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Spicilège

L’amour du travail bien fait : mesures personnelles du succès dans l’industrie télévisuelle

Benjamin Derhy Kurtz

Résumés

L’industrie de la télévision, comme toute autre industrie, est constituée de personnes et ne peut donc être uniquement étudiée à travers une perspective industrielle. Les discours du succès des personnels de l’industrie télévisuelle n’ayant jamais encore été étudiés, j’avais souhaité le faire avec ma thèse (d’où cet article prend sa source) afin de faire avancer la connaissance académique sur les motivations et critères individuels de réussite des personnes y travaillant en leur demandant, après m’être enquis de divers aspects industriels, quelle était leur définition du succès. Comme le démontrera en détail cet article, les membres de cette industrie, avec leurs espoirs et leurs rêves, leurs valeurs et leurs opinions, disposent de leurs propres mesures de réussite, presque toujours liés à leur travail dans leur discours, et pouvant ou non coïncider avec les mesures corporatives. Cet article analysera donc une partie des objectifs personnels de succès et des mesures individuelles des professionnels eux-mêmes, au sein de l’industrie télévisuelle anglophone transatlantique. La mesure dans laquelle les pratiques industrielles affectent, ou ont un impact sur les mesures de réussite personnelle et les discours des professionnels sera quant à elle aussi évaluée. Cet article démontrera qu’il existe un élément principal en matière de réussite personnelle dans les discours des membres interrogés de l’industrie de la télévision : la fierté, elle-même divisée entre des facteurs, ou récompenses, je nommerai ici « externes » et d’autres que j’appellerai « internes », cet article se concentrant sur les facteurs internes, spécifiquement. Dans ce but, la première partie de cet article se focalisera sur la fierté découlant du travail fourni, alors que la seconde partie de l’article se concentrera sur la fierté découlant du résultat.

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Texte intégral

Introduction

  • 1 À l’Université d’East Anglia, au Royaume-Uni.

1L’industrie de la télévision, comme toute autre industrie, est constituée de personnes et ne peut donc être uniquement étudiée à travers une perspective industrielle. De plus, même s’il existe bien évidemment des mesures industrielles du succès, qui tournent typiquement, de manière directe ou indirecte, autour des audiences, le secteur dans son ensemble – et ceux qui le constituent – ne doit pas non plus être réduit à des critères commerciaux ou financiers. Avec ma thèse de doctorat1, axée sur les discours portant sur le concept du « succès » à travers les interviews qualitatives de 16 membres de l’industrie télévisuelle anglophone transatlantique, j’avais souhaité étudier tant l’industrie que les individus la composant, partant du postulat que le fait d’étudier cet élément clef à travers ceux qui sont au cœur de l’industrie était une étape nécessaire afin de mieux comprendre celles-ci et les motivations de ses membres. En effet, les discours du succès des personnels de l’industrie télévisuelle n’ayant jamais encore été étudiés, j’ai souhaité le faire afin de faire avancer la connaissance académique sur les motivations et critères individuels de réussite des personnes y travaillant en leur demandant, après m’être enquis de divers aspects industriels, quelle était leur définition du succès. Comme le démontrera en détail cet article, les membres de ladite industrie, avec leurs espoirs et leurs rêves, leurs valeurs et leurs opinions, disposent en effet de leurs propres mesures de réussite – presque toujours liés à leur travail dans leur discours – qui peuvent ou non coïncider avec les mesures corporatives, et apparaissant clairement comme étant importantes à leurs yeux. Cet article analysera donc, comme détaillé plus bas, une partie des objectifs personnels de succès et des mesures individuelles des professionnels eux-mêmes, au sein de l’industrie télévisuelle anglophone transatlantique.

2En ce qui concerne la composition de « l’échantillon » de professionnels interrogés, même si je n’ai pas essayé de faire de celui-ci un « échantillon représentatif » de la composition de l’industrie, je souhaitais néanmoins, pour citer Hesmondhalgh et Baker, obtenir un degré de représentativité parmi les personnes interrogées, de manière à offrir le plus grand nombre possible d’expériences dans les limites déterminées par le budget (2010 : 15), et, je rajouterais, par le temps. Ainsi, après avoir établi une catégorisation de 7 groupes de travailleurs différents, j’ai sélectionné deux participants pour chacune catégories, avec un travaillant pour l’industrie télévisuelle britannique et l’autre pour l’industrie américaine. Ces groupes, et les participants interrogés, sont les suivants :

  • Personnel créatif primaire, contrôlant les aspects artistiques du programme : scénaristes et réalisateurs (ici, Peter Blake, pour les États-Unis et Ashley Way, pour le Royaume-Uni)

  • Personnel créatif secondaire, exerçant une influence artistique évidente, sans être aussi fondamentale que celle du personnel créatif primaire : compositeurs de musique, concepteurs de costumes, de décors, etc. (ici, Velton Ray Bunch, É.-U. et Deborah Everton, R.-U.).

  • Les interprètes, qui, comme la catégorie précédente, ont une contribution artistique, bien qu’ils soient abordés et présentés de manière très différente : acteurs, chanteurs (ici, James Callis, É.-U. et Sara Pascoe, R.-U.).

  • Les artisans techniques, chargés des tâches techniques : ingénieurs, directeurs de la photographie, conseillers techniques et autres membres de l’équipe de tournage (ici Michael Goto, É.-U. et Stephan Pehrsson, R.-U.).

  • Ces quatre premiers groupes pouvant être mis dans la catégorie plus large des personnels non-managériaux. Suivis de deux catégories que je groupe parfois comme personnels managériaux.

    • 2 Souvent appelés showrunners en anglais.

    Les personnels supercréatifs2, étant à la fois les scénaristes qui ont créé le programme et les producteurs exécutifs de ce programme, un poste leur donnant le contrôle ou l’accès à presque toutes les étapes de la chaîne de production (Donald P. Bellisario, É.-U. et Michael Hirst, R.-U.)

  • Les producteurs, servant d’intermédiaires entre le personnel créatif primaire et les contrôleurs : producteurs associés, assistants (ici, Vince Gerardis, É.-U. et John Bartlett, R.-U.)

  • Et enfin, les cadres décideurs, parfois appelés contrôleurs au Royaume-Uni, travaillant soit dans les studios de production, soit dans les chaînes de télévision, et en qui réside le pouvoir de renouveler, d’annuler ou de commander un programme (subdivisés en deux pour ce projet en raison de leurs mesures du succès et objectifs différents) :

      • 3 Ainsi que James Hedges, qui possédait double casquette à cette époque : ABC Television & ABC Studio (...)

      Les directeurs et cadres décideurs de chaîne et les dirigeants (ici, David Howe, pour les États-Unis3 et Nicholas Brown, pour le Royaume-Uni)

    • Les directeurs et cadres décideurs de studios (ici, James Hedges, É.-U. et Kevin Lygo, R.-U.).

  • 4 Où, lorsque le pourcentage de femmes était supérieur à 25 % dans l’industrie, l’une des deux person (...)

3Hesmondhalgh et Baker (14-15) déclarent également s’être assurés d’interviewer des hommes et des femmes ; des professionnels plus âgés comme des plus jeunes, avec des expériences différentes, et des personnes appartenant à des minorités ethniques. J’avais les mêmes intentions en tête lors de la sélection de mes participants. En ce qui concerne les jeunes et les personnes âgées, ainsi que le niveau d’expérience, même si je recherchais des personnes qui connaissaient bien le secteur, j’ai cherché à interroger des personnes assez jeunes, plutôt au début de leur carrière, comme Sara Pascoe, qui venait d’avoir 31 ans au moment de notre entretien et avait commencé sa carrière seulement 3 ans plus tôt, ainsi que des plus âges avec beaucoup plus d’expérience dans la télévision, tels que Donald P. Bellisario, âgé de 76 ans à l’époque, et Velton Ray Bunch, alors âgé de 63 ans ; tous deux avec plus de 30 ans d’expérience dans l’industrie. En ce qui concerne les minorités ethniques, Hesmondhalgh et Baker déclarent que sur les 63 personnes interrogées, 5 n’étaient pas, pour les citer, blanches (« white »), ce qui selon eux correspond à peu près à la proportion d’employés issus de minorités dans ces industries (bien que celles-ci soient sous-représentés à des niveaux hiérarchiquement plus élevés) (ibid. : 15). Là aussi, je souhaitais que les minorités soient représentées au sein de mes interlocuteurs ; avec une personne interrogée (dans ce cas, d’origine asiatique) sur seize, ma liste de participants étant proportionnellement équivalente. En ce qui concerne le sexe, Hesmondhalgh et Baker ne spécifient pas la proportion de femmes interrogées dans leur recherche (ibid. : 14). Alors que les femmes ne représentent que 1 % des directeurs de la photographie, elles représentent 23 % des producteurs exécutifs et 42 % des rôles à l’écran (parlants) (Todd, 2014). J’ai là aussi souhaité que cette recherche ait un nombre à peu près équivalent de femmes interrogées par rapport à leur présence réelle dans l’industrie. Cela est le cas pour chaque catégorie d’emploi, compte tenu des possibilités de 0/50/100 % avec deux personnes interrogées par catégorie.4 Tout ceci donnant donc à aux participants de cette recherche, première sur ce thème, un degré de représentativité, pour reprendre les termes de Hesmondhalgh et Baker (2010 : 15). Enfin, par respect de la vie privée de mes participants, aucune question n’a été posée sur leur orientation sexuelle, empêchant ainsi le calcul de cette variable en ce qui concerne la sélection des 16 participants.

  • 5 Réalisés en anglais, question et réponses seront donc traduites en français pour cette publication.
  • 6 Dans les rares cas où les participants demandèrent plus de précision, je qu’il leur répondait qu’il (...)

4Ces 16 entretiens5 étaient constitués d’une douzaine de questions semi-ouvertes, portant sur différents aspects de l’industrie, à l’exception de la dernière. Les discussions abordées ici ont été collectées en réponse à celle-ci, posée à la toute fin de chacun des entretiens : « Enfin, quelle serait votre définition du succès ? » Cette question fut laissée délibérément ouverte,6 au lieu de se focaliser sur des aspects spécifiques, car je ne voulais ni supposer ni suggérer de liens en particulier (surtout pas à mes participants), l’intérêt étant justement de voir comment même ils comprendraient la question et s’ils lieraient leur réponse aux normes industrielles du succès pour les programmes télévisés ou bien au succès qu’ils peuvent éprouver dans leur vie personnelle ou autre, en fonction de leurs propres critères. Contrairement à Hesmondhalgh et Baker (2011 : 182), qui ont examiné les « satisfactions » de faire de bons produits culturels et ont spécifiquement demandé aux personnes interrogées de parler du travail dont ils étaient fiers, je n’ai abordé aucune de ces questions lors de conversations avec les personnes interrogées. En abordant le sujet pour répondre à ma question, mes participants ont spontanément parlé de leur travail et des éléments dont ils étaient fiers, et ont décidé de leur propre chef d’y lier leurs mesures personnelles du succès. Alors que Hesmondhalgh et Baker demandaient cela afin de susciter une réflexion sur les émotions impliquées quand un mélange de conditions, de talents et de chance signifie que les travailleurs créatifs sont impliqués dans ce qu’ils pensent être de bons produits (ibid.), je voulais que les professionnels interrogés fassent (ou non) ce lien d’eux-mêmes, sans y être invité. Tout au long de l’analyse présentée ci-dessous, cet article démontrera que ce choix de lier notions individuelles du succès (donc, du succès personnel) à leur vie professionnelle peut se rencontrer sur l’ensemble de l’industrie, jusqu’aux plus hauts niveaux hiérarchiques, et soulignera le fait que certains courants de pensée sont parfois plus communs chez (et parfois même, spécifiques à) certaines catégories de professionnels, que d’autres.

Le cadre théorique

Satisfaction au travail et accomplissement de soi

5Le concept de réalisation de soi (« self-realisation »), évoqué par exemple par Hesmondhalgh et Baker à propos de ce qu’ils appellent du bon travail (2011 : 819), est défini par Oxford Dictionaries comme étant la réalisation de son propre potentiel (2019). Cela se rapporte au concept d’« accomplissement de soi » de Maslow (1954), qui se situe au sommet de sa pyramide (ou hiérarchie) de besoins, perceptible et accessible une fois que les besoins les plus fondamentaux ou « de base » ont été satisfaits. Hesmondhalgh et Baker affirment dans leur livre que le terme ne doit pas nécessairement être lié à un individualisme concurrentiel ni à des fantasmes narcissiques sur le triomphe individuel (2011 : 34) ; au contraire, selon eux, cela nous permet de discuter de la manière dont le travail, ainsi que d’autres éléments clefs, pourraient contribuer à une notion (pluraliste) de développement réussi de l’individu avec le temps (ibid.). Ainsi, pour eux, ce concept de réalisation de soi joue un rôle primordial dans les mesures du succès personnel ; Murphy considérant quant à lui la réalisation de soi comme un élément clef du concept aristotélicien de « prospérité humaine » (1993 : 225). En se concentrant plus particulièrement sur les professionnels de la télévision, Ursell, quant à lui, déclare que la volonté des personnes de travailler dans le domaine des productions télévisées s’explique d’un côté par les possibilités alléchantes qui s’offrent à ces personnes pour obtenir une reconnaissance et des éloges sociaux, c’est-à-dire l’affirmation de soi et l’estime publique, et de l’autre, par les possibilités offertes au niveau de la réalisation de soi et de la créativité (que celle-ci soit esthétique ou bien commercialement entrepreneuriale) (2000 : 819).

  • 7 Notons néanmoins que les récompenses internes et externes ne sont pas mutuellement exclusives et qu (...)

6En d’autres termes, d’une part, il y a des récompenses que je nommerai ici « externes », telles que l’estime des autres, et, d’autre part, des récompenses que j’appellerai « internes », telles que l’actualisation de soi ou la réalisation de soi (la réalisation de son potentiel, donc, selon les concepts précités). Il existe alors un élément principal en matière de réussite personnelle dans les discours des membres interrogés de l’industrie de la télévision : la fierté, elle-même divisée entre facteurs externes et facteurs internes, cet article se concentrant sur les facteurs internes, spécifiquement. J’ai choisi le terme/catégorie « interne », ici, car les éléments qui y figurent relèvent du contrôle de l’individu, dans le sens où ces éléments dépendent de sa propre opinion : que l’individu considère avoir fait du bon travail, ait apprécié l’expérience ou bien se sente satisfait du résultat final. Réciproquement, j’ai choisi le terme « externe » pour l’autre catégorie (qui nécessiterait d’être abordée dans un autre article) parce que cette satisfaction ne peut pas venir de la personne elle-même, mais dépend des autres et de ce qu’ils ou elles en ont pensé ; ce facteur est donc de facto externe. L’argument de Williams (1961 : 44) selon lequel l’excitation et la douleur de l’effort sont suivies du plaisir et de la détente suite à son achèvement se voit ainsi reflété par le discours de mes participants. Cet article analysera ainsi les discours de succès dans lesquels la fierté découle de récompenses internes, résultant donc des efforts déployés à l’origine dans son propre travail, par opposition aux récits présentant une forme de fierté liée aux récompenses externes (c’est-à-dire la réception du résultat par d’autres), qui apportent par ailleurs un certain niveau de prestige ou de statut d’une manière plus évidente que l’auto-appréciation ne le ferait – mais, à l’inverse, une diminution du niveau d’indépendance.7 La mesure dans laquelle les pratiques industrielles affectent, ou ont un impact sur les mesures de réussite personnelle et les discours des professionnels sera quant à elle aussi évaluée. Ainsi, afin de développer ce thème des récompenses internes telles que présentées dans les discours des personnels de l’industrie, la première partie de cet article se focalisera sur la fierté découlant du travail fourni – et sera elle-même subdivisée en deux parties : d’une part, ce que mes participants présentèrent comme faire de leur mieux, et de l’autre, comme le fait de réussir envers et contre tout – alors que la seconde partie de l’article se concentrera sur la fierté découlant du résultat ; elle sera là aussi divisée en deux sous-parties, une en lien avec un sentiment de propriété et d’impact, et l’autre plutôt sur une influence complémentaire que certains voudraient avoir sur le résultat final.

Motivations intrinsèques et signification du travail

7La première partie de l’analyse sera donc liée aux motivations intrinsèques et la signification du travail. La société américaine, telle que décrite par Bella et al. (1985), il y a trois décennies, négligeait d’après ces chercheurs la valeur sociale de son travail et se concentrait plutôt sur la gratification personnelle et le réconfort financier apporté par l’emploi. Tandis que Muirhead (2004 : 111) affirmait que l’éthique du travail moderne reposait désormais sur une combinaison d’habitudes aveugles, d’une volonté acharnée de survivre face à une concurrence sans cœur et d’une promesse de statut et de confort physique, des chercheurs tels que Gardner, Csikszentmihalyi et Damon (2001), ainsi que Bellah et al. (1985 : 289) avaient déjà proposé plusieurs années auparavant un moyen de sortir de cette situation en préconisant une transformation de la signification du travail, qui passerait ainsi du concept de l’agrandissement privé à celui de la contribution publique. Muirhead (2004 : 151) expliquera toutefois que cette contribution sociale ne serait peut-être pas suffisante pour inciter tout le monde à faire du « bon travail ». En effet, un certain nombre de personnes ne voudront ni ne se soucieront de consacrer du temps et des efforts à la communauté. Il est donc nécessaire de prendre également en compte la valeur intrinsèquement satisfaisante du travail bien fait (ibid.). À ce titre, Muirhead fait référence à la philosophie du travail en coopération, abordée par MacIntyre (1984 : 187), et au désir des gens « d’atteindre l’excellence ».

8Reconnaître ce désir, cependant, n’est pas la même chose qu’adopter une vision cartésienne des choses, présentant motivations altruistes d’un côté et égoïstes de l’autre (voir Keat, 2000 : 23). En outre, comme le soulignent Hesmondhalgh et Baker (2011 : 38), atteindre un (concept du) succès lié à des récompenses internes est au moins en partie non individualiste, puisque la réalisation de l’excellence peut être une bonne chose pour la communauté entière qui participe à ladite réalisation, qui les enrichit. Ce type d’objectif de réussite et d’enrichissement personnel, incidemment, définit une capacité à obtenir une satisfaction de par soi-même, ainsi qu’un certain niveau d’autonomie de la part des professionnels de l’industrie, de tels objectifs ou concepts de succès ne dépendant pas de l’opinion de l’autre, mais uniquement de la leur. Enfin, comme le plaident les deux chercheurs cités à propos de ces débats, cela vaut la peine de défendre la valeur intrinsèque du travail bien fait, indépendamment de la question de la contribution sociale (ibid. : 37).

Satisfaction au travail et résultat

9La seconde partie du développement de l’article, quant à elle, portera sur le lien entre résultat final et satisfaction au travail. Les discours de succès fondés sur la fierté suscitée par le résultat mettent l’accent non sur l’effort lui-même, mais sur la satisfaction tirée du résultat final et de l’opinion qu’a la personne de celui-ci ; Herzberg (2003) ayant classé le sentiment d’accomplissement à travers le résultat final d’une tâche comme l’un des éléments les plus importants de satisfaction au travail. Comme expliqué par Carbaugh (1996 : 77-8) à propos des membres de l’industrie télévisuelle, l’image collective et le sentiment de fierté des travailleurs dépendent de la qualité du produit réalisé. Cette évaluation du résultat final, cependant, est personnelle et provient des professionnels eux-mêmes, quelque fut leur réception par d’autres personnes. Par conséquent, leurs normes d’évaluation leur sont propres et peuvent être très différentes de celles de l’industrie ou des critiques (en lien avec la notion de récompenses externes) : pour Carbaugh toujours, elles doivent satisfaire aux normes des employés en matière de productions de première qualité (ibid. : 78). Cette fierté du résultat, bien sûr, pourrait être liée au concept de réalisation ou d’accomplissement, et ne s’en distingue dans la présente classification qu’en raison de la mise en perspective spécifique utilisée par mes participants : leur contribution d’une part, et le résultat final – le programme en lui-même – de l’autre.

Fierté découlant du travail fourni :

Faire de son mieux

10Le premier type de discours du succès lié à des récompenses internes évoqué par des professionnels de l’industrie à être traité ici sera celui lié à la contribution, ou l’effort fourni dans le travail de la personne : pour ainsi dire, son dévouement. Cette section de l’article présentera d’abord les discours de deux professionnels reliant les notions de travailler dur et de l’amélioration de soi à leurs définitions du succès, avant de passer à une autre variante. Dans ce premier récit, Michael Goto, qui a été conseiller médical technique pour plusieurs séries médicales américaines, notamment Urgences, discute de ses performances et de ses efforts au travail, en expliquant ce que serait sa définition du succès :

Ce serait simplement moi, faisant ce que je fais de mieux, et être bon dans ce domaine, et aimer regarder les autres… voir mon travail et l’apprécier. Je suppose que ce serait le succès pour moi. Juste, savoir que j’ai fait du super boulot, ou du bon [boulot]… de manière constante. Alors… […] je pense que je mets généralement plus [de cœur] dans mon travail que beaucoup d’autres personnes ne le font.

  • 8 Le terme utilisé à l’origine en langue anglaise est « craft », qui se traduit également, selon le c (...)

11Ici, même sans utiliser ce mot, le conseiller technique fait preuve d’un haut niveau de fierté et d’ego, en ce qui concerne sa performance au travail. Bien que « les autres » soient mentionnés comme visionnant son travail, le discours ne met pas tant l’accent sur le résultat (contrairement aux récits plus nombreux de la deuxième partie), mais plutôt sur la contribution durant la production, comme le montre la présence et la répétition des références à cela : « ce que je fais le mieux », « être bon dans ce domaine », « mon travail », « savoir que j’ai fait du super boulot », « mets généralement plus [de cœur] dans mon travail ». Comme Goto le déclare lui-même, c’est pour lui le fait de « savoir qu[’il a] fait du super boulot ». En outre, le professionnel explique que son niveau de performance est justifié par le fait qu’il est apparemment plus dévoué à son travail « que beaucoup d’autres ». Ce faisant, tout en restant concentré sur son travail, le participant se positionne ici de deux manières vis-à-vis des autres : d’une part, ceux qui regardent son travail à la télévision, de qui il souhaite qu’ils « l’apprécier[ont] », et d’autre part, ses collègues, vis-à-vis de qui il met « généralement plus [de cœur] dans [s]on travail ». Tout au long de l’entretien, Goto a semblé très fier de son travail et de sa performance, se présentant comme étant déterminé à faire de son mieux sur les programmes et déçu par le fait que d’autres séries TV sur lesquelles il a pu travailler ne le laissent pas faire ce qu’il souhaiterait en termes de réalisme. Pour Goto, par conséquent, le succès ne dépend pas de l’audimat, des récompenses, etc., mais du fait d’avoir tout donné dans son travail. La notion du « travail en soi », justement, figure en fait à la troisième place de la liste des facteurs les plus importants en matière de satisfaction au travail de Herzberg (2003) ; il n’est donc pas surprenant de le voir figurer parmi les mesures du succès de mes participants. Bien entendu, cet objectif/mesure du succès dépasse la simple fierté ou la satisfaction et a de conséquences allant au-delà encore. Comme expliqué par Hudson (2005 : 123), par exemple, ce sentiment de satisfaction du travail bien fait est également un attribut important du travail8, qui aide à conférer et à créer l’identité de la personne ». Cela réside dans le fait que le travail fournit la possibilité de « travailler » sur soi-même, de grandir, d’apprendre… pour devenir plus efficace en tant que personne, tel que le soutient duGay (1996) dans ses travaux sur l’économie culturelle. Citant l’économiste duGay, le sociologue Heelas (2002 : 82-3) inscrit en réalité ces notions de satisfaction et d’amélioration, ou de développement au travail, dans le concept de « capitalisme doux » (en anglais : « soft capitalism »), qu’il définit comme portant sur la culture, les connaissances et la créativité ; mais également sur l’identité, les valeurs, les croyances et les suppositions.

12Plusieurs autres cas similaires furent rencontrés lors des entretiens. La comédienne britannique Sara Pascoe, par exemple, bien qu’ayant une profession et une visibilité très différentes, offre une réponse très similaire à celle de Goto, après avoir donné un premier objectif de réussite lié à l’importance historique du programme (que l’on pourrait ainsi lier à la notion de récompenses externes, évoquée dans l’introduction) :

  • 9 Là aussi, le terme utilisé à l’origine en langue anglaise était « craft », également traduit comme  (...)

Simplement sur le plan personnel, juste une amélioration personnelle, comme ce que nous faisons est un métier9, et… et tout ce que vous faites, vous y devenez meilleur, et après vous êtes gêné de ce que vous avez fait il y a cinq ans. Et donc […] travailler toujours vraiment dur à ça, et apprendre à mieux le faire ; et c’est vraiment… plutôt enivrant.

13Ici, la comédienne explique clairement qu’elle parle de succès « simplement sur le plan personnel », liant elle aussi, de manière très claire, considérations de réussite personnelle à l’occupation professionnelle. Pascoe se concentre de la même manière sur le dévouement et sur le fait de « travailler […] dur », mais avec une légère différence : plutôt que de laisser entendre qu’elle est déjà à son meilleur niveau, comme le fait Goto, elle aborde le sujet sous l’angle de l’amélioration : « amélioration personnelle », « apprendre à mieux le faire ». Par conséquent, ce que la comédienne décrit comme étant « enivrant », ici, n’est pas tant une question de bien faire que de mieux faire, et de devenir meilleur. Contrairement à la conception du succès de Goto, celle-ci rejoint plus le concept d’amélioration continue de DuGay (1996) lorsqu’il parle de grandir, d’apprendre, de devenir plus efficace en tant que personne, que celui d’Hudson (2005 : 123) sur le sentiment de satisfaction du travail bien fait. Cette disparité implique donc une perception différente du « soi », des attentes de chacun.e et de l’auto-évaluation. Point commun aux deux discours, cependant, leur manque de lien avec les pratiques spécifique de l’industrie télévisuelle dans leurs définitions du succès, puisque Pascoe et Goto auraient pu avoir le même type de discours basé sur la performance ou sur l’amélioration dans n’importe quelle industrie.

Réussir envers et contre tout

14Un tel exemple de discours, très lié à la fierté de faire du bon travail, mais qui pousse quelque peu au « niveau suivant », a trait à la réussite et au dépassement des obstacles, voire des prédictions. Le terme « réalisation » est un synonyme du mot « réussite » en anglais (Merriam Webster, 2019). Deux récits illustrant ce cas – celui où la réussite professionnelle équivaut à la définition personnelle du succès – seront présentés ici : ceux des cadres décideurs Dave Howe, président de la chaîne commerciale payante américaine Syfy et Nicholas Brown, alors Directeur des programmes dramatiques de la BBC. Bien que leurs récits paraissent similaires à ceux des participants de Hesmondhalgh et Baker (2011 : 127), qui avaient trouvé des récompenses substantielles dans la complexité et le défi de leur travail », ils n’abordent pas tant ici le plaisir de relever les défis récurrents, mais ont plutôt rapport au fait de surmonter n’importe quel obstacle dans le but d’atteindre les objectifs fixés dès le départ : le président de Syfy, Dave Howe, définit ainsi le succès :

C’est plein de choses ! (rires) Le succès personnel, pour moi, est, parfois, déjouer les prédictions et de surmonter les obstacles qui vous sont présentés. […] Rien ne me procure plus de plaisir que d’arriver à faire accomplir quelque chose sur laquelle quelqu’un, à un moment, a déclaré « bon, tu ne pourras pas faire ça, c’est trop cher, c’est trop difficile, c’est trop compliqué »… Le succès, c’est de surmonter ces obstacles. Et d’emmener d’autres personnes avec vous.

  • 10 Ceci s’applique également, bien entendu, à tous les autres participants.

15Insistant, tout comme le participant précédemment cité, sur le fait qu’il s’agit son « succès personnel », « pour moi » (même en accentuant verbalement le pronom : « me procure »), qu’il lie lui aussi à son métier, Howe définit le succès comme le fait « surmonter ces obstacles ». Cette citation, comme celle de Goto, est également en lien avec l’ego, et avec le fait de prouver que les gens (qui pensaient que ce ne serait pas faisable) avaient tort. En outre, le président de chaîne, qui avait présenté une vision plutôt individualiste lorsque il s’agissait de parler des mesures du succès industriel (et qu’il abordait ainsi ses actions et décisions, lors d’autres moments de l’entretien), propose ici une position beaucoup plus collectiviste, liant le fait de « surmonter ces obstacles » à celui « d’emmener d’autres personnes avec vous » (lui) dans sa dernière phrase. Howe décrit ainsi le succès, non seulement comme une chose personnelle et individuelle, mais également comme une chose collective ; en tant que tel, le président est celui qui fait preuve d’un esprit d’équipe plus que tout autre participant ayant répondu à cette question, donnant clairement une image bien différente de lui et des autres cadres de l’industrie que celle qui leur est généralement attribuée. Howe savait néanmoins qu’il était interrogé dans le cadre d’un projet de recherche et tentait peut-être de mieux se représenter lui-même, en tant que personne, à l’intervieweur (voir Goffman, 1959 : 44).10 Un autre exemple de succès à travers l’accomplissement de quelque chose et le fait de surmonter des obstacles est donné par l’autre cadre décideur présenté dans cette section, Nicholas Brown, qui offre une réponse assez similaire, mis à part son manque de nécessité de défier l’opinion externe et de tendance collectiviste :

  • 11 Le verbe utilisé en anglais était « to make », qui veut dire « faire » mais dans le sens de « fabri (...)
  • 12 Le verbe utilisé en anglais ici, au contraire, était justement « to do ».

C’est… accomplir ce que vous vous étiez fixé. Donc, savoir ce que vous essayez de faire, et puis le faire. […] Cela peut ou non fonctionner, en termes d’autres mesures du succès, telles que les audiences, la popularité, ou peu importe quoi d’autre. Mais si vous savez clairement ce que vous voulez faire et que vous avez… fait cela ; ça, je pense que c’est… une bonne définition du… succès. […] Donc voilà. Réussir ce que vous voulez… faire11 […] parce que cela, cela en soi est une chose très difficile à faire ;12 depuis le, initialement, l’endroit où vous commencez, ici, jusqu’à l’endroit où vous voulez vous retrouver… il y a plein de façon dont tout pourrait tourner mal, donc…

16Une fois de plus, les critères personnels du succès, tout en s’inscrivant clairement dans le contexte du travail et donc de l’industrie télévisuelle, ne semblent pas être liés à des pratiques ni à des mesures particulières dans les discours des participants. Ce désir d’accomplir ou de surmonter les obstacles pourrait donc s’appliquer à n’importe quel métier, dans n’importe quel domaine de travail, tout comme les chacun des éléments relatifs à la satisfaction professionnelle cités par Herzberg (2003). Il serait, néanmoins, possible d’argumenter qu’un impact des pratiques industrielles sur les mesures personnelles du succès peut être visible dans ce deuxième discours en raison de la mention très industrielle de « les audiences, la popularité ». En effet, la mention de l’audimat indique que les pratiques industrielles n’étaient pas éloignées de l’esprit de la personne interrogée au cours de cette interview, somme toute très orientée sur l’industrie. L’audimat, cependant, est ici relégué à « d’autres mesures du succès » et est donc contrasté avec les mesures du succès personnel, plutôt que d’y être incorporé. Les mesures de succès personnel du participant relatives à l’accomplissement de quelque chose contre toute attente semblent, par conséquent, être aussi indépendantes des mesures industrielles que celles de son collègue.

  • 13 C’est-à-dire, comme expliqué plus haut, ni les professionnels ne faisant parti ni des cadres décide (...)

17De ce fait, les discours des cadres décideurs présentés ici, malgré une orientation légèrement différente de celle des personnels non-managériaux13 cités plus haut, présentent les mêmes perspectives générales : dans les deux cas, le « succès » n’est pas présenté comme un objectif spécifique par rapport à des résultats finaux, mais tout simplement comme le fait de faire de son mieux ou d’accomplir ce que l’on se proposait de réaliser à l’origine. En tant que tels, tous les discours présentés ici illustrent le degré élevé d’investissement personnel des employés de beaucoup d’industries du secteur de la culture et des médias dont parlent Hesmondhalgh et Baker (2011 : 46). En même temps, ils contrastent avec l’autre type de discours sur le succès identifié en relation avec les récompenses internes, qui quant à lui met l’accent sur le résultat.

Fierté découlant du résultat

Sentiment de propriété et impact

18Ici encore, plusieurs citations seront présentées et analysées pour illustrer cet autre type de discours du succès. Ainsi, cette partie abordera tout d’abord les récits d’un cadre décideur et de deux professionnels non-managériaux : Kevin Lygo, directeur des studios TV anglais ITV, Ashley Way, réalisateur britannique et Peter Blake, scénariste américain, avant de passer à un second sous-thème des discours de fierté découlant du résultat. Le premier récit évoqué sera celui de Kevin Lygo, qui n’hésite pas à mettre des mesures personnelles du succès face à face avec celles de l’industrie, et démontrant par là même qu’il ne se préoccupe pas de l’audimat tant que cela concerne ses objectifs personnels :

  • 14 Le verbe utilisé en anglais était « dreadful », que l’on pourrait également traduire ici par « horr (...)

Quelque chose de très important pour moi […] c’est juste, vraiment, quand je ferme la porte, d’aimer le programme, ou de penser qu’il est un bon… une bonne chose, [que] cela ne me dérangerait pas de porter sur ma… pierre tombale quand je serai enterré. […]. Nous avons créé des programmes – je ne les nommerai pas – qui ont eu un succès incroyable, que je trouve épouvantables !14 Nous avons fait des séries, j’ai fait des séries, au fil des années, qui je trouve étaient vraiment, vraiment biens et dont je suis très fier, mais qui n’ont pas vraiment fonctionné. Mais je pense, qu’au final, vous continuez à obtenir les bons emplois si vous avez fait ce qui est généralement accepté comme étant un succès, c’est-à-dire, un succès d’audimat.

19Ici, Lygo exagère manifestement sa réponse à travers l’hyperbole de la pierre tombale portant les noms des programmes sur lesquels il a travaillé ou qu’il aurait supervisés. Le cadre décideur déclare également (en sachant qu’il est enregistré) que certains programmes sur lesquels lui-même et d’autres avaient travaillé – et qui ont eu « un succès incroyable » au niveau des critères industrielles – étaient en fait « épouvantables », et vice-versa. Ce faisant, le directeur de studio oppose en réalité des mesures personnelles de qualité et de fierté au « succès d’audimat » industriel. Avec celles de Howe et Brown, cette réponse donne une image bien différente des patrons de chaînes et studios télé dans laquelle ils ont leurs propres objectifs et peuvent être en désaccord avec les mesures classiques/industrielles du succès, leurs critères personnels semblant même très similaires à ceux des personnels non-managériaux. Ceci est donc une image encore une fois très éloignée de l’image habituelle, robotique et insatiable (financièrement) que les autres professionnels ont pu donner d’eux à d’autres moments de nos entretiens. Dans un autre registre, Lygo, va jusqu’à corriger de « nous » à « je » : « Nous avons fait des séries, j’ai fait des séries », en ce qui concerne les programmes jugés « vraiment biens » à ses yeux, mais qui « n’ont pas vraiment fonctionné ». Le modèle de la théorie de l’attribution causale de Weiner (1974) et celui du biais d’attribution de Heider (1958), qui considèrent que les personnes se donnent plus de crédit pour une réussite quelconque que qu’à leurs divers collègues, par exemple, sont également pertinents dans le cas présent. Cependant, il n’est pas clair si cette correction d’une forme collective à une forme individuelle avait pour but de prendre la responsabilité de ces échecs d’audiences, bien qu’il les considère « vraiment très bons », ou bien de s’approprier (intégralement) le mérite de leur qualité supposée. En effet, au lieu de le faire pour s’attribuer le mérite de « ce qui est généralement accepté comme étant un succès », Lygo le fait pour lier le succès personnel au résultat (de la série) ainsi qu’à sa propre évaluation de ce qui est « bon » (un jugement hautement subjectif, comme il reconnaît : « que je trouve épouvantables ! », « qui je trouve étaient vraiment, vraiment biens »), indépendamment du « succès d’audimat ». Ce faisant, le cadre décideur affiche un autre côté inattendu, à travers lequel où même ceux qui sont plus éloignés, pas du processus décisionnaire en l’occurrence, mais du processus créatif, peuvent ressentir, en ce qui concerne Lygo, une sorte de paternité du programme, en plus d’un sentiment de fierté.

20Cité par Green (2014 : 101) : Roy Huggins, qui a créé des programmes tels que Le Fugitif, Maveric ou Rick Hunter), déclare qu’il n’avait jamais encore rencontré quelqu’un capable de prouver qu’un programme était mauvais si l’audimat de celui-ci était élevé. Ceci dépend des critères de chacun, bien sûr, et de la définition de « mauvais », elle-même très subjective. Contrairement aux mesures de l’industrie, qui reposent sur des statistiques tangibles, la valeur que l’on peut attribuer à un programme est basée sur des critères somme toute personnels, et peut varier d’une personne à l’autre. Comme le disait Lygo, il s’agit là d’une opinion : « que je trouve épouvantables ! ». Dans le cas présent, bien évidemment, Lygo et Huggins ne parlent pas de la même chose : alors que le premier aborde son opinion personnelle, ou « jugement » de programmes envers lesquels il semble ressentir un sens de « paternité » ou de propriété, le second discute de ce que Frith appelle une télévision précieuse en termes économiques (2000 : 42) ; avec l’affirmation de Huggins qu’un programme TV bénéficiant d’un succès d’audimat (et donc économique) ne saurait être considéré comme « mauvais ». Un tel cas d’étude fournit également, d’après moi, des éléments utiles et convaincants à l’encontre de certains clichés, tels que ceux qui verraient d’un côté un personnel dit « créatif » (ici, Huggins) axé sur la qualité et la valeur intrinsèque, avec un souci particulier d’originalité, d’authenticité et d’innovation (voir Frith, 2000 : 46), et de l’autre des cadres décisionnaires (ici, Lygo), obsédés par les chiffres d’audimat et ne se souciant de rien d’autre.

21Comme Lygo le conclut à la fin cette réponse détaillée, cependant, la dure réalité du marché, quel qu’il soit, est que les mesures du succès et les objectifs qui importent ne sont bien évidemment pas les critères personnels des différents professionnels, mais ceux de l’industrie, quantifiables et liés à l’audimat ; au point que seules les programmes très regardés pourront « vous » permettre d’obtenir « les bons emplois ». Cela démontre bien une fois de plus qu’en ce qui concerne les récompenses internes, les membres de l’industrie télévisuelle ont leurs propres mesures du succès – et ici, même, de qualité – et qui bien qu’étant intimement liées à leur travail dans tous les entretiens effectués, ne coïncident pas nécessairement (et même, souvent, pas du tout) avec les critères industriels du succès.

22Ces deux « groupes » différents de mesures – industrielles/officielles et individuelles/personnelles coexistant dans les discours des personnes interrogées : tandis que l’un a sans aucun doute la priorité au niveau professionnel, l’autre n’en reste pas moins important pour ni abordé par – les professionnels. Le niveau d’impact ou de relation entre les pratiques industrielles et les mesures personnelles du succès va au-delà du niveau abordé avec le discours de Brown : ici encore, bien que les mesures industrielles soient présentées comme contrastant avec les critères propres à Lygo, leur présence dans son discours témoigne d’un certain degré d’influence des pratiques industrielles sur de tels discours de mesures personnelles du succès.

23Frith affirme que les téléspectateurs évaluent la qualité en fonction de la technique (bon jeu d’acteurs, décors, travail de la caméra), la crédibilité, l’intéressant, le spectaculaire, le satisfaisant ; des termes qui (toujours selon Frith) font écho mais ne correspondent pas tout à fait au souci professionnel d’originalité, d’authenticité et d’innovation (2000 : 46). Cette hypothèse ne reflète toutefois pas les préoccupations de certains des professionnels interrogés ici, qui mentionnent précisément des éléments énumérés par Frith dans la catégorie « technique » et attribués aux (préoccupations des) téléspectateurs. Par exemple, des personnels non-managériaux tels qu’Ashley Way et Peter Blake (que l’on pourrait dans ces deux cas décrire comme créatifs) ont également mis l’accent sur la fierté d’un résultat final jugé satisfaisant, de manière analogue à celui présenté dans le discours de Lygo. Le réalisateur britannique Ashley Way, quant à lui, donne un compte rendu encore plus long et détaillé de sa définition du succès :

Ma définition du succès serait… sur le plan personnel, ce serait un travail dont je suis fier, que je considérerais… fidèle à son concept original, quelque chose qui… raconte bien une histoire ; et […] où… je ne pense pas que quoi que ne soi soit nécessairement irréprochable, mais quelque chose où vous ne voyez pas le jeu d’acteur, ou où vous ne voyez pas… ne voyez pas ni ne ressentez nécessairement pas la narration, quelque chose qui vous absorbe, quelque chose qui vous attire à l’intérieur.

24Avant d’ajouter :

Moi, au niveau personnel, c’est quelque chose où… je sens que j’ai eu un rôle important à jouer dans la narration réussie […] ou que vous pourriez faire quelque chose de très compromettant et vous le revisitez quelques années plus tard, et vous regardez en arrière et vous dites « eh bien, en fait, c’était vraiment bien ! ». Je pense que le concept du succès de quelqu’un peut changer avec le temps, également… avec le recul.

  • 15 Avec le possessif « votre » (« your ») accentué vocalement dans ma question.

25Répondant de la même manière à la question « quelle est votre définition du succès »15, le réalisateur accentue distinctement certains mots montrant qu’il s’agit bien là de sa définition personnelle du succès : « Ma définition », « au niveau personnel », « que je considérerais. Dans la première partie de son récit, Way déclare que ce qui compte pour lui, c’est d’être fier du résultat final du programme qu’il a réalisé. Plus qu’un bon résultat, cependant, Way fait usage d’une rhétorique créative relative aux qualités absorbantes du programme, souhaitant que ce dernier soit si immersif que l’on ne puisse pas « voir le jeu » des acteurs ni ressentir « la narration » ; en d’autres termes, des éléments concernant précisément la technique (bon jeux d’acteurs, décors, travail de la caméra), le crédible, l’intéressant, le spectaculaire, le satisfaisant, évoqués par Frith (2000 : 46). Le réalisateur conclut enfin que le concept de succès peut être obtenu (ou retiré) rétrospectivement, argumentant que l’on peut changer d’opinion ou de critères à travers le temps. Cela illustre plus encore le point précédent sur la subjectivité des critères de succès et de qualité ; l’avis/jugement sur un travail fini pouvant être révisé dans le temps.

26Bien que les mesures industrielles du succès ne soient pas discutées ici, les pratiques industrielles sont quant à elles au cœur de ce discours : tout ce dont parle Way est littéralement rattaché à la production de programmes. Ce récit montre donc clairement à quel point les pratiques de production sont liées aux mesures de réussite personnelle dans le cas de ce participant. Enfin, le scénariste Peter Blake donne une réponse assez similaire, bien que beaucoup plus concise :

Écrire une série dont je suis vraiment fier, que je trouve vraiment… de bonne qualité et que le public veut aussi regarder.

27Là aussi, le scénariste, membre comme le précédent des personnels non-managériaux, discute de la fierté ressentie à l’égard du résultat et relie ses objectifs de réussite personnelle à des éléments relatifs aux spécificités de son travail et aux pratiques de production. Bien que l’intérêt vis-à-vis de l’audience soit mentionné, ce discours a été classé dans cette sous-partie, soit parmi les récompenses internes plutôt qu’externes, qui se concentrent strictement sur la réception d’un programme, car l’accent est mis ici sur la fierté tirée du résultat final par rapport au travail effectué, « écrire une série », plutôt que sur le public, présenté comme un point présenté comme complémentaire « aussi ». Bien que, comme expliqué dans l’introduction, Koboldt, Hogg et Robison affirment que la valeur du programme est définie par les téléspectateurs (1999 : 60), Frith affirme que les transformations des années 1980 et 1990 ont fait en sorte que la nouvelle économie des échanges ne concerne pas uniquement les téléspectateurs (2000 : 41-2). Des discours tels que celui de Way et même celui de Lygo, sans fournir nécessairement la preuve que leur opinion sur la qualité du programme a un impact quelconque sur celui-ci ni sur d’éventuelles critiques élogieuses des programmes, illustrent bien l’importance de la « qualité » – indépendamment de la définition de cette dernière – aux yeux de divers professionnels vis-à-vis de leurs propres objectifs du succès, qu’il s’agisse de personnels non-managériaux ou de cadres dirigeants (décideurs).

28Ces récits et les suivants illustrent que la relation des professionnels avec le programme, soit le résultat final, diffère en fonction de leur rôle/poste au sein de l’industrie télévisuelle. Cet élément de distinction, cependant, ne concerne pas des débats souvent cités entre personnels dits « créatifs » et « non-créatifs ». Ces trois discours, donnés respectivement par un directeur de studio, un réalisateur et un scénariste, soulignent tous un sentiment de paternité ou de possession du programme, ainsi que, pour citer Cianci (2012 : 253), le sentiment que le succès du programme, selon les propres critères de qualité de chacun, était dépendant de leur contribution : avec Lygo, qui dit qu’il a « fait » de très bons programme, Way, qui veut que sa mise en scène absorbe les téléspectateurs afin qu’ils ne remarquent pas ni le jeu d’acteur ni le récit, et Blake, qui veut écrire des séries de bonne qualité ; tous associant ce succès à de la fierté. Comme je l’écrivais plus haut, ceci est bien sûr lié à la position de ces membres de l’industrie : alors que l’un est le chef du studio de production des programmes, les autres – qui, contrairement au premier, appartiennent à ce que l’on pourrait appeler le côté créatif – font partie de ce que je nomme les personnels créatif primaire, dont le travail a un impact direct et primaire sur la pièce finie. Comme illustré dans la sous-section suivante, les choses deviennent légèrement différentes lorsqu’il s’agit d’un autre type de travailleurs créatifs, dont le travail n’a pas un impact aussi direct ; une situation qui devient évidente lorsque l’on aborde leurs discours personnels sur le succès.

Influence complémentaire sur le résultat final

29Contrairement à nombre de discours dans lesquels les participants se concentrent principalement sur ce qu’ils apportent à la production de manière principale, comme si eux-mêmes rendaient la série « bonne », tels que ceux présentés juste avant, un autre type de discours du succès personnel – toujours basé sur la fierté du résultat – propose une approche très distincte, à travers laquelle les personnes interrogées expliquent ce qu’elles peuvent faire pour « aider » le rendu du programme, présentant ainsi leur propre travail comme complémentaire. La créatrice de costumes Deborah Everton, par exemple, présente une attitude plutôt désintéressée à l’égard de son travail et de ce que le succès signifie pour elle, en liant plutôt ses buts à sa capacité à aider l’acteur, le réalisateur ou le scénariste :

Oh, elle simple, celle-là. Je sens que j’ai réussis […] quand j’aide cet acteur à comprendre le personnage, quand j’aide le réalisateur avec… le tempo émotionnel de la scène, quand j’aide les scénaristes à exprimer ce qu’ils essayaient de dire. Pour moi, c’est ça le succès.

30Cette dernière question, comparée à celles plus techniques liées à l’industrie, a surpris par sa simplicité la créatrice de costumes, dont la définition du sentiment de succès s’articule autour de la notion d’« aide » – terme qu’elle utilise à trois reprises – les interprètes et le personnel créatif primaire. En d’autres termes, la personne interrogée ici ne tire pas son sentiment de succès de récompenses, de compliments sur son travail ou de sa propre appréciation de ses efforts, mais du fait d’aider les créateurs et les acteurs susmentionnés dans leurs tâches respectives. Everton présente ainsi le travail de ce que j’appelle le personnel créatif secondaire (tels que les créateurs de costumes ou les compositeurs), comme complémentaire de celui du personnel créatif primaire et des interprètes, plutôt que comme un élément essentiel. Le compositeur de musique Velton Ray Bunch partage également une vision liée à la notion de contribution, mais insiste davantage sur son propre travail et l’impact de celui-ci sur le résultat final que sur l’aide apportée à d’autres professionnels :

  • 16 Le verbe employé ici était « enhance », qui pourrait également se traduire par « accroître », « ren (...)

Eh bien, ma définition du succès est… quand je sais que la musique que j’ai écrite a amélioré16 l’image, l’a aidée… Ou, par exemple, si j’ai écrit un générique qui, je trouve, aide vraiment à rendre la série plus excitante, vous donne envie de regarder la série, alors je peux, vous savez, je peux regarder en arrière et dire « c’était un succès ». […] Pour moi, c’est un objectif difficile à atteindre, comme je l’ai dit : si l’image rend bien et que ça améliore le jeu des acteurs, je considère que c’est un succès.

31Ce récit, néanmoins, n’a pas pour objet de rendre le programme bon, contrairement aux récits de plusieurs participants cités plus tôt, comme si leur travail constituait l’élément principal à cet égard, mais bien d’« aider » à améliorer « l’image » – un terme qu’il a, lui aussi, utilisé plusieurs fois – ou rendre la série « plus excitante » ; autrement dit, l’avoir « amélioré[e] ». Il donc s’agit là d’ajouter une petite touche qui améliore l’ensemble, la cerise sur le gâteau, là encore de manière complémentaire. Le fait que cette aide ne soit pas liée à d’autres professionnels réside dans le fait que, contrairement au travail d’Everton qui a lieu avant le tournage, le compositeur intervient après, de sorte que son travail ne peut techniquement pas aider les autres pendant le tournage, car ils ne connaissent pas la musique de la scène (puisque celle-ci n’est pas jouée au moment du tournage). La contribution de Bunch ne peut donc pas interagir avec les acteurs ni les réalisateurs comme le fait le travail d’Everton ; elle peut simplement sublimer le résultat, y compris le jeu des acteurs, une fois ajoutée en post-production. Selon Herzberg (2003), une telle mesure du succès serait liée, d’une certaine manière, à la fois à l’identité de la tâche (cf. Piers, 2012 : 49 ; Hackman et Oldham, 1980) : confection de costumes/composition musicale, et à l’accomplissement : le résultat final. En outre, cette attitude de contribution et de soutien n’était présente que dans les discours des deux membres du personnel créatif secondaire interrogés. La particularité de leurs réponses est sans aucun doute liée à la spécificité de leurs emplois et reflète clairement l’attribut de soutien, ou de complémentarité, des activités propres au personnel créatif secondaire, par opposition à ceux du personnel créatif primaire ou même des interprètes, dont le travail a un impact plus « direct », pour ainsi dire, sur le programme. Enfin, ces deux récits illustrent la place centrale que les pratiques industrielles (pratiques, et non mesures, en l’occurrence) peuvent avoir sur les mesures personnelles du succès des professionnels de l’industrie télé (impact moins visible jusque-là), ces derniers étant intrinsèquement liés à leurs activités respectives au sein du secteur.

32Les mesures personnelles du succès discutées dans cet article suivent toutes la théorie de Williams (1961 : 44) à propos du plaisir et du repos devant le résultat après la douleur de l’effort. Les objectifs de réussite décrits ici sont donc principalement liés à la satisfaction personnelle – provenant du travail fourni ou du résultat obtenu – plutôt qu’à la réception du programme par tel ou tel groupe de personnes. Néanmoins, la majorité des définitions de succès présentées ici étaient indirectement liées à un mélange de récompenses internes et externes. En effet, si le désir et la fierté de travailler dur dans le but d’obtenir un résultat satisfaisant sont très liés à une opinion personnelle et que ces critères sont donc strictement internes, il pourrait être argumenté que la recherche de l’excellence et de l’amélioration du résultat apporterait une sorte de prestige qui constituerait une récompense externe. Enfin, cette volonté d’obtenir et de fournir le meilleur rendu possible semble être liée à ce que Hesmondhalgh et Baker (2011 : 186) ; décrivent comme une pression intériorisée dans le cadre de l’engagement nécessaire afin de consacrer de l’énergie émotionnelle et du temps à la fabrication de biens culturels ; un engagement clairement perceptible dans les discours des professionnels interrogés.

Conclusion

33Bien que les récompenses internes, directement liées au travail, apparaissaient comme une mesure de succès personnel récurrente et importante, liée à la fierté, pour un certain nombre de participants, il a été démontré que certains professionnels se concentraient sur les efforts déployés, presque indépendamment du résultat, tandis que d’autres se concentraient justement sur le résultat final. Cet article a également commencé à jeter un éclairage différent sur certains professionnels et certaines catégories de métiers. En montrant, par exemple, que les cadres décideurs, parfois présentés comme froids et obnubilés par l’audimat/l’argent avaient des objectifs très similaires à ceux d’autres professionnels, en particulier aux travailleurs dit « créatifs », appartenant à la catégorie que j’ai appelée personnel non-managérial, et que leurs objectifs de succès personnel contrastaient beaucoup avec les objectifs industriels qu’ils doivent professionnellement respecter. Cela révèle une relation plus complexe entre la direction et le succès industriel que la relation purement linéaire habituellement attendue. En outre, alors que les discours de certains participants exprimaient un sentiment d’appropriation du produit fini (le programme) en raison de leur relation au projet (en tant que responsable de la commande du programme ou parce que faisant partie du personnel créative primaire), ou bien présentaient leurs actions comme des actions autonomes ou indépendantes que les gens verraient et apprécieraient en elles-mêmes (comme ce fut le cas avec le conseiller médical technique), les membres du personnel créatif secondaire voyaient leur travail de manière collaborative, et centraient leurs mesures du succès sur l’aide fournie à leurs collègues et leur contribution au résultat global. En plus de démontrer que les personnels créatifs primaires et secondaires appartiennent bien à deux catégories distinctes, cela montre donc que la relation entre les professionnels et le résultat final diffère selon les individus et le rôle de chacun au sein de l’industrie.

34Selon Hesmondhalgh et Baker (2011 : 38), en relation avec Muirhead (1984 : 190), l’effort pour atteindre l’excellence nous éloigne d’autres aspects de notre vie. Cette hypothèse peut être liée au travail de Hazan et Shaver (2003 : 362-3), dans lequel ils soutiennent qu’il existe deux types d’individus, ceux qui choisiraient le succès au travail plutôt que le succès dans les relations et ceux qui privilégieraient l’inverse. Bien que tous les entretiens présentés dans cet article comportaient un discours axé sur le succès au travail, d’autres éléments doivent être pris en compte. Cette focalisation globale sur le travail dans les discours du succès des personnes interrogées peut être due, par exemple, au sujet de l’interview, centré autour du succès industriel tout du long, dans la mesure où celui-ci a mentalement dirigé les participants vers des éléments liés au travail (dans l’industrie télévisuelle), jusqu’à ce que nous arrivions à cette ultime question. Cette présence statistique accrue de discours sur le succès au travail ne suffit donc pas à faire valoir dans le contexte de la recherche de laquelle découle cet article que les personnels de la télévision, en tant qu’individus comme en tant que groupes, ont tendance à systématiquement se concentrer sur le succès au travail plutôt que sur le succès dans leurs relations avec d’autres personnes. Ainsi, même si cela est clairement possible, cela ne peut pas être déduit uniquement sur la base de ce travail et nécessiterait des recherches supplémentaires, moins ancrées dans un contexte industriel, afin de collecter davantage d’informations sur ce sujet spécifique.

35La manière dont les discours ont été catégorisés a également « classé » les ambitions reflétées dans les objectifs de réussite personnelle des participants ; en commençant par ceux qui se satisfont de leur propre travail, puis allant jusqu’à leur impact sur le résultat final. Ceci, ne fait que continuer lorsque l’on aborde l’opinion des participants pour qui cela ne suffit pas et que ces facteurs internes nécessitent d’être complétés (ou remplacés, pour ceux des professionnels qui n’ont énuméré aucun objectif interne) par l’opinion des autres. Comme mentionné dans l’introduction, ceci est également à relier au niveau d’indépendance des personnes interrogées, les participants dont les discours ont été présentés dans cet article en ayant montré un montant plus élevé, en raison du fait que leur propre opinion suffisait.

36Cet article, enfin, a prouvé que les récits présentés comportaient parfois des discours sur le succès personnel et des critères qui n’étaient que peu liés – quand ils n’étaient pas carrément contraires – aux mesures industrielles de succès. Cela confirme la théorie développée dans l’introduction et plus tard, affirmant que différents ensembles de mesures de succès peuvent coexister au sein de l’industrie de la télévision parmi les professionnels. Néanmoins, bien que si ces mesures étaient distinctes des mesures industrielles, les pratiques industrielles en général semblent avoir eu un net impact sur un certain nombre de discours du succès personnel, à divers degrés ; allant des objectifs liés au travail fourni tel que celui de faire de son mieux, qui laissaient de côté les notions industrielles et pouvaient s’appliquer à tout type d’industrie, jusqu’aux discours très ancrés dans l’industrie télévisuelle, liés aux spécificités du travail et à des interactions avec d’autres professionnels. Toutefois, à mesure que les objectifs personnels du succès deviennent externes, un certain nombre de ces derniers a tendance à ressembler aux critères et mesures industrielles, comme l’illustrent les discours se focalisant sur des facteurs externes de fierté, mais la présentation de ceux-ci nécessiterait elle-aussi un article, afin qu’ils puissent être correctement présentés et analysés.

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Notes

1 À l’Université d’East Anglia, au Royaume-Uni.

2 Souvent appelés showrunners en anglais.

3 Ainsi que James Hedges, qui possédait double casquette à cette époque : ABC Television & ABC Studios.

4 Où, lorsque le pourcentage de femmes était supérieur à 25 % dans l’industrie, l’une des deux personnes interrogées étaient une femme (donc, 50 % des participants pour la catégorie donnée), et chaque fois qu’elle était inférieure, aucune n’était interrogée (donc 0 %). Ainsi, avec 42 % des rôles à l’écran, une interprète sur deux était une femme (Sara Pascoe), tout comme chez le personnel créatif secondaire, où les femmes sont très représentées dans des emplois tels que ceux de créatrices de costumes (ma participante, ici, étant Deborah Everton).

5 Réalisés en anglais, question et réponses seront donc traduites en français pour cette publication.

6 Dans les rares cas où les participants demandèrent plus de précision, je qu’il leur répondait qu’il leur appartenait d’interpréter la question.

7 Notons néanmoins que les récompenses internes et externes ne sont pas mutuellement exclusives et que les professionnels ne s’intéressent pas nécessairement uniquement à l’une ou à l’autre.

8 Le terme utilisé à l’origine en langue anglaise est « craft », qui se traduit également, selon le contexte, par : « artisanat ».

9 Là aussi, le terme utilisé à l’origine en langue anglaise était « craft », également traduit comme : « artisanat ».

10 Ceci s’applique également, bien entendu, à tous les autres participants.

11 Le verbe utilisé en anglais était « to make », qui veut dire « faire » mais dans le sens de « fabriquer » comme « faire un film », par opposition au verbe « to do » qui ne se traduirait que par « faire » comme « faire les courses ».

12 Le verbe utilisé en anglais ici, au contraire, était justement « to do ».

13 C’est-à-dire, comme expliqué plus haut, ni les professionnels ne faisant parti ni des cadres décideurs des chaînes et studios, ni des personnels que je décris comme managériaux (les producteurs).

14 Le verbe utilisé en anglais était « dreadful », que l’on pourrait également traduire ici par « horrible », « terrible » ou dans le cas d’une production, « nullissime ».

15 Avec le possessif « votre » (« your ») accentué vocalement dans ma question.

16 Le verbe employé ici était « enhance », qui pourrait également se traduire par « accroître », « renforcer » ou bien « augmenter ».

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Pour citer cet article

Référence électronique

Benjamin Derhy Kurtz, « L’amour du travail bien fait : mesures personnelles du succès dans l’industrie télévisuelle »Revue française des sciences de l’information et de la communication [En ligne], 17 | 2019, mis en ligne le 01 septembre 2019, consulté le 16 janvier 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/rfsic/6524 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/rfsic.6524

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Auteur

Benjamin Derhy Kurtz

Benjamin W.L. DERHY KURTZ est docteur en S.I.C. et A.T.E.R. à l’université d’Avignon, où il intervient en licence Information-Communication et dans les deux masters Culture et Communication : Arts et Techniques des Publics (ATP) et Médiations, Musées, Patrimoines (MMP). Il est chercheur au Laboratoire Culture et Communication et au Centre Norbert Elias de l’université d’Avignon, ainsi qu’à l’Institut de Recherche Médias, Cultures, Communication et Numérique (IRMECCEN) de l’université Sorbonne Nouvelle (Paris 3). Ses axes d’enseignement et de recherches s’articulent autour de la communication, la culture, les audiences, les industries créatives, la sociologie de la télévision et des médias et le transmédia. Courriel : Benjamin@Derhy.TV

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Droits d’auteur

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