Navigation – Plan du site

AccueilNuméros17DossierHorizon interculturelMigrations en tension : l’influen...

Dossier
Horizon interculturel

Migrations en tension : l’influence de l’immigration cubaine à Miami sur la scène culturelle locale et l’industrie musicale « latino »

Alix Bénistant

Résumés

Les différents flux migratoires cubains sur le territoire de Miami depuis la prise de pouvoir castriste en 1959 ont contribué à l’émergence d’une scène locale et d’une industrie musicale dite latino. Cette dernière y installe en effet des filiales afin de centraliser la gestion de ses activités, d’où articuler différentes échelles d’opération dans les marchés à la fois latino-étatsuniens et latino-américains. Elle s’inscrit en cela dans les dynamiques liées à la globalisation. Partant des relations conflictuelles qui se nouent entre les différentes générations de migrant·e·s à Miami, cet article souhaite montrer la manière dont ces tensions se retrouvent dans les médias et les représentations qui sont données de la migration, mais aussi l’impact qu’elles ont dans les rapports de pouvoir qui se manifestent au sein des industries culturelles, et ainsi sur les artistes et contenus à valoriser, que ces dernières produisent à destination de marchés multiples.

Haut de page

Texte intégral

Introduction

1À partir du début des années 1990, un nombre croissant de recherches porte attention aux processus de « globalisation », l’envisageant comme phénomène alors inédit non pas dans le temps, mais dans les dimensions qui la caractérisent aux lendemains de la chute du mur de Berlin. Ne souhaitant ni l’observer ni la décrire comme simple notion abstraite dépourvue de toute preuve empirique, ces recherches ‒ au premier rang desquelles celles de Saskia Sassen ‒, réintroduisent la notion de « localisation territoriale » dans leur approche. Elles focalisent l’attention sur les processus concrets et observables, palliant ainsi les écueils des analyses précédentes inscrites dans une perspective avant tout (macro)économique (Levitt 1983 ; Ohmae 1989 ; cités par Mattelart 1999, 2002). Cette prise sur le local a permis de faire émerger la singularité de multiples localités prises dans ces processus, et en particulier les grandes métropoles, de leur degré d’intégration jusqu’à leurs « propres modes d’articulation » aux réseaux et circuits urbains mondiaux. Dès lors que ces grandes villes étaient considérées comme « le terrain sur lequel une multiplicité de processus de globalisation prend des formes concrètes et localisées » (Sassen 2009 : 133), il devenait nécessaire de « prendre à nouveau en considération les peuples, les travailleurs, les communautés et les cultures variées » (Sassen 2004 : 10) qui y participaient. Opérant une nouvelle centralité du pouvoir économique et politique, elles sont en effet devenues attractives tant pour les élites transnationales que pour les travailleurs migrants, et se sont dès lors construites comme des espaces certes pour la « transmigration des capitaux », mais aussi pour « la transmigration des formes culturelles ou pour la re-territorialisation des subcultures “locales” » (ibid. 134).

2Miami est un des espaces à partir desquels penser ces processus. La ville a acquis en trois décennies cette fonction de hub régional, point nodal des circulations économiques, médiatiques et culturelles entre les deux parties du continent. Au tournant des années 1980, nombre d’entreprises transnationales y installent le centre de gestion de leurs activités, d’où articuler différentes échelles d’opération dans les marchés à la fois latino-étatsuniens et latino-américains. Elles sont attirées par sa situation géographique et son environnement sociodémographique, économique et politique propice à ce type d’investissement. Celui-ci étant rendu possible par une partie de sa population cubaine immigrante particulièrement active et dont l’intégration est soutenue par le gouvernement des États-Unis. C’est notamment le cas des industries culturelles et médiatiques qui, de manière plus ou moins précoce selon les secteurs, y établissent leur siège régional d’où est organisé le travail de production et de gestion d’un système transnational (Parnreiter 8), entraînant en retour une intense migration économique et professionnelle. La ville ‒ dans notre cas de Miami ‒ devient une échelle d’observation pertinente pour travailler les questions tenant lieu des médias et des migrations. Un espace d’où il est possible de penser les enjeux de la mondialisation culturelle dans une démarche translocale capable de dépasser le cadre national, tout en n’omettant pas les règles et cadres juridiques mis en place par les États permettant ou non le déplacement des acteurs culturels (Martiniello et al.) et le déploiement de ces espaces marchands (Mattelart 2007 : 64).

3Il s’agira donc de voir dans quelles mesures les médias et industries culturelles ont été des espaces de tensions où se sont matérialisés les rapports de force entre les différents groupes en présence sur le territoire de la ville. Cela passera par une observation des relations sociales et interactions professionnelles au sein même des industries culturelles et médiatiques, qui contribuent au sens donné aux productions mises en circulation à différentes échelles.

4Nous empruntons ici les directions prises par l’économie politique de la communication autour de trois grands processus qui, selon Vincent Mosco, sont centraux dans l’application de l’économie politique au monde de la communication (Mosco 2009 : 127 ; Miège, 2012). Le premier de ces processus est celui de marchandisation, qui consiste à « transformer des choses qui ont une valeur pour leur usage en produits commercialisables », acquérant de la sorte une valeur d’échange. Le deuxième est celui de spatialisation, qui interroge la manière dont les entreprises surmontent les contraintes de l’espace, dans des logiques simultanées de dispersion et de concentration géographiques et financières, et où les TIC sont centrales dans l’organisation des activités à différentes échelles. Le troisième est ce que Mosco nomme la structuration, c’est-à-dire « le processus de création de relations sociales, principalement celles organisées autour de la classe sociale, du sexe et de la race. » (Mosco 2009 : 128). C’est ainsi qu’à partir des différentes perspectives énoncées, articulées les unes aux autres, nous souhaitons porter attention, dans un premier temps, aux mouvements migratoires entre Cuba et Miami, en prenant soin de les replacer dans leur contexte social, économique et politique tant de départ que d’arrivée. Le pôle d’attraction migratoire que représente Miami entre les années 1960 et 1980 pour différentes populations cubaines permettra de mieux saisir, dans un deuxième temps, les logiques de spatialisation, en particulier de centralisation des industries médiatiques et culturelles dites « latino » sur ce territoire. Ainsi, nous pourrons questionner dans un troisième temps les relations, parfois conflictuelles, qui se nouent entre les différentes générations de migrant·e·s à Miami, et la manière dont ces tensions se retrouvent dans les médias et les représentations qui sont données de la migration. Nous pourrons alors saisir l’impact qu’elles ont dans les rapports de pouvoir qui se manifestent au sein des industries culturelles, et ainsi sur les artistes et contenus à valoriser, que ces dernières produisent à destination de marchés multiples.

5Pour explorer ces différentes dimensions, notre analyse s’appuie sur divers types de matériau. Des entretiens semi-directifs menés lors d’une enquête de terrain à Miami auprès de quinze professionnels du secteur musical nous ont permis de resituer, au travers des flux migratoires, l’émergence d’une scène locale, et de comprendre les liens entre cette scène musicale et les industries culturelles locales. Des articles issus de la presse locale ‒ en particulier du Miami New Times, du Miami Herald et de son édition en espagnol El Nuevo Herald, premier grand quotidien des États-Unis à paraître uniquement dans cette langue ‒ et de la presse musicale professionnelle (Billboard), nous permettront d’analyser la manière dont les tensions et négociations entre et au sein de différents groupes y sont représentées et s’y manifestent en tant que produit de dynamiques conflictuelles.

Les deux grands mouvements migratoires cubains à Miami (1959-1980)

6Nous proposons à présent de revenir sur les deux grandes périodes migratoires qui changent la physionomie de la ville à partir du début des années 1960. Bénéficiant du développement massif des transports dans le détroit de Floride entrepris les premières décennies du xxe siècle, elles concourent de manière inédite à sa connexion progressive à l’économie mondiale en même temps qu’au développement de son image dans le concert concurrentiel des grandes villes internationales (Marchal et Stebé 2014). La première correspond aux émigrés cubains ayant quitté l’île entre 1959 et 1979 pour des raisons essentiellement politiques, et pour la plupart fermement opposés au maintien de toute forme de relations avec la Cuba castriste, qu’elles soient économiques, politiques et culturelles, mais aussi pour des voyages de tourisme ou de visite à la famille (Eckstein et Barberia 2002). La deuxième période s’ouvre avec le début des années 1980, et voit arriver des émigrés tant économiques que politiques. Il s’agit de Cubains dans une position moins isolationniste que leurs prédécesseurs et donc davantage favorables au maintien de liens transnationaux, puis d’autres caribéens ou latino-américains quant à eux peu préoccupés par ces problématiques considérées comme trop « cubano-centrées » et qui vont en ce sens participer à la transition vers une Miami « post-cubaine » au tournant des années 2000 (Yúdice 2004).

L’exil doré et les vols de la liberté (1959-1979) : l’arrivée d’une bourgeoisie blanche à Miami

7Les conditions migratoires des populations des deux périodes diffèrent tant au départ qu’à l’arrivée. Dès lors, les motivations qui président au départ sont autant à prendre en compte que les expériences vécues à l’arrivée, car elles sont les marqueurs des différences de traitement, d’accueil et donc d’opportunités offertes entre les émigrés d’avant et après 1980. Susan Eckstein et Lorena Barberia expliquent en ce sens que les populations des premières vagues migratoires étaient principalement issues des classes moyennes et supérieures, socialisées dans un environnement prérévolutionnaire aux valeurs conservatrices. Elles sont ainsi parties au début d’une révolution les ayant privés de leurs biens et privilèges, et leur faisant « craindre pour leur vie » (Eckstein et Barberia 2002 : 801). Ces conditions de départ les ont amenés à se considérer comme des exilés politiques. Les 672 000 personnes arrivées sur le territoire de la Floride pendant l’ensemble de la période ont bénéficié d’un statut de réfugié « inconditionnel et immédiat » et de programmes publics facilitant leur adaptation (ibid.). En effet, dès 1961, un programme d’accueil est mis en place. Le CRP (Cuban Refugee Program), placé sous l’égide du Department of Health, Education and Welfare, prévoit des aides à l’hébergement, aux soins et à l’éducation. Des stages d’enseignement professionnel et d’apprentissage de la langue anglaise leur sont accordés, des bourses pour l’entrée à l’Université ainsi qu’un système de prêt préférentiel pour l’investissement dans des petites entreprises (Jolivet 2015 : 41-42). Voté par le Congrès le 28 juin 1962 dans le contexte de la guerre froide, le Migration and Refugee Assistance Act permet donc au niveau fédéral de dégager une ligne budgétaire pour l’insertion des réfugiés, une première dans la législation étatsunienne. Elle est directement placée sous la responsabilité du président qui seul « désigne par classe, groupe, ou en fonction de leurs pays d’origine ou zone de résidence les personnes qui peuvent prétendre à cette aide, s’il considère qu’une telle aide peut contribuer à la défense, à la sécurité ou aux intérêts de politique étrangère de la nation » (Ménendez 2007 : 99).

8Selon cette logique, les programmes d’aides apparaissent à la fois comme des ressources humanitaires destinées à assister les réfugiés mais également comme une arme politique anticommuniste orchestrée dans un but précis : déstabiliser le régime castriste. La stratégie du gouvernement était donc d’assurer leur réussite économique et soutenir politiquement « une idéologie de l’exil » (Aranda et al. 2014) fermement anticastriste et porteuse des valeurs capitalistes du pays d’accueil, et de la répandre dans les différentes sphères de la société tant étatsunienne que latino-américaine.

9Mais c’est aussi ce qui fait dire à Cheris Brewer Current qu’une représentation « monolithique » des individus composant ces deux premières vagues migratoires est construite, qu’elle nomme « exile model », et qui est selon elle trop souvent sollicitée pour qualifier l’ensemble des Cubains réinstallés aux États-Unis au cours de cette période (Brewer Current 2010 : 21). Cette représentation les ferait apparaître comme des « good immigrants » et des « freedom fighters », c’est-à-dire comme des anticommunistes essentiellement blancs, les rendant conformes aux « normes raciales et idéologiques de l’Amérique du milieu du xxe siècle » (ibid.). Elle pointe donc à travers cela la nécessité de ne pas calquer la représentation qui est faite de ces premières générations d’exilés sur la réalité des conditions de la migration ; ce qui fera l’objet d’une attention particulière dans la suite de notre article.

Le tournant des années 1980 : les Marielitos et les débuts d’une rupture dans les relations entre Cubains immigrés

10Alors que des conflits éclatent au début du mois d’avril 1980 autour de l’ambassade du Pérou à La Havane, envahie par une dizaine de milliers de candidats à l’asile politique, Fidel Castro consent à l’ouverture d’un nouveau pont migratoire entre Miami et Cuba. Il déclare ainsi que tous ceux qui souhaitent partir pourront le faire, et invite les Cubains de Miami à venir chercher leurs proches en bateau à partir du 21 avril. Il donne comme point de ralliement le petit port de Mariel, situé à soixante kilomètres à l’est de La Havane. Les populations de part et d’autre du détroit de Floride réagissent très rapidement, pour qu’au final 125 000 personnes prennent part à l’exode dans les cinq mois d’ouverture accordés par Fidel Castro entre le 21 avril et le 26 septembre 1980, correspondant à environ 1 % de la population cubaine d’alors.

11Le régime castriste, au départ pris de court par des événements allant politiquement à son encontre, parvient petit à petit à les tourner à son avantage. Tout d’abord, ces départs volontaires représentent pour lui une bonne opportunité de se débarrasser des opposants politiques ou, si ce n’est le cas, de les identifier. Ensuite, cette vague d’émigration massive soulage la pénurie de logements et le chômage élevé qui sévit sur l’île. Enfin, Fidel Castro profite de la situation pour désemplir les prisons et hôpitaux du pays, en contraignant au départ une bonne partie des grands délinquants, criminels et vendeurs de drogues jusque-là incarcérés, mais aussi de patients en soins psychiatriques.

12Ainsi, les Marielitos, issus de milieux moins favorisés et composés d’une population non-blanche plus importante, subissent un racisme et une discrimination sociale intenses à leur arrivée sur le territoire floridien, notamment de la part des autres Cubains déjà installés. Violaine Jolivet rapporte que « la population noire et métisse, qui ne dépassait généralement pas les 3 % ou 4 % jusqu’alors, atteignait environ 30 % au sein des Marielitos et le nombre de personnes sans formation était considérablement plus élevé » (Jolivet 35).

  • 1 142 955 habitants en 1930, 495 084 à la fin des années 1950. Source : Miami-Dade County Facts, Depa (...)

13À la fin de l’année 1980, le Comté de Miami-Dade compte 1 625 781 habitants au total1, dont 858 200 Hispaniques, avec une grande majorité de cette population concentrée dans deux municipalités : Miami et Hialeah (au nord-ouest de la première), avec 581 000 recensé··s pour les deux. Ainsi, à la fin de la décennie, les « Hispaniques » représentent un peu plus de 60 % de la population totale de Miami, et presque 90 % de Hialeah, à grande majorité cubaine. En effet, parmi cette population hispanique, sur l’ensemble du Comté, 69 % est cubaine, toutes les autres origines latino-américaines représentant moins de 10 % de l’ensemble (8 % pour les Nicaraguayens et Colombiens, 4 % pour les Salvadoriens, 3 % pour les Portoricains…).

14La croissance démographique, économique et touristique dont fait preuve Miami dans cette période, ajoutée à une situation géographique favorable (entre les États-Unis et l’Amérique latine, tournée vers l’Europe) et une centralité pour les activités géopolitiques régionales ‒ qui ont contribué à l’élaboration de réseaux de communication et de transports développés (Grosfoguel 1995 : 159) ‒, fait que les acteurs et agents économiques du champ culturel prêtent une attention grandissante à ce territoire qui devient particulièrement attractif pour le développement de leur activité.

Intégration globale et émergence d’une « ville communicationnelle latin@ »2

  • 2 Nous empruntons la formule à Violaine Jolivet (2015).

15Au tournant des années 2000, alors que les études sur la mondialisation et ses répercussions politiques (dépassement du cadre national et du nationalisme méthodologique, voir Wimmer et Glick-Schiller 2003 ; Ortar, Salzbrunn et Stock 2018) mais aussi économiques (accélération des flux économiques et centralisation du capital) se multiplient, les villes dites mondiales ou globales deviennent l’échelle à travers laquelle sont observés concrètement ces phénomènes, dans leur matérialité. Jan Nijman, un temps directeur du programme d’études urbaines de l’Université de Miami, synthétise en quatre points leurs caractéristiques (Nijman 2015). Premièrement, il souligne que le « capital mondial utilise [les villes mondiales modernes] comme bases de départ dans l’organisation géographique de la production et des marchés ». Deuxièmement, elles sont les « lieux de concentration du capital international les plus importants ». Troisièmement, elles « disposent d’un degré de commandement et de contrôle hors du commun sur l’économie mondiale, qui s’exprime souvent par la présence de grands sièges multinationaux ». Quatrièmement, elles « deviennent la destination d’un grand nombre de migrants nationaux et internationaux, [qui] contribuent à la croissance économique de ces villes et, en particulier, au développement de leurs liens globaux ». Ces caractéristiques seraient dès lors communes à celles que Saskia Sassen considère comme les « villes globales » majeures (New York, Londres, Tokyo). Mais on les retrouverait également dans des villes moins importantes, comme à Miami, qui jouirait de ces « fonctions » à une échelle régionale, en disposant de ses « propres modes d’articulation » aux réseaux et circuits urbains mondiaux (Sassen 2004).

L’intégration de Miami dans la « globalisation »

16Miami, qui prend une place croissante dans les circulations économiques et migratoires interaméricaines à partir des années 1960, fait alors l’objet d’une attention particulière de la part des chercheurs et chercheuses inscrits dans ces perspectives. Ainsi, Saskia Sassen elle-même, aux côtés d’Alejandro Portes (1993), mais aussi Ramón Grosfoguel (1995), Jan Nijman (2000) ou encore George Yúdice (1999, 2004) y consacrent une partie de leurs travaux. Ceux-ci montrent la manière dont la ville floridienne a bénéficié dans les années 1960-1970 de l’importante activité économique entreprise par l’immigration cubaine soutenue par le gouvernement étatsunien. Cette dynamique a permis de développer un complexe commercial orienté vers les Caraïbes et l’Amérique latine, qui va à partir des années 1980 participer à l’émergence d’une nouvelle centralisation commerciale et financière transnationale cependant moins liée à la population cubaine immigrée (Sassen 2018). Ainsi, Miami devient en 1981 la ville des États-Unis avec le plus de Edge Banks, accueillant à la fois des banques nord-américaines venues s’installer pour opérer des transactions avec l’Amérique latine, et des filiales de banques étrangères ; toutes ayant des liens forts avec les Caraïbes et l’Amérique du sud. Attirées par la faiblesse des taxes prélevées par l’État de Floride, la métropole devient attractive pour les entreprises transnationales. 70 d’entre elles viennent s’installer entre 1978 et 1983, principalement d’Europe et des États-Unis (Nijman 2011 : 90). Elles y localisent pour la plupart leur siège social pour l’Amérique latine, à l’image de Kodak, Hewlett-Packard, General Motors, la française Aérospatiale, ou le géant des télécommunications AT&T (Sassen 2012 : 182-183).

17Cette croissance rapide des activités économiques et financières, inédite aux États-Unis, impacte cependant d’autres secteurs. En premier lieu l’immobilier, pour lequel Jan Nijman précise que 1,5 milliard de dollars y est investi annuellement au cours de la période, alors que la ville se constitue en plaque tournante du commerce de cocaïne, nouveau moteur de l’économie locale. En découle un essor du divertissement, avec la mise en place d’une importante industrie nocturne où de nombreux clubs et boîtes de nuit ouvrent et donnent à Miami sa réputation « festive » qui la caractérise encore aujourd’hui. Cette effervescence inspire deux productions audiovisuelles au succès international, Scarface et Miami Vice (connue en France sous le nom de Deux flics à Miami) qui mettent la ville sous le feu des projecteurs. Les médias internationaux y prêtent en effet une attention renouvelée à partir du début des années 1980 et participent à la constitution de son « capital symbolique » (Yúdice 2004 : 203). Ainsi, après avoir questionné son devenir face à la criminalité, ces médias concourent à son renouveau touristique, au moment où la criminalité se réduit massivement (à partir de 1989). La ville retrouve progressivement son image « glamour », comme en témoigne la couverture du Time International du 6 septembre 1993.

Figure 1 – Une du Time Magazine du 23 novembre 1981, "South Florida : Paradise Lost ?"

Figure 1 – Une du Time Magazine du 23 novembre 1981, "South Florida : Paradise Lost ?"

Figure 2 – Une du Time International du 6 septembre 1993 : “Miami, Glitzy, violent and muy caliente, it’s taking the world by storm”

Figure 2 – Une du Time International du 6 septembre 1993 : “Miami, Glitzy, violent and muy caliente, it’s taking the world by storm”

Un pôle d’attraction pour les industries culturelles et médiatiques

18Ces dynamiques multiples participent à la construction de sa scène culturelle, y compris dans sa dimension médiatique, c’est-à-dire en tant que « scène perçue ». Cette notion définit le processus selon lequel « la scène se cristallise via des représentations construites de l’extérieur » ; représentations qui en retour ont un « effet performatif sur cette ville » (Guibert 2012 : 118). Gérôme Guibert montre par-là que la scène n’existe qu’à partir du moment où elle jouit d’une certaine reconnaissance, ce qui se produit à Miami dans les années 1980 autour de quelques artistes « leader » (mais qui paradoxalement masquent l’hétérogénéité de la scène locale). Et qu’une fois cette reconnaissance acquise, celle-ci a un impact sur le territoire, qui devient attractif envers certains secteurs de l’économie, notamment culturelle. C’est ce qu’il nomme « l’effet cluster », définit « à partir des potentiels avantages liés à la concentration d’entreprises sur un même territoire » (ibid. 122).

19En ce sens, la ville de Miami devient dès la fin des années 1970 un lieu attractif pour les industries culturelles et médiatiques, qui y implantent progressivement leur centre de gestion pour les marchés latino-américains et latino-étatsuniens (autrement dit le marché « latino »). En 1979, elle accueille la première filiale « latino » d’une major de la musique, CBS Discos International, rachetée quelques années plus tard par Sony (qui devient alors Sony Discos, puis Sony Latin Music). Suivent au cours de la décennie 1980 les autres entreprises dominantes du secteur, à savoir BMG, EMI, Polygram et Warner (Yúdice 1999) qui, au fil des fusions et acquisitions, se concentreront autour de trois principaux acteurs (Sony, Universal et Warner). MTV y ouvre une antenne locale en 1993 comme centre des opérations pour l’Amérique latine et le marché hispanophone des États-Unis, tout comme l’industrie de la telenovela (Mato 2002 ; Sinclair 2003), qui y déplace progressivement studios et maisons de production, entraînant par là une intense migration professionnelle. Les grands réseaux de diffusion hispanophones, à l’instar des deux grandes chaînes de télévision en espagnol, Univisión et Telemundo, déplacent également leurs locaux dans la ville à partir de 1999.

20Enfin, la radio puis la presse en langue espagnole deviennent prédominantes dans le paysage médiatique de la ville. Dès le début des années 1960, trois stations (La Fabulosa, WQBA-La Cubanísima et WRHC-Cadena Azul) ne diffusent que des programmes en espagnol, favorisant la création de nombreuses autres les deux décennies suivantes (Lohmeier 2014). Ce nouvel élan comprend la très politique Radio Martí, station créée en 1985 à Marathon Key en Floride avec l’appui de la Cuban-American National Foundation (CANF), lobby anticastriste fondé en 1981 (Descout 2003 ; Boswell et Curtis 1984) au service de la guerre idéologique menée, côté étatsunien, par le gouvernement Reagan (Mattelart 2002).

21Concernant la presse écrite, si l’historique Diário de las Américas existe depuis 1953, il faut attendre 1987 pour que les populations hispanophones de la ville obtiennent un deuxième titre d’envergure, El Nuevo Herald. Sous forme de supplément depuis 1976 (El Herald), il devient indépendant de l’édition anglaise du Miami Herald dont il découle (créé en 1903 et « voix » de l’élite blanche de la ville [Stepick et al. 2003 : 45]). Il dispose alors de sa propre rédaction et est le « seul grand quotidien des États-Unis à publier une édition quotidienne en espagnol » (Stepick 1998 : 45). Principalement aux mains des Cubains des premières vagues migratoires des années 1960 et 1970, nous l’avons dit issues d’un « environnement de classe moyenne, urbain et instruit » (ibid.), il adopte, sous l’influence de la CANF et de son célèbre dirigeant Jorge Mas Canosa, un positionnement ouvertement anticastriste. Ce qui fait dire à Alex Stepick et ses coauteurs qu’« à la fin des années 1980, le journal reflétait davantage le discours conservateur de la communauté exilée que l’attitude souvent libérale de sa publication sœur anglaise » (Stepick et al. 2003 : 48), avec laquelle il rentre régulièrement en conflit vis-à-vis du discours à tenir envers Cuba. Le journal se trouve par exemple au centre des divisions qui se manifestent dans la ville avec l’arrivée des « Marielitos ». En pointant l’augmentation de la criminalité et en focalisant l’attention sur les faits criminels commis par ces derniers (voir Portes et Stepick 1993 : 23-26), il participe à la distinction sociale des réfugiés de première génération et suggère implicitement leur « tranquillité » et « parfaite » intégration à la société nord-américaine. Le journal apparaît ainsi comme un des lieux où se manifestent les rapports sociaux de pouvoir ayant cours sur le territoire de Miami, par les représentations qui sont données à voir de l’exode de Mariel ; non pas comme « reflet » de la réalité, mais bien en tant que « forme spécifique de construction des représentations de la réalité sociale » (Macé 2000 : 249 ; Lécossais 2014). Cela participe à remettre en question l’apparente homogénéité et cohésion de la « communauté » cubaine et plus largement « hispanique » de Miami ; question largement traitée par les Latino studies et par lesquelles nous souhaiterions introduire notre partie suivante.

Médias, migrations et rapports de pouvoir

  • 3 Le terme « ethnique » n’est pas utilisé pour « race », comme il arrive que cela soit fait à tort, m (...)

22Cette question des divisions intra-ethniques sur le territoire floridien a récemment été traitée par des travaux issus des Latino studies. Ceux-ci partent du constat d’une tendance des écrits sur l’identité ethnique des immigrants à privilégier l’étude des « dynamiques entre les groupes socialement constitués selon la race et/ou l’ethnicité », aux dépens des dynamiques « au sein d’une race ou d’une ethnicité donnée » (Mallet et Pinot-Coelho 2018 : 93). De là, ils ont cherché à comprendre la manière dont la construction d’une catégorie d’appartenance ethnique3 dans le cadre du recensement étatsunien nommée « hispanique » puis « latino » (dont elle est devenue le synonyme), et remobilisée par les services marketing d’entreprises nationales et transnationales pour « inventer le consommateur hispanique » comme construction essentialisée (Dávila 2001 : 57 ; Ben Amor 2001), a dissimulé les fragmentations et tensions se manifestant dans cette « minorité » particulièrement hétérogène à Miami. Si ces fragmentations et tensions apparaissent comme étant davantage culturelles et identitaires au niveau pan-ethnique (pays d’origine et référents culturels comme la langue, la religion ou la nourriture), elles semblent plus sociales et économiques au niveau intracommunautaire (classe sociale, race, génération) (Mahler 2018 ; Mahler et al. 2018 ; Aranda et al. 2014 ; Eckstein et Barberia 2002).

23Reprenant à notre compte ces analyses, nous souhaitons dès lors observer la manière dont se sont manifestées ces différences et divisions, pouvant aller jusqu’à des conflits et exclusions au sein de l’arène culturelle et médiatique de Miami. Nous allons en effet voir qu’elles ont eu un impact majeur dans l’émergence de la scène locale et de l’industrie musicale sur laquelle elle s’est construite, et ce faisant sur le type de productions qui y ont été élaborées et mises en circulation à une échelle de plus en plus globalisée. Ces productions renforçant la représentation d’une latinité cohérente sur l’ensemble du continent ‒ entre latino-étatsunien·ne·s et latino-américain·e·s ‒ et participant en ce sens à la construction d’un groupe « monolithique », bien souvent racialisé aux côtés des « Blancs », « Noirs » et « Asiatiques » (Mallet et Pinot-Coelho 2018 : 93 ; Telles et Ortiz 2016 ; Almaguer 2016).

L’émergence de la scène musicale sous influence cubaine et premières tensions au sein de la « communauté »

  • 4 Du 29 décembre 1960 au 22 octobre 1962, les États-Unis accordent des visas spéciaux aux jeunes Cuba (...)
  • 5 Lors d’un entretien que nous avons mené avec Carlos Oliva à Miami le 25 juin 2014, celui-ci insista (...)

24Carlos Oliva et Emilio Estefan, partis de Cuba dans le courant des années 1960 avec les premiers émigrés de la révolution castriste, mais aussi Willy Chirino, arrivé à Miami avec la première génération d’exilés dans le cadre du programme Peter Pan4, sont les figures majeures de la scène locale autour desquelles s’est cristallisée son « identité musicale ». Nommée par les médias et musiciens eux-mêmes « Miami sound », elle est portée à l’étendard dans le nom du groupe d’Emilio et Gloria Estefan dès 1977 : le Miami Sound Machine. Elle est présentée par ses différents acteurs comme un mélange entre musiques caribéennes, sud-américaines et nord-américaines. Des éléments de nombreuses « traditions musicales » américaines s’y imbriqueraient dans un seul et même contenu, en empruntant phrasés, lignes mélodiques et rythmes à divers genres musicaux quant à eux fortement « localisés5 ». La particularité de Miami se trouverait donc dans la multiplicité des répertoires musicaux convoqués, contrairement à New York, « très portoricaine », et Los Angeles, « très mexicaine » – pour reprendre les mots de Carlos Oliva.

25Il s’avère pourtant que l’importance de la population cubaine à Miami et la domination d’une de ses fractions les plus actives au sein de la scène locale tendent vers la constitution d’un espace moins ouvert que ne le laisse penser ce type de propos. Les Cubains, en particulier ceux ayant migré à Miami dans les années 1960-1970, contrôlent l’espace social et orientent de fait l’identité musicale de la scène. C’est ce qui ressort des propos de Steve Roitstein, lui aussi nés à Cuba et ayant travaillé aux côtés des trois musiciens cités précédemment, ainsi qu’au sein des majors locales. Particulièrement familier de ces dynamiques pour avoir occupé une fonction centrale dans le secteur en devenant président de la South Florida Musicians Association Recording Representative, il part d’une comparaison entre le contexte floridien et le contexte new-yorkais pour souligner la force de ce qu’il considère comme la communauté cubaine de Miami et son implication dans le secteur musical de la ville :

Bon, il y a moins de travail ici qu’à New York, mais il y a aussi moins de concurrence. Pour un même groupe, à New York, tu auras dix musiciens tous aussi bons les uns que les autres qui pourront assurer autant. Ici, ce n’est pas pareil. C’est beaucoup plus par les connaissances que ça passe et par les liens culturels. Le lien culturel joue beaucoup. À New York par exemple, dans la musique latino, il y a très majoritairement des Portoricains, un peu moins de Dominicains, quelques Cubains et quelques Nord-Américains. Donc si tu es Portoricain à New York, ce sera plus facile. À Miami, c’est si tu es Cubain. C’est une question de coutumes, de culture, d’amitiés. Ça se passe beaucoup comme ça ici.

  • 6 Chanteur et compositeur, Donato Poveda est issu du milieu de la Nueva Trova cubaine. Exilé au Venez (...)

26Si les propos de Steve Roitstein sont le fruit d’une expérience propre en tant que Cubain immigré à Miami, ils se trouvent en grande partie corroborés par l’observation empirique. Les Cubains ont une position privilégiée dans la production musicale locale sur une période allant de la fin des années 1960 à la fin des années 1990. Donato Poveda, dont la trajectoire diffère6, confirme cette prédominance cubaine à Miami :

On se sent en communauté à Miami parce que la majorité des gens qui vivent ici sont Cubains ! Il y en a tout de même deux millions [sic], donc cela influence forcément. Cependant je te dirais que la musique latino-américaine en général influence le monde entier ! Et a influencé de nombreuses cultures comme la culture nord-américaine […] La migration cubaine aux États-Unis a permis qu’il y existe aujourd’hui une identité cubaine, et une communauté qui consomme cette musique et toute la culture qu’elle a amenée.

  • 7 Le terme de balsa, signifiant radeau en espagnol, donne le nom attribué à la population émigrée apr (...)

27Ces discours portant sur les possibilités offertes par les logiques de réseau communautaire et d’affinité culturelle qui régissent la profession lorsqu’ils l’intègrent, masquent toutefois les rapports de pouvoir au sein même de ce que ces derniers nomment la « communauté cubaine ». Même si Donato Poveda ouvre ici une réflexion intéressante sur l’intégration des musiques latino-américaines dans le quotidien des États-Unis et les logiques de marché qui la sous-tendent, il passe sous silence les tensions croissantes qui s’y manifestent. En effet, à partir du milieu des années 1990, moment d’un nouvel épisode migratoire cubain (les Balseros)7, sa frange la plus radicale devient de plus en plus vigilante envers toute production concernant de près ou de loin la Cuba castriste.

  • 8 Ernesto Fundora Hernández, réalisateur et écrivain cubain, quitte Cuba en  1993 à l’âge de 25 ans a (...)

28C’est ce à quoi se trouve notamment confronté Willy Chirino, dans une période où il revient musicalement à un style plus « tropical », se rapprochant davantage du « son » cubain qu’étatsunien. La polémique autour de son clip « La Jinetera » est un bon exemple de ces tensions croissantes et de l’attention accrue du lobby anticastriste. Sortie en 1996 chez Sony Discos, la chanson conte l’histoire d’une jeune femme cubaine de 17 ans contrainte de se prostituer auprès de touristes étrangers pour faire face aux difficultés de son quotidien – ce que définit le terme de jinetera –, alors que son fiancé est en passe de quitter Cuba à bord d’un radeau. Le vidéoclip qui en découle superpose des images de Willy Chirino, réalisées à Mexico aux côtés du réalisateur Ernesto Fundora8, à des scènes de la vie courante cubaine tournées clandestinement sur l’île. À travers cette chanson, il souhaite porter une critique sociale de Cuba, en pleine « période spéciale », où la crise économique a atteint son point culminant et entraîné une dégradation des conditions de vie. Mais lorsqu’il reçoit la première version du clip, certains éléments ne lui conviennent pas et il est alors décidé, conjointement avec la maison de disques, de ne pas le diffuser. Willy Chirino fait part de cette décision à El Nuevo Herald au cours d’une interview.

29Dès lors, des spéculations autour du contenu de la vidéo circulent et des débats commencent à s’insinuer dans les médias, notamment au cours de programmes de radios et d’émissions de télévision hispanophones de la ville. De plus en plus de médias s’emparent du sujet et accusent Willy Chirino de s’autocensurer, de peur de choquer la « communauté cubaine » de Miami, par des images flatteuses de Cuba, et donc du régime de Fidel Castro. Il est alors contraint de se justifier publiquement, au cours d’une interview accordée à Telemundo, l’un des deux grands réseaux télévisuels hispanophones :

C’est très bien réalisé. La vidéo est fabuleuse, la cinématographie est excellente, la qualité est impressionnante, mais il y a quelques scènes qui sont écrites d’une manière qui est un peu surréaliste. […] Lorsqu’on touche à la plaie ouverte de la tragédie cubaine, il faut être très précis et dire les choses très clairement. Et il y a quelques images que j’ai décidé de changer (Ackerman 1996).

30Dans un environnement social sous tension depuis les derniers épisodes migratoires, Willy Chirino pressent une mauvaise interprétation de sa vidéo. Sa présence simulée à Cuba pourrait être prise « comme une sorte de publicité faite à la demande du gouvernement cubain » (ibid.). En effet, il apparaît dans les lieux les plus touristiques de l’île, au volant de son cabriolet, souriant et admirant la ville, alors que les chœurs entonnent « Oh Habana, Oh mi Habana », tout en assurant que « La Havane l’attend » (« Yo sé que La Habana me está esperando »). Pourtant, de nombreuses scènes visuelles appuient la critique exposée dans les paroles de la chanson de la situation de certain·e·s jeunes cubain·e·s de La Havane.

31Ces éléments sont révélateurs du contexte dans lequel la chanson et son clip paraissent. Malgré le discours critique envers le régime de Fidel Castro tenu tout au long de sa carrière, Willy Chirino se trouve soupçonné d’accointances avec un gouvernement qu’il ne cesse de décrier. La puissance du lobby anticastriste l’amène à décaler la sortie de son clip, alors que sa chanson est déjà rayée de certaines playlists de radios locales. C’est le cas d’El Nuevo Zol, où son directeur des programmes Jesus Salas, sous le couvert d’un désaveu esthétique de la part du public, arrête de la diffuser. Aucune complaisance envers le régime n’est tolérée par les militants anticastristes à la ligne la plus « dure » (ceux que l’on appelle les hardliners), qui ici cherchent à imposer une lecture du vidéoclip, le sens à donner restant pourtant à interprétation.

32Les anticastristes de « l’exil historique » souhaitent donc établir leur position envers Cuba au cœur de l’agenda politique local et national, en se faisant les promoteurs du strict embargo et en s’opposant à toute reprise du dialogue. Par ce biais, ils cherchent également à souligner leur distinction vis-à-vis d’autres migrants plus tardifs, moins engagés politiquement, mais aussi économiquement plus pauvres et selon eux plus enclins à la criminalité.

L’intégration de la Latin Pop dans le marché musical global

33Ainsi, à la fin des années 1990, l’opposition politique tripartite entre Cuba, les États-Unis et les hardliners est à son comble. Après quelques campagnes de lobbying réussies (voir notamment Moore 2006 : 256 ; Rohter 1994 ; Abrahamson 1998 : 15), ces derniers se trouvent toutefois de plus en plus isolés sur la scène locale et surtout nationale. Les exilés cubains perdent une grande part de leur prestige d’antan, souligne George Yúdice, en n’ayant pas perçu à leur juste valeur les évolutions que connaît la ville à ce tournant des années 2000 : « Ils n’ont clairement pas vu que Miami changeait et qu’ils n’occupaient plus le rôle de leader dans l’étape supérieure du développement de la région » (2004 : 198). Le déséquilibre démographique entre les réfugiés de « l’exil historique » et les immigrés plus tardifs s’accentue au profit des seconds. Ce faisant, l’emprise du lobby anticastriste sur les différents secteurs et populations de la ville s’amenuise.

34Dès lors, ces processus ont des effets sur la production musicale locale, y compris au sein de l’industrie musicale dominante qui y est installée et est en plein essor depuis les récents succès à grande échelle de quelques artistes latino-américain·e·s de Latin pop, tels que Shakira (notamment à partir de son album Pies Delcalzos sorti en 1995 chez Sony Discos), ou Ricky Martin (et son album A Medio Vivir sorti la même année sur le même label). De la sorte, si le contexte politique conflictuel dans lequel se déploient les précédentes expériences musicales floridiennes contribue à la politisation de certains textes autour de problématiques très « cubano-centrées », elles sont rapidement appropriées par et au-delà de la communauté cubaine de Miami. Profitant de l’intérêt croissant porté à ces productions musicales par les publics latino-étatsuniens et latino-américains, les majors de l’industrie musicale développent cette nouvelle manne en même temps qu’elles encouragent sa dépolitisation afin d’étendre sa diffusion au niveau national, régional, puis international.

35Nous retrouvons là sous certains aspects la logique de basculement d’une scène centrée sur le local, à une scène s’orientant vers le marché global, avec toutes les implications que cela peut avoir au niveau artistique et politique. À propos de la scène péruvienne Ayacucho, Julio Mendívil relève ainsi des dynamiques semblables qui s’y produisent au tournant des années 1990, au sortir de la guerre civile entre Alberto Fujimori et le sentier lumineux, de la part d’une nouvelle génération d’artistes souhaitant se détacher de l’orientation politique donnée par leurs prédécesseurs au mouvement musical : « la nouvelle scène s’est détournée de la politique pour tendre vers des sujets moins délicats comme les amours romantiques ou la beauté des paysages andains » (Mendívil 55). Il résume alors les changements qui se produisent dans cette scène en six points, dont trois peuvent être rapportés ici pour leur proximité avec les dynamiques qui se manifestent à Miami à la même période : (1) le glissement d’une posture politique à une posture apolitique ; (2) le passage d’une identité locale à une identité plus globalisée, adoptant l’image des artistes internationaux ; (3) l’abandon des labels indépendants en faveur d’une économie de grande entreprise (ibid.).

  • 9 À l’exception de Supernatural, publié par Arista (BMG), mais qui tombera quelques années plus tard (...)

36Ces changements répondent en effet, particulièrement pour la scène de Miami, à la stratégie de l’industrie locale de maximiser l’audience par l’intégration de nouveaux marchés. Pour cela, elle se doit d’investir dans des artistes et genres répondant aux standards de la pop internationale, tout en conservant une spécificité lui permettant de s’en distinguer. Cette spécificité, qui affecte l’ensemble de la chaîne de production (jusqu’à la commercialisation), provient justement du territoire sur lequel elle est implantée et a centralisé ses activités (pour sa capacité à lui fournir personnel qualifié et infrastructures de qualité). C’est ce que Daniel Party nomme le processus de « miamization », par lequel un artiste ou une production latino-américaine adopte le « son Miami », constitué de « traits culturels » uniques à la ville, équilibre subtil entre pop internationale du moment et sonorités latino-américaines (Party 2008 : 70 ; voir aussi Bénistant 2018). S’il s’agit bien d’un processus dynamique, en constante évolution, il se matérialise toutefois par l’émergence d’une catégorie musicale censée le représenter : la Latin Pop ou pop latino. Celle-ci fait dès lors l’objet de conflits et luttes de définition, dans laquelle la place des producteurs Cubains de Miami de la première génération prend une place prédominante. Emilio Estefan, qui officie pour la major Sony, s’y trouve en position de force. Il a en effet participé en tant que compositeur et/ou producteur à l’ensemble des albums à l’origine de ce que médias professionnels et généralistes nomment alors le « boom latino » de 1999 : Supernatural de Santana, On the 6 de Jennifer Lopez, et les albums éponymes de Ricky Martin et Marc Anthony, tous parus la même année dans différents labels appartenant à Sony9 (Party 2008 ; Cepeda 2003). Ce sont ces luttes et conflits que nous proposons d’observer dans notre dernière partie. Nous le ferons au travers des prix et récompenses musicales, qui apparaissent à ce tournant important des années 2000 comme des instances de légitimation du secteur musical latino au sein de la culture mainstream.

L’omniprésence d’Emilio Estefan et de la pop latino aux Latin Grammy Awards

  • 10 Fania Records est une maison de disques créée en 1964 par Johnny Pacheco et Jerry Masucci, qui a do (...)

37Lorsque la National Academy of Recording Arts and Sciences (NARAS, créée en 1957), lance sa première cérémonie annuelle des Grammy Awards en 1959, aucune catégorie de musiques latino n’existe. Pendant de nombreuses années, ces dernières se trouvent reléguées dans une catégorie « ethnique et traditionnelle » qui, pour reprendre les mots de Deborah Pacini Hernandez (2009 : 153), suggère des pratiques musicales figées et prémodernes. Contre cette exclusion, des discours contestataires émergent en 1975 de la part de producteurs et musiciens principalement originaires de New York, alors épicentre des musiques latino-étatsuniennes. Ils se concrétisent par une manifestation lors de la cérémonie annuelle. Impulsée par Larry Harlow, un pianiste de salsa proche de la Fania10 ‒ alors à son apogée ‒, cette manifestation débouche sur une première reconnaissance, avec l’apparition d’une catégorie spécifique intitulée « Best Latin Recording ». Même si elle ne va pas au bout des revendications portées (et la mise en place de multiples catégories reflétant la diversité des pratiques), elle représente une première victoire pour l’industrie latino (Lannert 2000 : 82). De la sorte, la catégorie bascule définitivement dans le circuit des médias grand public, lui accordant une visibilité inédite synonyme de plus large diffusion et de croissance des ventes. La décennie suivante, en 1983, trois nouvelles catégories prennent la place de la précédente, avec une première mention à la Latin Pop élaborée à Miami : « Best Latin pop performance », répondant aux premiers succès de son industrie musicale avec, notamment, le Miami Sound Machine ; « Best tropical Latin performance », se référant aux musiques caribéennes ; et « Best Mexican-American performance », prenant en compte la principale niche du marché latino. En 1994, naît la catégorie « Best Latin jazz performance ».

38Surtout, en 2000, lorsque la pop latino devient un phénomène global, une deuxième grande rupture intervient. Les Latin Grammy Awards naissent sous l’égide de la Latin Academy of Recording Arts & Sciences. Organisation sœur de la NARAS, elle est formée à Miami en 1997 et présidée par l’un de ses instigateurs, Mauricio Abaroa. La cérémonie annuelle est diffusée dans un premier temps sur CBS, montrant l’intérêt croissant des médias mainstream étatsuniens pour la culture et les audiences latino. C’est une nouvelle victoire décisive pour les acteurs de l’industrie. En effet, comme le rappelle John Street dans un article portant sur les prix et récompenses dans le secteur de la musique, ceux-ci attirent l’attention en ayant une place privilégiée dans les médias (les cérémonies ont un temps d’antenne qui leur est alloué et figurent en bonne place dans les grilles de programmes, sur une large plage horaire) et font l’objet de nombreuses mentions dans l’actualité. Plus important encore pour l’auteur, ces prix « valident » des formes de culture, en donnant un statut à l’artiste primé tout en fixant un modèle de jugement culturel au sein du champ (Street 2014).

39Mais cette victoire pour la visibilité des productions et artistes latino n’en cache pas moins des enjeux politiques et des conflits d’intérêts entre jurés, organisateurs et acteurs industriels. Révélés dès la première édition par des professionnels du secteur, les critiques convergent vers la surreprésentation des artistes de Miami dans les nominations et les performances scéniques le soir de la cérémonie diffusée en direct. À l’origine de cette situation, l’omniprésence d’Emilio Estefan et sa trop grande proximité avec les membres de l’organisation et les jurés. Cette situation est ouvertement dénoncée dans un article de Billboard tirant le bilan de la première cérémonie, tenue le 13 septembre 2000 au Staples Center de Los Angeles, reprenant les propos dénonciateurs de Gilberto Moreno, le manager général du label californien Fonovisa : « Moreno et les autres soulignent la domination d’Emilio Estefan Jr. dans l’évènement » (en gras dans le texte ; Cobo 2000). Il est ainsi rappelé ses six nominations (plus que quiconque) se rapportant au travail « remarquable » effectué l’année précédente par lui-même, son équipe de compositeurs/producteurs et ses artistes. La première récompense de « Person of the Year » lui est attribuée, l’article remémorant au passage le rôle central qu’il a joué dans la création des Latin Grammy Awards. La conférence de presse annonçant les nominés s’est déroulée dans son restaurant et, pour finir, il est souligné qu’un nombre excessif de présentateurs et d’interprètes lui sont liés.

40De ce constat découle donc une surreprésentation des artistes pop liés aux intérêts de l’industrie latino et de ses principaux acteurs. La représentation qui en est faite auprès des téléspectateurs masque ainsi la grande diversité des musiques populaires latino (comme le suggèrent les 40 catégories qui structurent ces Awards), en proposant une majorité de performances d’artistes liés à ces acteurs dominants. Ricky Martin (particulièrement exposé six mois plus tôt lors de sa prestation aux Grammy Awards avec son single Livin’ La Vida Loca, là aussi grâce à l’appui d’Emilio Estefan), mais également Marc Anthony, Gloria Estefan, Jennifer Lopez, Christina Aguilera et Shakira se retrouvent ou partagent la scène lors de cette première cérémonie.

Une partie des professionnels du secteur dénonce précisément cette situation, regrettant que « ce ne soit pas représentatif de la musique populaire latino » (ibid.). Dans ce processus, la principale exclue selon ses détracteurs reste la musique mexicaine, représentant pourtant le plus grand marché latino-étatsunien et l’un des plus importants d’Amérique latine. Gilberto Moreno en vient alors à cette constatation : « La majorité des Latinos aux États-Unis sont Mexicains ou en sont les descendants. Donc, si vous excluez les Mexicains et la musique mexicaine, ce n’est pas un show fait pour la majorité des Latinos » (ibid.). S’il est évident que le manager général de Fonovisa défend ici ses intérêts, cela n’en révèle pas moins les enjeux politiques et les relations de pouvoir qui se jouent au sein de l’arène culturelle latino. La prédominance des Cubains dans les structures qui gèrent le secteur, découlant de leur implantation à Miami, concourt à la prééminence des « sons caribéens » lors de la cérémonie – et plus largement dans les médias grand public –, censés mieux correspondre à l’image « historique » de la « Latin Music » aux États-Unis.

Conclusion

41Nous avons souhaité montrer dans cet article la manière dont les différentes formes de mobilités qui façonnent les multiples flux migratoires sur le territoire de Miami depuis la prise de pouvoir castriste à Cuba, ont contribué à l’émergence d’une scène locale et d’une industrie musicale latino. Prises dans de fortes disparités sociales et matérielles, nous avons souligné que ces dynamiques ne sont pas allées sans conflits et rivalités. Le contrôle de la parole mis en place par une partie de la migration cubaine, celle dite de la « première génération » ou « génération historique », présente dans les principaux organes politiques, économiques, médiatiques et culturels de la ville, met en lumière des divisions et tensions fortes, et ainsi la marginalisation d’expressions culturelles « non-conformes » aux opinions alors dominantes portées par ce groupe. En ce sens, nous n’avons pas souhaité éluder les tensions qui se sont manifestées à l’intérieur de celui-ci. Les médias sont alors apparus comme un espace où se (re)jouent les « tensions propres à l’exil, à la migration et à la circulation » (Martiniello, Puig et Suzanne 2009), en écho à celles que nous avons observées au sein de l’arène culturelle (Da Lage 2009).

  • 11 La musique tejana, ou « Texas-Mexican music », est, selon Guadalupe San Miguel, une « musique front (...)

42Ainsi, les rapports de pouvoir au sein même des cultures en présence et produites sur le territoire de Miami se donnent à voir avec plus d’intensité à mesure que les mouvements migratoires se diversifient en fonction des contextes politiques prévalant dans les pays de départ et d’arrivée, et l’état des relations entre les États-Unis et Cuba qui facilitent ou restreignent les déplacements. Ces éléments influent de fait sur les représentations et imaginaires qui accompagnent les mobilités (Urry 2005). En effet, dès lors qu’elles sont incorporées à la logique marchande des industries culturelles, les productions musicales, comme formes « objectivées et compressées » des rapports sociaux (Stokes 2004 : 384), véhiculent certaines représentations sociales. Ainsi, l’industrie musicale, constituée d’individus aux positions variées pris dans un acte de coopération (la production musicale), se trouve elle-même prise dans des rapports de pouvoir influant sur les artistes et formes culturelles à valoriser. Nous avons montré en ce sens la surreprésentation et la surmédiatisation de la Latin Pop produite à Miami au tournant des années 2000, par rapport à d’autres formes culturelles latino-américaines ou latino-étatsunienne. C’est ce que María Elena Cepeda (2003) nomme des « silences hégémoniques » ou « mises en silence structurelles » dans les représentations médiatiques populaires, qui participent selon elle à l’effacement concomitant de l’influence des autres musiques latino-américaines (historiques et contemporaines) dans la société étatsunienne. Nous avons toutefois montré que cette situation est contestée publiquement par des responsables de labels, notamment de musiques régionales mexicaines et tejana11, à l’occasion des Latin Grammy Awards où la surreprésentation des artistes d’origine caribéenne est à l’image de la domination du secteur par quelques producteurs cubains de Miami, dont l’omniprésent Emilio Estefan. Cela nous permet de rappeler que les pratiques d’encadrement de la création s’accompagnent de conflictualité et donc de formes de résistances. À l’instar de « l’identité ethnique » et des « relations entre les groupes ethniques », socialement et politiquement construites (Croucher 1999 : 228), la création artistique fait face, dans son processus de marchandisation, à des luttes de définition et d’accès à la visibilité qui évoluent avec le temps et le contexte.

Haut de page

Bibliographie

Abrahamson Mark, 1998, « Little Havana, Miami », L’Ordinaire latino-américain, 173/174. 5-20.

Ackerman Elise, 18 janvier 1996, « But Will it Play in Peoria ? », Miami New Times, 18 janvier 1996. Disponible sur http://www.miaminewtimes.com/news/but-will-it-play-in-peoria-6361708, consulté le 16 juin 2019.

Almaguer Tómas, 2016, « Race, Racialization, and Latino Populations in the United States », dans R. Gutierrez et T. Almaguer, The New Latino Studies Reader : A Twenty-First-Century Perspective, Oakland, University of California Press, 210-234.

Aranda Elizabeth, Hughes Sallie et Sabogal Elena, 2014, Making a Life in Multiethnic Miami : Immigration and the Rise of a Global City, Boulder, Lynne Rienner Publisher, 367 p.

Ben Amor Leïla, 2001, « Télévision et construction d’une “communauté” américaine. Une vision “hispanique” de l’Amérique », Réseaux, 107 : 3. 41-75.

Bénistant Alix, 2018, « La transnationalisation de l’industrie musicale de Miami », Communication, 35 : 1. Disponible sur http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/communication/7607, consulté le 16 juin 2019.

Boswell Thomas D., Curtis James R., 1984, The Cuban-American Experience : Culture, Images, and Perspectives, Totowa Rowman & Allanheld, 200 p.

Brewer Current Cheris, 2010, Questioning the Cuban exile model : race, gender, and resettlement, 1959-1979, El Paso, LFB Scholarly Pub., 209 p.

Cepeda María Elena, 2003, « Mucho Loco for Ricky Martin ; or The Politics of Chronology, Crossover, and Language within the Latin(o) Music “Boom” », dans H. M. Berger et M. T. Carroll, Global pop, local language, Jackson, University Press of Mississippi, 113-130.

Cobo Leila, 23 septembre 2000, « Latin Grammys Have Everyone Talking », Billboard, p. 55.

Croucher Sheila L., 1999, « Ethnic Inventions. Constructing and Deconstructing Miami’s Culture Clash », Pacific Historical Review, 68 : 2. 233-251.

Da Lage Émilie, 2009, « Politiques de l’authenticité », Volume !, 6 : 1/2. 17-32.

Davila Arlene, 2001, Latinos Inc. The Marketing and Making of a People, Berkeley, University of California Press, 302 p.

Descout Émilie, 2003, « La Fondation nationale cubano-américaine », Transatlantica, 1. Disponible sur http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/transatlantica/616, consulté le 16 juin 2019.

Duany Jorge, 2016, « Neither White nor Black », dans R. Gutierrez et T. Almaguer, The New Latino Studies Reader : A Twenty-First-Century Perspective, Oakland, University of California Press, 157-184.

Eckstein Susan, Barberia Lorena, 2002, « Grounding Immigrant Generations in History : Cuban Americans and Their Transnational Ties », The International Migration Review, 35 : 3. 799-837.

Grosfoguel Ramón, 1995, « Global logics in the Caribbean city system. The case of Miami », dans P. Knox et P. Taylor, World Cities in a World-System, Cambridge, New York, University Press, 156-170.

Guibert Gérôme, 2012, « La notion de scène locale. Pour une approche renouvelée de l’analyse des courants musicaux », dans S. Dorin Stéphane, Sound Factory : musique et logiques de l’industrialisation, Saffré Paris, Seteun, 93-124.

Jolivet Violaine, 2015, Miami la Cubaine : géographie d’une ville-carrefour entre les Amériques, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 272 p.

Lannert John, 5 février 2000, « Palmieri, Jiménez Lead All-Time Latin Grammy Winners With Five Apiece », Billboard, p. 82.

Lécossais Sarah, 2014, « Les mères ne sont pas des parents comme les autres », Revue française des sciences de l’information et de la communication, 4. Disponible sur http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/rfsic/706, consulté le 16 juin 2019.

Levitt Theodore, mai-juin 1983, « The Globalization of markets », Harvard Business Review. pp. 93-102.

Lohmeier Christine, 2014, Cuban Americans and the Miami media, Jefferson, McFarland & company, 212 p.

Macé Éric, 2000, « Qu’est-ce qu’une sociologie de la télévision ? Esquisse d’une théorie des rapports sociaux médiatisés. 1. La configuration médiatique de la réalité », Réseaux, 18 : 104. 245-288.

Mahler Sarah J., 2018, « Monolith or mosaic ? Miami’s twenty-first-century Latin@ dynamics », Latino Studies, 16 : 1. 2-20.

Mahler Sarah J., Cogua-López Jasney, Chaudhuri Mayurakshi, 2018, « Expressing similarities and differences : Latin@ voices from metropolitan Miami », Latino Studies, 2018, 16 : 1. 21-42.

Mallet Marie L. et Pinto-Coelho Joanna M., 2018, « Investigating intra-ethnic divisions among Latino immigrants in Miami, Florida », Latino Studies, 16 : 1. 91-112.

Marchal Hervé et Stebé Jean-Marc, 2014, « La communication inhérente à la nouvelle condition urbaine », Questions de communication, 25. 7-20.

Martiniello Marco, Puig Nicolas et Suzanne Gilles, 2009, « Éditorial : Créations en migrations », Revue européenne des migrations internationales, 25 : 2. 7-11.

Mato Daniel, 2002, « Miami in the Transnationalization of the Telenovela Industry. On Territoriality and Globalization », Journal of Latin American Cultural Studies, 11 : 2. 195–212.

Mattelart Armand, 1999, La communication-monde, Paris, La Découverte, 360 p.

Mattelart Armand, 2007, Diversité culturelle et mondialisation, Paris, La Découverte, 128 p.

Mattelart Tristan, 2002, « Le Tiers Monde à l’épreuve des médias audiovisuels transnationaux : 40 ans de controverses théoriques », dans T. Mattelart, La mondialisation des médias contre la censure, Paris, Bruxelles, De Boeck Supérieur, 17-80.

Mendívil Julio, 2016, « Representing Ayacucho : Music, Politics, Commerce, and Identity in an Andean Music Scene in Lima », dans J. Mendívil et C. Spencer Espinosa, Made in Latin America, New York et Londres, Routledge, 49-63.

Ménendez Mario, 2007, Cuba, Haïti et l’interventionnisme américain. Un poids, deux mesures, Paris, CNRS, 178 p.

Miège Bernard, 2012, « Pour une méthodologie inter-dimensionnelle », Revue française des sciences de l’information et de la communication, 1. Disponible sur http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/rfsic/121, consulté le 16 juin 2019.

Moore Robin D., 2006, Music and Revolution. Cultural Change in Socialist Cuba, Berkeley, University of California Press, 350 p.

Mosco Vincent, 2009, The Political Economy of Communication, Londres, Sage, 268 p.

Nijman Jan, 2000, « The Paradigmatic City », Annals of the Association of American Geographers, 90 : 1. 135-145.

Nijman Jan, 2011, Miami : Mistress of the Americas, Philadelphia, University of Pennsylvania Press, 288 p.

Nijman Jan, 2015, « Naissance d’une ville mondiale », Problèmes d’Amérique latine, 1 : 96/97. 19-37.

Ohmae Kenichi, juillet-août 1989, « Planting for a Global Harvest », Harvard Business Review. p. 136-145.

Ortar Nathalie, Salzbrunn Monika et Stock Mathis, 2018, Migrations, circulations, mobilités. Nouveaux enjeux épistémologiques à l’épreuve du terrain, Aix-en-Provence, Presses universitaires de Provence, 238 p.

Pacini Hernandez Deborah, 2009, Oye Como Va ! Hybridity and Identity in Latino Popular Music, Philadelphie, Temple University Press, 238 p.

Parnreiter Christof, 2015, « Las ciudades latinoamericanas en la economía mundial : la geografía de centralidad económica y sus transformaciones recientes », Economía UNAM, 12 : 35. 3-22.

Party Daniel, 2008, « The Miamization of Latin-American Pop Music », dans I. Corona et A. L. Madrid, Postnational Musicla Identities, Lanham, Lexington Books, 65-80.

Portes Alejandro, Stepick Alex, 1993, City on the Edge. The Transformation of Miami, Berkeley, University of California Press, 304 p.

Richomme Olivier, 2013, « “Hispanique/Latino/Origine espagnole” : genèse d’une catégorie politique », Politique américaine, 1 : 21. 15-29.

Rodríguez Clara E., 2009, « Counting Latinos in the U.S. Census », dans J. A. Cobas, J. Duany et J. R. Feagin, How the United States Racializes Latinos : White Hegemony and Its Consequences, Paradigm Pub, 37-53.

Rohter Larry, 9 juin 1994, « MTV Worker Dismissed Over Cuba Concert », The New York Times. Disponible sur https://www.nytimes.com/1994/06/09/us/mtv-worker-dismissed-over-cuba-concert.html, consulté le 13 juin 2019.

San Miguel Guadalupe, 2002, Tejano Proud. Tex-Mex Music in the Twentieth Century, College Station, Texas A&M University Press, 208 p.

Sassen Saskia, 1991, The global city. New York, London, Tokyo, Princeton, Princeton University Press, 397 p.

Sassen Saskia, Portes Alejandro, « Miami : A New Global City ? », Contemporary Sociology, 22 : 4. 471-477.

Sassen Saskia, 2004, « Introduire le concept de ville globale », Raisons politiques, 3 : 15. 9-23.

Sassen Saskia, 2009, La globalisation. Une sociologie, Paris, Gallimard, 348 p.

Sassen Saskia, 2018 [5e édition], 2012 [4e édition], Cities in a World Economy, Thousand Oaks, Sage, 440 p. et 399 p.

Sinclair John, 2003, « “The Hollywood of Latin America”. Miami as Regional Center in Television Trade », Television & New Media, 4 : 3. 211‑229.

Stepick Alex, 1998, « ¡ Los cubanos han ganado ! Les latinos et la politique à Miami », L’Ordinaire latino-américain, 173/174. 39-58.

Stepick Alex, Grenier Guillermo, Castro Max et Dunn Marvin, 2003, This Land Is Our Land, Immigrants and Power in Miami, Berkeley, University of California Press, 192 p.

Stokes Martin, 2004, « Musique, identité et “ville-monde”. Perspectives critiques », L’Homme, 3 : 171/172. 371-388.

Street John, 2014, « Awards, Prizes and Popular Taste : Organising the Judgement of Music », dans L. Marshall et D. Laing, Popular Music Matters : Essays in Honour of Simon Frith, Farnham, Surrey Burlington, Ashgate, 181-194.

Telles Edward, Ortiz Vilma, 2016, « Generations of Exclusion », dans R. Gutierrez et T. Almaguer, The New Latino Studies Reader : A Twenty-First-Century Perspective, Oakland, University of California Press, 340-371.

Urry John, 2005, Sociologie des mobilités : une nouvelle frontière pour la sociologie ?, Paris, Armand Colin, 256 p.

Wimmer Andreas, Glick-Schiller Nina, 2003, « Methodological Nationalism, the Social Sciences, and the Study of Migration : An Essay in Historical Epistemology », International Migration Review, 37 : 3. 576- 610.

Yúdice George, 1999, « La industria de la música en la integración América Latina-Estados Unidos », dans N. García Canclini et J. C. Moneta, Las industrias culturales en la integración latinoamericana, México, Grijalbo, 398 p.

Yudice George, 2004, The Expediency of Culture. Uses of Culture in the Global Era, Durham, Duke University Press, 480 p.

Haut de page

Notes

1 142 955 habitants en 1930, 495 084 à la fin des années 1950. Source : Miami-Dade County Facts, Department of Planning & Zoning, avril 2009.

2 Nous empruntons la formule à Violaine Jolivet (2015).

3 Le terme « ethnique » n’est pas utilisé pour « race », comme il arrive que cela soit fait à tort, mais bien parce que la catégorie « hispanique/latino » est considérée par le recensement étatsunien comme une catégorie ethnique et non raciale. Cette caractéristique découle du « colorisme ségrégationniste » (« blanc, noir, marron, jaune, rouge ») historiquement implanté aux États-Unis et dans lequel le groupe hispanique ne peut être inclus aux yeux des institutions (Richomme 21 ; voir aussi Rodríguez ; Duany).

4 Du 29 décembre 1960 au 22 octobre 1962, les États-Unis accordent des visas spéciaux aux jeunes Cubains âgés de 6 à 16 ans, qui arrivent seuls, sans leurs parents, aux États-Unis (pas seulement en Floride) sous l’égide du Catholic Welfare Bureau. Au cours de ces vingt mois, quatorze mille mineurs non accompagnés s’installent à Miami.

5 Lors d’un entretien que nous avons mené avec Carlos Oliva à Miami le 25 juin 2014, celui-ci insistait sur cette appropriation à des styles ou répertoires « purement » haïtiens, colombiens, vénézuéliens, brésiliens, cubains…

6 Chanteur et compositeur, Donato Poveda est issu du milieu de la Nueva Trova cubaine. Exilé au Venezuela en 1989 où il signe un contrat avec Sony Music, il rejoint rapidement l’exil de Miami. Dès son arrivée, il s’intègre au réseau musical cubain et compose pour Willy Chirino, Gloria Estefan ou le salsero cubain Rey Ruiz. Entretien effectué le 5 juin 2014.

7 Le terme de balsa, signifiant radeau en espagnol, donne le nom attribué à la population émigrée après l’épisode de Mariel, en particulier lors d’une période d’arrivée massive en 1994. Alors que la crise économique et politique est au plus haut, l’été 1994 voit en effet le départ de près de 33 000 Cubains. Entre le début du mois d’août et le 14 septembre, 25 000 d’entre eux sont interceptés par les marines et envoyés en détention à Guantánamo. Ils sont placés aux côtés des Haïtiens, qui ont eux aussi fui leur pays de façon massive à partir de 1991. À la suite de cette situation, catastrophique d’un point de vue humain (nombreux sont les noyés ; les rescapés vivant dans des conditions difficiles à Guantánamo), des mesures sont prises par les deux gouvernements afin d’enrayer le phénomène.

8 Ernesto Fundora Hernández, réalisateur et écrivain cubain, quitte Cuba en  1993 à l’âge de 25 ans après avoir passé trois ans à réaliser des vidéos indépendantes pour divers artistes comme Carlos Varela, Santiago Feliú ou Isaac Delgado. Une fois à Mexico, il réalisa jusqu’à aujourd’hui plus de soixante clips pour divers groupes et artistes latino-américains.

9 À l’exception de Supernatural, publié par Arista (BMG), mais qui tombera quelques années plus tard dans l’escarcelle du géant japonais.

10 Fania Records est une maison de disques créée en 1964 par Johnny Pacheco et Jerry Masucci, qui a donné une visibilité internationale à la salsa, notamment via The Fania All-Stars, ensemble qui regroupait la plupart des grand.e.s chanteurs et chanteuses du label.

11 La musique tejana, ou « Texas-Mexican music », est, selon Guadalupe San Miguel, une « musique frontière » comprenant tous les genres, formes et styles ayant existé dans la communauté tejana depuis la fin du xixe siècle. Les Tejanos sont selon lui « les individus descendant de Mexicains qui sont nés et ont grandi au Texas » (San Miguel 4).

Haut de page

Table des illustrations

Titre Figure 1 – Une du Time Magazine du 23 novembre 1981, "South Florida : Paradise Lost ?"
URL http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/rfsic/docannexe/image/7450/img-1.jpg
Fichier image/jpeg, 56k
Titre Figure 2 – Une du Time International du 6 septembre 1993 : “Miami, Glitzy, violent and muy caliente, it’s taking the world by storm”
URL http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/rfsic/docannexe/image/7450/img-2.jpg
Fichier image/jpeg, 103k
Haut de page

Pour citer cet article

Référence électronique

Alix Bénistant, « Migrations en tension : l’influence de l’immigration cubaine à Miami sur la scène culturelle locale et l’industrie musicale « latino » »Revue française des sciences de l’information et de la communication [En ligne], 17 | 2019, mis en ligne le 01 septembre 2019, consulté le 20 janvier 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/rfsic/7450 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/rfsic.7450

Haut de page

Auteur

Alix Bénistant

Alix Bénistant est docteur en sciences de l’information et de la communication et membre associé au Centre d’études sur les médias, les technologies et l’internationalisation (CEMTI, Université Paris 8 Vincennes ‒ Saint-Denis). Courriel : alix.benistant@gmail.com

Haut de page

Droits d’auteur

CC-BY-NC-SA-4.0

Le texte seul est utilisable sous licence CC BY-NC-SA 4.0. Les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés) sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.

Haut de page
Rechercher dans OpenEdition Search

Vous allez être redirigé vers OpenEdition Search