1Depuis le début des années quatre-vingt-dix, la communication scientifique ne cesse de se repenser dans un contexte numérique étroitement associé à un monde de plus en plus ouvert : archives ouvertes de chercheurs, revues électroniques sans barrières d’accès, mutation progressive des offres éditoriales. Confrontées à des coûts inflationnistes de revues STM, les bibliothèques ont joué un rôle majeur pour refonder les modalités de cette communication scientifique. Le mouvement open access aux résultats de la recherche s’est consolidé par des déclarations politiques fondatrices au début des années 20001. À partir de 2012, une nouvelle ère a suivi qui croisa les crises économiques et financières et dans un tel contexte, l’accès ouvert aux résultats de la recherche financée sur fonds publics fut progressivement associé à l’enjeu de l’innovation. Le tournant est majeur car les acteurs centraux sont devenus, dès lors, les gouvernements et les différents financeurs qui ont projeté dans l’open access une modalité de contrôle de leur l’investissement dans la recherche (Chartron, 2016). Aujourd’hui, le système d’innovation est bien au cœur de la problématique, la production de savoir doit fertiliser de façon transversale le secteur académique, les entreprises et le gouvernement (modèle de la triple hélice d’Etzkowitz et de Leydesdorff, 2000) ; il doit aussi adresser, plus récemment, la société civile. Le développement de nos sociétés occidentales est projeté, en partie, au prisme de cette quintuple hélice pour reprendre la vision de Carayannis et Campbell (2017).
2Dans un tel contexte de promesse de croissance, doublé d’une exigence accrue de transparence générale, la transformation apparait irréversible. L’horizon est politiquement tracé : réussir à transformer le système éditorial de la recherche vers un système ouvert sans barrières d’accès (Conseil de l’Union européenne, 2016)2. Le défi ne concerne pas uniquement les textes scientifiques mais aussi les données du travail scientifique et la possibilité de leur réutilisation. Plus globalement, c’est désormais le concept d’open science (Royal Society, 2012) qui s’est imposé comme mode d’organisation de la recherche pour répondre au mieux aux défis sociétaux et contribuer à la compétitivité internationale. Curieusement, cette vision semble réunir aussi bien les positions les plus libertaires des mouvements Open que les positions les plus libérales (Ibekwe, Paquienseguy, 2015). Il semble alors opportun de qualifier l’open access de « mot-valise » ou d’« objet frontière », notions introduites par Patrice Flichy (2003) dans sa théorie de l’innovation technique, mais également par S. L. Star and J. Griesemer en 1989, dans le cadre du développement du Musée de Berkeley. Chaque catégorie d’acteur projette des sens différents sur l’objet frontière permettant interactions, confrontations, coopérations qui vont globalement renforcer le projet d’innovation technique et sociétal en question.
3Les acteurs qui organisent la médiation de la communication scientifique, sociétés savantes, éditeurs, presses, bibliothèques sont aujourd’hui sommés de « se réinventer » pour converger vers une science ouverte soutenue par de nombreuses politiques publiques et acteurs divers de la « transformation numérique ». Les enthousiasmes sont nombreux et on le comprend, qui pourrait s’opposer à l’idée d’une littérature scientifique en complet libre accès, de façon universelle ? Aussi, l’idée de l’open access est généralement soutenue par les chercheurs eux-mêmes (Schöpfel et al., 2016). Mais la phase opérationnelle pose la dure réalité de la soutenabilité économique et des impacts potentiels sur tous les acteurs qui prenaient jusque-là en charge ces services. Pragmatiques et militants n’ont souvent pas la même vision… Plus de 20 ans après les premiers mouvements de l’open access, la Commission Européenne estime aujourd’hui environ à 15 % la part des articles produits en OA doré (paiement par les auteurs, les laboratoires) et à un peu plus de 30 % les articles en OA vert (dépôt des textes dans les archives ouvertes)3, ce qui est encore loin d’un open access 100 % qu’elle vise pour 2020. Les nouveaux modèles économiques restent encore hésitants, différents selon les champs scientifiques, différents selon les contextes locaux notamment en termes d’intervention des fonds publics. Sont-ce uniquement des arguments d’arrière-boutique face à l’enjeu de biens communs de la science ? Est-on prêt à sacrifier d’autres valeurs au nom de l’open ? Qualité, diversité, pluralité, indépendance… Bon nombre de nouvelles startups ne survivent pas une fois passée les premières levées de fonds. Doit-on s’orienter vers des dispositifs uniquement payés par les institutions publiques ? La science du XXIe siècle est-elle toujours comparable à celle de Merton pour mettre en priorité la notion de « bien commun » ?
4La prise de recul s’impose donc car au-delà d’une science ouverte à laquelle il semble bien difficile de ne pas adhérer, se profilent des fragilités et des basculements dont il faut de demander s’ils sont possibles et souhaitables (Schöpfel, 2015). L’objectif de ce numéro de la RFSIC est de s’interroger avec recul sur la transition du modèle éditorial de la recherche et du régime de l’open science plus globalement.
5Revenant sur la dimension généalogique de l’open access », Samuel Moore du département Digital Humanities au King’s College de Londres, met le focus sur deux interprétations différentes dont l’une adresse la notion de réutilisation empruntée à la culture des logiciels libres et à la culture libre, et l’autre plutôt la notion d’accessibilité associée à la culture éditoriale et militant pour des répertoires ouverts. La notion de boundary object est au cœur de la discussion qui insiste notamment sur le fait que l’open access est à considérer comme un objet à piloter par les communautés car, considéré à un niveau politique général, il perd sa valeur d’usage.
6Célya Gruson-Daniel du laboratoire Costech-Université de Technologie de Compiègne et du laboratoire LabCMO-Université Laval-Québec revient sur la consultation publique organisée dans le cadre du projet de loi République numérique organisée sur une plateforme dédiée, et plus spécifiquement sur l’article 9, devenu, après les différentes étapes législatives, l’article 30 de la loi numérique. Outre la mise en évidence, par une étude des commentaires en ligne, des différentes parties et de leurs principaux arguments, elle pointe des stratégies argumentatives différentes de ces mêmes parties en fonction des media, en comparant l’espace de la plateforme et de celui des tribunes publiées dans la presse à la même période. D’autres voies restent encore à explorer sur ces données de la consultation publique, notamment le statut des participants et les stratégies d’occupation de l’espace médiatique sur ces consultations dites démocratiques.
7La dimension politique de l’open access est certainement la dimension majeure et la plus controversée de ce mouvement. Les politiques publiques en faveur de l’open access ont été déterminantes et radicalement prescriptives ; les exemples sont nombreux tels que la Commission européenne, la Maison Blanche, le rôle moteur du gouvernement britannique, mais aussi l’initiative du gouvernement brésilien et de ses fondations publiques pour le modèle Scielo. Les visions sont-elles pour autant convergentes ? Pas moins sûr. Dans ce numéro, deux auteurs reviennent sur cette dimension politique. Jérôme Valluy du laboratoire Costech-UTC, s’attache, dans le contexte français, à souligner la nécessaire réadaptation du régime numérique pour la diffusion des résultats de la recherche dans un contexte numérique mais également à démontrer la spécificité de l’accès ouvert « à la française », à savoir des finalités de centralisation et de contrôle qui s’éloignent profondément de « l’idéal philosophique du libre accès aux savoirs ». Repenser la notion de « libre » dans la notion de « libre accès aux savoirs » deviendrait une nécessité.
8Marc Vanholsbeeck, de la Direction de la recherche scientifique du Ministère de la Fédération Wallonie-Bruxelles, nous rappelle le poids de la Commission européenne sur le déploiement du mouvement et focalise sa contribution sur une contradiction des prescrits formulés, selon lui, à savoir une prescription de diffusion des résultats de la recherche à des publics élargis (hors circuit traditionnel des pairs) et l’élaboration d’indicateurs internes de performance en matière de recherche élaborés uniquement à partir des articles de revues appartenant aux référentiels en place (bases de données Web of sciences, Scopus…). Il plaide, au final, pour la voie verte de l’open access pour rendre visible cette diversité. Restera, cependant, à considérer qualité et validation experte de cette inflation d’écrits.
9Un objectif majeur originel de l’open access fut de refonder le financement global du système, enclin à une spirale inflationniste surtout selon les bibliothèques en sciences, techniques et médecine dont les budgets ne permettaient plus toutes les acquisitions nécessaires. Transformer les budgets actuels des abonnements en financements amont contrôlés, payer pour publier (article processing charge), financer des licences globales, développer les financements publics… Quel bilan peut-on aujourd’hui faire de la transformation des modèles économiques ? L’observation affirme des évolutions bien différentes. Loin d’être des considérations d’arrière-boutique, cette dimension économique conditionne la viabilité et la pérennité des services aux chercheurs.
10Pour les sciences de la nature, la voie dorée, à savoir le paiement en amont par les laboratoires pour publier, a vu se développer les APC (article processing charge) que Marlène Delhaye de l’Université Aix-Marseille et Jean-François Lutz de l’Université de Lorraine analysent dans le contexte français. Une grande difficulté est d’apprécier globalement la dépense d’APC sur le territoire national, le paiement s’opérant non plus uniquement par les bibliothèques mais aussi directement par les laboratoires. À l’appui des données collectées dans deux universités, trois méthodes de suivi budgétaire sont comparées avec leurs avantages et inconvénients : l’une s’appuyant sur le référentiel des articles présents dans le Web of Science, la seconde se fondant sur les données transmises par les éditeurs et la dernière utilisant les données des systèmes comptables des universités. Cet article captera particulièrement l’attention des directions en charge de la politique documentaire des établissements.
11Marianne Noël du laboratoire LISIS-Université Paris-Est et CNRS, dans une approche historique d’une revue majeure de chimie, le Journal of the American Chemical Society, nous retrace les différents modèles de remontée des recettes envisagés par cette revue au cours des décennies. Notamment le paiement à la page, bien antérieur aux actuels APC était déjà une forme de paiement par l’auteur. La recherche constante d’un équilibre financier pour la revue contraint par des dispositions législatives évolutives est retracée. Cette contribution permet de contextualiser l’actualité vive des APC dans une chronologie diachronique de l’économie d’une revue.
12Par ailleurs, de nombreux débats concernent désormais les politiques d’offsetting4, à savoir les négociations globales avec les grands éditeurs internationaux essentiellement, afin de coupler à budget constant les abonnements aux revues et les droits à publier en open access gold (paiement d’APC) pour tous les membres d’une même institution (Pinfield et al., 2015).
13Pour les sciences humaines, ce numéro apporte peu d’éléments nouveaux concernant l’économie du secteur, une question centrale reste la spécificité de chacun des champs scientifiques, notamment en termes de diversité et de petite taille des acteurs de l’édition impliqués. Le périmètre de l’économie se joue ici au niveau d’un territoire linguistique ou national, très différent de l’internationalisation majeure des sciences de la nature. Quel doit être le rôle de l’État, des institutions de recherche et des acteurs extérieurs aux communautés, professionnels de l’édition, dans cette redistribution ?
14Comment s’organisent les médiations de l’open access autour des nouvelles plateformes comme les archives ouvertes ? Annaïg Mahe et Camille Claverie du laboratoire Dicen-Idf du CNAM nous livrent des résultats inédits sur les pratiques de dépôts en SHS au prisme de l’analyse des données de la plateforme HAL-SHS. Un corpus de plus de 300 000 enregistrements a été analysé, couvrant la période 2002-2016 pour toutes les disciplines SHS. Les auteures ont analysé plus spécifiquement les acteurs qui déposent ces documents au travers les données que l’on peut tracer dans les formulaires de dépôt. De grandes différences disciplinaires ont été constatées sur le responsable du dépôt. Concernant les dépôts des documents textuels (articles, chapitres d’ouvrages…), la médiation est, tout domaine confondu, assurée autant par les chercheurs eux-mêmes que par des intermédiaires non chercheurs. Par contre l’analyse par discipline montre des pratiques très différentes, voire opposées par exemple entre l’anthropologie, la philosophie d’une part et le droit, les sciences du management d’autre part. Des logiques de dépôts ont également été comparées et les auteures concluent que, majoritairement, les archives ouvertes ont pour finalité première la mise en visibilité de la production scientifique par les notices, seulement un quart du corpus de données textuelles associe le texte intégral aux notices et seulement 12 % si on considère les publications de moins d’un an.
15Chloé Girard, quant à elle, pointe le paradoxe d’une science ouverte dont les dispositifs sont de plus en plus centralisés, voire avec des clauses d’exclusivité, créant des risques de dépendance économique, scientifique et politique. La science ouverte nécessiterait, au contraire, selon l’auteure, que les chercheurs puissent user des données, comme des données d’usage par exemple, à leur gré. Des propositions sont faites dans cette perspective.
16Deux arguments majeurs pour l’open science concernent d’une part les transferts facilités des résultats de la recherche à la société, et d’autre part les transferts facilités à l’économie tout entière. Ces arguments motivent notamment la politique actuelle du Conseil Européen pour l’accès libre à l’ensemble des résultats de la recherche publique en 2020. Sans doute est-il encore trop tôt pour éclairer l’atteinte même partielle de ces objectifs. Néanmoins, l’article d’Elhassan Elsabry du National Graduate Institute for Policy Studies de Tokyo propose une première synthèse de plus de 50 études sur l’impact sociétal de l’open access. Son analyse invite à distinguer plusieurs secteurs-clés pour la réception et l’utilisation des résultats de la recherche, dont l’industrie (et plus particulièrement les PME/PMI), les acteurs politiques, les ONG, les médecins praticiens et groupes de patients, et les chercheurs indépendants, et propose un modèle avec trois catégories d’usage (extramural research, evidence-based practice, personal use). C’est un premier pas vers une meilleure compréhension et conceptualisation de l’impact sociétal, y compris du lien entre l’open access et la science citoyenne, et ouvre la voie à des analyses plus fines, par exemple sur la valorisation pour le tissu économique (innovation) ou encore sur la compatibilité entre l’open access et la science ouverte avec les logiques de concurrence, de partenariat public-privé et de protection de la propriété industrielle.
17Dans ce contexte, nous nous étions également posé la question de savoir si l’open access était aussi pertinent que d’autres vecteurs de médiatisation des sciences. Les résultats présentés par Ingrid Mayeur de l’Université de Liège contribuent à mieux comprendre la communication scientifique directe vers un public élargi, ici sous forme de blogging scientifique sur des actualités politiques, sociales voire scientifiques. « Les pratiques de communication des scientifiques vers la société civile se diversifient et rompent ainsi avec le seul paradigme de la vulgarisation ; le traitement de l’actualité converge avec la vocation politique de la science citoyenne du XXIe siècle. » À travers ses observations sur les pratiques rhétoriques et l’adaptation au(x) public(s), on voit comment se développent de nouvelles formes d’écriture et de communication, quelque part entre publication et journalisme scientifique, et de nouveaux dispositifs d’édition et de médiatisation en open access (ici le service Hypothèses sur la plateforme OpenEdition).
18Les travaux de Florence Piron de l’Université de Laval au Québec et de l’équipe scientifique internationale du projet SOHA (Science ouverte en Haïti et en Afrique francophone) incitent à reconsidérer le rôle et l’impact de l’open access sous l’aspect des rapports asymétriques entre les pays du Nord et du Sud, de la fracture numérique et du néocolonialisme. Le rôle de l’open access paraît profondément ambigu : il peut aussi bien « développer la puissance des innovateurs du Nord et leur capacité de valoriser leurs innovations partout dans le monde » au risque d’aggraver « la fracture scientifique et l’aliénation épistémique plutôt que la réduire » que de contribuer à la « démocratisation de l’accès aux connaissances […] cruciale, non seulement pour les non-scientifiques, mais aussi et surtout pour les enseignants universitaires et les étudiants qui, en Afrique francophone et en Haïti, sont en situation chronique de manque d’accès à une information scientifique et technique à jour et de bonne qualité ». Le libre accès aux résultats de la recherche n’est pas une valeur en tant que tel mais doit être analysé dans sa réalité économique, politique, culturel et technologique.
19L’open science est également associée à de nouvelles méthodes du travail scientifique qui permettraient une plus grande efficience : fouille de données (TDM), réutilisation de corpus ouverts partagés, interdisciplinarité favorisée pour répondre à des défis sociétaux complexes… En quoi, dans des contextes situés, le mouvement généralisé de l’open access a-t-il changé la donne ? Quel est l’impact du libre accès ? Quels sont les usages et pratiques des chercheurs, et notamment pour les sciences de l’information et de la communication ? L’article d’Ingrid Mayeur a déjà abordé cette thématique, sous l’aspect du blogging scientifique. L’équipe de recherche autour de Nathalie Pinède et Mathieu Noucher de l’Université Bordeaux-Montaigne s’intéresse aux changements du travail scientifique du fait de la mise en ligne massive de données géographiques, et, plus largement, à l’évolution des fonctions professionnelles (repositionnements) et dispositifs sociotechniques dans le cadre de la politique d’« ouverture multiforme des données de la recherche ». Les auteurs proposent une nouvelle approche conceptuelle et méthodologique afin de mieux appréhender ce « décloisonnement du processus de recherche, tant en interne au niveau disciplinaire, qu’en externe avec les acteurs (institutionnels, professionnels, civils) en lien avec les dispositifs numériques » et les tensions et frictions de cette politique d’open data.
20Précurseur du libre accès aux données et publications en chimie, Jean-Claude Bradley (Université Drexel, Philadelphia) est à l’origine d’une approche originale pour la diffusion des procédures et résultats des expériences chimiques, y compris des échecs (résultats négatifs). Après un doctorat en chimie de l’Université d’Ottawa et des post-docs à Duke University et au Collège de France, Bradley a développé et mis en œuvre, à partir de la fin des années 1990, le concept des carnets de laboratoire publics, mis en ligne sur Internet et accessibles à tout le monde. Décédé en 2014, Bradley reste l’un des pères de l’open science, en même temps avocat, acteur et formateur, avec la conviction qu’il faut, autant que possible, mettre toutes les recherches à la disposition du public, et en temps réel, à commencer par les données brutes (Poynder 2010). Dans leur article, Anne Clinio et Sarita Albagli du Brazilian Institute of Information in Science and Technology (Ibict), interrogent ce modèle dans ses dimensions conceptuelles, technologiques et épistémologiques. Elles parlent d’une nouvelle culture épistémique, apte à contribuer au renouvellement de la recherche scientifique. D’une manière plus pragmatique, leur étude de cas illustre aussi et surtout que l’open science n’est pas un concept abstrait mais prend tout son sens dans la réalité du travail de recherche, sur le terrain, au sein d’une communauté disciplinaire et institutionnelle.
21L’idée de l’open access a profondément changé les modes de production et de diffusion des résultats scientifiques, autant sinon davantage que la transformation numérique et Internet. D’une certaine manière, l’open access est l’aboutissement de l’irruption du Web dans le domaine scientifique, c’est-à-dire l’accès facile à l’information en ligne pour un large public. À travers les articles de notre dossier se dessine la carte d’un nouveau paysage de la communication scientifique, très différente du monde des abonnements, bases de données et autoroutes de l’information d’il y a 30 ou 40 ans, mais différente aussi des idées d’auto-gestion scientifique au détriment de l’édition commerciale des premiers projets de l’open access dans les années quatre-vingt-dix.
22Même si, comme nous le disions en introduction, le tout open access semble difficile à atteindre pour 2020, il n’en reste pas moins que l’open access est désormais bien installé, le nombre d’articles ou revues en libre accès progresse, les opinions et politiques institutionnelles sont majoritairement favorables, les plateformes d’édition et de diffusion en open access se multiplient5. Plusieurs facteurs favorisent cette dynamique : une politique scientifique qui met l’accent sur la diffusion rapide et large des résultats de la recherche, l’émergence de modèles économiques négociés entre les parties et qui s’avèrent plus durables, et surtout l’avantage avéré en termes d’impact et de visibilité pour les publications en open access.
23Le dossier de la RFSIC témoigne de l’émergence d’un corpus d’études et de projets sur l’open access, militants parfois mais toujours soucieux d’appréhender les nouveaux modes et dispositifs de la communication scientifique dans toute leur complexité. Depuis quelques années, nous assistons en quelque sorte à une intégration ou banalisation de l’objet open access. Pour les chercheurs qui s’intéressent à l’open access, l’heure n’est plus aux professions de foi mais à l’accompagnement critique et méthodologique de l’appropriation de l’open access par les communautés scientifiques. L’évaluation ne porte plus sur l’opinion des chercheurs (pour ou contre ?) mais sur l’adéquation des différentes formes de l’open access aux besoins des communautés, sur son efficacité dans le processus de la recherche.
24Un paysage diversifié s’installe progressivement car la mutation numérique n’engendre pas les mêmes réorganisations dans les différents champs scientifiques, le « Community driven » (Schöpfel, 2015) se substitue progressivement à l’injonction imprudente du « one size fits to all ». L’open access s’accompagne, par ailleurs, d’un accroissement du nombre de publications scientifiques en circulation (nouvelles revues, réseaux sociaux, archives ouvertes…) qui tendent plus que jamais à saturer l’espace de lecture. Quelle en sera les conséquences ? Le retour à des labels de confiance sera-t-il la prochaine étape ?
25Dans ce contexte, les sciences de l’information et de la communication jouent un rôle particulier. Elles sont doublement concernées par l’open access, en tant que communauté scientifique et en tant que discipline intéressée par la production et la circulation de l’information au sein des structures et organisations scientifiques. Cependant, le bilan est contrasté.
26D’une part, les SIC ont été pionnières avec les sciences cognitives (Institut Nicod) dans le contexte français, en créant en 2002 ArchiveSIC sur HAL (Gallezot, Chartron, Noyer, 2002) puis MemSIC pour les mémoires de Master, elles ont aussi initié un petit nombre de revues nativement en libre accès, dont RFSIC, ESSACHESS, les Enjeux, bon nombre de revues sont aussi en accès libre après une période d’embargo fixée avec les éditeurs, un projet innovant d’épirevue a été lancé avec d’autres communautés, Journal of Data Mining and Digital Humanities. Au niveau international, nous avions par contre montré la difficile convergence de l’ensemble des archives ouvertes de notre discipline, souvent éclatées par ailleurs dans d’autres champs scientifiques (Bester, Chartron, 2012). C’est pourtant un enjeu majeur, l’open access devrait permettre l’élargissement du débat scientifique, dépassant les frontières nationales ; ces nouveaux dispositifs pourraient considérablement contribuer à cette ouverture, croisant les cultures et les différentes langues de communication. Ce sont aujourd’hui des acteurs tels que ResearchGate et Academia.edu qui semblent le mieux réussir en la matière. Il faut aussi saluer sur ce point, au niveau national, la transversalité portée par de nouvelles revues exclusivement électroniques comme RFSIC, qui mettent à profit le fait de pouvoir publier plus d’articles en ligne que sur le format papier, et contribuer ainsi à susciter de nouveaux échanges.
27À l’heure où s’installe progressivement l’open science, et à l’opposé d’une vision liée à l’évaluation de la recherche, différents projets pourraient être discutés au sein de notre communauté pour travailler une meilleure visibilité des recherches entre nous et pour les autres communautés scientifiques nationales et internationales. Parmi les projets et pour initier le débat, citons, par exemple, un versement plus systématique (automatique) des métadonnées de nos publications en concertation avec les éditeurs avec qui nous travaillons, des outils de datamining pour explorer ce corpus, une plateforme pour stocker les données de recherche de nos projets, des épi-collections construites sur les corpus réunis… Il nous manque une position ou stratégie d’open access en tant que discipline ou communauté scientifique.
28Par ailleurs, les SIC disposent de l’arsenal théorique et méthodologique nécessaire pour l’étude de l’open access, et elles produisent un nombre grandissant d’articles et de communications sur l’open access, y compris et en particulier en collaboration avec les professionnels de l’information. Même si les étudiants en SIC semblent particulièrement sensibles au libre accès à l’information et la connaissance, notamment dans sa dimension éthique (Schöpfel 2016), le nombre de thèses sur l’open access reste encore (trop) limité ; même constat pour les études de référence et rapports – cela reste encore (trop) le domaine des chercheurs et consultants anglo-saxons. Il manque très certainement de grands projets scientifiques structurants ou, à défaut, une participation significative aux projets européens dans le domaine de l’open access et de l’open science.