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Pélissier Maud. Les communs culturels dans l’écosystème numérique

Londres, ISTE Éditions, série Technologies Intellectives, vol. 8, 214 p., 2021
Clara Galliano
Référence(s) :

Maud Pélissier. Les communs culturels dans l’écosystème numérique. Londres, ISTE Éditions, série Technologies Intellectives, vol. 8, 214 p. 2001. ISBN : 978-1-7840-5739-8

Texte intégral

1L’ouvrage Les communs culturels dans l’écosystème numérique a été publié aux éditions ISTE (pour la version française) et Wiley (pour la version anglaise) en 2021, dans la série « Technologies Intellectives » coordonnée par Maryse Carmès et Jean-Max Noyer. Ce livre de 214 pages est l’aboutissement de plusieurs années de recherche car il est issu du mémoire d’habilitation à diriger des recherches (disponible sur HAL) soutenu par Maud Pélissier le 30 janvier 2020 à l’Université Côte d’Azur, à Nice. Il se compose de deux parties et de quatre chapitres, précédés d’une introduction générale puis s’achevant par une conclusion générale.

2L’auteure présente dans l’introduction (p. 1-4) l’objet du livre qui de repérer les lieux intellectuels où la pensée sur les communs culturels dans l’écosystème numérique a émergé, identifier les différents enjeux associés et faire ressortir le cadrage conceptuel. Un plan détaillé est ensuite annoncé, garantissant une meilleure visibilité quant au fil conducteur de l’ouvrage. Dans la première partie, l’auteure se concentre sur la genèse de la pensée des communs culturels à partir de deux mouvements intellectuels militants alors que dans la seconde partie, elle tente d’isoler les critères d’identification des ressources éligibles au statut de communs culturels ainsi que leurs conditions de déploiement dans un écosystème numérique spécifique, celui du livre.

3L’auteure fait remonter historiquement la première apparition de la notion de commun dans le champ culturel au sein du mouvement intellectuel initié autour du Berkman Center for Internet & Society, à l’université de Harvard. Ce premier chapitre (p. 11-68) s’appuie sur les travaux de juristes américains, activistes et spécialistes de la propriété intellectuelle, critiquant l’évolution de l’écologie institutionnelle symbolisée par ce qu’ils nomment une « téléologie maximaliste » et des marchés culturels qui entravent l’essor de la culture libre dans l’environnement numérique. Ils affirment que les excès et les dérives de l’économie libérale entrainent une « enclosure des communs intangibles de l’esprit » (p. 13) et entretiennent une spirale propriétariste. Leur pensée s’inscrit dans une économie politique des communs informationnels, justifiant le renouvellement des fondements éthiques et anthropologiques de l’économie de l’information et de la connaissance.

4Yochai Benkler a été l’un des premiers à souligner l’importance de l’infrastructure réseau et à repenser les relations entre propriété, marché et liberté car les modes de production et de distribution de l’information, de la culture et de la connaissance dans l’écosystème numérique favorisent la création de communs. Il a donc proposé une typologie des communs qui repose sur des critères précis (le degré d’ouverture et le mode de régulation) afin de les différencier des communs fonciers.

5Carol Rose, juriste associée, a analysé de son côté la valeur générée par les communs de connaissance et culturels qui est liée selon elle à leur degré d’ouverture. Cette architecture décentralisée permet de générer de la valeur sociale alors qu’à l’inverse, l’excès de régulation peut nuire à la créativité et l’innovation. Les modes de production de communs informationnels reposent sur des logiques individuelles ou collaboratives, participant à l’économie sociale non marchande basée sur la coopération des contributeurs, et s’appuient sur deux propriétés d’organisation : la modularité et la granularité.

6En parallèle, le déploiement des communs informationnels dans cet écosystème est également corrélé au mode de gouvernance car la production collaborative exige une coordination interindividuelle qui s’opère par le biais de règles et de routines organisationnelles (Wikipédia). Parmi les communs informationnels, il est aussi question des communs créatifs, ces ressources appartenant au champ des œuvres de l’esprit dans le périmètre de la culture libre. Peu à peu, la culture du « read only » s’est vue rattraper par la culture du « read write » (ou culture du remix). Pour autant, les pratiques de culture libre nécessitent une protection et une reconnaissance juridique. À cet effet, plusieurs membres du BCIS ont créé les licences Creative Commons en s’inspirant des licences de logiciel libre comme la GPL/CNU. À partir de plusieurs exemples, nous comprenons ici que l’économie culturelle des communs cohabite avec l’économie culturelle commerciale par la combinaison d’agencements non marchands et hybrides.

7En somme, les écrits des juristes du BCIS ont ouvert un faisceau de questionnements et leurs idées se sont propagées en France dès le début des années 2000. Des intellectuels militants au sein d’associations ou collectifs (la « commonsphère ») ont investi l’espace public pour défendre les libertés sur Internet notamment dans le cadre de la loi DADVSI en 2005 et de la loi pour une République numérique en 2016 (p. 44).

8Le deuxième chapitre (p. 69-134) fait état d’un autre mouvement intellectuel provenant cette fois-ci de l’université de l’Indiana, à Bloomington. Dans les années 1970, Elinor Ostrom a réactualisé la notion de commun grâce à ses recherches empiriques sur la régulation des ressources naturelles (pêcheries, forêts, pâturages…) communes reposant sur un modèle d’autogouvernance ainsi qu’une conception de la propriété comme un faisceau de droits, et pour lesquelles elle a reçu le prix Nobel en 2009. L’économiste a ensuite étendu son approche environnementale des communs fonciers aux communs de la connaissance au début des années 2000 avec Charlotte Hess. En s’intéressant aux bibliothèques numériques, elles ont proposé dans leur ouvrage collectif Understanding Knowledge as a Commons, from Theory to Practice publié en 2007 d’appliquer la méthodologie IAD (Institutional Analysis and Development framework) aux communs de la connaissance (p. 87).

9L’auteure revient ensuite sur la proximité presque évidente entre les communs de la connaissance et le mouvement de l’Open Access. Elle aborde chronologiquement les différentes dynamiques qui ont impacté l’écosystème informationnel et éditorial avec notamment les créations d’arXiv et de HAL ; les initiatives telles que l’alliance SPARC et le protocole OAI-PMH ; ou encore les textes fondateurs comme l’initiative de Budapest au niveau international, le Plan S au niveau européen et le PNSO au niveau national. En étudiant les règles (accès, appropriation, contribution et gouvernance) des plateformes en OA, elle tente de les catégoriser suivant la nature de leurs faisceaux de droits et de comprendre les conditions d’enrichissement ainsi que la soutenabilité de ce qu’elle nomme « des communs scientifiques ». Certains obstacles sont alors identifiés dans un article de Richard Poynder : l’idéologie géopolitique (protectionnisme), le modèle économique APC, la naïveté de certains défenseurs de l’OA quand il s’agit des revues prédatrices ou encore le renforcement de la marchandisation de l’écosystème éditorial engendré par le Plan S (p. 115).

10L’économiste français Benjamin Coriat a prolongé l’approche ostromienne en l’associant à l’économie sociale et solidaire (ESS), en particulier à travers le programme de recherche ANR Propice et le projet EnCommuns. La valeur sociale créée par les pratiques des contributeurs conditionne le développement des communs culturels mais elle tend à être exploitée au seul profit des plateformes numériques coopératives (de services). Pour l’illustrer, l’auteure mobilise les travaux de plusieurs chercheurs dont Michel Bauwens, Antonio Casili, Trebor Scholz et Nathan Schneider. La question de la rémunération des contributeurs se révèle être un enjeu central notamment pour la pérennisation des communs. Plusieurs propositions ont été pensées par des juristes et économistes comme le droit à la contribution, un revenu de base ou un revenu contributif. Le seul danger ? L’économie de l’attention au prisme d’un capitalisme numérique.

11Dans le troisième chapitre (p. 139-166), l’auteure examine les conditions favorables à l’émergence de communs patrimoniaux dans l’univers des bibliothèques. Pour cela, elle identifie les différentes règles institutionnelles, les modalités d’archivage numérique et les propriétés de l’infrastructure informationnelle comme conditions de déploiement des communs patrimoniaux. La numérisation du patrimoine digital s’est constituée autour des enjeux politiques liés à l’ouverture des données publiques culturelles (réutilisation et accès) entraînant la création de nouvelles licences juridiques ouvertes afin de protéger le patrimoine culturel et le code de la propriété intellectuelle : la licence Public Domain Mark et la licence Etalab (p. 144). Les modalités de production des communs patrimoniaux sont illustrées par plusieurs exemples. Pour chaque cas, l’auteure précise si les conditions du projet contribuant à la constitution d’un commun culturel patrimonial sont remplies ou non.

12Selon l’auteure, l’enrichissement d’un commun patrimonial dans le contexte d’une bibliothèque numérique dépend d’un espace patrimonial partagé, d’une politique de mise en visibilité du patrimoine numérique et d’une politique d’éditorialisation des contenus (p. 158). Une précision est également apportée sur la stratégie de construction des métadonnées et leur interopérabilité. De nombreuses institutions ont également mis en place des actions de médiation numérique, à l’instar de la BnF ou encore de la plateforme Europeana, afin de faciliter cette dynamique d’appropriation par le grand public.

13Dans le quatrième chapitre (p. 167-188), l’auteure définit les communs de l’écrit et évalue leur potentiel de déploiement dans le domaine de l’édition, à partir de plusieurs études de cas. L’écosystème éditorial a été impacté par le numérique tant au niveau de la production que de la diffusion des textes. Mais c’est surtout le livre numérique et les nouvelles pratiques créatives contributives sur le Web qui ont déstabilisé les acteurs traditionnels de l’édition. Grâce à des exemples concrets, nous découvrons les risques de détournement possibles notamment avec l’histoire de la plateforme Wattpad qui a préféré rejoindre les rangs de l’économie commerciale traditionnelle en délaissant l’économie hybride après avoir cherché à cohabiter. Enfin, trois autres plateformes sont présentées dans le secteur de l’auto-édition : Lulu, In Libro Veritas et Framabook. Le premier cas nous alerte sur la volonté de certains sites car malgré leurs revendications, le développement de la culture libre est souvent oublié au profit d’un nouveau segment de marché très porteur financièrement. À l’inverse, les deux autres cas nous rassurent sur l’engagement et la présence de communauté participative même si certains services sont payants.

14La conclusion (p. 189-194) reprend les idées essentielles et importantes à retenir dans tout ce cheminement intellectuel : l’action des usagers contributeurs, l’existence de communauté, la gouvernance (au niveau organisationnel et institutionnel), le défi de la cohabitation avec les acteurs économiques traditionnels ou encore la rémunération des contributions bénévoles.

15Nous estimons que cet ouvrage est indispensable pour comprendre la signification et la portée d’un point de vue de l’économie politique de la notion de commun culturel, encore fortement nomade et polysémique. L’approche historique et conceptuelle proposée en première partie ainsi que les études de cas présentées en deuxième partie offrent une belle linéarité dans la lecture de ce récit. Mais malgré une difficile reconnaissance dans l’espace institutionnel législatif, nous confirmons que l’économie des communs culturels est un champ qui reste à explorer tant les problématiques sont multiples.

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Pour citer cet article

Référence électronique

Clara Galliano, « Pélissier Maud. Les communs culturels dans l’écosystème numérique »Revue française des sciences de l’information et de la communication [En ligne], 28 | 2024, mis en ligne le 11 juin 2024, consulté le 23 janvier 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/rfsic/15950 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/11uc0

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Auteur

Clara Galliano

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CC-BY-NC-SA-4.0

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