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Émergences
Les fans studies : enjeux et perspectives de la recherche sur les fans en France
Études de cas et méthodologie

Previously on Supernatural

Claire Cornillon

Résumés

Cet article vise à analyser le "previously on" dans Supernatural comme un lieu spécifique externe et interne à la fiction où la série trouve un espace pour désigner ce qui fait son identité, s’auto-commenter, voire se réécrire, et communiquer directement avec les fans en prévenant leur réception et leur propre travail créatif à partir de la série.

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Texte intégral

  • 1 En effet, la série met en scène dans sa diégèse une série de livres appelés Supernatural, qui ont l (...)
  • 2 Sur ces notions, voir Genette, Gérard, Seuils, Paris, Gallimard, 1987.

1Supernatural est une série créée par Eric Kripke et diffusée depuis 2005 sur CW. Elle raconte l’histoire de deux frères, Sam et Dean Winchester, qui chassent des fantômes, des démons et toutes sortes de créatures surnaturelles. Elle s’appuie sur des codes de série fantastique mais a développé sa propre mythologie et un ton oscillant entre le tragique et le comique. La dimension sacrificielle de l’itinéraire des deux héros et de ceux qui les entourent est contrebalancée par une tendance forte à la parodie et à l’auto-parodie. Ces éléments offrent un espace de liberté très important à la diégèse, dont les auteurs ont su tirer partie de manière très consciente. La série est connue pour l’engouement et la fidélité de ses fans qui l’ont portée depuis maintenant 10 ans. Or Supernatural est une série qui s’inscrit à la fois dans la tradition des années 1990 et dans des tendances fortes des deux dernières décennies, comme la métafiction. Volontiers autoparodique, hyper-référentielle, elle joue non seulement avec son format, avec les codes du genre auxquels elle appartient mais aussi avec ses propres codes et usages qu’elle a imposés durant 10 saisons. Elle adopte un format semi-feuilletonnant dans lequel chaque épisode propose une intrigue close mais développe aussi une mythologie au long cours. Cette structure donne à chacun des épisodes une autonomie suffisante pour que l’on puisse sortir l’espace d’un instant du cadre pour y revenir sans incidence la semaine suivante, et ce d’autant qu’il s’agit d’une série fantastique, dont l’intrigue peut par nature justifier tous types de déplacements et transformations du réel, temporaires ou définitifs. C’est pourquoi ces deux éléments permettent à la série d’intégrer des ruptures, parenthèses, digressions, réécritures et commentaires qui élaborent un cadre réflexif. D’autre part, ce cadre est particulièrement orienté vers les fans. Le rapport que Supernatural entretient avec ses fans est en effet à la fois explicite, dans le discours métafictionnel qui envahit progressivement la série1, mais aussi implicite dans la manière dont la série construit sa propre réception. Dès les premières saisons, elle s’auto-définit d’une manière particulièrement forte et impose des gimmicks qui invite à la classer dans le domaine des « séries cultes » et, de fait, la réception par les fans va aller dans ce sens dès le départ. Il me semble que l’une des raisons pour laquelle la série a atteint ce statut culte est sa maîtrise de la notion même de « culte » et des potentialités de la sérialité. En utilisant tous les outils à leur disposition et en jouant sur les fondements même de la sérialité, notamment sur les rapports entre répétition et variation, et entre continuité et discontinuité, les équipes de la série ont mis en place tous les éléments nécessaires à une telle réception. L’exemple du traitement très spécifique du « Previously on » dans la série me paraît représentatif de cette manière de parler directement au public, d’intégrer sa réception et même de la construire au sein même de la fiction. Dans le contexte d’une très forte réflexivité, d’un rapport aux fans très présents et d’un jeu constant sur le format, le « previously on » devient, par sa position dedans/dehors, parce qu’il est à la fois texte et péritexte2, un lieu privilégié pour une possible auto-représentation de la série et un dialogue avec les fans. Généralement, cette séquence reste en dehors de l’épisode lui-même et possède une fonction utilitaire : il s’agit de résumer les épisodes précédents de manière à ce que les spectateurs puissent suivre l’épisode à venir. Cependant dans Supernatural, la séquence fait partie intégrante de l’épisode et possède des fonctions multiples. Pour analyser ce phénomène, j’aimerais m’arrêter sur trois aspects : le « previously on » comme guide de lecture de la série, comme générique et comme fanvid.

Le « Previously on » comme guide de lecture de la série

2Cette séquence, même dans sa forme la plus classique, est toujours une recomposition de la série, puisqu’elle sélectionne des éléments tirés d’épisodes diffusés précédemment, et propose ainsi un nouveau montage. Elle s’inscrit donc par rapport à ce qui précède. Cependant, cette recomposition induit une attente par rapport à ce qui va suivre : la mise en évidence de points centraux, à l’exclusion d’autres, implique que ce qui va sa produire va être en lien direct avec ces événements. Or parfois, dans Supernatural, la séquence joue de ce phénomène pour tromper le spectateur et pour mieux le surprendre par la suite. Ainsi, le résumé des épisodes précédents de l’épisode 2.9 insiste sur le traumatisme qu’a constitué la mort de son père pour Dean et le comportement de plus en plus violent qu’il adopte, si bien que lorsque le spectateur, dans la séquence prégénérique, voit Dean tuer un homme apparemment innocent, il imagine que Dean ne se contrôle plus. Or la suite de l’épisode va recontextualiser cette scène et montrer que la situation est en réalité beaucoup plus complexe. Le « previously on » propose donc une lecture orientée de ce qui précède de manière à influencer l’interprétation de ce qui suit. La séquence permet donc au spectateur, de manière assez didactique, de prendre conscience des effets du montage, de la narration, du fonctionnement des images et des possibles manipulations qu’elles peuvent opérer. Les spectateurs contemporains, en raison de l’abondance de fictions complexes voire métafictionnelles, sont désormais habitués à décrypter les images, à les interpréter, mais précisément ce type de séquences s’appuie sur ces compétences pour créer des effets de suspense plus subtils en trompant les attentes. Elles instaurent donc un dialogue avec le spectateur et avec la fiction.

  • 3 Elle ne change pas d’un épisode à l’autre et ne résume pas les épisodes précédents mais l’ensemble (...)
  • 4 « Sauver des gens, chasser des créatures, une affaire de famille »
  • 5 Zubernis, Lynn et Larsen, Katherine, Fan Phenomena Supernatural, Bristol, Intellect, 2014, p. 5.

3De même, de manière plus structurelle, ces séquences construisent une certaine identité de la série en opérant des choix. Ainsi, la séquence de présentation de la série, qui tient lieu de « Previously on » dans la toute première saison3, met en valeur l’intrigue feuilletonnante de la série et sa dimension tragique à un moment où les épisodes sont particulièrement bouclés et se concentrent souvent sur la formule du « monstre de la semaine ». En un sens, la séquence réoriente la lecture de la série et annonce ce qu’elle va devenir, c’est-à-dire de plus en plus feuilletonnante. C’est la raison pour laquelle on peut dire que ces séquences s’adressent directement aux fans en fournissant les fondements de la réception de la série. Dans les saisons 1 et 2, la phrase de Dean « Saving people, hunting things, family business4 » est continuellement répétée dans les « Previously on », alors qu’elle n’a été prononcée qu’une fois dans le corps des épisodes. Elle devient ainsi une signature de la série. Or Lynn Zubernis et Katherine Larsen dans leur ouvrage sur la réception de Supernatural parlent, à propos de cette phrase, de slogan non-officiel (« unofficial tagline5 ») : en réalité, c’est bien la série qui, par son usage constant dans les résumés des épisodes précédents, suggère au moins le statut qui pourrait être accordé à cette phrase. Et ce statut lui a été reconnu par les fans, qui l’ont adopté. En un sens, cette phrase est un slogan officiel, puisqu’on voit bien que c’est la construction de la série qui suggère cette réappropriation.

4Ces séquences sont donc des manières d’orienter la lecture des épisodes par les fans, mais elles sont aussi une manière de construire une communauté autour de l’identité de la série.

Le « Previously on » comme générique

5Supernatural ne comporte pas de générique à proprement parler, simplement un carton-titre, mais certaines des fonctions du générique semblent avoir été transférées sur le « previously on » en quelque sorte. C’est particulièrement remarquable lors du premier et dernier épisode de chaque saison. Il s’agit là de résumés spéciaux, plus longs que les autres. La première minute de ces résumés n’a souvent aucune utilité fonctionnelle : elle n’est pas là pour fournir des informations, mais pour créer une atmosphère et donner du rythme à la séquence, grâce au montage, de manière similaire à ce que peut faire une bande-annonce. Dans le dernier épisode de chaque saison par exemple, le carton « then » est remplacé par « The road so far », qui induit une atmosphère conclusive et qui inscrit la série dans la tradition d’un genre, le road movie. Or il s’agit là d’un élément essentiel de l’identité de la série puisque les deux frères sont constamment sur la route. D’autre part, la chanson utilisée est toujours « Carry on my wayward son » du groupe Kanzas. La chanson n’apparaît jamais dans le corps des épisodes, mais par sa situation et sa répétition à la fin de chaque saison, elle devient l’équivalent d’une chanson-thème ou d’une chanson de générique pour la saison. Elle est associée à l’identité de la série.

6Ainsi, la séquence est une mise en abyme de la série, son image en miniature. En créant un slogan, comme indiqué précédemment, ou un hymne pour la série, en mettant en valeur certains motifs, les « previously on » représentent un discours sur la série, qui est presque de l’ordre de l’adresse : voilà ce que nous sommes. Il me semble que l’on peut y voir des éléments qui contribuent à construire une communauté. La dimension rituelle et auto-référentielle qui joue astucieusement avec les caractéristiques même de la sérialité pose des règles et des habitudes que le spectateur se réapproprie. C’est en ce sens que Supernatural se construit comme série culte : parce qu’elle présente ses propres motifs et gimmicks comme tels.

7La dimension auto-parodique est une conséquence presque directe de cela : parce qu’elle impose des codes forts, notamment en se situant par rapport à des codes génériques pré-existants, la série peut ensuite les détourner et s’en amuser. Le « previously on » d’ouverture de la saison 3 le montre bien. Le montage d’images sur « Hells bells » d’AC/DC correspond tout à fait à l’atmosphère de la série, mais les scènes choisies mettent en valeur deux aspects : l’action et le sexe. Or si l’action est particulièrement visible dans la série, ce n’est pas le cas du sexe. Ainsi, la séquence réinvente la série sur un mode fantasmatique et humoristique en désignant ainsi ce qu’elle est et ce qu’elle sait qu’elle n’est pas, mais aussi en investissant la réalité du programme de son soux-texte effectif et de ce que les fans choisissent d’y voir. On sait bien que l’investissement fantasmatique des fans sur les personnages principaux à donner lieu à une masse gigantesque de fan fictions et de fanvids à dimension plus ou moins érotique. La séquence est donc à la fois un miroir de la réception des fans, mais elle contribue aussi à la construire.

Le « Previously on » comme fanvid

  • 6 Sur ce sujet, voir : Coppa, Francesca. « A brief history of Media Fandom ». In ed. Hellekson, Karen (...)

8Cette recomposition de la série est telle que l’on pourrait analyser certains « previously on » comme ce que j’appellerais de l’auto-vidding. Le vidding est une pratique apparue dans le fandom dans les années 1970, d’abord au sein des conventions autour de la série Star Trek. Il s’agissait au départ d’une projection de diapositives d’images de la série accompagnée par de la musique. Avec l’apparition de la VHS, puis des technologies numériques et d’internet, les fanvids sont devenues des montages vidéo d’extraits d’œuvres6. Elles peuvent être descriptives, narratives ou être de l’ordre de l’interprétation, voire de la critique. Les fans se réapproprient ainsi l’œuvre originale pour créer du sens.

9Ce que j’entends par auto-vidding est le fait que la série propose elle-même un nouveau montage de ses propres images selon des mécanismes qui ressemblent à ceux à l’œuvre dans les fanvids, par exemple l’utilisation d’une chanson mise en relation avec les images montées. La série se réimagine ainsi elle-même, comme les fans le font dans leurs vidéos. Dans ce type de vidéos, les fans font preuve à la fois de leur connaissance de la série mais aussi de compétences techniques et d’une compréhension fine de la construction d’un discours ou d’une narration par le montage. Le fandom de Supernatural a toujours été extrêmement actif, dès le début de la diffusion et a produit des milliers d’œuvres autour de la série, réinventant son univers, lui rendant hommage ou interrogeant certains de ses aspects. Le « previously on » est dès lors un espace de liberté où la série peut se regarder elle-même et produire un méta-discours ou une méta-narration sur elle-même comme le font les fans dans leur travail. Ainsi, l’épisode 7 de la saison 2 présente un collage des différentes identités fictives qu’ont endossé les deux frères. Ce montage humoristique n’est pas fonctionnel car il n’est pas nécessaire à la compréhension de l’épisode, mais il souligne un des aspects cultes de la série par un procédé d’accumulation qui est fréquent dans les fanvids. Un autre exemple de ce phénomène se trouve dans le résumé qui ouvre l’épisode 2 de la saison 2. La fin de la séquence cale les images sur le rythme de la musique et insère un certain nombre d’écrans noirs qui matérialisent à la fois les blancs de la chanson et les battements de cœur de John Winchester qui est en train de mourir. Ce montage est tout à fait différent de celui présenté dans la scène originale. Ainsi, le résumé met en abyme l’expérience traumatique du spectateur, comme celle des personnages lors de la mort de leur père, en la rejouant de manière encore plus dramatisée. La séquence n’a pas seulement une fonction de commentaire, elle est véritablement une reconfiguration qui fait revivre au spectateur un moment essentiel de l’action, non pour le résumer mais pour l’expérimenter à nouveau. La séquence intègre donc à sa propre forme la réception émotionnelle de l’événement.

10On trouve là une manière de créer un récit à partir d’images préexistantes qui prennent à nouveau sens dans leur nouveau montage et par leur interaction avec une chanson qui est tout à fait celle des fanvids. On peut interpréter cette pratique de la série comme un hommage aux productions de fans mais il me semble qu’il s’agit surtout d’une manière d’ouvrir la porte à de nouvelles créations. En se réinventant elle-même, la série encourage cette possibilité de la part des téléspectateurs. Elle souligne ce qui fait sa propre dimension culte en désignant les éléments qui pourront ensuite nourrir la créativité des fans. Elle est donc à la fois consciente de ses propres caractéristiques mais aussi de celles du fandom. Elle tisse ainsi, par le biais de cette séquence, un lien avec sa réception en la prévenant. La série est un espace où tout peut toujours être réinventé, un monde en mouvement où l’on peut adopter différents points de vue et différents tons, où le second degré, l’humour et le jeu ne sont jamais totalement absents et qui donne donc envie d’y prendre part activement. Si la série se présente elle-même comme un champ d’expérimentation et un terrain de jeu par rapport à son propre contenu, alors elle ouvre la voie d’autant plus à de telles pratiques pour les fans et brouille la dichotomie qui peut exister entre les productions de fans et les productions officielles. Où est le canon, où est le vrai lorsque l’on peut de toute façon toujours s’amuser à réinventer ce que l’on a déjà proposé ? Le seul élément qui compte alors est de conserver l’identité de la série, c’est-à-dire ses éléments cultes, ceux dont se revendiquent la « SPN family » pour montrer son attachement au programme et à la communauté qu’il rassemble.

11Ainsi, le « previously on » montre à quel point une série comme Supernatural a conscience de la spécificité de la sérialité, du format et de la réception des fans. Ces séquences travaillent sur les possibilités du format pour créer une identité forte de la série, que les fans pourront se réapproprier au fur et à mesure des années. Elles occupent une place intermédiaire entre la fiction elle-même et sa production ainsi que sa réception. Elles permettent au programme de bâtir lui-même sa dimension culte par la répétition, la mise en abyme et l’adresse directe aux fans.

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Notes

1 En effet, la série met en scène dans sa diégèse une série de livres appelés Supernatural, qui ont leur propre fandom et dont on apercevra au cours de la série des fans, et même une convention et une fanfiction sous forme de pièce de théâtre.

2 Sur ces notions, voir Genette, Gérard, Seuils, Paris, Gallimard, 1987.

3 Elle ne change pas d’un épisode à l’autre et ne résume pas les épisodes précédents mais l’ensemble de la série. Cependant, elle adopte déjà la même présentation avec les cartons « Then » et « Now », qui sera celle des « Prevously on » des saisons suivantes.

4 « Sauver des gens, chasser des créatures, une affaire de famille »

5 Zubernis, Lynn et Larsen, Katherine, Fan Phenomena Supernatural, Bristol, Intellect, 2014, p. 5.

6 Sur ce sujet, voir : Coppa, Francesca. « A brief history of Media Fandom ». In ed. Hellekson, Karen, and Busse, Kristina. Fan Fiction and Fan Communities in the Age of the Internet, New Essays. Jefferson. McFarland (2006) : 41-59 et Russo, Julie Levin, and Francesca Coppa. "Fan/Remix Video (A Remix) ». In "Fan/Remix Video," ed Francesca Coppa and Julie Levin Russo. Special issue, Transformative Works and Cultures. 9 (2012). doi :10.3983/twc.2012.0431. Consulté le 4/05/2015.

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Pour citer cet article

Référence électronique

Claire Cornillon, « Previously on Supernatural »Revue française des sciences de l’information et de la communication [En ligne], 7 | 2015, mis en ligne le 01 octobre 2015, consulté le 19 janvier 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/rfsic/1700 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/rfsic.1700

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Auteur

Claire Cornillon

Claire Cornillon est docteur en littérature comparée. Actuellement postdoctorante à l’Université du Havre, elle mène des recherches sur la narration et la fiction en particulier dans les récits sériels et transmédia. Elle a co-dirigé le n° 6 de la revue TV/Series en décembre 2014 portant sur la métafiction et la transmédialité. Elle co-dirige également la collection Sérial aux Presses Universitaires François Rabelais.

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