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Parutions

MUNIER Brigitte (dir.), 2019. À vue de nez. Odorat et communication

Paris : CNRS éditions. Les Essentiels d’Hermès
Julien Péquignot
Référence(s) :

MUNIER Brigitte (dir.), 2019. À vue de nez. Odorat et communication. Paris : CNRS éditions. Les Essentiels d’Hermès. ISBN 978-2-271-12602-3

Texte intégral

1Cet ouvrage collectif, publié dans Les Essentiels d’Hermès, propose une entreprise réjouissante : aborder la question de l’odorat sous un angle communicationnel. L’audiovision, ou encore l’audio-logo-vision pour reprendre la proposition de Michel Chion, règnent sans partage dans les études communicationnelles, la vue occupant résolument la première place. Laissés de côtés, tels des « détails immenses » (p. 30), les autres sens ne sont que peu ou pas abordés par la recherche en SIC, qui peine à fourbir des armes adéquates. Avec le toucher, le goût, la cinesthésie ou la kinesthésie, l’odorat fait partie de ces laissés-pour-compte.

2Le livre dirigé par Brigitte Munier participe d’une tentative de (re)donner une visibilité aux passionnantes problématiques dont les SIC peuvent se saisir en explorant tout le spectre des capacités sensitives du sujet communicationnel.

3Les ancrages disciplinaires des contributions, à eux seuls, montrent à quel point le champ, sans nul doute pluridisciplinaire, est à inventer : anthropologie, anthropologie cognitive et sensorielle, psychologie cognitive, éthologie comportementale, histoire, philosophie, sociologie, médecine, neurobiologie, agronomie, esthétique, anatomie, neurosciences, etc. Si le Centre des Sciences du Goût et de l’Alimentation (CSGA) de Dijon est logiquement bien représenté – l’ouvrage est d’ailleurs l’occasion d’un hommage à son ancien directeur, André Holley –, les études sur le Japon ou la Chine, sur l’histoire de la médecine, la pratique de l’embaumement, le langage descriptif des sens, la littérature, les phéromones, la rhétorique, et d’autres objets encore donnent à l’ensemble un caractère impressionniste certain. Loin d’un parcours linéaire dans l’odorat, À vue de nez offre un ensemble d’aperçus, de points de vue, de données expérimentales ou de morceaux d’érudition qui dessinent le sujet par touches parfois nomothétiques, parfois idiosyncratiques, à la manière d’un portrait chinois.

4Il serait trop long d’aborder en détail les 13 textes qui composent le volume, je vais donc m’attarder sur quelques-uns qui offrent un aperçu de la diversité de l’ensemble. Dans « L’olfactivité sociale des humains : la science fluctuante d’un sens omniprésent » (pp. 49-74), Benoist Schaal et Joël Candau offrent un tour d’horizon diachronique des appréhensions scientifiques de l’odorat. Les approches anatomiques et génétiques, notamment par comparaison avec d’autres espèces, ont installé l’odorat humain dans une position mineure, de « microsmatie » voire « anosmatie » que les neurosciences plus récentes contestent par l’expérimentation. La valeur et la puissance communicationnelle de l’olfaction est aujourd’hui bien établie en psychologie expérimentale et la neurobiologie a tout à gagner à combiner ses avancées à la tradition socio-anthropologique : la compréhension véritable des mécanismes communicationnels et inférentiels liés à l’odorat ne se fera que « hors du laboratoire » (p. 59).

5Roland Salesse, dans « Détecter l’odeur des maladies : un outil de prévention et de diagnostique » (pp. 109-125) fait part des toutes dernières recherches en vue de la création de nez artificiels pouvant, sur le modèle de certains chiens, « sentir » les maladies, comme le cancer par exemple, bien avant le déclenchement des symptômes avertisseurs souvent trop tardifs pour garantir de bons pronostics et sans aucune technique invasive. Chaque maladie a une signature chimique qui la trahit et la communique « à son insu » à qui, ou quoi, peut la capter. L’olfaction, sens traditionnellement très mobilisé dans la pratique de la médecine, mais occulté par la révolution technique des dernières décennies reviendrait donc sur le devant de la scène, grâce à la technique, offrant d’immenses perspectives.

6Chantal Jaquet nous fait découvrir, dans « Le kôdô comme art martial » (pp. 169-185), les mystères du jeu-cérémonie autour de senteurs auquel s’adonnaient les samouraïs de l’ère classique japonaise pour cheminer sur la voie du guerrier vers l’excellence et la maîtrise absolue, y compris du « ténu, invisible » (p. 181), voire du non visible. La fugacité et la fragilité de l’odeur, comme de sa perception, fonctionnait comme la métaphore de la vie du guerrier qui doit savoir saisir l’instant tout en acceptant l’impermanence des choses. D’autres textes passionnants nous emmènent aussi au Japon chez les fétichistes des odeurs à vendre sur internet (Agnès Giard, « Harcèlement olfactif et parfums "corporels" au Japon. La revanche des mal-aimés », pp. 187-197), dans les allées de la haute société en Chine impériale (Frédéric Obringer, « Le bois d’aigle et le musc. Les senteurs en Chine impériale, une passion lettrée », pp. 199-216) ou encore dans l’Europe de la période moderne éprise de remèdes à base de momies, authentiques, frelatées ou « faites-main » (Annick Le Guérer, « Un remède odorant macabre : la momie », pp. 127-141).

7Dans cet éclectisme réside sans doute le principal défaut de l’ouvrage. La dimension d’inventaire à la Prévert peut donner le sentiment qu’effectivement l’odorat ne mérite pas une approche plus structurée, cohérente, « positive » de la part de la recherche, particulièrement des SIC. On est parfois bien en peine de voir la dimension communicationnelle (qui sous-titre l’ouvrage) dans certains textes, très inégaux par ailleurs en volumes, en méthodes, en ambitions. Comme l’odeur apparaît en impensé à penser, le traitement par les sciences humaines de l’odorat semble loin de la systématicité dont font preuve les sciences de la nature, ce qui est d’autant plus regrettable que les textes de cette obédience montrent souvent les limites du laboratoire et la nécessaire contextualisation pour comprendre les phénomènes humains liés à l’olfaction. Le livre donne en ce sens l’envie d’aller plus loin dans la prise de la mesure de l’importance des sens négligés et pourtant essentiels. À l’image du glossaire (pp. 231-234), qui apprendra forcément des choses à toute lectrice ou à tout lecteur, telles la phantosmie l’empyreume ou l’adjectif récrémentiel, l’ouvrage renferme une mine d’informations qui n’attendent plus des SIC qu’elles en fassent usage raisonné.

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Pour citer cet article

Référence électronique

Julien Péquignot, « MUNIER Brigitte (dir.), 2019. À vue de nez. Odorat et communication »Revue française des sciences de l’information et de la communication [En ligne], 18 | 2019, mis en ligne le 01 décembre 2019, consulté le 13 janvier 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/rfsic/7844 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/rfsic.7844

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Auteur

Julien Péquignot

Julien Péquignot est Maître de Conférences en Sciences de l’Information et de la Communication à l’Université de Franche-Comté. Il est également membre du conseil d’administration et du bureau de Société Française des Sciences de l’Information et de la Communication. Courriel : julien.pequignot(at)gmail.com

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