pour revenir sur l’interrogation sur les conditions d’existence d’une animation pornographique en France posée en introduction, il ressort de cet article non seulement la difficulté constante à faire exister ce type de production, mais également le peu de succès commerciaux que cette dernière a historiquement rencontré. Pourtant, les chiffres d’audience de Peepoodo, ainsi que le succès de sa campagne de financement participatif aujourd’hui finie (416 000 euros engagés sur les 290 000 euros demandés pour réaliser au moins 5 nouveaux épisodes27), viennent déjà contredire l’affirmation selon laquelle l’animation ne se destinerait par essence qu’à un public d’enfants. Le rejet que subissent les productions de la part des distributeurs s’inscrit par conséquent dans un schéma plus large de rejet de la pornographie animée et de l’animation pour adultes. L’exemple de Peepoodo rappelle aussi que le choix du financement participatif n’est sans doute efficace que sur une courte durée et qu’il est loin d’être une solution généralisable : il reste un moyen de financement incertain car dépendant de la bonne volonté des spectateurs, et peu viable car limitant une rentabilité économique de long terme qui garantirait l’existence de futurs projets. Ainsi, une industrie pornographique et érotique de l’animation française ne pourra pleinement exister que lorsqu’elle aura trouvé un moyen de surmonter conjointement sa marginalisation économique, juridique et morale.
28Pour autant, la tâche ne semble pas impossible et sa résolution est peut-être à trouver dans la distribution de catalogue de hentai sur des sites français de streaming d’animation japonaise. En effet, après les années 2010, la pornographie japonaise animée a continué à exister dans le paysage audiovisuel français, mais à travers une distribution en dehors des circuits de vidéo ou de télévision et, surtout, en dehors de la légalité. Au sein de la communauté des fans d’anime sur Internet, au-delà du Japon, certains ont proposé des traductions pirates de catalogues de hentai (Josephy-Hernandez, 2017). Ces traductions, aussi appelées fansub (pour fan et subtitles) prennent la forme de vidéos sous-titrées par des amateurs et mises en ligne illégalement. Cette consommation ne passe alors plus par des sites estampillés « pornographiques », mais par des sites de streaming d’anime traditionnels, certains légaux, d’autres non. La plupart de ces sites pirates parviennent à exister car ils ne servent en réalité que de plateformes de redirection et n’hébergent matériellement aucune vidéo. Les autres officient comme des plateformes de vidéo à la demande, avec abonnement. Ces sites, qui proposent du contenu en version originale sous-titrée ou en version française, comportent soit une section ecchi (érotique) parmi les genres disponibles (c’est le cas de Neko San, Otaku Attitude, Anime-vf, Manga-vf ou Anime Digital Network), soit une catégorie externe à leur catalogue principal, qualifiée directement de hentai et comportant un avertissement sur son contenu pornographique (comme pour Manga Streaming, I-animes ou encore Neko Streaming). Dès lors, en reprenant le modèle de certains de ces sites, avec une diffusion par le biais de l’instauration ou de la réappropriation d’une plateforme de vidéo à la demande, il serait peut-être possible d’imaginer un modèle économique de diffusion d’une animation pornographique et érotique, dont l’existence n’est désormais plus à prouver.