1Avec la mondialisation, la notion de réseau a remplacé celle de structure (Bauman, 2000), l’accès aux savoirs et aux savoirs-faire s’est répandu, les processus de subjectivation se sont subdivisés (Moussa, Costa-Fernandez, Lescarret, 2017). Mais que pouvons nous dire de l’individu « migrant » ? Quelle place occupent les Technologies de l’Information et de la Communication (TIC) dans les migrations contemporaines ? Cette étude interroge la capacité des e-diasporas à favoriser l’intégration (multi)locale, au sens de Duchêne-Lacroix et Koukoutsaki-Monnier (2015). Il s’agit de comprendre si l’usage des réseaux sociaux virtuels (RSV) par les membres de la diaspora brésilienne facilite leur intégration en France, société d’accueil, tout en les aidant à dépasser la saudade du pays, c’est-à-dire, le manque de la société d’origine. Dans la suite de nos travaux sur l’impact des TIC sur les processus de subjectivation et de socialisation des jeunes au Brésil, en France et au Vietnam (Costa-Fernandez, 2016a, 2016b), ce projet de recherche vise à comprendre le rôle des réseaux sociaux virtuels (RSV) dans la (re)construction identitaire des migrants.
2Les pratiques seront ici considerées comme « des conduites finalisées, individuelles ou collectives, figées ou adaptatives, socialement situées, inscrites dans une temporalité, sous tendues par des représentations, des savoirs, une logique et un raisonnement, marquées par une appréciation de soi et des autres, et révélatrices d’une culture qu’elles enrichissent éventuellement en retour » (Paul, Perriault, 2004 : 13).
3Du point de vue psychologique, nous cherchons à comprendre si les sites web tenus par des migrants favorisent l’interculturation, définie comme : « les processus psychologiques par lequels les individus et les groupes appartenant à deux ou plusieurs ensembles culturels, se réclamant de cultures differentes, ou pouvant y être referés, engagent implicitemnet ou explicitement la différence culturelle qu’ils tendent à métaboliser dans les interactions qu’ils développent » (Denoux, 1994 : 72). Dans le cas des brésiliens en France, nous considérons qu’ils se trouvent dans une situation de contact de cultures, partagés entre la ou les cultures du pays d’origine, le Brésil et la ou les cultures du pays d’accueil, la France. Cette pluri appartenance, même si déséquilibrée à plusieurs niveaux comme la compétence linguistique, sera à la fois source de conflits et de dépassement de soi. Quelles sont donc les stratégies adoptées pour faire face aux écarts constatés entre tous ces référentiels culturels ? Quelles stratégies sont prédictrices d’une réinvention créative de soi ?
4Nous faisons l’hypothèse que la participation à des dispositifs interculturels comme les réseaux sociaux virtuels (RSV) liés à une diaspora favorise les processus d’interculturation qui se manifesteraient par le biais de et au moyen de Réactions Psychologiques Transitoires (RPT) relatives à des stratégies novatrices de création interculturelle. Ces stratégies donneraient l’opportunité au migrant de surmonter les conflits déclenchés par les chocs culturels (Cohen-Emerique : 1984) et ainsi de parvenir à un état de bien être pour l’individu (Teyssier, Denoux : 2013). Parmi les résultats attendus, nous supposons que l’usage et les pratiques numériques favoriseront la traçabilité migratoire, ce qui serait facteur d’interculturation.
5Le terrain d’étude concerne des sites web, des groupes virtuels Facebook organisés et frequentés par des brésiliens ayant migré en France1. Les Réseaux Sociaux Virtuels sont des collectifs distinctifs, des communautés virtuelles avec des espaces privés et publics réservés aux membres. Notre méthodologie (que nous détaillerons dans la deuxième partie) est mixte, et comprend une première partie quantitative et une deuxième partie qualitative. La phase quantitative est constituée de la passation d’un questionnaire on line et de l’analyse statistique des réponses. La phase qualitative recouvre la nethnographie des usages à travers l’observation participante de quatre groupes Facebook et des entretiens semi-directifs réalisés par Skype et en présentiel.
6Après avoir presenté les fondements théoriques, les objectifs, la population cible et le dessin méthodologique de la recherche nous proposerons l’analyse des résultats pour conclure avec quelques perspectives.
7Cette étude s’inscrit dans la lignée des travaux sur le cosmopolitisme de Ulrich Beck, sur la dimension spécifiquement « culturelle » du terme « numérique », position soutenue par Vitali-Rosati (2014), sur la perspective interculturelle et le concept d’interculturation développé depuis plus d’une trentaine d’année par Patrick Denoux et une équipe de chercheurs toulousains2. Elle cherche à contribuer à la compréhension du rôle des TIC dans l’actualité.
8Par cosmopolitisme, nous exprimons le constat qu’actuellement, les limites entre pays, classes sociales, genres, opinions politiques sont devenues plus floues, faisant émerger la conscience d’une appartenance multiple (Beck, 2006) et « le partage commun des risques » provoqués par la mondialisation (Beck, 2001). Le choix du terme « culture numérique » vise à affirmer que « le numérique n’est pas seulement un ensemble de dispositifs techniques qui permettent de mieux faire ce que nous faisions avant » (Vitali-Rosati, 2014 : 70). Cette posture place de fait les Technologies de l’Information et de la Communication (TIC) « au cœur des changements culturels, sociaux et politiques actuels » (Wihelm, 2009 : 101) car elle considère que l’outil « produit les pratiques et produit aussi le sens de ces pratiques, il modifie notre façon d’être au monde mais aussi notre « nature », car il change notre façon de comprendre, notre façon de gérer l’attention, notre façon de penser, notre perception du temps » (Vitali-Rosati, 2014 : 71).
9Neanmoins, nous sommes loin d’affirmer qu’un outil puisse produire quelque chose de lui-même alors qu’il n’est qu’un simple instrument aux mains d’un usager. Cela ne veut pas dire non plus que l’outil soit complètement neutre. Nous partageons les principes de la construction sociale de Proulx qui présuppose une interaction homme et dispositif, engendrant tout un espace numérique particulier à l’intérieur duquel l’individu évolue « sans déterminisme de nature technologique ou sociale ». (Breton et Proulx, 2012 : 263). Il ressort de cette approche que l’outil a un impact sur les cultures en jeu à travers sa forme, sa configuration ou sa matérialité, quelque soient les contenus des échanges. Proulx (1999) se demande ainsi si « une certaine américanité – c’est-à-dire un certain style, une manière de faire, le choix obligé de certaines formules de conception-réception imposant implicitement certains rythmes et certaines valeurs aux créations culturelles – ne serait pas déjà ancrée dans ces dispositifs techniques avant même qu’ils ne pénètrent notre espace symbolique ». (Proulx, 1999 : 210).
10Ce projet de recherche s’interesse particulièrement aux différentes configurations d’intériorisation de la culture numérique perçues comme des produits culturels et non pas comme des actes volontaires à travers ses nouveaux espaces d’information et de communication qui sont les réseaux sociaux virtuels (RSV). Nous partons du principe info-communicationnel, terme unique qui réunit les deux dimensions informationnelle et communicationnelle, malgré leurs differences (Bougnon, 2001) et selon lequel l’outil internet est maintenant une voie essentielle de communication donnant l’opportunité d’échanger ou encore d’effectuer tout une panoplie de tâches et favorisant « l’intensification et la complexification des pratiques relationnelles numériques » (Mell, 2014 : 1). Les usages et pratiques numériques renvoient donc à une forme de mise à nu de l’identité de l’usager par le biais de l’envrionnement numérique (Mell, 2012, 2013). Au niveau info-communicationnel, « l’usage fait par les internautes serait limité à l’emploi d’une technique alors que leur pratique engloberait l’ensemble des comportements, des attitudes et des représentations se rapportant directement à l’outil » (Jouët 1993 : 371). L’analyse des usages proposée dans cet article implique donc une interprétation des pratiques numériques des brésiliens résidents en France.
11La perspective interculturelle part du postulat que le sujet singulier ne peut être appréhendé qu’à travers le prisme de ses appartenances historico-culturelles et le considère comme producteur et produit cuturel (Camilleri, Vinsonneau, 1996). Dans ce sens, les situations impliquant le contact culturel et la confrontation à l’altérité seront étudiées par la psychologie interculturelle comme des espaces de coconstructions intersubejctives permettant la création d’éléments nouveaux dans une sorte d’entre-deux (Sibony, 1991). Ces espaces seraient, en somme, producteurs d’une culture tierce et d’interculturation. En parallèle, dans nos sociétés post modernes, impactées par la pratique hégémonique de l’internet et des TIC, la pluriappartenance apparaît comme une norme sociale de plus en plus partagée. Ainsi, chaque individu deviendrait culturellement polyréférencé, voir interculturé. Ceci ne serait pas un acte choisi, volontaire, mais la conséquence de l’immersion de tout un chacun dans un contexte mondialisé, culturellement pluriréférencé car marqué par la diversité et la perméabilité des modèles culturels. C’est pourquoi les différents niveaux d’analyse (intrapsychique, interpersonnel et intergroupal) ne seront réalisables que si nous prenons en considération le dynamisme et la complexité des liens entre psychisme et culture.
12La perspective interculturelle rejoint l’approche cosmopolitique des migrations à différents niveaux. D’une part, elle met à l’honneur le mélange de cultures et l’appartenance multiple. D’autre part, elle contribue à la mise en oeuvre de créations et d’innovations destinées à faire face à l’altérité particulièrement importante dans un contexte de mobilités intensives. La psychologie dite interculturelle en France s’enracine dans les travaux de Roger Bastide (1898-1974) sur la « dimension subjective de l’expérience migratoire » et de l’apport de l’Ecole de Chicago dont les deux principaux représentants, Thomas et Robert E. Park, ont posé les fondements de « l’anthropologie des relations interethniques et de l’immigration ». Pour Bastide, « la migration n’est pas un simple déplacement dans l’espace d’un point à un autre, mais une opération qui aboutit à une transformation de l’individu en fonction, entre autres, de son projet migratoire » (Cuche, 2008 : 53).
13Centrés sur l’analyse des répercussions des migrations sur l’individu, les travaux du Pôle Interculturation Psychique et Contacts Cuturels (IPCC) du Laboratoire Cliniques, Pathologiquee et Interculturelle (LCPI, EA 4591) de l’Université de Toulouse Jean Jaurès (UT2J) ont pour thématique « l’individuation psychique et collective au coeur de la pluriculturalité des sociétés contemporraines et l’interculturation » (Teyssier, Denoux, 2013b : 301). Ces travaux considèrent que « l’écart engendré par toute situation de rupture (qu’elle soit culturelle, sociale, sémiotique, symbolique, charnelle…), sollicite une activité psychologique qui tend à sa « réduction » et à son dépassement, afin de rendre intelligible le lien entre ce qui était et ce qui advient » (Teyssier, Denoux, 2013).
14Ces travaux français sur le concept d’interculturation, pouvant être perçu comme « processus » et/ou « produit », mettent l’accent sur l’innovation et l’apparition d’éléments nouveaux face à l’altérité. Dans une « posture synchronique, figée dans le présent, de l’instant et de l’immédiateté, l’interculturation sera considerée comme « le produit » des contacts de cultures, comme la résultante d’une négociation, à la suite des ruptures » (Teyssier, Denoux, 2013a : 257). De ce point de vue, « l’interculturation déploie, entre les deux univers culturels du migrant un double mouvement interpersonnel et intrapsychique » (Teyssier, Denoux, 2013a : 259). En revanche, dans une posture diachronique, l’interculturation est davantage perçue comme un processus dynamique notamment quand la personne migrante explique sa trajectoire migratoire. Une forme de cohésion se dégage entre les differentes étapes de sa traversée de façon à favoriser des processus interculturatifs effectifs avec des conséquences positives (interculturation positive) ou négatives (interculturation négative).
15A partir des études basées sur une approche transnationale, en opposition au découpage en Nation ou Etats, nous partons du postulat que « l’internet devient, en contexte migratoire, un outil d’innovation sociale avec des finalités dialogiques » (Nedelcu, 2010 : 51). Dans ce sens, les TIC semblent être le moyen le plus congruent dans l’actualité pour comprendre les processus transnationaux. Par ailleurs, l’internet donne aux usagers l’illusion d’occuper deux positions à la fois, « autorisant une optique cumulative selon laquelle un individu peut être à la fois inclus et exclu, occuper différentes positions sociales en rapport avec différentes sociétés nationales, être engagé à la fois dans des mouvements locaux et globaux » (Beck, 2002, 2006 cités par Nedelcu 2010 : 53). Le fait de vivre connecté et de pouvoir (ré)agir en temps réel renforce la pluralité d’appartenances, ce qui aura des répercussions sur les modes de vie des usagers (Beck 2006 ; Nedelcu, 2009, 2010 ; Georgiou, 2010).
16À travers les TIC, par exemple, les migrants vont perpétuer leur façon de vivre ou encore de participer dans deux univers culturels à la fois comme des brésiliens qui continuent à suivre leur série télévisée quotidienne, les novelas, alors qu’ils sont en France. L’usage des TIC par des migrants permet de remplacer l’idée de déracinement, de séparation, illustrée par le concept de double absence (Sayad, 1999), par l’image du migrant connecté de manière constante, formant un « trait d’union » de continuité par « la co-présence entre ses deux mondes » (Diminescu, 2005 : 276).
17De ce point de vue, l’internet et les TIC forgent les prémisses « de l’émergence d’habitus transnationaux, compris comme l’expression de l’acquisition de nouvelles formes de capital culturel dans un contexte transnational » (Nedelcu, 2010 : 68). Ces figures provoquent des nouvelles tendances pour la mobilisation et la cohésion d’une société « mise à distance », virtualisée, cela « multiplie les appartenances des migrants, leur permettant de s’approprier des valeurs cosmopolites, de développer des identités et des biographies déterritorialisées » (Nedelcu, 2010 : 51). Par conséquent, nous nous retrouvons face à de personnalités hybrides ou encore plurielles, à de nouvelles façons d’établir du lien social en présentiel mais surtout virtuellement, avec des nouvelles formes et des nouveaux contenus interactifs. Ces nouvelles configurations marquent ce début de xxie siècle par le biais des « Nouvelles » Technologies de l’Information et de la Communication (« N » TIC).
18Il nous paraît important de souligner que cette étude prétend contribuer aux travaux sur les enjeux des nouveaux moyens de communication et la construction identitaire des membres des diasporas, thématique considérée centrale pour l’approche des cultures et des « identités contemporaines » (Agbobli, Kane, Hsab, 2013). Cette thèse est pertinente toutefois elle est mal développée : développer cette thèse théorique pour que l’article gagne en pertinence
19Dans ce sens et au regard de l’usage fait par les participants des sites webs tenus par des diasporas, pourrions-nous parler d’une « identité diasporique » ? Comment se construit le rapport à l’autre dans ce cadre ? En particulier envers la culture d’accueil mais aussi par rapport à la culture d’origine ? Développer et expliquez une approche théorique sur l’identité des migrants, les médias et les TIC.
- 3 Le projet, sous la coordination de Elaine M. Costa-Fernandez a été validé par le comité d’éthique d (...)
20Pour opérationnaliser nos objectifs, le dessin de la recherche est composé d’une partie quantitative et d’une partie qualitative3. La partie quantitative est constituée d’un questionnaire on line composé de trois échelles qui a été proposé à des participants vivants ou ayant vécu une situation de mobilité internationale dont des brésiliens. La partie qualitative a été réalisée selon la double perspective d’un regard anthropologique, centré sur l’analyse du contexte culturel de sites web de brésiliens en France et psychologique interculturel, à travers l’analyse des trajectoires migratoires de quelques participants volontaires.
21L’étude quantitative a débuté par l’élaboration et la validation d’une échelle d’engagement du migrant dans des réseaux sociaux virtuels (RSV) liés à sa diaspora. Cette échelle est composée de deux sous dimensions, l’une relative à l’Intensité, la Régularité et la Fréquence (IRF) et l’autre relative aux Intentions et Modalités d’Usage (IMU). La première sous dimension (IRF) correspond au poids des RSV dans la vie de l’individu alors que la seconde (IMU) relève des raisons et motifs d’utilisation des RSV par l’individu (Costa Fernandez, El Sayed, Denoux & Teyssier, 2019).
22Ensuite, un questionnaire a été conçu et diffusé sur internet à toutes personnes ayant vécu une situation de mobilité internationale. Le choix de ne pas limiter la passation du questionnaire aux brésiliens ayant migré en France, population cible de la recherche, a été motivé par l’objectif de l’instrument. Cet outil vise à faire le parallèle entre le niveau d’engagement du migrant aux RSV liés à sa diaspora, le niveau de son experience interculturelle et de sa sensibilité interculturelle et ceci, quelque soit son pays d’origine et son pays de destination. L’outil réunit des données sociodemographiques de l’individu : âge, sexe, nationalité, pays d’origine, pays d’accueil, catégorie socioprofessionnelle, temps de séjour dans le pays d’accueil ; les 16 questions de l’échelle d’engagement du migrant aux RSV liés à sa diapora ; les 8 questions de l’échelle d’expérience interculturelle (EI) (El Sayed, 2018) et 18 questions de l’échelle de sensibilité interculturelle (SI) (El Sayed, 2018).
23Cette composition part du fait que ne disposant pas d’outil apte à évaluer l’interculturation dans toutes ses manifestations, nous l’avons évalué par le biais de deux échelles testées par Valentin El Sayed (2018) dans sa thèse de doctorat. Ses resultats concluent que l’expérience interculturelle (EI) et la sensibilité interculturelle (SI) sont prédictrices de l’interculturation. En conséquence, nous pourrions comparer le niveau d’engagement aux RSV au niveau d’interculturation du migrant, évalué à travers les échelles d’expérience interculturelle (EI) et de sensibilité Interculturelle (SI).
24L’échelle d’experience interculturelle (EI) élaboré par El Sayed (2018) a été élaborée à partir des travaux de (Gu, 2005), (Steinkalk et Taft, 1979), entre autres. Elle est composée de 8 questions qui évaluent le niveau d’expériences interculturelles du migrant ayant un impact majeur dans leur vie (ex : avoir une relation amoureuse avec un étranger). L’échelle d’engagement des migrants à des RSV liés à leur diaspora et l’echelle d’expérience interculturelle sont de type Likert (1, 2, 3, 4). Chacun de ses items va d’un engagement faible à fort dans les RSV (Engagement faible, plutôt faible, plutôt fort et fort).
25L’échelle de sensibilité interculturelle (El Sayed, 2018) à été inspirée du modèle de Bennett (1986) mais aussi des differents travaux de Hammer et al. (2003). Les 18 questions permettent de mesurer la capacité de l’individu à réagir lorsqu’il est confronté à l’altérité culturelle au travers de deux dimensions : cognitive et affective.
26Dans un premier temps, nous avons récupéré 165 questionnaires complets, à partir desquels un traitement statistique a été réalisé. Nous nous limiterons à une présentation descriptive des données obtenues à partir de ces moyennes, ce qui donnera une première tendance des résultats.
27Afin de confronter ces résultats et d’en évaluer la pertinence, une étude qualitative a été menée dans une deuxième phase.
28L’étude qualitative vise à analyser l’interculturalité en ligne ainsi que les pratiques en situation de communication interculturelle ou encore les codes langagiers, à travers l’observation participante et la netnographie, méthode d’enquête qualitative « qui utilise l’Internet comme source de données en s’appuyant sur des études sur des communautés virtuelles de consommation » (Bernard, 2004 : 49). La netnographie, initialement utilisée pour le marketing, analyse et interprète les énoncés et les pratiques numériques des membres d’une même communauté virtuelle (Kozinets, 2014). Elle a consisté à l’observation participante de quatre groupes Facebook de brésiliens en France Ces quatre groupes ont été sélectionnés selon des critères de proximité avec la question de recherche, intensité du trafic, nombre de messages postés, nombre de participants, intérêt général. Ils ont été ensuite suivis pendant deux mois (entre novembre et décembre 2018) afin de favoriser l’immersion dans la communauté virtuelle ciblée. La collecte de données s’est achevée (fin de l’observation participante) lorsque, selon le principe de saturation (De Sardan, 2013), le sujet nous a paru suffisament traité par les analyses et interpretations effectuées. Cela implique que parallèlement au recueil, l’analyse des données était déjà en cours, notamment au moyen de notes de terrain fréquemment écrites tel un journal de recherche.
29L’analyse a pour base la grille d’observation des sites inspirée des travaux de Julien Teyssier et Patrick Denoux (sous presse) sur l’Interculturation et narrative de soi. Elle est composée d’aspects collectifs, « des Récits socio-culturels (RSC), récits portant sur l’extériorité des sujets » et « des Récits du soi (RDS), récits portant sur l’intériorité des sujets, identifiés par différents “je” ». Les supports d’analyse ont été des productions narratives ainsi que des données textuelles de deux types : les communications promouvant une interaction sociale de manière interrogative et les communications informationnelles dont le but est la propagation d’une information ou encore de répondre à des questions.
Tableau 1 – Grille d’observation participante
1. Aspects collectifs portant sur l’exteriorité des sujets : Récits socio-culturels (RSC)
1.1. Représentations culturelles liées à la culture d’origine (être brésilien) ;
1.2. Représentations culturelles liées à la culture d’accueil (être en France) ;
1.3. Demandes explicites d’aide, interrogations ;
2. Aspects individuels portant sur l’intériorité des sujets : Récits du soi (RDS)
2.1. Suggestions, propositions, stratégies, aides ;
2.2. Conflits, angoisses, symptômes de souffrance et/ou mal être ;
2.3. Références à des moments de plaisir, découvertes, enrechissement personnel.
- 4 Tous les participants aux entretiens ont donné leur accord à travers un Terme de consentement libre (...)
30Les entretiens semi-directifs sont réalisés selon Blanchet (2013) en présentiel ou par Skype. A cette étape de l’étude, dix participants ont été sélectionnés en fonction de leur intérêt à la thématique4. Leurs productions narratives ont été enregistrées et transcrites avec leur accord et analysées d’après les « principes de la clinique de la mondialité » (Derivois, 2017). Il a été question de la trajectoire migratoire avant, pendant et après l’arrivée en France, les principales difficultés rencontrées, les stratégies adoptées pour les surmonter, les défis et perspectives d’avenir. Nous avons analysé pour l’instant le trajet migratoire de deux doctorants brésiliens faisant leurs thèses dans une université française. L’analyse complète de l’ensemble des narratives est en cours. Les données obtenues seront réalisées avec le software IRAMUTEQ (Interface de R pour les Analyses Multidimensionnelles de Textes et de Questionnaires) (Ratinaud, 2009).
31Pour trouver des migrants brésiliens volontaires, des invitations ont été postées sur les quatre sites selectionnés. La méthodologie de repérage des sites web d’immigrés a été basée sur l’utilisation de « marqueurs sémantiques » spécifiques (Scopsi, 2009) et sur le Crawling automatique ou récolte automatique de données, c’est-à-dire, une pratique qui consiste à « collecter [automatiquement] le contenu d’une page pour ensuite la traiter, la classer et fournir des informations au propriétaire du logiciel » (Cahen, 2018 : 1). A partir de quelques points marquants de la communauté brésilienne, obtenus par le « bouche à oreille », une liste de sites internet a été créée, donnant lieu à la mise en place d’un « champ d’action ». Ensuite, les sites caracterisés comme représentatifs d’immigrés brésiliens en France ont été selectionnés et indexés. N’ont pas été retenus des sites adressés à des populations spécifiques, comme celui de femmes, mères ou étudiants brésiliens. Nous avons ainsi préféré des sites ouverts à l’ensemble des brésiliens en France, sans aucune distinction.
32Des appels ont été diffusés également dans des associations brésiliennes comme l’Associação dos Pesquisadores e Estudantes Brasileiros na França (Apeb-FR). Dès les premiers contacts, la méthode de la « boule de neige » a été utilisée pour augmenter le nombre de participants. La procédure amène chaque personne à nommer une ou plusieurs personnes, qui peuvent à leur tour suggérer d’autres noms. Almeida et Baeninger (2016) l’ont utilisée dans une recherche sur les modalités contemporaines de la migration brésilienne en France. Dans le cadre de notre recherche, tous les brésiliens qui résident en France ont été acceptés, y compris ceux qui séjournent temporairement comme les touristes, les étudiants à court terme, les étudiants inscrits en formation de français langue étrangère (FLE).
33L’étude étant en cours à l’heure où s’écrit cet article, nous n’en proposerons que les premiers résultats obtenus après la mise en ligne du questionnaire conçu pour la recherche. Les résultats seront présentés de manière descriptive et cherchent à comparer le niveau d’expérience interculturelle des participants et leur engagement dans les RSV. L’étape des statistiques inférentielles des trois échelles sera realisée après l’obtention de l’ensemble des résultats.
34L’échantillon (N =165) obtenu est composé de 125 femmes (75,8 %) et de 38 hommes (23 %) et de 2 considérés comme Autres (1,2 %), avec une moyenne d’âge de 32,03 ans (SD = 15,58). Les participants sont pour la plupart étudiants (62,4 %), cadres (20 %), Professions intermédiaires (10,3 %), retraités et sans emplois (7,3 %).
35L’échelle d’expérience interculturelle suit le même principe et fait ressortir un pourcentage de 11,06 % pour la première modalité (EI faible) comparée à 17,88 % pour la seconde (EI plutôt faible), 39,77 % et 31,06 % respectivement pour la troisième (EI plutôt forte) et la quatrième modalité (EI forte). Nous pouvons ainsi affirmer sans ambigüité que plus des deux tiers des participants (70.83 %) possèdent une expérience interculturelle plutôt forte voire particulièrement forte. Dans ce sens, la majorité des personnes en situation de mobilité internationale a exprimé clairement une expérience interculturelle élevée.
36Cette tendance reflèterait potentiellement des processus interculturatifs, mis en œuvre au cours des expériences particulièrement engageantes face à la différence culturelle (Teyssier, Denoux, 2013a). Cette potentialité indique un contexte favorable à l’adoption par le migrant de stratégies identitaires pour faire face à l’écart culturel (Camilleri, 1990), à l’utilisation de sa capacité à gérer l’altérité et à l’acquisition d’une expérience interculturelle engageante, ce qui impliquerait une remétabolisation de la différence culturelle sur le long terme (Denoux, 1994).
37Néanmoins, concernant l’échelle d’engagement des migrants dans les RSV lié à leur culture d’origine ou leur diaspora, nous relevons un pourcentage de 24,05 % des participants qui ont répondu à la première modalité comparée à 35,57 % pour la seconde, 31,82 % pour la troisième ainsi que 8,56 % pour la quatrième. Par conséquent, une majorité de participants (59,62 %) s’engagent peu voire pas du tout dans les RSV liés à leur culture d’origine. Quand nous regardons au travers des sous dimensions de cette échelle, nous constatons que les sous-dimensions suivent la même tendance générale. La sous dimension relative à l’Intensité, la Régularité et la Fréquence d’engagement sur les RSV (IRF) révèle que 63,56 % des participants s’engagent de façon faible sur les RSV. De même, environ 55,98 % des participants présentent de faibles voire très faibles intentions et modalités d’usage (IMU) des RSV dans leurs vies.
38Nous pouvons en déduire une tendance à ce que moins les migrants en situation de mobilité internationale sont engagés dans les RSV et plus leur expérience interculturelle est élevée. Ce qui signifie, à contrario que, plus ils sont engagés sur ces sites et moins élevée est leur expérience interculturelle. Le rapport entre engagement sur les sites web diaspora et expérience interculturelle s’avère inversé. Cela pourrait signifier que l’engagement dans les RSV aurait plutôt tendance à enfermer l’individu dans sa propre culture d’origine, créant une espèce de communautarisme, ce qui ne favoriserait pas l’expérience interculturelle et par conséquent les processus d’interculturation. Cet ensemble de résultats descriptifs reste à confirmer avec davantage de participants issus d’horizons culturels plus variés et par des statistiques inférentielles (Corrélations et Régressions linéaires par le logiciel SPSS). Il en est de même pour la prise en compte de la sensibilité interculturelle qui est relativement complexe à analyser d’un point de vue descriptif.
39Par ailleurs, quelques éléments supplémentaires confirment les relations entre l’expérience interculturelle, engagement sur les RSV et l’interculturation. En effet, d’un point de vue descriptif nous constatons que 71,5 % des répondants au questionnaire on line ont des relations particulièrement solides avec des personnes issues d’une autre culture que la leur, ce qui contribue à augmenter l’expérience interculturelle. Ou encore, 60,6 % des répondants ont déjà partagé leur logement avec une personne étrangère au moins une fois, mais aussi que 89.7 % des répondants partagent souvent ou en permanence des activités avec des personnes culturellement diffèrentes d’eux. Ces résultats révèlent la grande ouverture des individus vis-à-vis de l’altérité culturelle. Ces situations de contacts culturels peuvent parfois provoquer des situations interculturelles déstabilisantes, déclenchant les réactions psychologiques transitoires (RPT) (Teyssier, Denoux, 2013a) et pouvant éventuellement aboutir à une synergie interculturelle (Clanet, 1990) renvoyant à une interculturation effective. En revanche, malgré ce haut niveau d’expérience interculturelle, 52,7 % des participants n’ont pas de membres de leur famille provenant d’une autre culture que la leur, ce qui est relativement paradoxal et pointe un brassage relationnel qui n’atteint pas la sphère familiale.
40L’analyse des pratiques infocommunicationnelles des migrants sur les groupes Facebook retenus a suivi les principes de la netnographie définie comme l’utilisation scientifique de données qualitatives issues d’Internet comme des commentaires ou encore des échanges de la part des membres des communautés virtuelles (Bernard, 2004). Pour des raisons éthiques, les chercheurs ont informé les responsables des groupes Facebook de leur présence, de leur affiliation et de leurs objectifs de recherche dès le début de l’enquête. La confidentialité et l’anonymat des participants ont été garantis. Les chercheurs se sont engagés également à faire un retour des conclusions aux membres de la comunauté virtuelle (Kozinets, 2014)
Tableau 2 – Informations sur les quatre pages Facebook sélectionnées
41L’observation participante réalisée à partir de la grille d’observation des sites, inspirée des travaux de Julien Teyssier et Patrick Denoux (sous presse) sur l’Interculturation narrative de soi a donné le tableau suivant :
Tableau 3 – Grille d’observation des sites avec des exemples d’énoncés retenus
42Les quatre sites analysés sont des groupes Facebook fermés composés ainsi de communautés virtuelles caractérisées par des rassemblements ponctuels même si certains individus sont plus assidus que d’autres. Il ressort de l’observation participante de nombreux échanges de service entre les membres du groupe et une ambiance cordiale, sauf pendant la période préélectorale entre septembre et octobre 2018. A cette période, des propos très agressifs ont été répéres, malgré les avertissements des responsables qui menaçaient d’exclure les membres qui postaient des sujets politiques.
43L’observation participante a mis en evidence une supprématie des Récits socio-culturels (RSC) par rapport aux Récits du soi (RDS). Cette tendance traduit une ouverture des participants vis à vis de l’altérité, les RSC étant moins personnels que les RDS. Les contenus, les formes et la quantité des messages varient en fonction des trois types d’espaces de privacité de Facebook, à savoir : « l’espace intime : informations uniquement visibles par l’usager (“Personne”) ; l’espace restreint : informations visibles par les membres du réseau de l’usager (“ Seulement mes amis”) et les réseaux de ces mêmes membres (“Mes amis et leurs amis”) et l’espace manifeste : informations visibles par l’ensemble des usagers d’internet (“Tout le monde”) » (Mell, 2013 : 10).
44Les études de cas ont été conduites à travers des entretiens semi-directifs de recherche avec dix migrants brésiliens en France volontaires, membres des pages Facebook sélectionnées. L’entretien était composé des points suivants :
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Trajectoire de vie avant l’arrivée en France ;
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Trajectoire de vie pendant son séjour en France ;
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Principales difficultés rencontrées ;
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Stratégies adoptées pour les dépasser ;
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Défis et perspectives pour l’avenir ;
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Usage des RSV tenus par la diaspora brésilienne en France ;
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Réponse a la question de recherche.
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Questions diverses.
45Les premiers entretiens ont été realisés avec deux doctorants brésiliens à l’Université de Toulouse Jean Jaurès. Ce type de migration a été longtemps le plus recherché par les brésiliens venus en France. Il trouve ses origines dans l’influence culturelle française au Brésil depuis le xviie siècle et il est considéré une voie royale pour l’élite intellectuelle. Des nombreux programmes d’échanges entre les institutions universitaires brésiliennes et française ont favorisé le départ d’étudiants et d’enseignants universitaires brésiliens pendant plusieurs générations surtout à Paris, Lyon et Toulouse. Néanmoins, « depuis les années 1980 des nouvelles logiques migratoires ont vu le jour » (Almeida & Baeninger, 2016 : 129). En effet, après avoir été longtemps un pays d’immigration, le Brésil est devenu ces dernières décennies un pays d’émigration. Selon le Ministère des Affaires Etrangères du Brésil, ces 20 dernières années, 4 millions de brésiliens ont quitté le pays pour les Etats-Unis et l’Europe, en particulier le Portugal, l’Espagne et la France.
46Mais chaque trajectoire migratoire est singulière, les obstacles ainsi que les stratégies mises en œuvre pour les surmonter varient en fonction de l’individu et du contexte, même si certaines tendances ressortent des échanges analysés. La majorité des membres de la diaspora brésilienne en France proviennent de la classe moyenne et leur priorité serait accordée à une meilleure qualité de vie.
47Dans l’ensemble les migrants brésiliens rencontrés affirment avoir utilisé les RSV surtout avant de venir en France, au moment de préparer leur voyage. Ceux qui sont en France depuis plus de 5 ans affirment ne plus trop utiliser ces groupes Facebooks, sauf pour « faire des affaires ». Ces affirmations confirment le rapport inversé entre engagement sur les RSV (plus soutenu lors de la préparation et le début de la traversée) et l’expérience interculturelle. Ces groupes seraient donc un outil temporaire permettant d’établir un lien entre le migrant et des membres de sa diaspora au début de la trajectoire migratoire mais qui serait utilisé de façon plus discontinue avec le temps, voir plus du tout. Par conséquent, l’utilisation de ces RSV tenus par et pour des brésiliens renforcerait le sentiment d’appartenance à la culture brésilienne. D’ailleurs, certains participants avouent avoir souhaité prendre des distances, effacer les traces laissées sur les RSV après des difficultés d’intégration dans la société d’accueil. Etant donné la crise politique qui traverse le Brésil, la presque totalité des migrants rencontrés affirment souhaiter rester en France après la fin de leurs études. Cette décision est accompagnée souvent d’un engagement plus faible (dégressif) sur de RSV liés à leur diaspora.
48Comme l’observation participante, les entretiens individuels font ressortir une préoccupation des brésiliens avec le collectif, même si leurs intérêts personnels sont souvent mis en avant. Cela s’explique par des modalités et une intensité d’usage du type Récits Sociaux Culturels (RSC) qui présume un engagement asymétrique des migrants sur les RSV associés à leur diaspora, proportionnelle avec la durée du séjour à l’étranger. Dans ce sens, plus les migrants accumulent de l’expérience interculturelle et moins ils s’engagent dans des réseaux sociaux tenus par les membres de leur diaspora. Les groupes Facebook séléctionnés semblent servir de tremplin à une meilleure compréhension et intégration à la société d’accueil. Les Récits du Soi, portant sur la visibilité de l’intériorité des sujets seraient davantage postés dans des RSV considérés comme plus « intimes », comme Whatsapp ou encore Messenger.
49Selon une recherche réalisée en 2000, les immigrants et les minorités ethnoculturelles au Canada sont beaucoup plus actifs sur Internet que le reste de la population mais ce comportement ne fait que réaffirmer et accentuer le sentiment d’appartenance à la communauté ethnoculturelle dans laquelle ils se reconnaissent (Aizelwood, Doody, 2002). Nos résultats confirment partiellement ces conclusions. Les membres de la diaspora brésilienne en France consultés utilisent irrégulièrement les groupes Facebook organisés et fréquentés par leur diaspora. Ils priorisent les périodes pré-migratoires et la traversée pour s’engager dans ces RSV et ont tendance à ne plus s’y rendre au fur et à mesure qu’ils s’intègrent dans la société d’accueil. Leur engagement dans les RSV est inversement proportionnel à leur expérience interculturelle, ce qui en principe augmente avec le temps resté à l’étranger. Mais qu’en est-il de la sensibilité interculturelle et de l’interculturation ?
50La méthodologie mixte utilisée dans cette étude a permis de croiser une image synchronique de l’interculturation, représentée par le parcours migratoire comme un produit, repéré par le questionnaire en ligne puis l’image diachronique des processus interculturatifs, à travers l’observation participante des pratiques numériques aux pages Facebook et les narrations des participants recueillies à travers des entretiens semi-directifs de recherche. La complémentarité des outils a été un atout pour mieux englober la complexité de la thématique.
51Après avoir vérifié que l’intensité décroissante de l’engagement des migrants dans des dispositifs interculturels comme les réseaux sociaux virtuels tenus par leur diaspora est inversement proportionnel à l’expérience interculturelle, il nous reste à analyser les relations entre les modalités d’engagement à ces dispositifs et la sensibilité interculturelle des usagers. La suite de cette recherche ouvre donc de nouvelles questions sur le dévoilement de soi en ligne. Les réseaux sociaux virtuels (RSV) et Facebook en particulier, sont considérés comme des contextes favorisant « le dévoilement de l’intimité de l’usager dans l’espace public numérique » (Mell, 2013 : 1). L’exposition de soi impose des risques qui peuvent bloquer le migrant. Comment les participants des quatre groupes Facebook analysés réagissent-ils à cette omniprésence de la visibilité face aux membres de leur diaspora ? Les risques et limites de cette publicisation de soi vont-ils entrainer plus de liberté d’expression ou bien provoquer une scission entre l’intime et le public ? Assisterons-nous à l’intériorisation des récits migratoires à fort potentiel subjectivant ainsi qu’à leur diffusion-transmission, ou au contraire, les communications entre membres de la diaspora resteront-ils au niveau pragmatique et serviront-ils uniquement à la garantie de sa survie ? Dans quelle mesure les RSV associés aux diasporas des migrants permettent-ils de favoriser un vivre ensemble dans une société postmoderne de plus en plus cosmopolite et ouverte au monde comme la France ?
52A travers le parcours des migrations et leur valorisation dans la culture numérique, nous questionnons les différents liens possibles entre la visibilité des migrants par les RSV, les communications inerculturelles pouvant avoir lieu ainsi que les possibilités d’interculturation.
53Il s’agira de continuer à analyser les pratiques infocommunicationnelles des membres de la diaspora brésilienne en France pour gérer les trois types d’espaces présentés par Facebook comme « l’espace intime (visible uniquement par l’usager) ; l’espace restreint (visible par les membres du réseau de l’usager et leurs réseaux) et l’espace manifeste (visible par l’ensemble des usagers d’internet) » (Mell, 2013 : 10). Si l’intensité de l’engagement du migrant sur les RSV liés à sa diaspora s’est révélé inversement proportionnel à son expérience interculturelle, il s’agira de vérifier si les modalités d’usage varieront également avec la privacité de l’espace et la sensibilité interculturelle (Bennett, 1986). Nous chercherons ainsi à appréhender les relations entre modalités d’engagement sur les RSV, sensibilité interculturelle et réactions psychologiques transitoires (RPT), rélevant de stratégies de création et d’invention de soi qui prennent appui sur une pluralité de référents culturels.