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Émergences
Spicilège

Le spectacle de la solidarité à la télévision brésilienne

Mariana De Souza Gomes

Résumés

Les programmes de divertissement garantissent le plus souvent aux chaînes de télévision une bonne audience. Plusieurs émissions utilisent ce format pour reconstruire de nouvelles formes de solidarité. Ainsi, la mise en scène de problèmes socio-économiques par des programmes tels que Teleton et Criança Esperança permet de sensibiliser les téléspectateurs et de lever des fonds pour des associations et des organisations sociales. Dans un pays en développement économique comme le Brésil, ou les inégalités sociales s’accroissent, les émissions de solidarité viennent dénoncer les dérives de la société. Ainsi, la solidarité gagne sa place à la télévision et les blâmes de la société deviennent un spectacle télévisé.

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Texte intégral

Introduction

1Les médias sont très présents dans notre quotidien : Tous les jours nous nous connectons sur Internet, regardons la télévision et écoutons la radio, par exemple. C’est à travers ces médiums que nous nous faisons une idée du monde et de la société qui est la nôtre. Intégrant notre routine, ces informations reçues doivent être appréhendées de manière réflexive et critique. Les médias influent notamment sur nos décisions, sur nos choix politiques, sur nos comportements. Ils définissent des codes sociaux et participent de la construction d’une réalité sociale.

2Les objectifs primaires de la télévision – distraire, informer et éduquer – se retrouvent dans une multiplicité de formats audiovisuels. C’est dans cette panoplie qu’un nouveau format apparaît à la télévision : la télé-solidarité. La télévision peut être un médium d’information d’utilité publique au service de la population. C’est en ce sens que certaines chaînes misent sur des programmes de solidarité, non sans penser néanmoins au potentiel audimat et retombées publicitaires. La télévision est un miroir de la société dans laquelle elle s’insère et alimente son imaginaire collectif. Ainsi, dans un pays comme le Brésil, qui tente de s’affirmer économiquement, la télé-solidarité tient une place importante.

3Dans cet article, je limite mes analyses à partir de ce que je nomme la télé-solidarité, ainsi que sa complexité formée par ses téléspectateurs et ses héros, créant un récit. Pour ce faire, dans un premier temps j’analyserai séparément la télévision et la solidarité, puis j’analyserai le concept de télé-solidarité. Les programmes choisis pour l’illustrer sont Teleton (dont l’édition française s’appelle Téléthon) et Criança Esperança (Enfant Espoir), diffusés par deux chaînes privés – SBT et Globo respectivement. Ce dernier programme est un partenariat entre l’UNESCO et l’UNICEF (Fonds des Nations unies pour l’enfance), une agence de l’Organisation des Nations unies. Contrairement au Teleton, le don est destiné à des projets d’inclusion sociale auprès des enfants et adolescents.

De la solidarité

4La solidarité amène une dimension de sociabilité et de coopération. Ces allusions aux groupes et une invitation à les intégrer dans les initiatives sociales des organisations (action solidaire), dans le discours des politiques (économie sociale solidaire), dans les appels à projets sociaux (soyez solidaire). Cet adjectif nous invite à se solidariser de façon collective et gratuite, liée à la charité. Le dictionnaire Larousse (2009) nous confirme ce trait collectif : « Dépendance mutuelle entre les hommes./ Sentiment qui pousse les hommes à s’accorder une aide mutuelle ». L’étymologie de ce mot vient du latin : solidum, qui évoque la totalité et la solidité. Il va sans dire que l’expression latine obligatio in solidum vient du concept juridique roman et se rapporte à l’obligation communautaire, qui évoque les devoirs d’un individu par rapport à un groupe social. Ainsi, le dictionnaire ajoute que de nos jours ce terme reste en droit : « Modalité d’une obligation à pluralité d’acteurs où, selon obligation, chacun des créanciers peut demander au débiteur le paiement du tout (solidarité active) ou bien chacun des débiteurs peut être tenu du tout à l’égard du créancier (solidarité passive) » (Ibid.).

5À propos de la collectivité, le sociologue Robert Castel mentionne la solidarité comme une « construction collective assurée par l’Etat sous la forme de droits […] où les individus sont mobilisés selon une logique de contrepartie afin de mériter les ressources dont ils peuvent être les bénéficiaires » (CASTEL, 2013, p. 5). Cette collectivité peut être formée par une famille, comme la solidarité entre ses membres, ou par un groupe lié à une affinité commune ; par le bénévolat par exemple, transmettre son savoir, aide aux devoirs, aide aux plus démunis, etc. Pour ce dernier groupe, la solidarité se traduit à travers des droits sociaux, ce qui nous renvoie à l’expression latine obligatio in solidum. Ces droits sociaux sont délégués aux plus pauvres à travers des institutions publiques ou des organisations humanitaires.

6Ayant pour objectif de réduire les conséquences des inégalités sociales, la solidarité est mise en œuvre auprès des plus pauvres de façon à gommer ces différences dans les diverses sphères de la société. C’est à partir de cette volonté de justice sociale que la sociologue et professeur Vera Westphal (2008, p. 45) cite Gide pour affirmer que la solidarité estimée (solidarité-devoir) - ou nécessaire - a lieu quand les individus reconnaissent que la solidarité est un outil avec laquelle on peut créer des mesures préventives dans l’intérêt de la liberté et de l’humanité. Gide (Ibid.) affirme aussi que pour que la solidarité soit efficace, elle doit être articulée par l’État en tant que créateur de la législation sociale.

7À propos du binôme crise économique et État, le politologue Bresser Pereira (2001, p. 4) affirme que « face à la crise, qui s’accentue par la mondialisation, il est prioritaire de réformer ou reconstruire l’État en même temps que l’on élargit le rôle du marché dans la coordination du système économique. Mais qui fera cette réforme ? L’État lui-même ou la société civile ? »

8L’auteur cite Castells (BRESSER PEREIRA, 2001, p. 25) pour affirmer que « l’administration doit être flexible, de façon à ce que l’État ne soit pas que le normalisateur, mais également un négociateur et un inventeur » ; Bresser Pereira propose une « participation citoyenne et de la transparence » qui peuvent se caractériser comme deux conditions pour comprendre la « réforme générale de l’État qui est en cours dans plusieurs pays de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) et dans les pays en développement, principalement au Brésil, aux années 90 » (Ibid.).

9La reconfiguration du rôle de l’État concerne une discussion de niveau mondial. Cependant elle a un rôle décisif au Brésil dû à la crise socio-économique vécue dans ce pays dans les années 80. À partir des années 90, on constate un envie de réagir à cette crise, qui durait depuis plus de dix ans. Au Brésil, repenser l’État est revenu à organiser une sorte de partenariat avec la société pour faire face à la crise. Ainsi, nous pouvons affirmer qu’au cours des années 90 a émergé une forte discussion sur le rôle que doit avoir l’État dans une relation directe avec la société.

  • 1 "Utopie associative et démocratie". Conférence-débat organisée par la CNAP, Bruxelles, 2001.

10C’est ainsi que sont créées les organisations sociales (OS), qui exemplifient le modèle de coopération entre l’État et la société. L’État entretient ces institutions, d’intérêt public, et les régularise à travers un contrat de gestion. Ce contrat inclut un accord et fixe des objectifs sur la qualité des services qui doivent être offerts au public, puisque ces organisations sociales peuvent désormais recevoir des biens et administrer des équipements de l’État. Il va sans dire que pour ces organisations il n’y a pas de normes qui réglementent les ressources humaines. Selon Eric Dacheux (2001), « le mouvement associatif cherche à faire reconnaître sa spécificité. Pour ce faire, il tente, tout à la fois, de mettre en avant sa diversité, facteur révélant son poids social, mais aussi de proposer, à travers le label "d’utilité sociale", des éléments distinctifs lui permettant de ne pas être confondu avec le monde économique »1. C’est de cette solidarité, en faveur des pauvres et des personnes exclues dont on discutera dans cet article.

De la télévision : du divertissement à la télé-solidarité

11Malgré la multiplicité des écrans et de nouvelles technologies qui nous offrent la possibilité d’être connecté en permanence et de ne rien manquer des programmes télévisés – un événement sportif, les informations, divertissement – nous continuons à regarder la télévision majoritairement dans un contexte familial. La télévision fait ainsi partie intégrante du décor d’une pièce et régule nos activités quotidiennes : dîner pendant le journal télévisé, sortir de chez soi après l’émission, aller se coucher après le film du soir.

12En raison du caractère homogène de la télévision, le concept de programme est large et varié ; selon le professeur Arlindo Machado (2000, p. 27), un « programme est n’importe quelle série syntagmatique qui puisse être comprise comme une singularité distinctive par rapport à d’autres séries syntagmatiques de la télévision ». Il faut considérer que la difficulté de définir précisément un programme est le fait que la télévision a différents formats qui s’entrecroisent, de façon dense ou dilatée, par rapport au temps et au récit. Cependant, Machado (Id., p. 29) affirme que même s’il y a un manque de consensus, « les programmes et les genres continuent à être les repères les plus stables pour la télévision comme un médium culturel ».

13Au-delà des formats qui se croisent, il y a également les « mondes » (JOST, 2009, p. 40) où transitent ces programmes. Selon François Jost, nous avons trois mondes à la télévision : le réel, le fictif et enfin, le ludique.

Les mondes réel, fictif et ludique selon François Jost (2009, p. 44)

Les mondes réel, fictif et ludique selon François Jost (2009, p. 44)

14Cependant il ne s’agit pas d’un monde inaltérable. Le sémiologue François Jost (2009, p. 44) affirme que le monde ludique transite entre le réel et le fictif. Ainsi, les programmes de divertissement conjuguent la véracité des informations et des faits, qui appartiennent au monde réel, avec l’univers fictif composé par des images comme un tournage scénarisé ou un montage parfois biaisé. Cette hétérogénéité peut être caractérisée par une nomadisation entre les mondes réel et fictif, selon la production audiovisuelle.

15Contrairement à la radio, la télévision a une double énonciation : la verbale et la visuelle. Ainsi, étudier la télévision selon la sémiotique, est nécessaire pour que l’analyse de ce médium soit réussie. Burguett & Girard, citant Charaudeau (in : MARCHAND, 2004, p. 234), soulignent que la télévision est dotée de la dichotomie image et son. Il est donc nécessaire de donner de l’importance à la relation qui complémente et unit cette double caractéristique. D’après Jost (1997), les médiums, plus précisément la télévision, peuvent transmettre un message au téléspectateur à travers le concept de promesse ontologique. Cette notion concerne les relations établies entre le transmetteur (la chaîne de télévision) et son respectif public. La promesse, selon François Jost (1997, p. 16), « entraîne chez le spectateur des attentes, que la vision du programme met à l’épreuve ». Le téléspectateur peut donc choisir de regarder une émission à travers une promesse, qui se traduit comme un lien entre les deux communicants. Un programme de divertissement peut promettre de nous amuser, une comédie de nous faire rire, par exemple.

16La publicité de Teleton en 2014 annonce : « Vous êtes capables de vaincre toute barrière et difficulté. Si dans votre âme il existe du courage, de la volonté et de la détermination, vous pouvez avoir vraiment ce que vous voulez. L’impossible n’existe pas. C’est juste une excuse que les faibles ont inventée. Ensemble nous pouvons encore plus. L’union transforme la vie, cela ne dépend que de nous ». Voilà un exemple d’engagement avec le public et sa sémantique fait en sorte que le public soit engagé à participer activement.

Télé-solidarité

17« Nous allons ouvrir les portes de l’espoir » ! Cette formule, très célèbre, est tirée du sketch du programme Silvio Santos, présentateur homonyme et qui a été diffusé douze ans sans interruption. Le téléspectateur envoyait une lettre, s’il était choisi (tiré au sort, selon le programme) par la production, il pouvait participer au programme et voir ou non se réaliser son désir. Les histoires étaient multiples et variées : on pouvait demander une poupée ou rencontrer un membre de sa famille. Dans la plupart des cas, la production contactait une entreprise susceptible de réaliser la demande du participant. Ainsi, l’invité voyait sa demande exaucée et l’émission constituait aussi un espace de marketing pour l’entreprise qui réalisait le souhait du participant et pouvait donner envie à beaucoup d’autres candidats potentiels de proposer leur candidature. Le téléspectateur s’identifiait au candidat, lui donnant un sentiment de proximité. Cette combinaison d’émission et de bons sentiments donne la contrepartie aux producteurs : l’audience. Cette émission illustre comment la solidarité est présente dans la mémoire télévisuelle et nous montre également comment la présence de ces actions de solidarité sont une référence pour la télévision et inspire d’autres programmes.

Teleton – la solidarité comme divertissement

18C’est donc à la fin de Porta da Esperança, ou Porte de l’Espoir, qui a connu un grand succès, qu’a lieu pour la première fois au Brésil le Teleton. Il est diffusé par la chaîne privée SBT (Système Brésilien de Télévision) et il a également été diffusé par les chaînes Rede Brasil, Rede Gazeta, Nickelodeon et la chaîne publique TV Cultura, en 2011. L’argent recueilli durant la campagne est transféré à l’association AACD (Association d’assistance à l’enfant handicapé).

19D’origine américaine et idéalisé par Jerry Lewis, le nom du programme est la contraction en anglais de télévision et marathon et, comme le nom l’indique, il s’agit d’une programmation continue et sans interruption d’un programme auto-proclamé comme divertissement, dont l’objectif de recueillir des fonds pour une œuvre caritative. Actuellement présent aux Amériques, en Europe et en Océanie, le Teleton est apparu dans les années 50 pour venir en aide aux enfants atteints de paralysie.

20À propos de la télé-réalité, Jost (2009, p. 18) explique que ce qui pourrait être catégorisé comme réalité à travers ce programme : « l’image télévisuelle à la réalité n’est pas, en effet, une illusion de soi, [...]. Dire que des documents renvoient à notre monde, celui que nous habitons, tandis que d’autres construisent des mondes inventés, des mondes fictionnels [...], ne revient pas à croire que ces représentations du monde sont de simples présentations qui pourraient, d’une façon ou d’une autre, être tellement ressemblantes qu’elles se confondraient avec lui. »

21À partir de cette définition, je propose que la solidarité telle que nous la voyons dans les programmes comme Teleton et Criança Esperança soit appelée solidarité télévisuelle, notion que je définis comme la rencontre entre un récit personnel qui concerne le personnage principal et relate son histoire, un médiateur et une fin où le bénéfice est double : l’audimat donné par le téléspectateur à la chaîne en contrepartie d’un bénéfice donné au personnage principal. Ainsi comme la réalité du concept de télé-réalité ne peut pas être caractérisée comme une réalité du monde dans lequel nous vivons, car il s’agit d’un ensemble d’images médiatisées, la solidarité dans ce concept de télé-solidarité est elle-même construite à travers un langage emprunté à la télévision.

22Je précise que je préfère utiliser le terme de solidarité plutôt que celui de charité car ce dernier mot charitas signifie en latin la compassion à l’égard d’un autre et désigne un sentiment de donation et de service à l’autre sans exiger une contrepartie. Or, avant tout, un programme est un produit audiovisuel qui a sa propre valeur économique. La bonne action, réalisée dans le cadre d’un programme de télé-solidarité exige une contrepartie en termes d’audience. Elle peut également permettre à la chaîne de renforcer son image à travers le marketing, procurant ainsi bien évidemment des avantages économiques.

23D’après Resweber (1998, p. 232), des programmes comme Teleton et Criança Esperança ont une logique de contrepartie qui est établie entre deux communicants : il « existe la donation que font les organisateurs de temps en temps [...] et évidemment la contrepartie immédiate que le téléspectateur renvoie, d’abord parce qu’il reconnaît l’artiste qui participe à un événement solidaire et aussi parce qu’il essaie de les imiter. »

24Le sociologue Luc Boltanski a écrit sur la souffrance à distance, c’est-à-dire sur la manière dont nous pouvons réagir face aux tragédies et les images que nous en renvoient les médias : « le spectateur à distance n’est [...] pas exempté de toute obligation morale sous prétexte que le malheureux n’est pas là. C’est même, le plus souvent, à son sens moral que la démonstration fait appel. Car sans morale, pas de pitié ». Il affirme que « les dons s’agrègent mais pas les donateurs. Or, une politique de la pitié, ne peut, comme toute autre politique, se passer de la constitution de groupes » (Boltanski, (1993, p. 29). Ces affirmations de Boltanski nous confirment la façon dont la solidarité est montrée à la télévision : les images incitent à la mobilisation en groupe afin de remédier au malheur où l’espace public s’instaure avec la politique de la pitié.

25Il va sans dire que ce n’est pas uniquement la télévision qui présente cet intérêt pour “l’autre social”, selon la professeur Ivana Bentes (2007, p. 248) : le cinéma est aussi un messager d’une marginalité qui « est montrée aux médias et qui y apparaît dans une forme ambigüe ».

26La télé-solidarité peut avoir son audience garantie dans la mesure où il y a un récit propre à ce type de programme ; en effet les personnages qui intègrent la télé-solidarité présentent les mêmes caractéristiques qu’un téléspectateur lambda. D’après Jost (2007, p. 12), la télévision n’hésite pas à montrer le public comme un reflet, en construisant des récits de personnages anonymes, de lieux inconnus et demandent également la réaction auprès du public. Cette représentation provoque une proximité et une égalité du programme par rapport à son téléspectateur.

27Afin de favoriser et d’encourager les téléspectateurs à la donation et de provoquer un sentiment de solidarité, les programmes jouent sur la compassion spectatorielle et l’empathie influencée par ces derniers (JOST, 2007, p. 13). Le public est invité à participer à l’histoire racontée par le personnage principal. Celui-ci, à son tour, raconte son histoire et peu à peu le téléspectateur découvre son problème ou revit avec lui ses difficultés.

28À propos des témoignages, utilisés afin de sensibiliser le public et atteindre les objectifs de la production du programme, nous pouvons constater un spectacle et une mise en scène du « je » à la télévision. Selon le sociologue Alain Ehrenberg (2008, p. 123), « les médias déculpabilisent leurs téléspectateurs (vous avez le droit de vous sentir mal) et facilitent l’émergence d’une demande en fournissant les mots pour la formuler. Ils ouvrent un espace public pour mettre en forme la réalité psychique et façonnent le style d’une psychologie pour les masses ». Selon Dominique Cardon, l’émission semble n’offrir d’emblée que deux propositions d’engagement : celle que configure une grammaire de la pitié à l’endroit des malades représentés et celle, inverse, de la critique et du refus de cette forme de sensibilisation aux malheurs des malades (1997, p. 27).

29Par une sorte de voyeurisme, le public peut être invité à la compassion, car on sait que le personnage principal du récit, à court ou long terme, connaîtra une fin ou un destin tragique (cf. MEYER, 1998, p. 148). À propos du choix des images qui sont véhiculées par ce type d’émission, Vincent Meyer (Id., p. 149) affirme que pour ces producteurs il ne suffit pas de faire un appel au don, car les images ou les témoignages favorisent « la solidarité ou la prise de conscience, il faut être impressionné ou choqué par une image difficile à voir ». Meyer, dans son article sur le don et les agents sociaux, explique que ces professionnels craignent « le risque de voir ce type d’événement [Teleton] limiter l’interventionnisme de l’État » (MEYER, 1998, p. 153), dans la mesure où une somme importante d’argent est obtenue en très peu de temps. D’autant que des organisations sociales déjà mentionnées dans cet article, comme le Teleton ou le programme Criança Esperança recueille quasi systématiquement les fonds en seulement quelques jours de sensibilisation à travers la diffusion à la télévision, là où l’État peut mettre plus de temps, en raison notamment des aspects bureaucratiques ou d’acquisition de fonds destinée à tel secteur de la société.

30Comme cela a été mentionné dans ce présent article, la solidarité, venue de l’expression obligatio in solidum évoque le social et le public. Cela renvoie surtout à une aide pour quelque chose qui se trouve hors des priorités, c’est-à-dire, une aide à un groupe habituellement plutôt marginal à la société.

31Dans une interview, le directeur de la chaîne publique France 5, Pierre de Friberg, affirme que « le rôle d’une chaîne publique est d’accompagner la population dans les périodes difficiles et montrer qu’il y a des initiatives positives et variées qui permettent de concevoir une victoire ». Ainsi, les producteurs de la télé-solidarité estiment qu’ils ont un fort rôle social en se mettant au même niveau du public, favorisant l’identification d’un [problème du] téléspectateur avec [celui du] le personnage. Cet effet d’identification permet de contribuer à la fidélisation du public ainsi que l’éveil de compassion de ce dernier. Cela nous renvoie également à la racine étymologique du mot solidarité : se solidifier, s’unir.

  • 2 Le real (ou reais au pluriel) est la monnaie du Brésil depuis 1994.

32Les programmes de divertissement s’entrecroisent avec la télé-solidarité, caractérisés par des présentateurs, chanteurs et personnages connus qui s’affichent dans un concert en faveur des enfants. Selon Marie-France Chambat-Houillon (2014, p. 25), le divertissement permet d’importants audimats et confirme « la fonction de divertissement des médias : la chaîne TF1 obtient pendant des années sa meilleure audience annuelle (plus de 50 % de téléspectateurs) avec le programme Les Enfoirés ». Ce programme consistant à réunir des artistes d’horizons différents pour des concerts en faveur d’une association qui combat la pauvreté : Les Restos du Cœur. L’édition du Teleton de 2014 a permis à la chaîne SBT de dépasser Globo en termes d’audience, chaîne qui est le plus souvent en tête des audiences, pendant près de sept heures (sur une totalité de 27 heures de programmation dédiée au Teleton). Lors de cette même édition, l’organisation AACD a obtenu plus de 30 millions de reais2.

33Nous pouvons donc affirmer que ces programmes de télé-solidarité transitent entre le monde ludique (le jeu, le concert) et le monde réel (l’histoire racontée par le personnage principal, ses besoins). Par conséquent, la solidarité présentée dans ces programmes s’éloigne de la réalité, telle que nous la vivons. Ainsi, ces programmes de télé-solidarité se travestissent surtout en tant que programmes de divertissement pour avoir un bon public. Pour ce faire, on fait appel aux larmes et au sentiment d’intégrer un acte solidaire et d’identification avec le récit du personnage principal.

34D’après le professeur Marie-Jo Pierron (1998, p. 216), le niveau discursif est considéré comme sérieux par les producteurs de programmes tels que Teleton et Criança Esperança. Il y a une double intervention qui consiste en deux questions : pourquoi donner ? Et comment donner ? La première est de caractère didactique et permet au téléspectateur de comprendre le motif de la mobilisation, soit en faveur de la recherche de la guérison d’une maladie, soit la scolarisation des enfants, etc. La deuxième question concerne les informations pratiques, comme le numéro de téléphone, les montants, etc. La première question a pour but de provoquer la prise de conscience de manière rationnelle et affective, ce qui peut occasionner une réaction pratique, proposée par la deuxième question.

35Pierron exemplifie encore que le récit propre à la télé-solidarité est construit d’actants collectifs, citant Greimas pour les caractériser comme des « êtres ou des choses qui, à un titre quelconque et de quelque façon que ce soit, même au titre de simples figurants et de la façon la plus passive, participent au procès » (PIERRON, 1998, p. 218). Ces actants, même s’ils interprètent leurs propres rôles, ils le font de manière différente, car ils savent qu’ils sont filmés par une caméra. La télévision les institutionnalise, transformant leur image (Ibid.).

36En octobre 2013 l’édition du Teleton compte des personnalités emblématiques du divertissement de la chaîne, comme les présentatrices Adriane Galisteu et Eliana. Le présentateur et journaliste José Luiz Datena est l’un des invités de cette édition. Considéré comme l’un des journalistes les plus influents de la télévision brésilienne actuelle et ayant un contrat avec la chaîne Rede Bandeirantes, le présentateur a participé à cette édition en tant qu’invité, commençant évidemment par un discours de remerciement à Silvio Santos, propriétaire de la chaîne et présentateur de nombreux programmes, comme Porta da Esperança. Le présentateur se positionne stratégiquement du côté de l’écran qui montre le montant en reais des promesses de don qui a été envoyé durant l’émission, il lève sa voix, orchestre le changement, et encourage les téléspectateurs à donner, à franchir la barre symbolique de 6 millions de reais : « ça va passer, ça va passer ». Cette phrase est répétée plusieurs fois, suivie de cris d’encouragement du public et lorsque le montant est atteint, une chanson est diffusée pour célébrer le changement de chiffre. Le programme change de ton et donne l’idée de victoire, d’une conquête du peuple par et pour le peuple, à travers une solidarité médiatisée par le biais de la télévision.

37Le journaliste Datena fait un appel aux téléspectateurs pour qu’ils fassent une donation à travers ce programme : « Ça va passer les six millions, sans blague ! Dans pas très longtemps vont arriver les mecs avec le portefeuille rempli et voilà ». Ce ton, plutôt trivial, employé par un journaliste, de qui on attend traditionnellement un niveau de langue soutenu, est volontaire et stratégique : selon Catherine Kerbrat-Orecchioni, citée par Maingueneau (2014, p. 116), un dialogue commun est caractérisé, parmi d’autres éléments, par l’immédiatisme (proximité des participants, contact direct) et par le caractère familial, improvisé et décontracté. Avec ce type de discours, le journaliste invité réussit à s’approcher du public et établit une proximité avec celui-ci. La communication entre les téléspectateurs et son communicant a lieu donc de façon égalitaire.

38Il ajoute encore : « C’est important de montrer au peuple brésilien qu’il dépend de lui-même ». Une fois qu’il le dit, une chanson de fond, évidemment triste, en ré mineur, suivie par le changement d’expression faciale de la présentatrice Adriane Galisteu, peuvent être observés par le téléspectateur, qui témoigne l’approbation de Datena auprès du public présent qui l’ovationne.

39Le choix du présentateur n’est pas anodin : connu pour sa proximité avec le public pour son langage populaire et par les sujets banals traités dans son émission, le journaliste apporte un nouveau ton (JOST, 2009, p. 45) au programme. D’après Jost, « le ton est une composante qui n’est pas figée au monde de l’émission à laquelle elle appartient ». Ainsi, le téléspectateur peut éprouver un moment de divertissement alors que des minutes avant son arrivée, les présentateurs expliquaient sérieusement la maladie à combattre et l’importance du don. La célébration du montant donné est donc marquée et orchestrée par la présence du journaliste Datena, qui change le ton de l’émission.

Criança Esperança : projet de l’UNESCO et de la chaîne Globo

40Le programme Criança Esperança est diffusé depuis 1986 par la chaîne privée Globo, dont la caractéristique principale est le divertissement proposé à travers d’un côté un concert où des artistes variés chantent des succès populaires actuels et de l’autre, un casting des personnalités et des journalistes de Globo participent en tant que présentateurs de l’émission.

41Le principal présentateur et considéré comme ambassadeur du programme est le comédien et clown Renato Aragão. Connu par son personnage Didi Mocó, immortalisé dans le programme humoristique Os Trapalhões (émission très populaire humoristique créée dans les années 60), Renato Aragão présente l’émission Criança Esperança où l’acteur et le personnage se confondent. Les phrases cultes du personnage comme “Hé toi au fauteuil” (Ô da poltrona) et “Hé psitt” sont prononcées comme si le vrai présentateur était finalement le personnage Didi.

42L’un des programmes humoristiques les plus emblématiques des années 80, Os Trapalhões a été une émission connue par le grand public dont le succès était dû surtout au public enfant. Ainsi, les téléspectateurs et également les possibles donateurs, peuvent s’identifier avec un personnage qui a fait partie de l’enfance du public. La mémoire de la télévision et la nostalgie chez le public se mêle, par conséquent le téléspectateur est plus sensible au message diffusé par le comédien Renato Aragão.

43Lors de l’édition de 2004, Renato Aragão reçoit Dedé Santana, son ex-collègue à l’émission Os Trapalhões. Pendant une scène visiblement préméditée, Dedé sort d’une boîte fermée et il est reçu chaleureusement par Renato Aragão, qui lui tend ses bras. La scène est suivie de phrases qui évoquent leur amitié : “[...] je prie pour que notre amitié ne soit jamais interrompue”, affirme Renato Aragão qui ne finit pas sa phrase, en larmes accompagnées d’applaudissements et de cris du public. Ainsi, le téléspectateur est témoin d’un événement en public pour exercer sa fonction émotive : provoquer des larmes au-delà de l’écran.

44Dans son livre sur la télé-réalité, François Jost (2009 b, p. 71) explique les « petits films […] qui montrent la vie quotidienne ou les psychodrames […] sont une envie auprès du producteur d’organiser la réalité en vue de l’émotion du téléspectateur ». Les larmes de Renato Aragão et Dedé Santana accomplissent leur rôle consolateur devant le public, qui lui-même témoigne une scène solidaire entre des ex-collègues qui se réconcilient.

45Pour l’édition de Criança Esperança en 2014, les producteurs décident de mettre en relief le changement social que ce programme proportionne à ses bénéficiaires à travers le don. Ainsi, des films courts pendant la programmation de la chaîne sont diffusés en montrant la rencontre des familles qui ont fait des dons et les enfants (ou adolescents) qui en ont bénéficié.

46À travers des prises où le bénéficiaire raconte comment l’émission a changé sa vie, nous avons ce témoignage d’une jeune qui a obtenu un stage dans un hôtel à travers l’émission, en pleurs : « Avec l’aide de Criança Esperança, j’ai eu beaucoup plus de portes ouvertes », dit Anayara. Afin d’assurer la véracité de ce témoignage et de rapprocher les téléspectateurs de la réalité, un fond noir apparaît à la fin du discours de la jeune, avec des lettres majuscules blanches : « Ourinhos (ville), 1er juillet 2014 ». Cette date est remplacée par la scène de la connaissance d’Anayara et une famille donatrice de l’émission, avec des sous-titres : « Grâce au Criança Esperança, des milliers d’histoires comme celle de Anayara sont possibles » ; à la fin une voix de fond dit : « Un projet de Globo avec des millions de brésiliens ». Le choix des mots « milliers » et « millions » n’est pas anodin, l’idée de spectacle grandiose et surtout d’invitation à y participer (le téléspectateur est essentiellement brésilien, donc il en fait partie) à un projet de réussite sont présents dans ce témoignage.

Conclusion

47Pendant les périodes de crise, la solidarité est l’un des recours d’une communauté pour qu’une décision soit prise afin d’établir la normalité. En tant qu’un médium de communication, la télévision peut présenter un discours qui peut s’inscrire dans le cadre d’un combat contre la pauvreté ou la faim, par exemple. Ainsi commence la télé-solidarité. Ces programmes de télé-solidarité créent un spectacle du don dans lequel le public devient acteur-spectateur. Cet engagement se traduit par des marques d’émotion comme les larmes et la sympathie auprès du public et bien évidemment la fidélisation - in fine rentable – du téléspectateur : il va sans dire que le Teleton et le Criança Esperança sont diffusés par des chaînes privées, toujours en quête d’audience. Ces programmes sont avant tout des produits du marché audiovisuel et assouvissent une audience qui l’entretient économiquement. Parallèlement on constate une esthétisation et reconstruction de la pauvreté et de la marginalité, en adoptant une réalité virtuelle idéale, où tous peuvent s’aider et chercher du confort auprès de la télévision.

48Dans tous ces exemples de télé-solidarité analysés dans cet article, nous constatons que les programmes commencent à être diffusés dans les années 80 et 90, pendant la crise économique au Brésil et la conséquente reconfiguration de l’État, à travers la création des organisations sociales. Ainsi, la télévision, sous le signe de la solidarité et de l’appel à la participation au don crée la télé-solidarité, avec son récit et son langage propres. Ainsi, la télé-solidarité crée évidemment une attente auprès du téléspectateur et diffuse l’idée qu’il est nécessaire d’établir une unité avec la télévision pour faire face à des problèmes comme la crise économique ou sociale. Telle unité est diffusée, promise et médiatisée par la télévision, au nom de l’audience.

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Bibliographie

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Notes

1 "Utopie associative et démocratie". Conférence-débat organisée par la CNAP, Bruxelles, 2001.

2 Le real (ou reais au pluriel) est la monnaie du Brésil depuis 1994.

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Table des illustrations

Titre Les mondes réel, fictif et ludique selon François Jost (2009, p. 44)
URL http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/rfsic/docannexe/image/1772/img-1.jpg
Fichier image/jpeg, 19k
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Pour citer cet article

Référence électronique

Mariana De Souza Gomes, « Le spectacle de la solidarité à la télévision brésilienne »Revue française des sciences de l’information et de la communication [En ligne], 7 | 2015, mis en ligne le 13 octobre 2015, consulté le 12 janvier 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/rfsic/1772 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/rfsic.1772

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Auteur

Mariana De Souza Gomes

Mariana de Souza Gomes est doctorante en Sciences de l’Information et de la Communication à l’Université Sorbonne Nouvelle et est membre du CEISME (Centre d’études des images et des sons médiatiques). Elle est également directrice des affaires culturelles de l’Association des chercheurs et étudiants brésiliens en France (Apeb-Fr). Mail : marianaufrj@yahoo.com.br

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Droits d’auteur

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