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Dossier

La manosphère anglophone : tour d’horizon et revue de la littérature

Louis Bachaud

Résumés

Cet article a pour but de décrire la manosphère anglophone à travers les différentes communautés qui la composent. Au-delà des éléments historiques et idéologiques ainsi présentés, une revue transdisciplinaire de la littérature présentera l’état des recherches en sciences sociales sur la manosphère.

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Texte intégral

  • 1 Cette thèse de doctorat explore les usages et la circulation des sciences, en particulier évolution (...)

1La « manosphère » est un ensemble virtuel de groupes d’hommes, parfois antagonistes, mais toujours unis par la volonté affichée de s’adresser aux hommes, de représenter leurs expériences dans la société, et de défendre leurs intérêts, en opposition à un féminisme perçu comme homogène et hégémonique. Si l’on retrouve aujourd’hui des ramifications nationales (française, hispanophone, etc.), la manosphère anglophone demeure la matrice idéologique de toutes les autres, la plus ancienne, la plus fréquentée, la plus influente. Dans le cadre des recherches de ma thèse en études américaines, j’ai pu me familiariser de près avec cet espace en ligne, étudiant son discours et ses plateformes depuis cinq ans1. Je propose dans cet article d’en faire un tour d’horizon. À l’aune de la littérature scientifique seront présentées les différentes communautés de la manosphère anglophone : leur histoire, leurs idées phares, leur rapport au féminisme, ainsi que leurs idéologues et plateformes emblématiques. Ce rapide tour d’horizon ne saurait prétendre à l’exhaustivité, d’autant plus que les recherches sur la manosphère comportent encore bien des lacunes. C’est pourquoi cet article se conclura par une revue de la littérature scientifique qui rend compte des enjeux théoriques et méthodologiques soulevés par l’étude de ces communautés en ligne, afin d’éclairer celles et ceux qui veulent faire avancer l’état de la connaissance sur cet objet difficile à étudier.

Qu’est-ce que la manosphère : définition et typologie

2Il n’est pas difficile de définir grossièrement la manosphère. Toutes les définitions, qu’elles soient journalistiques, académiques, ou militantes, s’accordent sur trois points. Tout d’abord, la manosphère est une constellation de différentes communautés. Deuxièmement, il s’agit d’un espace principalement en ligne. Enfin, ces communautés virtuelles sont unies par leur perspective masculine : ce sont des communautés d’hommes, s’adressant aux hommes, et qui prétendent représenter le point de vue et les intérêts des hommes, en opposition avec un féminisme perçu comme homogène et hégémonique.

  • 2 Toutes les références anglophones citées dans l’article sont traduites par mes soins.
  • 3 Op. cit., p. 8.

3En revanche, comme l’explique l’antiféministe Ian Ironwood dans le premier ouvrage sur le sujet : « C’est quand on essaie de définir exactement ce qui constitue “la manosphère” que les choses se compliquent » (Ironwood, 2012, p. 4)2. En effet, alors que les définitions s’accordent, les typologies varient beaucoup. Un des articles de recherche les plus influents sur la manosphère y inclut des catégories comme « les conservateurs chrétiens traditionalistes » et « la culture gamer/geek » (Ging, 2019). Pour un autre, la manosphère contient « l’Alt-Right », ce nouvel avatar de l’extrême-droite étatsunienne (Van Valkenburgh, 2018). Ironwood ajoute : « Si on ajoute à cela tous les sites liés au sport, aux voitures, et autres intérêts principalement masculins, alors la manosphère devient très vaste, comme la queue d’une comète »3.

4De telles classifications sont si larges qu’elles englobent des phénomènes qui peuvent se chevaucher, mais sont bien distincts. Si tous les gamers ou les chrétiens conservateurs étaient inclus dans la manosphère, cela représenterait une foule de personnes qui ne s’identifient ni à la manosphère, ni à ses idées, y compris des millions de femmes. Ironwood explique d’ailleurs plus loin que son ouvrage se limitera à la tête de la comète, c’est-à-dire à « ces parties de la Manosphère qui s’identifient clairement comme telles »4. Ce critère d’inclusion semble raisonnable : n’inclure dans la manosphère que les groupes qui s’y identifient. Mais la classification reste difficile. Ainsi, deux plateformes encyclopédiques antiféministes divisent respectivement la manosphère en quatre et onze sous-ensembles5. J’adopterai ici une division de la manosphère en cinq grandes communautés, qui couvre convenablement la diversité des groupes et des intérêts de la manosphère, et se retrouve dans les travaux de recherche les plus récents (Ribeiro et al. 2021 ; Rothermel et al. 2022 ; Krendel et al. 2022). Décrivons à présent ces communautés.

Militants pour les droits des hommes ou « masculinistes »

5Les militants pour les droits des hommes, plus connus en français sous le nom de masculinistes, luttent pour obtenir des réformes au nom des hommes, des garçons, et des pères séparés ou divorcés.

6Le mouvement masculiniste est la matrice intellectuelle de toute la manosphère. Depuis la fin des années 1970, il réfute la notion d’oppression masculine, en insistant sur les désavantages structurels auxquels font face les hommes. À l’époque, aux États-Unis, c’était notamment la conscription, qui venait d’envoyer deux millions de jeunes hommes combattre au Vietnam. Depuis, c’est sans doute la question de la garde parentale qui a mené le plus d’hommes à s’engager dans le mouvement. De nombreux pères divorcés ayant perdu la garde de leurs enfants se tournent vers les organisations masculinistes pour y trouver soutien et conseils juridiques. Plus généralement, le masculinisme insiste sur tout un éventail de questions propres aux hommes (comme la lutte anti-circoncision), ou affectant disproportionnément les hommes, tels que le suicide, les accidents de travail, ou le fait d’être sans-abri.

7On peut résumer l’idéologie masculiniste par trois grandes positions, de la plus modérée à la plus radicale :

  1. Les hommes font face à des problèmes structurels spécifiques, qui devraient être reconnus par la loi et les politiques publiques. Il faut sensibiliser le public à ce sujet.
    Tous les masculinistes s’accordent sur ce point, qui n’a rien d’incompatible avec le féminisme. D’ailleurs, des féministes libérales soutiennent parfois, bien que rarement, les masculinistes sur certaines causes (Young, 2014). Le masculiniste le plus célèbre, Warren Farrell, était d’ailleurs un féministe connu dans les années 1970 (Bachaud, 2022a).
  2. Il n’y a pas/plus d’oppression systémique des femmes par les hommes. Les hommes font face à leurs propres difficultés dans la société contemporaine, qui devraient recevoir la même attention que celles vécues par les femmes.
    Ceci est aussi très généralement accepté par les masculinistes. C’est la thèse de l’ouvrage canonique du mouvement, The Myth of Male Power, écrit par Warren Farrell (1993).
  3. La société occidentale contemporaine est « gynocentrique », c’est-à-dire défavorable aux hommes, légalement et culturellement. Le féminisme est un groupe d’intérêt anti-masculin qui promeut le pouvoir des femmes plutôt que l’égalité.

8Cet antiféminisme ardent est aujourd’hui monnaie courante chez les masculinistes, souvent doublé de misogynie. Ce courant est représenté par le texan Paul Elam, un des militants les plus actifs des deux dernières décennies. Ces trois grandes positions sont partagées à différents degrés par tous les groupes de la manosphère. Bien que les masculinistes et leurs méthodes soient parfois taxés d’inefficacité par les factions plus radicales, il ne fait aucun doute que leur opposition de longue date aux grilles de lecture féministes constitue un socle commun sur lequel se sont construites les différentes formes de l’antiféminisme contemporain.

9Politiquement, le masculinisme s’est traditionnellement présenté comme non-aligné. Cependant, dans un contexte de polarisation grandissante aux États-Unis, celui se retrouve aujourd’hui nettement à droite, notamment du fait de son opposition au féminisme sur la question des violences conjugales et du viol, et ses critiques du mouvement #MeToo. À force de vouloir défendre les intérêts masculins, le mouvement se retrouve à mener de violentes campagnes virtuelles contre les militantismes en ligne de gauche. Il est ainsi couramment décrit par la recherche comme un mouvement réactionnaire6 (Dupuis-Déri, 2012). En 2018, le principal site masculiniste, A Voice For Men, fondé par Paul Elam, a été classifié par l’ONG Southern Poverty Law Center comme « groupe suprémaciste masculin promouvant la haine », en raison de son mépris des femmes7. Malgré tout, le masculinisme essaie de rester neutre sur des questions politiquement clivantes telles que le droit à l’avortement. Et il n’est pas tout à fait aligné avec le conservatisme de la droite religieuse, qu’il critique également. De fait, il existe sur la plateforme Reddit une communauté de masculinistes de gauche forte de 13 000 membres : r/LeftWingMaleAdvocates8.

10Son existence étant antérieure à l’avènement d’Internet, le masculinisme est le seul groupe de la manosphère à posséder des attributs du militantisme traditionnel hors-ligne, tels que des organisations hiérarchiques, des branches locales, et même un congrès annuel : la « International Conference on Men’s Issues »9. Sa volonté réformiste en fait un des plus modérés. Comme le remarquent deux chercheuses canadiennes, le masculinisme s’est tellement normalisé au Canada que sa principale organisation a acquis le statut fiscal d’organisme de bienfaisance (Gotell et Dutton, 2016, p. 76). De fait, les masculinistes sont les seuls à militer sous leurs propres noms, alors que les pseudonymes abondent dans la manosphère. Ils sont également les seuls à inclure de nombreuses femmes dans leurs rangs, y compris des idéologues et porte-paroles influentes, comme Karen Straughan, Alison Tieman ou encore Janet Bloomfield. Au-delà des États-Unis, le masculinisme est également bien établi au Canada (Mann, 2008 ; Blais et Dupuis-Déri, 2015), en Australie (Maddison, 1999 ; Flood, 2010), en Inde (Chowdhury, 2014 ; Basu, 2016), et au Royaume-Uni (Jordan, 2016). Ses deux plateformes en ligne les plus populaires sont le site A Voice for Men10, et le forum r/MensRights sur Reddit11.

Pickup artists ou la « communauté de la séduction »

11La communauté pickup artist est focalisée sur la séduction des femmes. Elle est de loin la moins militante de la manosphère, car elle se concentre avant tout sur des techniques de séduction, pensées par et pour des hommes hétérosexuels. Pourtant, elle a joué un rôle majeur dans la genèse de la manosphère contemporaine.

12Depuis les années 1990, elle constitue en effet un espace en ligne exclusivement masculin, où les hommes peuvent venir partager leurs expériences et leurs frustrations, au premier lieu romantiques et sexuelles. Pour aider ces hommes aux amours contrariés, des coaches en séduction proposent des séminaires pratiques et publient des méthodes. C’est celle de Ross Jeffries, sortie en 1992, qui est considérée comme étant à l’origine de cette « communauté de la séduction » (Jeffries, 1992). Il fut bientôt suivi par de nombreux autres théoriciens. La fin des années 1990 et les années 2000 virent l’apogée des blogs et forums dédiés au perfectionnement et à l’application de ces méthodes de séduction. Ce savoir collectif prit le nom de « game ».

13Le principe du game est de restaurer la confiance d’hommes timides ou anxieux par la pratique, en les faisant s’entraîner à aborder des femmes. Les écrits pickup artist adoptent donc un ton optimiste, similaire à celui de la littérature de développement personnel : en se réinventant, chacun peut devenir un homme meilleur, et donc, plus séduisant. C’est en 2005 que la communauté de la séduction a été révélée au grand public, avec le bestseller The Game de Neil Strauss. Ce journaliste du New York Times, qui a infiltré les pickup artists pour écrire un livre, finira par devenir l’un des plus réputés d’entre eux (Strauss, 2005). Le succès commercial de l’ouvrage a grandement contribué à populariser les concepts et la terminologie foisonnante de la communauté dans la culture populaire et sur Internet.

  • 12 James Weidmann et Daryush Valizadeh de leurs vrais noms.

14Dans ces premières phases, la communauté était largement apolitique, et ne mentionnait guère les questions sociales ou le féminisme. Puis, comme le remarquent des spécialistes de l’Alt-Right, « entre le milieu et la fin des années 2000, on assista à une politisation grandissante de la communauté pickup artist » (Hermansson et al., 2020, p. 167). Deux blogueurs en particulier, Heartiste et RooshV12, sont à l’origine de cela. Dans leurs écrits, les conseils de séduction s’inséraient dans un discours plus vaste sur les méfaits du féminisme, qui aurait provoqué le déclin de l’occident. Le rayonnement de ces blogueurs, bien au-delà de la communauté de la séduction, était à son apogée au début des années 2010, au moment où se consolidait le concept de « manosphère ». Aujourd’hui, Heartiste est devenu partisan du nationalisme blanc, tandis que RooshV a renié son passé pour devenir un chrétien orthodoxe traditionaliste.

15Les idées des pickup artists sont fondamentalement pratiques, et il existe donc un réseau international non-structuré de petits groupes locaux appelés « lairs » (« antres »), qui se retrouvent pour les appliquer. La plateforme en ligne la plus active est le forum r/seduction sur Reddit, avec près de 750 000 utilisateurs13. Il s’agit également du seul groupe de la manosphère avec une forte dimension commerciale, les méthodes et séminaires des coaches de séduction étant souvent vendus au prix fort14.

16La communauté pickup artist a perdu de sa popularité des années 2000. La dénonciation féministe du harcèlement de rue a rendu les tentatives de séduction dans l’espace public moins acceptables, tandis que les applications de rencontre ont radicalement altéré la façon dont les gens se rencontrent. Elle doit aussi faire face à la concurrence de la communauté « incel », qui elle aussi attire un public de jeunes hommes sexuellement insatisfaits. Cependant, il ne faut pas exagérer ce déclin. Les coaches en séduction continuent à abonder, notamment sur YouTube. De plus, la terminologie des pickup artists, connus pour leur emploi de jargon et d’acronymes, a été au cœur de l’émergence de la philosophie « Red Pill » dans les années 2010. Plutôt que de déclin, il vaut peut-être mieux parler de scission. D’un côté, on retrouve les coaches en séduction « mainstream » et leurs ouailles, de l’autre, les plus antiféministes et politisés se retrouvent dans la communauté Red Pill.

The Red Pill

17Au début des années 2010, une convergence d’idées de la manosphère donna naissance à une philosophie appelée The Red Pill ou la « pilule rouge ». Il s’agit d’une métaphore tirée du film The Matrix, où prendre la pilule rouge signifie quitter le monde des illusions confortables (symbolisé par la pilule bleue) pour affronter la réalité. Dans la manosphère, prendre la pilule rouge signifie refuser les discours féministes et ouvrir les yeux sur le vécu des hommes et le comportement des femmes.

18Le 25 octobre 2012, le forum r/TheRedPill était créé sur Reddit, devenant vite une des plateformes les plus populaires de toute la manosphère. Elle se décrit comme une « discussion sur la stratégie sexuelle dans une culture de plus en plus dénuée d’identité positive pour les hommes ». On retrouve dans cette description les influences masculinistes (déplorer l’absence de positivité autour des hommes) et pickup artist (établir des stratégies de séduction). Et pour cause, la plupart des hommes attirés par la communauté Red Pill ont les mêmes objectifs et frustrations que ceux qui fréquentent les espaces pickup artist. Mais au lieu de leur vendre une simple méthode de séduction, The Red Pill leur expose tout un programme idéologique.

19La vision du monde sous-jacente à la philosophie Red Pill est compétitive : il convient d’en finir avec la faiblesse pour devenir un « mâle alpha », sûr de lui et indépendant. La sexualité en particulier est perçue comme un domaine conflictuel, où hommes et femmes ont des objectifs différents. Les femmes seraient principalement intéressées par le statut et les ressources des hommes (c’est « l’hypergamie »), et les hommes par la sexualité des femmes. Pour les partisans de la pilule rouge, point d’amour ni de romance, mais simplement un conflit entre stratégies sexuelles. La société patriarcale traditionnelle était un arrangement qui garantissait l’équilibre entre ces intérêts : le mariage permettait aux hommes d’accéder à la sexualité et à la reproduction en échange de leurs ressources. Équilibre rompu par le féminisme.

20Pour contrecarrer la nature et les stratégies féminines, perçues comme intrinsèquement plus subtiles, la communauté Red Pill élabore ses propres stratégies. Devenir un mâle alpha passe par le rejet de la notion d’amour vrai et sincère, et le développement d’une forme particulière de game. Il faut se montrer viril, dominant, distant, afin d’être désirable. Le but étant de jouer sur l’hypergamie innée des femmes pour les attirer, sans jamais leur sacrifier son indépendance.

21The Red Pill se veut comme une véritable philosophie de vie pour hommes. Elle se concentre sur la nutrition et la musculation, afin d’être en meilleure santé et plus séduisant, ainsi que sur la réussite économique à travers l’ambition et l’entrepreneuriat. Fondamentalement individualiste, elle préconise à chacun de devenir un homme accompli et indépendant. D’autres intérêts de la communauté incluent la finance, la lecture des classiques de la philosophie, en particulier du stoïcisme, ainsi que la science.

22La communauté est friande de théorisation, avec une utilisation massive de jargon et d’acronymes. Elle compile et rassemble ses textes principaux dans la « sidebar » (menu latéral) du forum Reddit, et révère ses théoriciens préférés, au premier rang desquels figure Rollo Tomassi avec son blog The Rational Male15 et sa série de livres éponymes. Toujours présente sur Reddit, la communauté y a cependant été mise en quarantaine16, ce qui a déclenché la création d’un site de repli : trp.red17. Sur cette plateforme indépendante, les discussions sont davantage teintées de l’esprit complotiste et dissident de la droite radicale. Alors que leur contenu était progressivement évincé des plateformes « mainstream » comme YouTube, les partisans de la pilule rouge se sont politisés, embrassant des causes comme le soutien à Donald Trump, la transphobie, ou l’opposition aux masques et vaccins pendant la pandémie de COVID-19.

MGTOW (Men Going Their Own Way)

23D’un côté, les MGTOW ont une vision très négative de la nature féminine, ce qui les rapproche de la philosophie Red Pill. De l’autre, ils avancent que les changements législatifs et culturels issus du féminisme mettent les hommes en danger, ce qui les rapproche des thématiques masculinistes. Ainsi, avoir un rapport sexuel avec une femme, c’est prendre le risque d’être faussement accusé de viol. Se marier, c’est être à la merci d’un divorce, et du risque de perdre la moitié de ses ressources, la garde de ses enfants, et de devoir payer une pension. Le mouvement serait lui-même issu d’une branche de masculinistes, ayant fait sécession au début des années 2000 (Hermansson et al., 2020, 165).

24Le grand principe des MGTOW est donc de ne jamais s’engager dans une relation amoureuse avec une femme, certains refusent même toute relation sexuelle, voire évitent au maximum les contacts avec le sexe opposé. Cela les différencie de la communauté Red Pill, qui dédie une attention considérable à la séduction. Ils sont également différents des masculinistes, car ils ne croient pas aux possibilités de réforme, et préfèrent la voie du séparatisme. D’où leur nom : les MGTOW déclarent simplement vouloir « suivre leur propre chemin ».

25De nombreux MGTOW rejoignent le mouvement à la suite d’un divorce ou d’une séparation amère et conflictuelle. Ainsi, la communauté est parfois décrite comme un « hôpital », où des hommes blessés peuvent panser leurs plaies et partager leur vécu. En tant que mouvement séparatiste masculin, il s’agit d’un des plus hostiles de la manosphère envers les femmes, dont la présence n’est pas tolérée dans les espaces MGTOW. La misogynie est omniprésente, particulièrement envers les féministes et les femmes occidentales. En effet, la plupart des MGTOW pensent que la société devrait être dirigée par des hommes, et que la féminisation des métiers à responsabilité contribue au déclin de l’occident. Cela rejoint leur croyance plus générale selon laquelle toutes les grandes choses de l’humanité sont produites par des hommes. À part pour se reproduire, ce à quoi ils ont décidé de renoncer, ils croient que les hommes n’ont en rien besoin des femmes. Ils compilent des listes et des citations de célibataires célèbres aux idées similaires, tels l’inventeur Nikola Tesla ou le philosophe Arthur Schopenhauer.

26Puisque la législation actuelle est vue comme fondamentalement opposée aux hommes, on retrouve chez les MGTOW une forte rhétorique libertarienne et antiétatique. Le manifeste fondateur du mouvement, datant de 2001, proclamait : « Le but est d’instaurer la masculinité chez les hommes, la féminité chez les femmes, et de réduire la taille de l’état »18. Les impôts et l’état providence sont souvent dépeints par les MGTOW comme un mécanisme d’extorsion de richesse, qui redistribue le salaire durement gagné des hommes à des femmes moins méritantes.

27La liberté est la valeur fondamentale de la philosophie MGTOW, « où l’homme moderne préserve et protège sa souveraineté avant tout »19. Repoussant toute hiérarchie ou autorité, les MGTOW ne se considèrent pas comme un mouvement. Pour eux, il s’agit d’un choix de vie, réalisé par des individus libres et indépendants. Quand elles ne tournent pas autour du féminisme et de la politique, les conversations portent sur la cuisine, le sport, les investissements, la lecture, et plus généralement, sur tous les moyens de passer une agréable vie de célibat volontaire.

28Alors que la communauté MGTOW était en plein essor à la fin des années 201020, elle a récemment perdu ses plateformes phares. Depuis août 2021, tous les espaces MGTOW sont bannis de Reddit. Le très populaire forum MGTOW.com a également cessé de fonctionner. Aujourd’hui, les MGTOW sont donc dispersés, sur des forums, sur YouTube ou des plateformes alternatives d’extrême-droite telles que Bitchute21, ainsi que sur les réseaux sociaux (Facebook, Instagram, Twitter). Malgré tout, la popularité du mouvement semble intacte, de même que son influence internationale, comme le montre la profusion de groupes MGTOW non-anglophones présents sur les réseaux sociaux22.

Incels

29Les incels sont des hommes hétérosexuels sans expérience romantique ou sexuelle. Contrairement aux MGTOW, ce n’est pas par choix qu’ils sont célibataires, d’où le terme « incel » pour « involuntary celibate », soit « célibataire involontaire ». Bien que le mouvement ait des racines en ligne remontant aux années 1990, c’est dans les années 2010 sur Reddit qu’il a commencé à devenir ce qu’il est aujourd’hui : misogyne, antiféministe, avec un idiome et une idéologie propres.

  • 23 Bien qu’il soit plus répandu dans les communautés incel, on retrouve ce terme dans les dictionnaire (...)

30Ces hommes malheureux en amour partagent leur frustration et leurs expériences. Jaloux de la vie sentimentale des femmes et des hommes séduisants (respectivement appelés « Stacys » et « Chads »), ils se considèrent comme laids et inaptes socialement. Ils dénoncent le « lookism », cette discrimination qui frappe les personnes moins attrayantes23. L’apparence physique étant génétiquement déterminée, les incels croient que la réussite sexuelle d’un homme est fixée à sa naissance. Cette croyance s’appelle « blackpill » ou pilule noire. Si tous les incels ne souscrivent pas à la pilule noire, elle est aujourd’hui majoritaire dans la communauté (Speckhard et al., 2021, p. 97).

31La pilule noire a émergé en opposition aux discours de type Red Pill et pickup artist, qui considèrent qu’en modifiant son comportement, chacun peut devenir un homme séduisant. Les incels ont une vision très différente des choses. Pour la plupart d’entre eux, leur célibat s’explique par un trait inné et « indésirable », comme l’autisme, la petite taille, ou encore une couleur de peau non-blanche, chacun de ces profils disposant de son propre label (ici respectivement « autistcel », « shortcel », et « ethnicel »). Bien que certains incels cherchent des moyens de perdre cette virginité qui les déprime, les partisans de la pilule noire prônent au contraire le fatalisme, un de leurs leitmotivs étant d’ailleurs « it’s over » (c’est foutu). D’où le désespoir, et l’amertume omniprésents chez les incels, qui peuvent parfois mener au suicide, voire à des attentats meurtriers.

32En effet, c’est en 2014 que ces communautés encore confidentielles firent irruption dans la sphère publique, avec le massacre d’Isla Vista, où Elliot Rodger, jeune homme de 22 ans, tua six personnes avant de se donner la mort. Bien que les incels réfutent sa participation à leur communauté, le meurtrier est devenu pour beaucoup d’entre eux un véritable héros (Witt, 2020). Depuis, plusieurs autres attentats terroristes ont été liés à l’idéologie incel, en Amérique du Nord comme en Europe (pour un inventaire, voir Hoffman et al., 2020).

  • 24 Sur Internet, ces propos délibérément provocateurs ou outrageux sont appelés « trolling » ou « shit (...)

33Bien que de tels évènements ne concernent qu’une part infinitésimale de la communauté, la violence verbale est monnaie courante chez les incels. Les injures raciales, sexistes ou homophobes sont légion, mêlées de théories complotistes antisémites et antiféministes. Les espaces en ligne incel ont en général une liberté de ton et d’expression absolue. Il est cependant parfois difficile d’évaluer le sérieux des propos, car la culture de ces espaces est volontiers décalée et provocatrice24.

  • 25 Ce forum a dû plusieurs fois changer de nom de domaine dans son histoire, et a été connu comme ince (...)

34Entre 2017 et 2021, par vagues successives, les groupes incels ont été massivement bannis de leur plateforme de prédilection originelle, Reddit. Aujourd’hui, le site le plus actif du mouvement est sans conteste le forum indépendant incels.is, avec plus de 24 000 utilisateurs25. Si les premières communautés Reddit étaient ouvertes aux « normies », terme incel pour désigner le commun des mortels, ce n’est plus le cas aujourd’hui. Méfiants, surveillés par les autorités (FBI, ministère de la défense étatsunien, Commission Européenne), les incels se sont repliés sur eux-mêmes, dans des espaces de plus en plus complotistes et radicaux.

35Un tel tour d’horizon étant nécessairement incomplet, je propose à présent d’effectuer une revue de la littérature scientifique. Cette dernière permettra de mieux comprendre les différentes approches méthodologiques et disciplinaires des recherches sur la manosphère. Comme nous le verrons, il y a eu ces dernières années une augmentation du nombre d’études, qui restent cependant limitées par certains problèmes inhérents à leur objet.

Revue de la littérature scientifique

36La recherche sur la manosphère rencontre de nombreuses difficultés méthodologiques et théoriques. Comme nous l’avons vu, il peut être difficile de définir et circonscrire ces communautés, a fortiori dans un espace en ligne en évolution constante, où les groupes se transforment et s’hybrident à un rythme bien souvent plus rapide que celui de la recherche. De plus, l’hostilité de ces groupes, ainsi que la volonté de leurs membres de protéger leur anonymat, peut rendre l’accès difficile, voire dangereux.

Études de discours : du qualitatif au quantitatif

37Une grande partie des travaux sur la manosphère relève de l’analyse de discours, ou de langage. Qu’il s’agisse de recherches en sociologie, science politique, linguistique, études numériques, féministes ou littéraires, elles fonctionnent en général sur le même modèle : le discours d’une communauté virtuelle est ciblé, puis ses grands thèmes sont récapitulés, classifiés, déconstruits, et souvent critiqués. Il existe aujourd’hui une telle profusion de ce type de travaux sur la manosphère anglophone qu’il est difficile d’en dresser l’inventaire. Comme le remarquent deux chercheuses, dont l’une est l’auteure d’une des premières et plus influentes de ces études (Ging, 2019) :

Si ce type de catégorisation a été nécessaire et important, nous pensons que sa fréquente réplication a mené aujourd’hui à une stagnation des connaissances [sur la manosphère], et ne facilite ni la théorisation ni l’intervention. (Ging et Murphy, 2021, p. 1)

38Par conséquent, je ne citerai ici que quelques études de ce type. Par exemple, Coston et Kimmel (2012) expliquent que les masculinistes sont animés d’un sentiment de « aggrieved entitlement », c’est-à-dire de colère par rapport au décalage entre ce qu’ils pensaient leur être dû, et le statut qui est le leur aujourd’hui. Concernant les pickup artists, Almog et Kaplan (2017) mettent en lumière le côté « geek » de la communauté, et la façon dont elle répond de manière ludique aux défis d’une masculinité en mutation. Van Valkenburgh, lui, souligne les logiques néolibérales que l’on retrouve derrière la communauté Red Pill (2018), une analyse qui rejoint celle de Rachel O’Neill sur les pickup artists (O’Neill, 2018). Toutes ces analyses qualitatives identifient les représentations et les valeurs sous-jacents aux idéologies de la manosphère, et les replacent dans leur contexte socio-politico-technologique. Le discours est également critiqué, ses contradictions soulignées, tandis qu’une attention toute particulière est prêtée aux racines discursives et idéologiques de la violence (pour les incels, voir par exemple Baele et al., 2019).

39Les techniques algorithmiques des méthodes d’analyses computationnelles permettent d’analyser des corpus de plusieurs dizaines de millions d’objets virtuels : tweets, profils, messages. Ces techniques sont prometteuses car elles permettent l’analyse de communautés entières sans recours à l’échantillonnage. Elles ont déjà été appliquées à toutes les communautés : masculinisme (Rafail et Freitas, 2019 ; LaViolette et Hogan, 2019) et Red Pill sur Reddit (Mountford, 2018), MGTOW sur Twitter (Górska et al., 2022), ou encore forums pickup artist (Wright, 2020) et incel (Jelodar et Frank., 2021). En revanche, leur portée analytique reste pour l’instant partielle. Elle se limite souvent à l’analyse des mots et des thèmes les plus fréquents, ou à la quantification des propos violents et misogynes.

40Au-delà de l’analyse de discours, quelques analyses computationnelles s’intéressent aux individus derrière les claviers : certaines essaient d’identifier les incels à partir de leur activité sur les réseaux sociaux Twitter et Facebook (Hajarian et al., 2019 ; Hajarian et Khanbabaloo, 2021). Une autre examine la participation des membres de forum MGTOW, révélant que la moitié des contributions sont faites par moins d’un pourcent des utilisateurs (Wright et al., 2020). L’étude la plus ambitieuse et réussie à ce jour est le fruit d’une équipe de recherche multinationale : « The Evolution of the Manosphere Across the Web » (Ribeiro et al., 2021). Celle-ci propose une périodisation de la manosphère à travers l’évolution du nombre d’utilisateurs de ses différentes communautés virtuelles au cours des dix dernières années. Elle fait enfin état, comme d’autres études similaires (Farrell et al., 2019 ; Baele et al., 2023), d’un accroissement de la violence et de la misogynie des discours antiféministes en ligne au cours des années 2010.

41Il faut cependant prendre les résultats de ces méthodes algorithmiques avec précaution, car leurs analyses reposent sur des inférences automatisées : ainsi, une analyse des styles communicationnels d’un forum incel « trouve » que 35 % des utilisateurs seraient des femmes ! Cela est erroné, ce que les auteur.es reconnaissent volontiers (Jaki et al., 2019). Une illustration du chemin qu’il reste à parcourir pour ces techniques émergentes. Leur popularité, leur perfectionnement, et leur puissance analytique se confirmeront certainement dans les années à venir, en témoignent les riches et ambitieuses études sur la manosphère déjà en prépublication (Vu et al., 2021 ; Habib et al., 2022).

42Quoique bien différentes, toutes ces études qualitatives et quantitatives travaillent avec le même matériau de base : les traces de l’activité virtuelle des habitués de la manosphère. Une des grandes faiblesses de l’état actuel de la recherche est l’absence de collecte de données originales directement auprès des communautés antiféministes. Cela s’explique aisément : la manosphère est volontiers hostile aux sciences sociales et aux intrusions extérieures. La menace de cyberharcèlement, voire d’actes violents, dissuade donc les chercheurs, et surtout les chercheuses, d’approcher ces communautés.

Études de terrain

43Entretiens, sondages, ou immersions ethnographiques sont si rares qu’il est possible d’en dresser un inventaire quasiment exhaustif. Des immersions mêlant observation et entretiens semi-directifs ont été réalisées par des chercheuses en France (Gourarier, 2017), au Royaume-Uni (O’Neill, 2015 ; O’Neill 2018), et en Chine (Liu, 2021). Ces études ont été réalisées auprès de la communauté pickup artist, qui est à la fois facile d’accès, et peu hostile aux femmes. Les militants masculinistes, également faciles d’accès, sont observés et interviewés dans plusieurs travaux (Bertoia et Drakich, 1993 ; Kenedy, 2006 ; Crowley, 2008 ; Kimmel, 2013). Les entretiens menés par la politiste Jocelyn Crowley s’intéressent quant à eux aux femmes investies dans ce mouvement antiféministe (Crowley, 2009).

44Récemment, quelques entretiens ont été menés avec les membres des communautés virtuelles plus radicales, pour essayer de comprendre leur engagement et leur identité. Cela se limite pour l’instant à quelques dizaines d’incels et de MGTOW (Sugiura, 2021a ; Daly et Reed, 2022 ; Gygax, 2021). Enfin, c’est dans le cadre du tournage d’un documentaire à la télévision britannique qu’ont pu être menés le plus d’entretiens qualitatifs avec des incels (Regehr, 2022).

45Les études quantitatives par sondage sont également rares : la plus ancienne examine l’opinion qu’ont certains groupes d’hommes, dont les masculinistes, les uns des autres (Fox, 2004). Récemment, les incels ont fait l’objet de plusieurs enquêtes quantitatives d’envergure (Speckhard et al., 2021 ; Morton et al., 2021 ; Costello et al., 2022 ; Moskalenko et al., 2022 ; Sparks et al., 2023).

La recherche sur les incels : explosion et spécificités

46Ces dernières années, c’est de loin la communauté incel qui a fait l’objet du plus grand nombre de travaux. À tel point que l’on peut parler d’une véritable explosion, d’une seule publication en 2015 à plus d’une trentaine en 2020. Cela ne saurait s’expliquer autrement que par la recrudescence des attentats terroristes d’inspiration incel.

Évolution du nombre de publications académiques sur les incels

Évolution du nombre de publications académiques sur les incels
  • 26 D’après mes estimations, l’explosion observée sur la période 2015-2020 s’est confirmée et accentuée (...)

Source : revue de la littérature sur les incels effectuée par Prøitz et al. (2022)26

47Dans le sillage des attentats récemment perpétrés par ces jeunes hommes radicalisés en ligne, les études en sécurité se sont en effet penchées sur l’idéologie incel et ses liens avec la violence (Brzuszkiewicz, 2020 ; Cottee, 2020 ; Radicalisation Awareness Network, 2021 ; Zimmerman 2022), ainsi que le processus et les facteurs de radicalisation (Wood et al., 2022). D’autres répertorient et classifient les attentats d’inspiration incel (Hoffman et al., 2020), et proposent des outils pour détecter de potentiels terroristes (Collins et Clark, 2021), ainsi que des solutions pour empêcher ces attentats (Tomkinson et al., 2020).

48Dans une autre veine, les études en psychologie et psychiatrie reconnaissent le profond mal-être psychologique des incels (Costello et al., 2022), essaient d’en établir les causes, et de le soigner (Broyd et al., 2022). Par exemple, une étude analyse les messages pré-suicides laissés en ligne par des incels, afin de comprendre et prévenir ce phénomène endémique dans la communauté (Daly et Lakovtsov, 2021). Un ouvrage entier dédié au traitement psychothérapeutique des incels a même été publié (Van Brunt et Taylor, 2020). Cette branche de la recherche est florissante, en témoignent les deux revues de la littérature psychologique sur les incels publiées en 2022 (Stijelja et Mishara, 2022 ; Sparks et al., 2022).

Travaux méta-scientifiques

49Plusieurs chercheuses partagent les problématiques rencontrées lors de leurs recherches sur la manosphère. Ainsi, deux universitaires féministes canadiennes relatent comment l’une d’elles fut la cible d’une campagne d’affichage masculiniste (Gotell et Dutton, 2016). Une chercheuse australienne raconte avoir été ciblée par des menaces de viol, et des campagnes visant à lui retirer son emploi et ses financements (Jane, 2018). D’autres font état de la détresse émotionnelle provoquée par l’étude de communautés misogynes (Branthonne et Waldispuehl, 2019), et procurent des conseils pour y faire face (Daly, 2022), ainsi que pour sauvegarder sa (cyber)sécurité (Lavorgna et Sugiura, 2020 ; Sugiura, 2021b). Enfin, les recherches sur la manosphère permettent d’explorer les défis méthodologiques et éthiques posés par l’étude de communautés en ligne (Bachaud, 2022b).

50À ma connaissance, cette revue de la littérature sur la manosphère est inédite. Il existe cependant deux articles répertoriant les études propres à un groupe : l’un inventorie et classifie 52 études sur les masculinistes militants pour les droits des pères (Alschech et Saini, 2019), et l’autre 70 articles, ouvrages, chapitres, et interventions portant sur les incels (Prøitz et al., 2022). Enfin, Shane Murphy et Debbie Ging ont récemment synthétisé l’état de la recherche sur la manosphère et proposé des nouvelles pistes d’exploration (Ging et Murphy, 2021).

51Si les travaux de la fin des années 2010 pouvaient annoncer en introduction qu’ils débroussaillaient un terrain peu connu, cela n’est plus le cas aujourd’hui. Ayant dépassé les frontières de la sociologie et des études numériques, la recherche sur la manosphère attire en effet des expert.es de nombreux domaines ainsi que de nombreuses régions du monde. Comme en témoigne l’orientation multinationale de ce numéro, la recherche sur les manosphères non-anglophones essaime, par exemple en Chine, en Turquie, en Russie, en Italie, et bien sûr, en France (voir respectivement Xia et Chien, 2022 ; Eslen-Ziya et Bjørnholt, 2022 ; Voroshilova et Pesterev, 2021 ; Cannito et Mercuri, 2022 ; Morin et Mésangeau, 2022).

Conclusion

52Difficile de généraliser sur la manosphère, certes, mais au-delà des spécificités de chaque groupe, que retenir de ce tour d’horizon et de cette revue de littérature ?

  • 27 Il n’est pas certain que les membres participant aux communautés les plus misogynes en ligne aient (...)

53Tout d’abord, alors que chercheuses et chercheurs de différentes disciplines appliquent leurs méthodes respectives à cet objet d’étude, on remarque l’absence de consensus théorique ou de cadre d’analyse unifié. Cela n’est pas forcément problématique, car on pourrait trianguler les résultats de toutes ces recherches pour atteindre une compréhension fine de ces espaces en ligne. Cependant, l’absence de données sociodémographiques ou géographiques sur la manosphère rend cette triangulation difficile. À l’exception de la communauté incel qui fait dernièrement l’objet d’une attention démultipliée, nous savons encore relativement peu de choses sur les personnes qui se cachent derrière les pseudonymes dont on analyse le discours : quels sont leurs affiliations politiques et leurs comportements électoraux ? leurs niveaux de revenus ? leurs trajectoires de vie ? et surtout, comment les idéologies de la manosphère se reflètent-elles (ou non) au quotidien dans leurs comportements 27? Malgré ces zones d’ombre, on peut souligner quelques tendances générales.

54Premièrement, l’importance des transferts de concepts et d’idées entre les groupes. À partir de la matrice masculiniste, des communautés se constituent et se rassemblent autour de nouveaux syncrétismes idéologiques. Ce processus est accéléré sur Internet, où la fortune des groupes et des plateformes fluctue beaucoup, où les utilisateurs peuvent migrer d’une communauté à l’autre en quelques clics, et où certaines idées peuvent rapidement devenir virales. Aujourd’hui, la plupart des espaces antiféministes en ligne se présentent comme dissidents, censurés, luttant contre l’écrasante doxa féministe. De fait, beaucoup d’entre eux ont été bannis des grandes plateformes en raison de leur sexisme. Et pour cause, une tendance se dégage nettement : les actions et les discours de la manosphère deviennent plus extrêmes, plus violents.

55C’est ici que les études monographiques atteignent leur limite. Car pour comprendre ce phénomène, c’est tout un contexte technologique, politique, et idéologique qu’il faut prendre en compte, avec les évolutions du féminisme, notamment en ligne, la polarisation politique aux États-Unis, et le phénomène transnational de la montée d’une nouvelle extrême-droite en ligne. Ces dernières années, plusieurs ouvrages se sont essayés à replacer la manosphère dans ce contexte (Jane, 2017 ; Bates, 2020 ; Hermansson et al., 2020 ; O’Donnell, 2022 ; Carian et al., 2022 ; Kaiser, 2022). D’autres recherches explorent les circuits virtuels de radicalisation menant à l’Alt-Right (Ribeiro et al., 2020), circuits dont la manosphère n’est pas exclue (Mamié et al., 2021). En espérant que les éléments présentés dans cet article permettront à d’autres de continuer et d’approfondir ces recherches nécessaires.

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Wood A., Tanteckchi P., Keatley David, « A Crime Script Analysis of Involuntary Celibate (INCEL) Mass Murderers », Studies in Conflict & Terrorism, 2022, 13 p.

Wright David, « The Discursive Construction of Resistance to Sex in an Online Community », Discourse, Context & Media, 2020, 36, 25 p.

Wright Scott, Trott Verity, Jones Callum, « ‘The Pussy Ain’t Worth It, Bro’: Assessing the Discourse and Structure of MGTOW », Information, Communication & Society, 2020, 23, n° 6, 18p.

Xia Shilin, Chen Tianen, « Attribution of Responsibility for Pick Up Artist Issues in China: The Impacts of Journalist Gender, Geographical Location, and Publication Range », Journal of Communication Inquiry, 2022, 46, n° 2, 23p.

Young Cathy, « The Feminist Leader Who Became a Men’s-Rights Activist », The Atlantic, 2014.

Zimmerman Shannon, « The Ideology of Incels: Misogyny and Victimhood as Justification for Political Violence », Terrorism and Political Violence, 2022, 14 p.

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Notes

1 Cette thèse de doctorat explore les usages et la circulation des sciences, en particulier évolutionnaires, dans les idéologies et les discours de la manosphère, voir Bachaud et Johns, 2023.

2 Toutes les références anglophones citées dans l’article sont traduites par mes soins.

3 Op. cit., p. 8.

4 Ibid.

5 Voir les pages “Manosphere” sur Wiki4men et incels.wiki: https://web.archive.org/web/20221206151531/https://wiki4men.com/wiki/Manosphere ; https://web.archive.org/web/20221206151342/https://incels.wiki/w/Manosphere, archivées le 6 décembre 2022

6 Le masculinisme est souvent décrit comme un mouvement de « backlash » (Faludi, 1991), ou de « ressac » antiféministe, comme le traduit la recherche québécoise (Blais et Depuis-Déri, 2015).

7 Southern Poverty Law Center, « The Year in Hate: Trump buoyed white supremacists in 2017, sparking backlash among black nationalist groups. », https://web.archive.org/web/20221123111508/https://www.splcenter.org/news/2018/02/21/year-hate-trump-buoyed-white-supremacists-2017-sparking-backlash-among-black-nationalist, archivé le 23 novembre 2022.

8 https://web.archive.org/web/20221122173925/https://www.reddit.com/r/LeftWingMaleAdvocates/, archivé le 22 novembre 2022.

9 Le congrès annuel du masculinisme a pour l’instant été tenu deux fois aux États-Unis, deux fois au Royaume-Uni, et une fois en Australie, et une fois en Inde, avec une édition 2024 prévue en Hongrie, https://web.archive.org/web/20240121080508/https://wiki4men.com/wiki/International_Conference_on_Men%27s_Issues, archivé le 21 janvier 2024.

10 https://web.archive.org/web/20221123095555/https://avoiceformen.com/, archivé le 23 novembre 2022.

11 https://web.archive.org/web/20221123114758/https://www.reddit.com/r/MensRights/, archivé le 23 novembre 2022.

12 James Weidmann et Daryush Valizadeh de leurs vrais noms.

13 https://web.archive.org/web/20221102030321/https://www.reddit.com/r/seduction/, archivé le 2 novembre 2022.

14 Par exemple, 1497 dollars pour trois sessions de coaching en ligne : https://web.archive.org/web/20221209102808/https://www.askmystery.com/live-online, archivé le 9 décembre 2022. Une chercheuse qualifie d’ailleurs la communauté de « communauté-industrie » (O’Neill, 2015).

15 https://web.archive.org/web/20221129170325/https://therationalmale.com/, archivé le 29 novembre 2022.

16 Les communautés mises en quarantaine ne génèrent pas de revenus, n’apparaissent pas dans les moteurs de recherche, et un avertissement empêche d’y accéder par mégarde. Pour plus de détails : https://reddit.zendesk.com/hc/fr/articles/360043069012-Subreddits-plac%C3%A9s-en-quarantaine, consulté le 14 décembre 2022.

17 https://web.archive.org/web/20221129165615/https://www.trp.red/feed/hot, archivé le 29 novembre, 2022.

18 https://web.archive.org/web/20210105094527/http://no-maam.blogspot.com/2001/02/mgtow-manifesto.html, archivé le 5 janvier 2021.

19 https://web.archive.org/web/20200723005622/https://www.mgtow.com/, archivé le 23 juillet, 2020.

20 Pour une estimation de la popularité des différents groupes de la manosphère à travers le temps, voir Ribeiro et al., 2021.

21 https://web.archive.org/web/20221130145206/https://www.bitchute.com/, archivé le 30 novembre 2022.

22 Une rapide recherche de groupes MGTOW sur Facebook révèle l’existence de communautés en Egypte, Tunisie, France, Québec, Inde, Paraguay, Algérie, Serbie, Singapour, Rwanda, Maroc, ou encore Côte d’Ivoire. Sur Instagram, on trouve des pages MGTOW françaises, indiennes, brésiliennes, espagnoles, marocaines, iranienne, argentines, et colombiennes (recherche effectuée le 12 septembre 2023).

23 Bien qu’il soit plus répandu dans les communautés incel, on retrouve ce terme dans les dictionnaires, qui le font remonter aux années 1970 : voir dictionnaire Merriam-Webster, « Lookism », https://web.archive.org/web/20221116103953/https://www.merriam-webster.com/dictionary/lookism, archivé le 16 novembre, 2022. Pour plus de détail sur le « lookism » et sa place dans l’idéologie incel, voir Bachaud, 2024.

24 Sur Internet, ces propos délibérément provocateurs ou outrageux sont appelés « trolling » ou « shitposting ».

25 Ce forum a dû plusieurs fois changer de nom de domaine dans son histoire, et a été connu comme incels.me (hébergé au Mexique), incels.co (Colombie), et aujourd’hui incels.is (Islande). Le nombre d’utilisateurs au 27 février 2024 était de 24,483, https://web.archive.org/web/20240227082344/https://incels.is/, archivé le 27 février 2023.

26 D’après mes estimations, l’explosion observée sur la période 2015-2020 s’est confirmée et accentuée en 2021, 2022, et 2023. A noter que la revue de littérature de Prøitz et al., ne prend en compte que les publications en anglais et en langues scandinaves.

27 Il n’est pas certain que les membres participant aux communautés les plus misogynes en ligne aient un comportement uniformément sexiste dans la vie de tous les jours. Ainsi, la chercheuse Sarah Daly a été surprise de ne rencontrer aucun vocable sexiste ou injurieux dans ses entretiens avec les incels et note que « quasiment tous les entretiens ont été menés de manière agréable et respectueuse », Daly, 2022, paragraphes 38 et 63.

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Table des illustrations

Titre Évolution du nombre de publications académiques sur les incels
Légende Source : revue de la littérature sur les incels effectuée par Prøitz et al. (2022)26
URL http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/rfsic/docannexe/image/15570/img-1.jpg
Fichier image/jpeg, 86k
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Pour citer cet article

Référence électronique

Louis Bachaud, « La manosphère anglophone : tour d’horizon et revue de la littérature »Revue française des sciences de l’information et de la communication [En ligne], 28 | 2024, mis en ligne le 20 juin 2024, consulté le 23 janvier 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/rfsic/15570 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/11ubk

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Auteur

Louis Bachaud

Professeur agrégé d’anglais, Louis Bachaud est actuellement doctorant contractuel à l’Université de Lille. Il y étudie les mouvements masculinistes anglophones contemporains, principalement sur Internet.

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Droits d’auteur

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