CHAUZAL-LARGUIER Christelle et ROUQUETTE Sébastien (dir.). La solidarité, une affaire d’entreprise ? Une dynamique en émergence
CHAUZAL-LARGUIER Christelle et ROUQUETTE Sébastien (dir.), 2018. La solidarité, une affaire d’entreprise ? Une dynamique en émergence. Clermont-Ferrand : Presses Universitaires Blaise Pascal. ISBN 978-2-84516-786-5
Texte intégral
1Cet ouvrage vise à établir un état des lieux des recherches menées sur le thème de la solidarité en entreprise. Cette solidarité se multiplie dans les entreprises, mais peu de travaux de recherche abordent ce thème.
2Christelle Chauzal-Larguier et Sébastien Rouquette, coordinateurs de cet ouvrage, introduisent le sujet en définissant deux familles de solidarité : la solidarité verticale, qui s’impose à l’entreprise à travers des politiques publiques et sociales ; et la solidarité horizontale, qui est volontariste.
3La Responsabilité Sociale des Entreprises (RSE) est en plein essor dans les entreprises. La solidarité reste cependant une facette peu exploitée de ce domaine, en particulier dans les travaux de recherche.
4Les auteurs précisent que cette solidarité reste difficile à appréhender dans un contexte d’entreprise et en donnent plusieurs explications. La première découle de la raison d’être de ces organisations qui est d’assurer la pérennité, et donc la rentabilité de l’entreprise. Les actions de solidarité peuvent avoir un impact en termes d’image, mais elles ne permettent pas d’avoir de retour sur investissement immédiat. L’évolution des relations entre salarié-e-s, qui tendent à se distendre, et le manque de légitimité à agir dans ce domaine sont deux autres facteurs explicatifs.
5En dépit de ces limites, des entreprises de plus en plus nombreuses engagent des actions de solidarité.
6L’ouvrage comporte deux grandes thématiques. La première s’intéresse aux différents types de solidarités qui ont vu le jour en entreprise. La deuxième étudie les enjeux liés à cette solidarité en entreprise. Quatre chapitres composent la première partie. Chacun d’entre eux étudie la solidarité dans un contexte professionnel particulier : les cabinets d’avocats d’affaire, la grande distribution et les réseaux d’entrepreneurs.
7Rhéa Eddé a mené une étude auprès de 50 cabinets d’avocats d’affaires pour identifier les actions de solidarité menées par ces derniers. Ces cabinets fonctionnent de plus en plus comme des entreprises commerciales, et ils sont toujours plus nombreux à initier des actions de solidarité. Ils sont incités à mener de telles actions par des instances professionnelles comme le Conseil national des barreaux qui a élaboré la Charte de l’avocat citoyen responsable ou le Barreau de Paris qui a lui aussi élaboré une charte. Les avocats qui signent ces chartes s’engagent à entreprendre des actions sociales, environnementales et économiques.
8L’auteure précise que les cabinets d’avocats d’affaires mènent des actions de solidarité en lien avec leur activité (mise à disposition de compétences pour des associations ou des personnes défavorisées) ou sans lien (soutien financier, soutien aux enjeux environnementaux et de développement durable). Les motivations le plus souvent citées pour mener de telles actions sont d’améliorer la visibilité du cabinet et son image de marque ou encore de donner du sens à leur activité.
9Dans un second chapitre, Nawel Hammami-Habib mène une étude sur la pratique des dons alimentaires par les supermarchés. Depuis quelques années, le secteur de la grande distribution s’investit dans le développement durable avec la mise en évidence de produits bios ou équitables, la collaboration avec des associations ou encore la réduction de la consommation énergétique et des déchets. Depuis 2016, la loi contre le gaspillage alimentaire interdit à toute surface de plus de 400 m2 de jeter les invendus. Les enseignes doivent établir des conventions avec des associations pour faire don de ces produits.
10Dans cette étude, l’auteure a interrogé cinq dirigeants d’enseignes pour mieux comprendre les pratiques et les motivations de la lutte contre le gaspillage. La mise en œuvre des mesures est bien avancée dans les grandes enseignes, mais elle est plus difficile dans les enseignes moins importantes. Les motivations sont bien réelles pour les enseignes, à la fois pour valoriser leur image et pour bénéficier des économies d’impôt associées. Cependant, ces dons nécessitent la mise en place de systèmes de gestion spécifiques et ont un coût associé non négligeable. Les chapitres III et IV se concentrent tous les deux sur l’expression de la solidarité dans les réseaux d’entrepreneurs.
11À travers des entretiens avec des dirigeants d’entreprises, Clément Marinos, l’auteur du chapitre III, démontre l’importance de la variable territoriale dans les mécanismes de solidarité. Ceux-ci sont l’expression d’un fort sentiment d’appartenance. La solidarité à l’œuvre dans ces réseaux est de nature altruiste dans un premier temps, mais apporte sur le long terme des partages d’expérience et un soutien moral inatteignables par ailleurs. La proximité géographique est un élément clé de ces bienfaits.
12Dans le chapitre suivant, Mohamad Al Abdulsalam s’interroge sur la nature même de ces réseaux. S’agit-il de dons ou la réciprocité est-elle au cœur des relations dans les réseaux d’entrepreneurs ? À travers l’étude de deux réseaux d’entrepreneurs, l’auteur identifie les principaux avantages de ces réseaux : accès à l’information ou à des sources de financement et partage d’expérience. Les membres de ces réseaux revendiquent une réciprocité dans la solidarité à l’œuvre, cette réciprocité n’est pas immédiate mais est supposée intervenir dans le futur.
13La deuxième partie de l’ouvrage est consacrée à une étude des pratiques de solidarité dans les entreprises. Alors que les chapitres V et VI s’intéressent aux enjeux internes et externes des actions de solidarité, les trois derniers chapitres étudient l’impact communicationnel de ces actions.
14Dans le chapitre V, François Blanc relate l’histoire du marketing en s’interrogeant sur la notion de solidarité. À sa création au début du xxe siècle, le marketing comportait une dimension sociale. Au fil du temps, cette notion a progressivement disparu et, de nos jours, le marketing a une image plus négative que les autres fonctions de l’entreprise. La responsabilité est une valeur à intégrer de plus en plus dans les activités marketing en incluant les parties prenantes dans les différentes actions et en prenant en considération la notion d’équité dans les décisions.
15Gil-Ian Royannez et Serge Boudignon s’interrogent sur le lien entre l’engagement personnel du salarié et l’organisation solidaire dans l’entreprise. Les auteurs constatent que les individus ont beaucoup moins d’opportunités de valorisation personnelle qu’avant, aussi bien en entreprise que dans leur vie personnelle. Participer à une action de solidarité permet de donner du sens à son existence et de se valoriser. Dans le cadre professionnel, les salarié-e-s qui participent à des actions de solidarité peuvent en retirer une meilleure autonomie, un développement de leurs connaissances ou encore une valorisation de leur image au sein de l’entreprise. Ces bénéfices se retrouvent aussi du côté de l’entreprise, qui peut développer le sentiment d’appartenance envers l’organisation et le partage de valeurs communes par la mise en œuvre de telles actions.
16Les auteurs étudient ensuite les résultats d’une enquête CSA menée en 2016 et comparent les résultats obtenus avec une analyse exploratoire réalisée auprès de salarié-e-s et de chefs d’entreprise. Cette étude montre que la majorité des initiatives solidaires en entreprise émanent du dirigeant et sont liées à l’environnement de l’entreprise et son histoire personnelle. Le partage de valeurs communes avec les salarié-e-s n’est pas acquis et ceci nuit à l’aboutissement de ces initiatives.
17Les trois derniers chapitres de l’ouvrage sont consacrés à une étude des stratégies de communication dans le cadre d’actions de solidarité.
18Christelle Chauzal-Larguier rappelle qu’en dépit de l’augmentation du nombre d’initiatives de solidarité dans les entreprises, les chercheur-e-s s’intéressent peu à ce thème. L’auteure fait la distinction entre les entreprises privées et les entreprises solidaires. Les projets menés dans cette deuxième catégorie d’entreprise sont souvent plus aboutis et pérennes. Dans les deux cas, les démarches sont menées principalement par les dirigeants, et ceux-ci doivent obtenir l’adhésion de leurs salarié-e-s pour que le projet aboutisse. La médiatisation de ces actions peut parfois être mal perçue, en particulier pour les entreprises privées.
19Dans le chapitre suivant, Christelle Chauzal-Larguier et Sébastien Rouquette vont plus loin en explorant une action de solidarité précise : le don de RTT. Ce type d’action, qui relève de l’entraide entre salarié-e-s, n’est souvent pas abordé dans la communication officielle de l’entreprise. Ce sont le plus souvent les salarié-e-s bénéficiaires de ces actions qui les médiatisent, même si l’entreprise joue parfois un rôle en mettant en relation salarié-e-s et journalistes.
20Le dernier chapitre, rédigé par Gérald Lachaud, permet de faire un point sur le traitement réservé à la solidarité dans les documents et sites Internet des entreprises du CAC40. Les entreprises qui abordent le plus le thème de la solidarité sont les entreprises dont l’État détient ou a détenu une partie du capital et les entreprises ayant un dirigeant reconnu pour son investissement dans le patronat social. Dans ces grandes structures, deux fonctionnements se distinguent : soit les entreprises mettent en place des programmes pour permettre aux initiatives des salarié-e-s d’émerger, soit l’entreprise détermine les thèmes qu’elle souhaite privilégier. L’auteur conclut en indiquant qu’il serait intéressant de mener une étude complémentaire centrée sur un secteur d’activité spécifique. Une telle étude pourrait permettre d’identifier l’impact de la culture d’entreprise sur les mesures de solidarité adoptées.
21Cet ouvrage démontre la dimension volontaire des initiatives de solidarité dans les entreprises à la fois pour l’entreprise elle-même et pour le salarié qui s’engage dans ces actions. Tout l’enjeu consiste à faire correspondre les attentes respectives de ces deux catégories d’acteurs.
Pour citer cet article
Référence électronique
Delphine Billouard-Fuentes, « CHAUZAL-LARGUIER Christelle et ROUQUETTE Sébastien (dir.). La solidarité, une affaire d’entreprise ? Une dynamique en émergence », Revue française des sciences de l’information et de la communication [En ligne], 17 | 2019, mis en ligne le 01 septembre 2019, consulté le 22 janvier 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/rfsic/6313 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/rfsic.6313
Haut de pageDroits d’auteur
Le texte seul est utilisable sous licence CC BY-NC-SA 4.0. Les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés) sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.
Haut de page