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Transformations numériques

Les TIC mobiles et la recomposition des frontières entre les sphères de vie professionnelle et privée, quels enjeux pour les cadres marocains - Cas des entreprises d’Agadir

Khadija Youssoufi, Abderrahmane Amsidder et Mohamed Ali Mazegh

Résumés

Les technologies de l’information et de la communication ont réussi, en un temps record, à marquer profondément la société. Elles sont passées, au sein des entreprises, d’un outil de simplification de travail à un outil d’intensification de la charge de ce dernier et d’accélération de son rythme. Les TIC mobiles, qui ont envahi la société au plus profond de ses confins, ont accentué ce phénomène. Les frontières entre le professionnel et le personnel peinent à résister. Loin de tout déterminisme technique, imputant tous les changements aux seuls dispositifs techniques, nous engagerons une réflexion sur cette réalité nouvelle à laquelle se trouvent confrontés aussi bien les entreprises marocaines que leurs salariés.

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Texte intégral

1Deux décennies exactement ont été suffisantes pour que les technologies de l’information et de la communication (TIC) réussissent à marquer profondément l’humanité. L’informatique, les télécommunications et l’internet se sont associés pour transformer notre existence aussi bien sur le plan professionnel que personnel. « Il n’est plus possible aujourd’hui de penser le monde contemporain sans faire référence à la fois aux technologies de communication qui l’innervent et aux bouleversements dans les conduites individuelles et collectives se rattachant à l’usage de ces technologies. » (Jauréguiberry & Proulx, 2011, p. 8).

2La contribution des TIC dans le développement est vantée de toutes parts. Les TIC sont considérées comme un vecteur de changement organisationnel et socio-économique (Taskin, 2010, p. 62). Le conseil économique et social des Nations Unies (2014, p. 4) estime que les TIC, qualifiées de technologies universelles, puisent leur capacité à concourir au développement en étant des facteurs qui favorisent l’accroissement de :

  • L’efficacité des processus économiques et sociaux ;

  • L’efficacité de la coopération entre les différentes parties prenantes ;

  • Du volume et de l’éventail de l’information accessible aux individus, aux entreprises et aux gouvernements.

  • 1 Les technologies mobiles de communication englobent une panoplie d’outils, logiciels et réseaux com (...)

3Cette identification du progrès aux nouvelles techniques est, selon Dominique Wolton (2010, p. 86), une réalité massive, omniprésente dans les discours des hommes politiques, des médias et élites. Il la qualifie même d’enthousiasme inouï qui sera nécessairement plus nuancé dans une dizaine d’années. En effet, en parallèle aux effets positifs des TIC, reconnus à vaste échelle, d’autres manifestations indésirables, voire négatives ont fait irruption. Elles commencent à susciter l’intérêt et à relativiser cette image emblématique tant véhiculée. Les technologies mobiles de communication1, qui se sont développées à une vitesse effrénée, ces dernières années, constituent la composante des TIC la plus mise en cause, voire incriminée. Les dispositifs mobiles sont ainsi pointés du doigt pour leurs effets négatifs sur la santé physique et l’équilibre mental et social des utilisateurs : émission des ondes électromagnétiques par les téléphones portables et leurs antennes relais, troubles psychosociaux en forte propagation au sein des organisations (stress, nervosité, fatigue importante, troubles de sommeil et de concentration), délitement du tissu social…

Les TIC et l’environnement organisationnel

4Les technologies de l’information et de la communication sont devenues des outils incontournables au sein des entreprises. Du statut de simples “gadgets technologiques” il y a quelques années, les équipements digitaux se sont imposés au point de devenir de réelles sources de valeur pour cette dernière (Orange Business Services », s. d., p. 2). Leur appropriation a contribué à transformer les modes de production et de gestion ce qui a permis aux entreprises de gagner en productivité, de raccourcir leurs délais et d’améliorer la circulation des flux informationnels entre les différents acteurs… Dans ce contexte euphorique d’utilisation des TIC, de nouveaux défis ont émergé et auxquels les organisations et les individus se trouvent désormais confrontés. Les TIC sont devenues synonyme d’une panoplie d’effets indésirables, de maux, de souffrances et de contraintes : urgence, immédiateté, surcharge informationnelle, hyper-sollicitation, disponibilité totale, surtravail, stress, troubles psychosociaux, porosité croissante entre la sphère professionnelle et la sphère privée, addiction, baisse de productivité due à l’abus de leur utilisation à des fins personnelles durant les horaires de travail, menace à la sécurité de l’information… Autant de défis et d’enjeux que les individus/salariés et entreprises s’ont appelés à y faire face et auxquels il importe d’apporter des éclairages. Les expressions d’une forte interaction entre les dispositifs techniques de communication et leur environnement jaillissent nettement des études commencées dans des pays comme les États-Unis, la Grande Bretagne, la France… Jouët Josiane (2000, p. 508-509) résume cette interaction dans les propos suivants :

« Les usages des TIC qu’ils soient domestiques ou professionnels ne se construisent donc pas dans un vacuum mais s’insèrent dans les rapports sociaux de pouvoir qui traversent les structures sociales, les formes de domination étant bien sûr plus ou moins prononcées et modulables selon les cultures des entreprises et des cellules familiales. »

5Les exemples suivants permettraient de mieux saisir le degré d’interaction et de chevauchement entre les deux sphères de vie. Selon une étude de l’éditeur français des solutions de filtrage web (OLFEO), sur l’utilisation d’internet au bureau en 2013 en France, 58 % du temps passé sur internet au bureau est consacré à des fins personnelles soit 63 minutes / jour, ou l’équivalent de 31.5 jours par an. Autrement dit, et selon les propres conclusions d’OLFEO, c’est 6 semaines de congé en plus par an ou encore une chute de productivité de l’ordre de 15 %. Au Maroc, et selon une analyse des transactions traitées en 2012, par l’intervenant majeur dans le marché e-commerce Maroc Telecommerce, il ressort que le trafic maximum de l’activité, relative aux opérations d’achat et de paiement en ligne, « est concentré en général sur la matinée entre 10 et 11h30 et 14h30 et 15h l’après-midi. Les opérations de paiement se focalisent principalement entre lundi et mercredi notamment pour le paiement des factures. Par contre, les opérations d’achat sur les sites de shopping s’accentuent entre mercredi et vendredi. ». Ces opérations, qui s’élèvent à 1.25 millions, montrent l’ampleur de l’utilisation des TIC, durant les horaires de travail, pour des besoins personnels et a fortiori dans les locaux de l’entreprise.

6Se plaçant de l’autre côté de la rive, on assiste au débordement de la sphère professionnelle sur la sphère privée avec tout ce que cela représente en termes de risques sur la santé et la qualité de vie des salariés. Le titre d’un article de Paul Laubacher, paru au Nouvel Observateur2 le 05 septembre 2012, renseigne sur l’ampleur de cette invasion : « Travailleur, l’e-mail aura ta peau ». Certaines entreprises, devant les effets nuisibles d’une quasi-permanente connexion au travail, ont pris des initiatives pour réduire les débordements possibles et la surcharge informationnelle induite. « Ainsi, le concessionnaire automobile Volkswagen a-t-il désactivé la fonction « mail » des BlackBerry de ses salariés en dehors des heures de travail. Thierry Breton, Directeur Général d’Atos Origin, souhaite venir à bout de la surcharge informationnelle en éradiquant totalement le courrier électronique. » (Felio, 2013, p. 19). Une étude anglaise, menée par le psychologue Gleen Wilson en 2005, a mis en évidence des effets négatifs des TIC sur les capacités cognitives de salariés, tout le temps dérangés par l’arrivée de mails ou des appels téléphoniques. Elle estime l’étendue de ces effets par une perte allant à 10 points de coefficient intellectuel soit les conséquences d’une nuit sans sommeil. (Centre d’analyse stratégique, 2012, p. 112).

Le Maroc et le niveau de développement des TIC

7Le degré de pénétration et de diffusion des TIC, dans le contexte marocain, ne diffère pas significativement du contexte international. Les points de convergence sont nombreux. L’appropriation des TIC au Maroc se situe à un stade relativement avancé :

  • Le taux de pénétration du téléphone mobile à fin juin 2015 se situe à 127,07 % soit plus de 43 millions d’abonnements (ANRT, 2015a, p. 3). En 2014, le nombre de smartphones en circulation au Maroc s’élevait à 9,4 millions d’unités soit près de deux millions de plus qu’en 2013 (ANRT, 2015b, p. 17)

  • L’internet affiche un taux de pénétration de 50,4 % (ANRT, 2015b, p. 41) positionnant le Maroc à la 57e place parmi 148 pays figurant dans le classement du Forum Économique Mondial (World Economic Forum & INSEAD, 2015, p. 293)

  • Quant à la disponibilité des dernières technologies (Availability of latest technologies), le Maroc est classé 66e (p. 193)

  • Le niveau d’adoption des technologies par les entreprises (Firm-level technology absorption), positionne le Maroc à la 95e place (p. 300)

8Ces indicateurs – pour ne citer que ceux-là – montrent que le Maroc s’efforce d’asseoir une plate-forme technique favorisant un niveau d’appropriation des TIC satisfaisant. En empruntant le même sentier que les pays ayant atteint un niveau de développement assez prononcé dans le secteur des nouvelles technologies de l’information et de la communication, le Maroc ne peut échapper au même sort et affronter les mêmes défis. L’omnipotence des TIC est un fait nettement visible. Y échapper demeure un souhait, pour ne pas dire une chimère.

9Les évolutions technologiques dans le domaine des TIC ont eu un impact sur les temporalités et le cadre spatial en accentuant davantage la confusion entre les sphères de vie professionnelle et personnelle. Les frontières deviennent de jour en jour plus confuses et problématiques. Ce processus d’appropriation, qui s’effectue dans une interaction continue entre la technique et la société, nous interpelle et avec insistance. Le présent papier ambitionne de questionner les pratiques communicationnelles des cadres marocains. Ces derniers arrivent-ils, avec leur équipement de plus en plus grandissant en TIC mobiles, à trouver un équilibre entre leur vie personnelle et professionnelle ? Quels sont les enjeux de cette situation représente aussi bien pour les cadres que les entreprises ? Notre objectif n’est pas de questionner cette réalité dans ses détails les plus fins, mais d’engager une réflexion sur l’usage des dispositifs de communication dans le contexte marocain.

Les cadres et le travail à forte composante communicationnelle

10Les technologies de l’information et de la communication sont passées, au sein des entreprises, d’un outil de simplification du travail à un outil d’intensification de la charge de ce dernier et d’accélération de son rythme. Les TIC mobiles, qui ont envahi la société au plus profond de ses confins, ont accentué ce phénomène. Les frontières entre le professionnel et le personnel peinent à résister. Avec les ordinateurs portables, les smartphones, les tablettes et la virtualisation du poste de travail, l’espace de travail est devenu mobile. Il s’est transformé davantage en affaire de connectivité que de lieu (Centre d’analyse stratégique, 2012, p. 9). Tellement l’environnement organisationnel a connu de profonds changements, qu’on commence désormais de parler de SBF « sans bureau fixe ». Cette « déspatialisation » va de pair avec d’autres manifestations qui touchent à la dimension temporelle à savoir le travail en débordement et l’extratemporalité : travailler le soir, en fin de semaine, voire pendant les congés (Centre d’analyse stratégique, 2012, p. 175). L’érosion des frontières modifie les modes de vie et remet en cause les formes de sociabilité professionnelle et privée (Jouët, 2000, p. 510).

11La catégorie la plus exposée, à cette reconfiguration du champ spatio-temporel, est celle des cadres. Ces derniers constituent la frange de salariés la plus équipée en dispositifs de communication ou du moins celle équipée en priorité. L’équipement professionnel en TIC serait proportionnel à la pyramide hiérarchique de la division de travail (Walkowiak et Greenan, 2005 ; Kramarz et Gollac, 2000 ; Kalika et Romelaer, 2006). C’est justement ce point qui nous a poussés à prendre cette catégorie comme objet d’étude. Le second élément qui milite pour le choix des cadres est la nature de leur travail fortement marqué par la composante communicationnelle très dominante (Mintzberg, 2006, p. 51). Capgemini Consulting (2013, p. 7) fournit quelques indicateurs sur le degré d’utilisation des TIC, par les cadres, dans les entreprises en France en les positionnant par rapport aux autres catégories de salariés :

  • Si environ 64 % des salariés en 2011 utilisent du matériel informatique, ils sont 93 % parmi les cadres.

  • Si environ 45 % des salariés en 2011 utilisent Internet et la messagerie électronique, ils sont plus de 77 % des cadres à utiliser Internet à des fins professionnelles.

  • Les cadres sont, en 2010, 48 % à utiliser un téléphone mobile fourni par l’entreprise.

Les cadres marocains face aux TIC mobile

12Questionner les pratiques communicationnelles des cadres au Maroc est une tâche ardue à plus d’un titre. En effet, la diffusion des TIC dans les entreprises marocaines, malgré le niveau de développement qu’on a évoqué plus haut, est relativement récente. Les études et les statistiques sur le degré et les manifestations de l’ancrage de ces dispositifs de communication, dans l’environnement organisationnel, sont soit inexistantes ou prisonnières des bibliothèques des universités et des organismes étatiques chargés de suivre de près l’évolution de ce secteur. L’exemple le plus éloquent, à ce sujet, est l’observatoire marocain des technologies de l’information et de la communication (OMTIC). Cet organisme, qui relève de la Direction des statistiques et de la veille du ministère de l’industrie, du commerce, de l’investissement et de l’économie numérique, a été créé suite au lancement de « Maroc Numeric 2013 » en 2009. B. Bouchkhar, du Haut-Commissariat au Plan, résume les responsabilités de l’OMTIC dans les 3 éléments suivants :

  • Être la référence en matière d’information sur le secteur des TIC

  • Produire des éléments statistiques sur l’état et la tendance du développement des TIC au Maroc

  • Disposer d’une cellule de veille des tendances et des usages des TIC

13La consultation des publications de l’OMTIC, six ans après sa création, ne peut que surprendre. Le site web de l’observatoire, censé produire une riche information sur le secteur des nouvelles technologies de l’information et de la communication, ne donne que des éléments statistiques très élémentaires et non actualisés. Les données basiques remontant à 2009-2010, comme la proportion des entreprises utilisant des ordinateurs, la proportion des employés utilisant régulièrement un ordinateur et la proportion des entreprises utilisant internet, sont les seuls indicateurs que l’observatoire donne comme indicateurs sur l’usage des TIC des entreprises (Figure 1).

Figure 1. Indicateurs TIC par thème de l’OMTIC

Figure 1. Indicateurs TIC par thème de l’OMTIC

14Source : http://www.omtic.gov.ma/​Indicateurs/​Pages/​Definition.aspx#, consulté le 01/04/2016.

15L’OMTIC dispose, toutefois, d’un large réseau de partenaires capables de l’alimenter d’une riche et pertinente information. Ces partenaires sont3 :

  • L’Agence Nationale de Réglementation des Télécommunications

  • Le Ministère de la Modernisation des Secteurs Publics

  • Haut Commissariat au Plan

  • Le Secrétariat d’État auprès du Ministre de l’Éducation Nationale, de l’Enseignement Supérieur, de la Formation des Cadres et de la Recherche Scientifique, chargé de l’Enseignement Scolaire :

  • Département de l’Enseignement Supérieur, de la Formation des Cadres et de la Recherche Scientifique /MENESFCRS

  • Le Ministère de l’Emploi et de la Formation Professionnelle (Département de la Formation Professionnelle)

  • Fédération des Professionnels des Technologies de l’Information, des Télécommunications et de l’Offshoring

16Avec la contribution de ces partenaires, on aurait pu disposer de données secondaires, extrêmement riches, relatives à l’usage des TIC dans les entreprises au Maroc. Leur disponibilité nous aurait permis de mieux cerner le niveau d’appropriation des TIC, dans le domaine professionnel, la nature des usages et la tendance prise. De même les statistiques annuelles produites par le forum économique mondial ne donnent que des macro-indices qui ne permettent pas d’appréhender les différents aspects d’appropriation et de diffusion des TIC dans les entreprises. Ceci dit, on se limitera, dans cet article, aux données recueillies auprès des cadres de la région d’Agadir sur la base d’un guide d’entretien. Nous avons structuré ce guide autour des axes suivants :

  • Le niveau d’équipement en TIC mobiles des cadres et sa nature

  • Les cadres face aux défis de la porosité croissante des frontières travail / hors travail

17Nous avons mené des entretiens semi-directifs auprès de 25 cadres de la région d’Agadir relevant de différents secteurs d’activité (agriculture, industrie, banque, assurance, services…). Les entretiens ont duré en moyenne une heure et demi. Ils étaient une occasion, pour les cadres, de mener une réflexion sur leurs rapports aux TIC et les usages qu’ils en font.

18Avant de présenter les résultats de ces entretiens, signalons, tout d’abord, que la catégorie des cadres renvoie à un corps hétérogène composé de personnes qui n’ont ni une fonction précise ni des tâches objectivement définies (Felio, op.cit, p. 142). En plus des managers, officiellement investis par leur employeur des tâches de direction, on trouve une partie des cadres, qui par le cursus scolaire ou la nature de leur travail, sont amenés à coordonner des activités que ce soit en mode hiérarchique ou en mode transversal. A cet effet, on distingue trois profils de cadres (Association pour l’emploi des cadres (France), Bobillier Chaumon, & Groupe de recherche en psychologie sociale (Bron, 2011, p. 10) :

  • Cadre expert ou opérationnel : celui qui n’a pas de personnes directes sous sa responsabilité directe et qui exerce une activité en relation avec une fonction et/ou des missions spécifiques de l’organisation (technique, commercial, gestion…).

  • Cadre manager ou encadrant : celui qui est en charge de, suivre, gérer, animer une équipe de projets, de collaborateurs (moins de 20 personnes). Il privilégie surtout la mobilisation humaine et l’articulation entre les divers projets (priorités, décision…).

  • Cadre dirigeant : celui qui doit gérer une structure organisationnelle de types : centre de profit, services, département (+ de 20 personnes), entreprise (PME, TPE).

19Les trois profils sont présents dans notre échantillon. Les entretiens menés nous ont permis de cerner plusieurs aspects de l’usage des TIC chez les cadres.

Nature et niveau d’équipement des cadres en TIC mobile

20Dans leur travail quotidien, tous les cadres interrogés ont recours aux TIC. Ces dernières sont devenues des outils indispensables, voire vitaux pour leurs activités.

  • Le téléphone portable vient en pole position des TIC mobile utilisées. La totalité des cadres utilisent des smartphones. Ce dernier constitue, à la fois, un moyen de communication, un outil de messagerie et fait office de PDA (Assistant numérique personnel). D’autres applicatifs professionnels et personnels y sont installés (scanner, géolocalisation, navigation sur route, jeux…).

  • Le PC portable occupe la deuxième position suivi des tablettes. Ces sont les cadres dirigeants qui sont les plus équipés par ces dispositifs. Les deux autres catégories en disposent, mais la majorité, à titre personnel.

  • Connexion internet mobile : la totalité des cadres disposent d’une connexion internet mobile 3G/4G. C’est un service offert généralement avec le forfait mobile. Avec cette connectivité, les cadres déclarent disposer d’un moyen pratique pour accéder à leur messagerie électronique n’importe où et en permanence. Les affaires urgentes sont traitées dans l’immédiat. La présence physique au bureau n’est plus indispensable.

  • Les PGI (Progiciel de gestion intégré), communément appelé ERP (Entreprise ressource planning) sont des applications informatiques, modulaires et intégrées à la fois, qui permettent de gérer toutes les activités de l’entreprises (Achat, approvisionnement, gestion de stock, prise de commande, gestion de la relation client…). Ces PGI commencent à intéresser les PME/PMI vu qu’ils offrent une visibilité plus grande de l’activité et permettent de délimiter les responsabilités à travers les niveaux de validation. À peine la moitié des cadres interrogés utilisent ces ERP. Leur introduction dans l’entreprise reste un choix du TOP management du fait qu’ils nécessitent des investissements et des changements au niveau du mode d’organisation.

Les cadres et les défis de recomposition des sphères de vie

21Salariés et entreprises se trouvent, sous le raz de marée des TIC qui submergent tous les aspects de la vie, face des bouleversements qui touchent aussi bien l’environnement organisationnel ainsi que la vie personnelle. Comment les cadres perçoivent-ils ces changements ?

  • Les cadres interrogés estiment que les TIC mobiles ont énormément facilité le travail au sein de l’entreprise. Ces outils ont aboli les distances et raccourci les délais. Les dossiers sont traités avec une rapidité. Les différents acteurs sont joignables en permanence et les décisions sont ainsi facilitées.

  • Le caractère ambivalent des TIC mobiles ressort de nos entretiens avec l’ensemble des cadres. En effet, ces dispositifs communicationnels ont, certes, simplifié le travail, mais ils ont contribué à le rendre plus stressant. Avec les TIC mobiles, l’immédiateté et l’urgence sont devenues les maîtres mots. Les cadres doivent agir toujours plus vite et quasiment en temps réel. Ils ne disposent plus du recul suffisant pour une prise de décision mûrement réfléchie.

  • Le temps du travail, pour l’ensemble des cadres, ne se limitent plus aux horaires réglementaires. Ceux-ci sont sollicités en permanence (soir et weekend, jours fériés, congés…). La déconnexion pour la majorité des cadres est une affaire très difficile, voire impossible. Ils estiment que le fait d’éteindre son téléphone en dehors du bureau sera perçu par l’entreprise comme un signe de manque d’implication dans son travail. La disponibilité permanente n’est plus une qualité des cadres mais une obligation.

  • Les entretiens font ressortir une attitude récente qui prend, de jour en jour, de l’ampleur. La connexion à la messagerie se fait en permanence ou à chaque notification. Elle se fait, parfois même, en cours de repas ou durant les moments de détente avec la famille (en regardant la TV par exemple). La tentation est toujours plus grande de consulter la boîte de messagerie. Il se peut qu’un message urgent atterrisse ou qu’un dossier nécessitant un travail préalable soit envoyé.

  • Les cadres déclarent qu’ils leur arrivent souvent, en présence de flux ininterrompu d’informations par téléphone, mail, sms… de se sentir anxieux et stressés. Toutefois, ils n’arrivent pas à nous renseigner sur le degré de ce stress. Ils estiment qu’il dépend des circonstances et des situations.

22Un éclairage, sur ces deux derniers points, nous est apporté par une étude de la mutuelle belge Solidaris en 2012, qui a concerné 900 travailleurs. Le stress est provoqué à concurrence de 44 % par l’intensification du travail et l’incapacité de réaliser un équilibre entre la vie privée et la vie professionnelle.

Figure 2. Les déclencheurs de stress

Figure 2. Les déclencheurs de stress

Source : Supplément de l’Économiste N° 4676 du 29/12/2015

Conclusion

23Les TIC ont étendu leur emprise sur tous les aspects de l’activité humaine. Leur usage s’inscrit, désormais, dans une normalité incontestée. Les retombées bénéfiques de leur appropriation par les entreprises sont visibles et évidentes. Toutefois, cette image rayonnante s’avèrera plus nuancée avec l’émergence d’enjeux et de défis qui commencent à se poser aussi bien pour l’entreprise que ses salariés. La recomposition des frontières entre la sphère professionnelle et la sphère privée constitue l’un des défis qui prennent de l’ampleur au fur et à mesure que la vague numérique gagne du terrain et de l’importance. La réflexion que nous menons se fixe comme objectif principal d’apporter des éclairages sur cette reconfiguration. L’adoption d’une vision déterministe techniciste, pour expliquer la perméabilité plus au moins prononcée des sphères de vie, ne peut que laisser le chercheur perplexe devant le caractère ambivalent des TIC. Elles sont, à la fois, une source de simplification et d’intensification du travail. Par conséquent, nous nous trouvons plus enclin à embrasser une position intermédiaire qui considère l’usage comme un construit social. Celui-ci ne se réduit pas aux seules formes d’utilisation prescrites par la technique mais obéit à un processus d’incorporation dans les pratiques sociales (naissance, appropriation, intégration dans les rapports sociaux en fonction de l’évolution des modes de vie, de la famille et de l’entreprise). (Jouët, 2000, p. 499, 507, 508). C‘est un phénomène complexe qui se traduit par une série de médiations enchevêtrées entre les acteurs humains et les dispositifs techniques (Breton & Proulx, 2005, p. 254). Nous souscrivons donc, à l’idée selon laquelle l’environnement actuel, avec ses nouvelles pratiques managériales et le nouveau mode de vie où urgence et instantanéité sont les maîtres mots, se conjugue avec les TIC mobiles pour retracer les frontières spatiales et temporelles chez le cadre marocain. Comment se manifeste cette recomposition ? A quel degré les TIC mobiles contribuent dans cette recomposition ? Quel est son impact sur les cadres et les entreprises ? Apporter des réponses appropriées à ces questions contribuera à mieux canaliser les effets des TIC et en faire un bon usage.

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Bibliographie

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Notes

1 Les technologies mobiles de communication englobent une panoplie d’outils, logiciels et réseaux comme les PC portables, smartphones, tablettes, réseau mobile 3/4G, réseau virtuel privé (VPN) permettant d’accéder aux ressources privées de l’entreprise (Intranet, ERP) hors lieu de travail ou en mobilité.

2 http://o.nouvelobs.com/high-tech/20120904.OBS1239/travailleur-l-e-mail-aura-ta-peau.html, consulté le 15/03/2016.

3 http://www.omtic.gov.ma/Partenariat/Pages/Partenaires.aspx, consulté le 01/04/2016.

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Table des illustrations

Titre Figure 1. Indicateurs TIC par thème de l’OMTIC
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Titre Figure 2. Les déclencheurs de stress
Crédits Source : Supplément de l’Économiste N° 4676 du 29/12/2015
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Pour citer cet article

Référence électronique

Khadija Youssoufi, Abderrahmane Amsidder et Mohamed Ali Mazegh, « Les TIC mobiles et la recomposition des frontières entre les sphères de vie professionnelle et privée, quels enjeux pour les cadres marocains - Cas des entreprises d’Agadir »Revue française des sciences de l’information et de la communication [En ligne], 9 | 2016, mis en ligne le 01 septembre 2016, consulté le 14 janvier 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/rfsic/2409 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/rfsic.2409

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Auteurs

Khadija Youssoufi

Titulaire d’un doctorat national, Khadija Youssoufi est enseignante chercheure en sciences de l’information et de la communication au Campus Universitaire Aït Melloul-Université Ibn Zohr-Agadir. Elle est membre du Laboratoire de recherche sur les langues et la communication (LARLANCO), Secrétaire Générale de l’Association Marocaine des Sciences de l’Information et de la Communication (AMSIC) et secrétaire à la rédaction de REFSICOM (Revue Francophone des Sciences de l’Information et de la Communication). Elle a assuré des responsabilités avec la Coopération Technique Allemande (GTZ), au Conseil Régional Souss-Massa-Draa et à la Faculté Les Lettres d’Agadir.

Abderrahmane Amsidder

Titulaire d’un doctorat (nouveau régime) de l’Université de Lille 3 et d’un doctorat d’État de l’Université Ibn Zohr (Agadir), Abderrahmane AMSIDDER est professeur des Universités en sciences du langage, à la faculté des Lettres d’Agadir. Il dirige le Laboratoire de recherche sur les langues et la communication (LARANCO), coordonne le Master professionnel « communication des organisations » et la formation doctorale « langues et communication ». Auteur de plusieurs ouvrages et articles, A. Amsidder est co-directeur de publication de REFSICOM (Revue Francophone des Sciences de l’Information et de la Communication).

Mohamed Ali Mazegh

Mohamed Ali Mazegh est cadre supérieur chez Maroc Telecom depuis 1991. Il a occupé plusieurs postes de responsabilité au sein de l’opérateur historique marocain des télécommunications (commercial, animation et marketing). Il est actuellement en charge de la direction d’une agence spécialisée dans la gestion de la clientèle entreprises. Doctorant en Sciences de l’Information et de la Communication à l’Université Ibn Zohr d’Agadir, il est titulaire d’un master en Tourisme et Communication et d’une maîtrise en sciences économiques. Ses recherches portent sur les usages des TIC dans le contexte marocain, le commerce électronique ainsi que l’animation et le coaching des équipes commerciales.

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