Migrants et migrations en SIC
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1Les migrations changent. Si leur volume n’évolue pas autant que les débats médiatiques et politiques sur la « crise des migrants » le laissent accroire, il n’en reste pas moins que les modes de migrations, les profils des migrants et les regards portés sur eux se sont modifiés. La distinction simpliste que les politiques des pays européens opèrent entre les migrants qui « choisissent » et réfugiés qui « subissent » leur mobilité, masque une réalité bien plus complexe, faite de migrations, remigrations, co-présences et retours. Fuir des horizons bouchés pour se tourner vers des horizons apparemment plus lumineux, relève de motivations multiples et intriquées. Les opportunités économiques, les aspirations culturelles, les fuites devant les conflits, les catastrophes les persécutions, et discriminations ethniques, politiques ou sexuelles sont souvent intimement liées, voire indissociables.
2Toutes les formes de communication sont impliquées dans le processus du départ, de l’arrivée et de l’installation, et c’est la métaphore de l’horizon que nous choisissons pour présenter cet ensemble de contributions qui éclaire la posture des sciences de l’information et de la communication dans le concert multidisciplinaire des études migratoires. Car, malgré les politiques de plus en plus restrictives, l’horizon migratoire désigne, dans l’imaginaire du migrant, la toujours possible conquête d’un espace et d’un temps portant les marques symboliques d’un monde meilleur, où s’accomplissent l’accueil, la bienvenue, et l’hospitalité. L’horizon, pour les migrants, est habité par l’ami dont le regard porte bien plus loin que celui des sentinelles hantées par la protection d’un terroir. Le migrant n’imagine pas l’univers de l’accueil selon les normes, les règles ou les procédures de la protection des frontières. La migration est un toujours un défi au discours nationaliste. Ulrich Beck dirait qu’on ne peut penser l’horizon cosmopolite au moyen des outils d’une politique nationale. Les enjeux, les défis, les risques d’une communication transnationale en faveur d’une politique migratoire sont ceux liés à la construction d’une éthique de l’interculturalité. Le migrant doit faire entendre sa voix, médiatique et numérique.
Horizon médiatique
3L’horizon médiatique escorte chaque étape de la migrance ; il construit le rêve d’un ailleurs plus favorable, accompagne le projet, adoucit l’exil. Les travaux modernes n’ont plus à démontrer l’importance des dispositifs de communication dans les processus de migration. Ils cherchent désormais à percevoir les stratégies communicationnelles à l’œuvre et les usages complémentaires des médiums et des applications, selon les âges, les sexes, les espaces et les objectifs.
La constitution de la spécialité journalistique sur l’immigration en France : logiques politiques et professionnelles dans la production d’information de Paula de Souza Paes
4L’article de Paula de Souza Paes aborde la médiatisation et le cadrage journalistique des questions migratoires à travers l’étude de la constitution d’une rubrique sur la thématique immigration dans la presse française. À travers une série d’entretiens avec des journalistes de la presse française (le Monde, Libération) considérés spécialistes du traitement journalistique des migrations, et un socle théorique interdisciplinaire sur cette question, l’auteure définit les processus de co-construction de l’information médiatique sur les migrants et les migrations. Elle explique aussi comment cette thématique est devenue progressivement dans la presse française un domaine d’affirmation et de reconnaissance professionnelle important et un sujet de spécialisation légitimité dans la sphère médiatique. Le texte fait aussi référence au contexte dans lequel une rubrique « immigration » a émergé dans les pages des journaux et pense que la légitimation et le cadrage des sujets migratoires est lié avant tout à des changements profonds et des mutations internes structurelles ayant affecté l’ensemble des médias et le champ journalistique (repositionnement des services, redéfinition des pratiques journalistiques.) inséparables aussi des mutations externes comme l’évolution de la politique de l’immigration qui affecte la manière d’appréhender le sujet de la migration dans le discours médiatique.
Se regarder dans leurs yeux : Analyse du traitement des migrations dans les médias européens de María Ignacia Alcalá Sucre
5L’étude socio pragmatique menée par María Ignacia Alcalá Sucre vise à évaluer ce que la migration forcée fait à la réception des messages médiatiques sur les migrations. Elle repose sur des récits de vie recueillis auprès de réfugiés et demandeurs d’asile syriens résidant en France. Ces récits sont suscités par la consultation d’images photographiques (photo-élicitation), et permettent de prendre connaissance des ruptures (familiales, professionnelles, culturelles territoriales) et des événements intenses (violences, emprisonnements, tortures) vécus par les réfugiés. Les participants sont ensuite invités à commenter le traitement des sujets liés à l’immigration dans les médias français (presse écrite et audiovisuelle), puis à commenter une photographie de presse. Les réactions des réfugiés montrent une forte tendance à assimiler le phénomène migratoire en général à leur propre expérience. On constate aussi d’importantes variations dans les lectures en fonction des événements vécus depuis la migration, mais également avant la migration.
Les pratiques médiatiques et communicationnelles au sein des foyers issus de l’immigration, entre le local et le transnational. Retour sur une enquête de Tristan Mattelart
6Prenant appui sur une étude qualitative auprès de 40 familles d’origine maghrébine vivant à Paris ou dans ses environs, Tristan Mattelart met en perspective la notion de diaspora, aujourd’hui en mutation dans le contexte, comme le précise l’auteur, de « connexions médiatisées transnationales ». Citant Dana Diminescu, il rappelle qu’au migrant « déraciné », se substitue le migrant « connecté ». Pour autant, le développement d’Internet ne contribue pas à transformer la chronologie ou la temporalité des contacts au sens où pourrait le laisser une certaine utopie de la « coprésence numérique ». Le caractère illimité des échanges rendus possibles par les nouvelles technologies aurait au contraire pour effet, qu’on peut juger paradoxal, de contrarier le désir de communiquer avec la famille au-delà de la Méditerranée. L’auteur souligne par ailleurs l’importance, pour les familles concernées, de la communication locale-nationale ou, comme le précise Nora (19 ans), des échanges avec les « amis des alentours ». D’où, en conclusion, ce constat : « est très important de prendre en compte les interactions transnationales à l’œuvre, il est en effet nécessaire de ne pas, ce faisant, faire écran aux autres interactions opérant, elles, à d’autres échelles ».
“YouTube helps us a lot.” Media repertoires and social integration of Iraqi and Syrian refugee families in Germany de Liane Rothenberger, Ahmed Elmezeny, Jeffrey Wimmer
7Le rôle des médias dans le processus d’intégration sociale des immigrés reste une question pertinente à une époque où les pratiques médiatiques sont très diversifiées. L’enquête menée par Liane Rothenberger, Jeffrey Wimmer et Ahmed Elmezeny auprès de 20 familles arabophones, afghanes et syriennes réfugiées en Allemagne, éclaire la composition du répertoire média (incluant les livres, la télévision, les téléphones et les applications en ligne) et la répartition des usages collectifs et individuels dans la sphère familiale. Télévisions et smartphones sont les principaux équipements utilisés par les enfants et les parents. Les usages sont explicitement liés au souci de maintenir une relation avec les intimes malgré l’éloignement ; ils représentent une occupation pendant le temps libre et prolongent l’univers scolaire ; enfin, ils contribuent à l’apprentissage de l‘Allemand, pour les adultes, et au maintien de la pratique de l’Arabe pour les enfants. Les auteurs constatent qu’une pratique médiatique limitée au réseau de sociabilité et à la langue du pays d’origine s’accompagne d’un moindre niveau d’intégration en Allemagne.
Horizon partagé
8L’omniprésence des médias et réseaux numériques modifie le sens et les contraintes de la migration. Si les liens physiques sont rompus, il n’y a plus désormais d’exil numérique. De nouvelles sociabilités aux codes subtils s’élaborent via les télévisions connectées les smartphones et les réseaux sociaux. Coprésence, exclusions/inclusions par le choix de la langue, communications synchrones ou asynchrones, mises à distance et déconnexions composent la grammaire du partage du temps et de l’espace. L’erreur serait de penser qu’elle ne concerne que le migrant et sa communauté d’origine.
LGBTQI+ immigrants and refugees in the city of São Paulo : uses of ICTs in a south-south mobility context de Hadriel G. S. Theodoro, Denise Cogo
9L’article de Hadriel G. S. Theodoro et Denise Cogo interroge les formes d’usages et de consommation des technologies de l’information et de la communication (TIC) par des immigrants(es) et réfugiés(es) LGBTQI+ résidant dans la ville de São Paulo (Brésil). Les auteurs examinent aussi la contribution réelle des TIC à la dynamique de visibilité/invisibilité de cette population et la communication de leurs expériences de mobilité. L’article s’appuie sur des méthodologies transversales : des entretiens semi-directifs avec des immigrants(es) et réfugiés(es) LGBTQI+ résidant à São Paulo, l’observation d’espaces de communication, l’étude des lieux dédiés à l’interaction des immigrants(es) et des réfugiés(es) LGBTQI+ dans la ville de São Paulo ainsi que la collecte de données dans les médias sociaux et de documents produits par et/ou dirigés vers des sujets sur les immigrants(es) et réfugiés(es) LGBTQI+. Les auteurs constatent que les formes d’usages et d’appropriation des TIC s’inscrivent bel et bien dans un registre global et social entre autres la visibilité et la représentation de soi dans l’espace public, la reconnaissance des sujets liées aux immigrants(es) et réfugiés(es) LGBTQI+ et leur inscription dans les politiques migratoires. En effet, les migrants et les réfugiés LGBTQI+ construisent, par le biais de différentes utilisations des TIC, selon les auteurs, des tactiques pour renforcer leur visibilité (socio) communicationnelle tout au long de leurs parcours et projets migratoires. Ceci se traduit par exemple, dans l’utilisation des TIC pour choisir le Brésil comme destination migratoire ou dans la mobilisation, par le biais de réseaux sociaux, pour des actions collectives en faveur des LGBTQI+ immigrants et réfugiés dans la ville de São Paulo. Par conséquent, les médias permettent aussi de fonder des actions et de les structurer de manière à objectiver une visibilité publique. Ces dynamiques de visibilité sociale et médiatique transfigurent la transformation des médias et des TIC en un lieu symbolique de conflit et de négociation, essentiel aux transformations sociales et en un espace de légitimation et d’existence de sujets qui souffrent constamment de silence et d’invisibilité publique, comme les immigrants et les réfugiés LGBTQI+ dans le cas de cet article.
Penser l’« immigration continuité » à travers les réseaux sociaux numériques. Le cas de jeunes d’origine marocaine de Evelyne Barthou
10La pratique des Technologies de communication par les immigrés apparaît comme un vecteur de double-présence ou co-présence ; cependant Evelyne Barthou souligne l’ambiguïté des Réseaux Sociaux Numériques (RSN) qui, d’une part, favorisent l’expression politique et identitaire transnationale des membres de la diaspora et, d’autre part, les exposent aux injonctions normatives et au contrôle social et religieux du pays d’origine. L’analyse conversationnelle des jeunes marocains de la diaspora permet d’apprécier les combinaisons des différents médias, des différentes langues, et les jeux de connexion/déconnexion pratiqués selon le besoin de maintenir le réseau de connaissances à distance, ou, au contraire, de créer une quasi-présence. À l’instar des applications religieuses qui induisent une pratique de l’islam individualisée et affective, les sociabilités nouées via les RSN construisent une identité cosmopolite et un sentiment d’appartenance pluriel et complexe. Elles contribuent à l’évolution d’une migration-rupture vers une migration-continuité.
L’exil en musique. Partager des « moments musicaux » sur Facebook, une pratique communicationnelle de Emilie Da Lage
11Emilie Da Lage, à propos du musicien kurde irakien, Beshwar Hassan et de sa famille en exil, s’interroge sur la fonction de la musique dans la création d’un « espace-temps refuge ». Moyen d’expression et de médiation, l’activité musicale, dans l’exemple étudié, crée les conditions socio-symboliques de l’intégration du migrant. La musique donne au corps du migrant, le « corps frontière », comme le souligne l’auteure, une forme scénique symbolique, une présence créative. Le pouvoir dit « réflexif » des réseaux sociaux numériques, aura, dans cette aventure migratoire, joué un rôle déterminant. Cette opportunité numérique permet au migrant, en dépit des paradoxes, de faire le récit de son projet d’exil : « Facebook est l’un des lieux de mise en scène de rapports, parfois ambigus aux lieux de l’exil », précise l’auteure. Numérique et musique reconstituent ainsi, dans l’espace-temps de l’exil, dans les campements, un lieu où se reconstitue des formes, évidemment fragiles et provisoires, de l’identité, de la sociabilité. Comme le dit justement l’auteure, citant Voirol, la communication en ligne devient alors une pensée de l’adresse.
L’immigration au féminin : un nouveau regard au travers du web social de Oscar Motta Ramirez
12Le web social serait un facteur déterminant de la migration des femmes. Oscar Motta Ramirez développe cette problématique : les femmes migrantes, équipées de smartphones, de tablettes, montres connectées…, auraient développé, fortes de ces usages numériques, une « culture de la mobilité ». Le smartphone est cet objet de la médiation, de l’intégration : il favorise la disponibilité, l’accessibilité, la proximité à soi, de services numériquement intégrés. Dès lors, l’outil numérique peut contribuer à l’insertion professionnelle, à la construction et à la reconnaissance d’une identité sociale et culturelle au cours du trajet migratoire. Les réseaux sociaux y gagneraient donc, dans de tels contextes, une valeur sociale qui justifierait le sens, proche de l’euphémisme, donné à la fonction « sociale » des réseaux numériques.
Horizon interculturel
13La question de l’intégration culturelle irrigue la plus grande part des travaux rassemblés dans ce dossier. Il va de soi qu’elle concerne tout autant ceux qui reçoivent que ceux qui arrivent et qu’elle ne comprend pas les cultures comme des données essentielles et immuables mais comme des processus liquides en constante évolution, pris dans des interactions avec les cadres socio-politiques et économiques environnants. Il incombe aux sciences de l’information d’observer comment s’élaborent les cohésions sociales et culturelles et pourquoi parfois elles échouent à se nouer.
Migrations en tension : l’influence de l’immigration cubaine à Miami sur la scène culturelle locale et l’industrie musicale « latino » d’Alix Bénistant
14L’immigration cubaine à Miami pose un cadre saisissant pour l’observer les interactions entre environnement socio-économique et culturel en contexte migratoire et d’interculturalité, postule Alix Bénistant. Il nous montre que les différents flux migratoires cubains successifs, de natures différentes, ont contribué à l’émergence d’une scène locale et d’une industrie musicale à Miami dont l’autorité évolue au fil du temps et des changements, aussi bien des goûts que des alliances politiques. Devenu hub pour l’industrie musicale rayonnant vers l’Amérique latine, la grande ville américaine la plus proche de Cuba, au-delà des interférences locales, joue ainsi un rôle dans la globalisation du secteur des médias et des industries culturelles. Par des entretiens et des analyses de contenus, l’auteur rend visible ces lieux de luttes identitaires et politiques, où « se (re)jouent les ‘tensions propres à l’exil, à la migration et à la circulation’(Martiniello, Puig et Suzanne 2009) ». Dans des luttes d’influences de générations successives, il s’opère des glissements de sens, parmi les productions culturelles des populations issues de la migration et du pays d’accueil.
Les sites web de brésiliens en France et processus d’interculturation d’Elaine M. Costa Fernandez, Valentin El Sayed, Julien Teyssieret Patrick Denoux
15L’article d’Elaine M. Costa Fernandez, Valentin El Sayed, Julien Teyssier et Patrick Denoux s’inscrit dans le cadre d’un projet de recherche international reposant sur les bases théoriques examinant le rôle et l’apport réel des réseaux sociaux virtuels (RSV) dans la (re) construction identitaire des migrants. Remarquable par la méthodologie et les outils présentés, il analyse les pratiques info-communicationnelles des brésiliens ayant migrés en France à travers le repérage et l’étude des échanges réalisés sur les sites internet lié à leur diaspora. À travers un questionnaire en ligne original, l’observation de quatre groupes Facebook et l’analyse des entretiens semi-directifs avec des migrants volontaires au sujet de leur trajectoire migratoire, les auteurs souhaitent vérifier si l’usage des réseaux sociaux numériques (RSN) par la diaspora brésilienne facilite ou non leur intégration en France, société d’accueil, tout en les aidant à dépasser le manque et l’absence de la société d’origine. Sur un autre niveau et voulant inscrire leurs travaux dans la psychologie interculturelle, les auteurs abordent aussi l’impact des sites web de la diaspora brésilienne en France sur les processus identitaires et interculturels des migrants. Les 1ers résultats permettent de relever une corrélation inversée entre l’implication dans RSV et l’intensité de l’expérience interculturelle. Ainsi, la fréquentation des RSV tendrait à renforcer les liens intra-communautaires, observation qui semble conforter certains résultats de l’étude de Liane Rothenberger, Ahmed Elmezeny et Jeffrey Wimmer menée auprès d’immigrés arabophones en Allemagne.
Rethinking Migrant Socialisation in the Light of Critical Intercultural Communication : Proposals to Favour the Integration Process in France d’Alexander Frame
16La pression migratoire du début du XXIe siècle relance le débat sur l’intégration identitaire et à reconsidérer la notion d’interculturalité. L’article d’Alexander Frame revient sur les fondements historiques et épistémologiques de cette inter-discipline, et dresse un panorama critique des postures scientifiques, et de leur évolution, de l’essentialisme des études comparatives, à la liquidité des approches interactionnistes les plus récentes. Constatant les enjeux des débats suscités par les migrations au sien de la société et de la sphère politique françaises, il propose de faire évoluer le paradigme essentialiste et positiviste du modèle républicain d’intégration à la française et de privilégier la vision dynamique d’une culture intersubjective, ou l’individu construit en interaction son « répertoire culturel ».
L’immigration française contemporaine au Québec : entre retour au pays, poursuites migratoires et intégration durable de Sophie-Hélène Goulet
17Largement encouragée par le gouvernement québécois, l’immigration française au Québec est en hausse depuis le début des années 2000. L’intégration économique des Français apparaît privilégiée en termes d’emploi et de revenus, pour autant, une forte proportion d’entre eux ne s’installe pas définitivement au Québec. Sophie-Hélène Goulet s’interroge sur les raisons de ce phénomène de départ et émet l’hypothèse d’un malentendu interculturel. L’enquête qualitative dont elle présente les résultats montre que l’espoir d’une intégration rapide en raison d’une histoire commune et des similarités culturelles se heurte à des difficultés à s’adapter aux codes culturels américains de la société canadienne, et à son bilinguisme.
Horizon discursif
18C’est par les approches qualitatives, par le biais de l’analyse des discours, du recueil des récits de vie que les travaux des sciences de l’information se distinguent des études économiques et sociologiques sur les migrations. Valoriser cette parole par l’exposition, le film ou la cartographie permet de rompre l’invisibilité des migrant.e.s et d’outiller les sciences humaines et sociales afin de donner une profondeur « analysable » à leur parole. Dans cette optique, l’automatisation de l’analyse et le croisement requièrent une vigilance forte mais représentent une belle opportunité. Mais une exigence plus forte s’impose : il ne s’agit plus seulement d’effectuer un recueil attentif et respecteux des récits mais d’opérer une transformation réciproque dans le couple chercheur/témoin, filmeur/filmé, aidant/aidé et d’orchestrer les éléments constitutifs d’une capacitation.
La question migratoire à Cuba : politisation de conversations en ligne d’Elisa Beatriz Ramírez Hernández, Dimitri Fazito
19Elisa Beatriz Ramírez Hernández et Dimitri Fazito s’interrogent sur l’impact politique des diasporas sur le mouvement migratoire, impact lié au développement des moyens de transport et des technologies de l’information et de la communication. Leur étude porte sur la migration cubaine, notamment vers les États-Unis. Pour les auteurs, prenant appui sur le site Cubadebate, forum politique lancé par le gouvernement cubain en 2003, les conversations en ligne, l’exposé des parcours personnels ou des récits de vie expliqueraient l’émergence de formes nouvelles de sociabilité ou d’expression politique. Le récit d’une migration, parce qu’il expose les motifs, les justifications mais aussi les souffrances du migrant, s’inscrit dans ce que les auteurs appellent une « scène interactive », un espace discursif numérique au sein duquel, précisent-ils, les « récits qui rappellent les trajectoires de migration n’ont pas vocation à simplement restaurer le passé, mais essaient, par la conversation et la présentation publique des vulnérabilités et des inégalités, de transformer le présent. De sorte que, si le passé est en effet retrouvé, il ne restera pas le même, mais il sera repris et transformé ».
Place and Sentiment-based Life story Analysis. From the Spanish Republican Army to the French Resistance de Catherine Dominguès, Laurence Jolivet, Laurence Jolivet, Marion Cargill
20Dans un article dense et de nature fortement méthodologique, Catherine Domingues et al. proposent une approche originale pour l’analyse automatisée des récits de vie d’anciens résistants espagnols ayant émigré en France et ayant été actifs dans la seconde guerre mondiale ou la résistance française. Grâce à un travail méticuleux mené dans le cadre du projet MATRICIEL (PEPS CNRS UPE 2016-2017), cette recherche vise à « spatialiser » 18 récits de vie et à en extraire des mentions de lieux et les sentiments attachés à ces lieux, afin d’établir des cartes basées sur ces données originales. L’application du traitement automatique de la langue permet à l’auteur de s’attaquer à des problématiques SIC et contribue à l’interdisciplinarité de ce numéro. La transposition évoquée de la méthode d’analyse à d’autres corpus est également prometteuse.
Face aux migrantes Haïtiennes au Brésil : la recherche comme communication, hospitalité et considération d’Ângela Cristina Salgueiro Marques, Dina Therrier et Jean-Luc Moriceau
21Pour Ângela Cristina Salgueiro Marques, Dina Therrier et Jean-Luc Moriceau, une recherche sur la migration des femmes haïtienne vers le Brésil doit être centrée, en priorité, sur l’analyse des formes invisibles, secrètes des récits de soi, sur la manière de dire la souffrance, la vulnérabilité. L’accent est mis, dans cette contribution, sur le pouvoir critique de la subjectivation, autrement dit cette force qui permet aux migrantes de reprendre la main sur un destin en réaction, en opposition aux pouvoirs politiques stigmatisants. Comme le précisent justement les auteur-e-s, « raconter les souvenirs, moments d’estime et d’affects, est un outil politique, permettant d’examiner de manière critique son statut par rapport à la normalisation des discours, à la recherche d’affirmation de nouveaux modes d’expression subjective, politique et sociale ». Une question épistémologique est alors posée : l’enquête, la recherche sur le projet migratoire doit s’inscrire dans une ambition de partage avec le migrant de son expérience, de son nouveau projet de vie. C’est à cette condition que la recherche devient communication.
Digital Storytelling with Refugees : Analysis of Communication Setting from the Capability Approach Perspective de Simona Bonini Baldini
22Dans le cadre du projet européen IntégrArt, Simona Bonini invite à considérer les dispositifs de recueil de récits de vie des réfugiés et demandeurs d’asile. En s’appuyant sur un panorama de travaux consacrés aux méthodes narratives, elle rappelle que toute narration repose sur un fondement simple : l’acte de parler et l’acte d’écouter. Les Digital Storytelling Workshops (DSW) impliquent une dynamique de groupe qui conduit le narrateur à élaborer un récit qui sera ensuite édité sous forme de vidéo numérique. La narration devient un partage dans lequel les membres de l’atelier se confortent, et s’aident mutuellement à exprimer leurs attentes. Car l’évocation du passé n’est pas une fin en soi mais doit, selon l’auteur, construire les conditions d’une capacitation et conduire à un mieux-être social. Dans cette intention les conditions pratiques des DSW, les lieux dans lesquels ils se déroulent, les circuits de diffusion et contextes de réception des vidéos finales sont à prendre en compte avec attention.
Le film documentaire : un outil de médiation interculturelle au service de l’intégration des réfugiés de Cécilia Brassier-Rodrigues
23Le projet coLAB, financé par le Conseil de l’Europe et l’Union Européenne, a mobilisé quatre établissements d’enseignement supérieur européens autour de l’intégration des réfugiés dans leur équipe enseignante, de fin 2018 à 2019. Cécilia Brassier-Rodriguès revient sur l’expérience française au sein de l’Université de Clermont Auvergne, en insistant sur le dispositif élaboré pour développer la communication interculturelle et promouvoir l’image des enseignants – réfugiés. Un film documentaire, réalisé par les concepteurs du projet et les enseignants- réfugiés, revient sur cette expérience et les questionnements qu’elle a suscité chez les participants. Les formes situationnelles propres à la préparation et au tournage du film documentaire, ont permis une décentration des points de vue et un processus d’acculturation tant chez le filmeur que chez les filmés. Cette évolution favorable à la mise en place d’une communication interactive et riche en contacts interculturels ouvre la réflexion vers des dispositifs originaux, faisant appel à la médiation de tournage de film documentaire en complément des dispositifs classique du travail social.
Pour citer cet article
Référence électronique
Claire Scopsi, Carsten Wilhelm et Khaled Zouari, « Migrants et migrations en SIC », Revue française des sciences de l’information et de la communication [En ligne], 17 | 2019, mis en ligne le 01 septembre 2019, consulté le 22 janvier 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/rfsic/7410 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/rfsic.7410
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