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Bernier Marc-François, Les journalismes. Information, persuasion, promotion, divertissement

Laval, Presses de l’Université de Laval, 2021, 148 p.
Simon Ngono
Référence(s) :

Marc-François Bernier, Les journalismes. Information, persuasion, promotion, divertissement, Laval, Presses de l’Université de Laval, 2021, 148 p. ISBN. 979-10-370-0496-3

Texte intégral

1L’ouvrage synthétique de 148 pages écrit par Marc-François Bernier, avec la collaboration de Thierry Watine, se penche sur les journalismes. Il examine les transformations et les reconfigurations d’une institution soumise aux forces qu’exercent des facteurs sociaux, culturels, technologiques et économiques (p. 1). L’accent est donc mis sur l’analyse de celles et ceux qui s’adonnent, professionnellement ou non, à diverses formes de journalisme, à savoir : celui d’information, de persuasion, de promotion et de divertissement. À partir d’une approche réflexive et compréhensive, l’auteur propose d’engager un débat sur la valeur démocratique des journalismes d’information ou de persuasion, l’utilité économique des journalismes de promotion ou encore les bienfaits cathartiques des journalismes de divertissement (p. 2). Par ailleurs, Marc-François Bernier examine la tension entre la mission traditionnelle du journalisme, celle d’informer de manière objective et impartiale, et les pressions croissantes pour générer des revenus et attirer un public par le biais de la promotion et du divertissement. Sa volonté est de proposer une définition des formes de journalismes à partir de leurs fonctions, leurs valeurs ainsi que leurs normes éthiques et déontologiques.

  • 1 Henri Assogba (2020), Journalismes spécialisés à l’ère numérique, Laval, Presses universitaires de (...)
  • 2 Marie-Soleil Frère (2020), Journalismes d’Afrique, 1re édition, Bruxelles, De Boeck supérieur.
  • 3 Erik Neveu, Rémy Rieffel, Denis Ruellan (2002), « Présentation. Dix ans après… », Réseaux, 2002/1, (...)

2En introduction, l’auteur revient d’abord sur une conclusion déjà admise dans le champ disciplinaire des sciences de l’information et de la communication (SIC), notamment en sociologie du journalisme123, à savoir : « il n’y a pas de journalisme. Il y a des journalismes » (p. 1). Il admet que parler de journalismes au pluriel, c’est reconnaître la diversité des pratiques, des visées et des fonctions de millions de femmes et d’hommes déployés sur tous les continents, aux prises avec des milieux socioéconomiques et des régimes politiques couvrant tout le spectre des conditions de vie, des droits et des libertés de la personne. De même, l’appréhension du journalisme au pluriel implique de tenir compte de l’éventail de leurs déclinaisons et distinctions, de leurs visées et fonctions, de leurs pratiques, de leurs motivations, de leurs spécialités, genres et modes de narration (p. 5). La mise au point faite par l'auteur à propos des journalismes invite le lecteur à un décentrement et à la mise en suspens de certaines idées préconçues, surtout en ce qui concerne l’idéaltypique d’un journalisme.

  • 4 Christians Clifford, Theodore Glasser, Denis McQuail, Kaarle Nordenstreng et Robert A. White (ed.) (...)
  • 5 Matt Carlson (2016), « Metajournalistic Discourse and the Meanings of Journalism : Definitional Con (...)
  • 6 Janet Fulton (2015), « Are You A Journalist ? New Media Entrepreneurs and Journalists in the Digita (...)
  • 7 Alan Knight (2008), « Who is a journalist? », Journalism Studies, 9 (1), p. 117-131.
  • 8 Jonathan Peters et Edson C. Tandoc Jr (2013), « “People who aren’t really reporters at all, who hav (...)

3Dans le premier chapitre, Marc-François Bernier dresse une typologie des journalismes. Pour ce faire, il s’inspire des travaux de Clifford G. Christians, Theodore L. Glasser, Denis McQuail, Kaarle Nordenstreng et Robert A. White4 (2009, p. 32) et mobilise la notion d’idéal typique de Max Weber. Dans l’ouvrage, ce sont quatre types de journalisme qui sont identifiés : celui d’information, de promotion, de persuasion et enfin de divertissement. L’auteur souligne que l’hétérogénéité des journalistes génère de nombreux malaises identitaires chez plusieurs chercheurs (notamment Carlson 20165, Fulton 20156, Knight 20087, Peters et Tandoc 20138), lesquels, chacun à leur façon et comme de nombreux citoyens, se demandent aujourd'hui : qui est journaliste ? (p. 3). Tout ceci est davantage complexe à saisir, « en raison de phénomènes d’hybridation et d’étiolement de frontières entre contenus et genres médiatiques » (p. 12). Une des idées possibles à la lecture de ce chapitre est que la pluralité des identités journalistiques favorise la mobilité et les mutations constantes des intentions et des buts de production de l’information médiatique. Cependant, la critique de l’ouvrage porte sur l’idéaltypique d’un journalisme d’informations exercé en rapport avec les attentes du public. Marc-François Bernier défend l’idée que les journalismes sont multiformes dans leurs pratiques, intentions et réception en fonction de l’idéologie et des régimes politiques (p. 12). Néanmoins, les journalistes peuvent procéder à des ajustements afin de demeurer toujours fiables et crédibles auprès du public.

4Dans le deuxième chapitre, l’auteur propose une description du journalisme d’information. Sur le plan de l’écriture journalistique, il se traduit par des genres tels que : le reportage, l’éditorial, l’enquête, le compte rendu, la chronique, etc. C’est un type de journalisme qui se distingue par son engagement envers la vérité, l’objectivité et la transmission de faits vérifiés de manière professionnelle. Selon l’auteur, l’information est essentielle pour une société démocratique, car elle permet aux citoyens de rester informés et de prendre des décisions éclairées. Les objectifs de ce type de journalisme sont plutôt factuels, car ils sont fondés sur un idéal journalistique dont Marc-François Bernier rappelle les mots-clés, à savoir : l’objectivité, la transparence, la factualité, la clarté, la neutralité axiologique (p. 13). Le respect de ces valeurs est capital pour un public de plus en plus exigeant quant au caractère véridique des informations.

5Le troisième chapitre est consacré au journalisme de persuasion ou d’influence. Ce dernier a pour composante le journalisme engagé, celui de combat, et mobilise des genres tels que la caricature et la critique. L’auteur explique que ce type de journalisme peut parfois être utilisé de manière abusive pour influencer l’opinion publique dans une direction particulière. Cette catégorie de journalisme a recours à l’argumentation plus fondée sur des procédés de séduction et d’influence, lesquels sont susceptibles de causer du tort à la démocratie, en conduisant à la désinformation et la manipulation des publics. Elle a pour finalité de modifier les schèmes de représentations, voire à faire adopter une autre position concernant un sujet précis. Marc-François Bernier précise que ce modèle journalistique vise davantage à changer l’avis du récepteur qu’à l’informer. Sa pratique se trouve tiraillée entre l’application des principes d’objectivité et la volonté de respecter les engagements des structures qui les financent. Pour l’auteur, il n’est point possible de parler stricto sensu d’un journalisme d’information pur et sain (p. 41), car les influences externes peuvent avoir des effets sur la pratique de la profession et conduire justement à un journalisme d’opinion plutôt qu’à celui d’information objective.

6Le quatrième chapitre offre l’occasion au chercheur de se pencher sur le journalisme de promotion. Ce dernier pose la problématique du brouillage de la frontière entre l’information et la publicité, compromettant ainsi l’intégrité journalistique. Sa caractéristique c’est qu’il s’écarte de l’idéal typique du journalisme. L’auteur explique que les journalismes de promotion se rapprochent plutôt « de formes de communication qui favorisent des modes de collaboration étroite et assumée entre les journalistes, leurs sources, des entreprises privées ou des institutions publiques » (p. 67). Ce qui est davantage mis en évidence dans ce chapitre, c’est la nature des enjeux entre le journalisme de promotion et les questions en rapport avec la déontologie médiatique. Les enjeux croisés sont d’ordre conflictuel. L’auteur explique que les journalistes sont généralement partagés entre le respect des normes de l’écriture journalistique et la volonté de promouvoir les intérêts des tiers. Chercher le bon équilibre entre les dispositions déontologiques et les exigences des annonceurs permet justement d’éviter que ces professionnels s’apparentent à des rédacteurs publicitaires (p. 99 ; 100).

7Enfin, le cinquième et dernier chapitre se penche sur le journalisme de divertissement. La pratique consiste à produire de l’information superficielle dont la finalité est de distraire le public et de susciter des émotions. Les journalismes de divertissement sont souvent associés à l’information superficielle (p. 101). Cette forme de journalisme se trouve de plus en plus infiltrée par d’autres variantes de journalisme. Cependant, la précision que donne l’auteur à propos du journalisme de divertissement s’avère importante pour le dissocier des formes de journalisme connexes. Il explique que le journalisme du divertissement doit recourir au factuel afin de ne pas être associé à la fiction (p. 114). Il note que cette forme de journalisme manque de rigueur, d’équité et d’intégrité surtout lorsqu’il est question d’« aborder la vie privée de personnalités publiques et de vedettes » (p. 114-115).

8Nous pouvons conclure que l’ouvrage de Marc-François Bernier a pour visée de faire un état des lieux des journalismes. Il analyse les incidences que revêtent ces formes de relations tant sur la pratique du métier que sur les dimensions éthique et déontologique. C’est un ouvrage riche dans lequel l’auteur démontre que les types de journalismes ont un rôle crucial à jouer pour assurer la transparence et l’objectivité de l’information qu’ils délivrent, tout en veillant à ne pas sacrifier ces principes au profit du sensationnalisme ou de la promotion commerciale. Cependant, cette production scientifique ne s’appuie pas sur des études de cas concrets, présentant les logiques d’enchevêtrement dans les formes de journalismes analysées par l’auteur. Il est à relever pour le regretter, l’absence de discussion autour de la hiérarchie entre les formes de journalismes, objets de l’étude. Ainsi, les journalismes évoqués par l’auteur se valent-ils ou sont-ils complémentaires ? La lecture de l’ouvrage ne permet pas d’avoir une réponse à cette question. De même, la question des modèles de journalisme est critiquable dans la mesure où ces modèles sont évolutifs et peuvent changer au fil des tendances sociétales.

9Nonobstant les points de manquement soulevés et qui sont à considérer comme des pistes à explorer, l’ouvrage Marc-François Bernier reste pertinent car il permet d’enrichir le débat autour de la définition des journalismes, à partir des fonctions, des valeurs, voire des jeux croisés entre acteurs du journalisme et ceux du monde extérieur. Cet ouvrage peut autant intéresser les enseignant·e·s-chercheur·e·s et doctorant·e·s en sciences de l’information et de la communication, sensibles à des problématiques relatives à l’identité du journalisme. Tout comme il peut s’avérer incontournable pour les étudiant·e·s en journalisme.

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Notes

1 Henri Assogba (2020), Journalismes spécialisés à l’ère numérique, Laval, Presses universitaires de Laval.

2 Marie-Soleil Frère (2020), Journalismes d’Afrique, 1re édition, Bruxelles, De Boeck supérieur.

3 Erik Neveu, Rémy Rieffel, Denis Ruellan (2002), « Présentation. Dix ans après… », Réseaux, 2002/1, n° 111, pp. 9-17.

4 Christians Clifford, Theodore Glasser, Denis McQuail, Kaarle Nordenstreng et Robert A. White (ed.) (2009), Normative Theories of the Media: Journalism in Democratic Societies, Urbana, University of Illinois Press, 296 p.

5 Matt Carlson (2016), « Metajournalistic Discourse and the Meanings of Journalism : Definitional Control, Boundary Work, and Legitimation », Communication Theory, 26, p. 349-368. Doi : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.1111/comt.12088

6 Janet Fulton (2015), « Are You A Journalist ? New Media Entrepreneurs and Journalists in the Digital Space », Javnot – The Public, 22 (4), p. 362-374. Doi : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.1080/13183222.2015.1091624

7 Alan Knight (2008), « Who is a journalist? », Journalism Studies, 9 (1), p. 117-131.

8 Jonathan Peters et Edson C. Tandoc Jr (2013), « “People who aren’t really reporters at all, who have no professional qualifications” : Defining a Journalist and Deciding Who May Claim The Privileges », N.Y.U. J. Legis. & Public Policy Quorum, n° 34. http://www.nyujlpp.org/wp-content/uploads/2013/03/Peters-Tandoc-Quorum-2013.pdf.

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Pour citer cet article

Référence électronique

Simon Ngono, « Bernier Marc-François, Les journalismes. Information, persuasion, promotion, divertissement »Revue française des sciences de l’information et de la communication [En ligne], 28 | 2024, mis en ligne le 31 mai 2024, consulté le 20 janvier 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/rfsic/15932 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/11ubx

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Auteur

Simon Ngono

Maître de conférences en sciences de l’information et de la communication à l’Université Française de La Réunion, Chercheur au Laboratoire de recherche sur les espaces créoles et francophones (LCF, EA 7390) : simon.ngono@univ-reunion.fr

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