- 1 Le syntagme de Digital Studies renvoie au titre d’une revue canadienne du champ et, plus marginalem (...)
1De nombreux enseignants-chercheurs en Sciences de l’information et de la communication ont depuis longtemps organisé leurs enseignements autour de l’exploration des processus de communication numérique, ainsi que de la maîtrise des technologies elles-mêmes. Légitimement, ces chercheurs s’interrogent sur l’émergence récente d’une pédagogie issue du courant des Humanités numériques (et de ses déclinaisons : Digital Studies1 et autres Humanités digitales).
2D’emblée, il convient de dire que les SIC sont une discipline constituée avec ses théories, ses objets et ses méthodes quand les Humanités numériques sont un champ qui réunit des enseignants-chercheurs provenant de différents horizons (SIC, histoire, sociologie, informatique, théologie…) qui cherchent de nouvelles manières d’innover en recherche et, pour ce qui nous intéresse ici, en éducation. Trois éléments au moins caractérisent la pédagogie des humanistes numériques.
3D’un point de vue paradigmatique, ils considèrent d’abord que le 21e siècle marque notre entrée dans le quatrième stade de l’humanisme moderne (Doueihi, 2011). Après l’apparition de l’imprimerie et l’ouverture au monde durant la Renaissance, l’industrialisation et la découverte de l’exotisme au 19e siècle, puis la diversification des médias et la globalisation au 20e siècle, une ère nouvelle s’est installée : celle de la technologie numérique et de l’accélération, mais aussi de la mutation de la matérialité des objets : l’imprimé, le vinyle et la pellicule photo-cinématographique se sont mués en données numériques. Il convient donc d’interroger ce phénomène.
4Les humanistes numériques sont ensuite préoccupés par deux choses dans leurs enseignements : favoriser l’inclusion numérique et utiliser la technologie en formation. Sur le premier axe, les humanistes numériques se tournent vers la domestication de la technologie, selon un principe d’exploration des outils et de leurs potentialités ; ils interrogent également les préjugés socioculturels de la machine et/ou des algorithmes. Sur le deuxième axe, ils tirent parti des potentialités du numérique pour engager des fouilles de corpus ou des analyses collaboratives de contenus multimédias avec leurs étudiants ou leurs collègues (Bourgatte, Ferloni, Tessier - éd., 2016).
5Enfin, les humanistes numériques s’inscrivent dans une perspective précisément humaniste (Reboul, 1984). De la même manière qu’on disait encore – il y a peu – qu’il fallait « faire ses humanités », c’est-à-dire apprendre le latin et le grec, mais aussi lire des textes considérés comme majeurs, les humanistes numériques sont préoccupés par la transmission d’un socle fondamental de compétences et de connaissances pour que chacun puisse évoluer dans la société contemporaine : savoir ouvrir un site ou un blog ; trouver des ressources pertinentes en ligne ; gérer des données ; annoter des corpus ; coder ; monter un réseau, des serveurs, etc.
6Pour autant, les humanistes numériques ne préjugent pas de la plus grande importance d’une des compétences précitées sur une autre. L’apprenant doit lui-même choisir ce qu’il souhaite découvrir avec ce double objectif qui consiste, d’une part, à maîtriser au final la technique et, d’autre part, à entretenir un rapport critique vis-à-vis elle.
7L’ensemble de ces ruptures intellectuelles et de ces positions paradigmatiques est caractéristique du champ des Humanités numériques. En ce sens, un enseignant-chercheur en SIC peut très bien soit y souscrire, soit ne pas vouloir entrer dans une telle perspective éducative. SIC et Humanités numériques ne s’opposent pas : elles se superposent ou elles s’ignorent.