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Dymytrova Valentyna, Hare Isabelle, Paquienséguy Françoise, & Peyrelong Marie-France (Éds.). Données urbaines et smart cities

2020, 150 p. Paris, Éditions des archives contemporaines
Ugo Verdi
Référence(s) :

Dymytrova Valentyna, Hare Isabelle, Paquienséguy Françoise, & Peyrelong Marie-France (Éds.). Données urbaines et smart cities. 2020, 150 p. Paris, Éditions des archives contemporaines. ISBN : 978-2-8130-0326-3 Prix : 30 €

Texte intégral

1La question de l’Open Data est une thématique ancienne traversée d’enjeux idéologiques dont l’un de ces aboutissements est la Loi pour une République Numérique de 2016 qui établit l’ouverture par défaut des données publiques. De nombreuses questions se posent encore aujourd’hui sur les moyens à adopter pour une mise en place concrète de cette gestion des données ouvertes au sein des villes et des organisations.

2« Données urbaines et smart cities », paru en 2020 aux éditions des Archives Contemporaines, est un ouvrage résultant du projet ANR « OpenSensingCity » (OSC) dont l’objectif était de simplifier les réutilisations des données ouvertes dans le secteur des mobilités. Écrit conjointement par plusieurs chercheuses en sciences de l’information et de la communication du laboratoire ELICO, il questionne l’évolution de l’écosystème de l’Open Data par l’analyse des différentes pratiques d’usages des données et de la façon dont celles-ci modèlent les villes.

3A cette fin, la confrontation de points de vue d’acteurs de terrain (gestionnaires, médiateurs, producteurs et réutilisateurs) ainsi que l’étude des dispositifs qu’ils emploient (applications, datavisualisations, portails) offrent au lecteur un kaléidoscope de représentations permettant d’interroger sous un jour nouveau le concept central d’Open Data, de découvrir son appropriation par les métropoles alimentées par les données urbaines et in fine de mieux conceptualiser l’idéal-type de la smart city, cette ville connectée « promesse d’une maitrise de la ville » (p. 36).

4Il vise ainsi à identifier les éléments participant à l’élaboration des dites représentations de l’Open Data pour les confronter aux pratiques effectives des acteurs. Il appuie également la nécessité de recourir à des médiateurs et des chercheurs pour élaborer des représentations « en phase avec les pratiques effectives de tous les acteurs » (p. 4). Pour ce faire, l’ouvrage s’organise autour de quatre chapitres traitant respectivement des portails Open Data (chapitre 1), des dispositifs d’applications d’accès à l’information (chapitre 2), des représentations et pratiques des chercheurs ainsi que des discours d’escorte et propositions d’outillage scientifiques de l’Open Data (chapitre 3), et des liens entre Open Data et « communs » (chapitre 4).

5Dans la préface (p. i-v), Nathalie Vernus-Prost souligne le tournant paradigmatique amené par les données devenues « un fluide essentiel à notre quotidien » (p. i) alimentant les services numériques qui accompagnent l’ensemble des démarches personnelles et professionnelles. Cette « datafication » du quotidien installe les données dans une situation dite « janusienne » (p. i) : tantôt libératrices par la mise en place de politiques publiques promouvant l’ouverture et la transparence, tantôt liberticides en raison des scandales autour des mésusages des données personnelles et de l’avènement d’un « solutionnisme technologique » qui « l’emporte sur la créativité, la serendipité, le hasard qui sont les sources même de l’évolution et de l’adaptation des êtres vivants. » (p. ii). Surmonter ce dilemme nécessite pour l’autrice la pleine collaboration des acteurs réunis autour d’une vision commune pour une appropriation effective et éthique des données au service de tous.

6Dans le premier chapitre (pp. 7-33), Françoise Paquienséguy propose une analyse des stratégies d’acteurs « pour dégager des constantes et faire la démonstration d’un processus de structuration de l’Open Data, pensé comme une filière de l’industrie de la donnée » en s’appuyant sur un corpus de huit portails Open Data de métropoles internationales. Elle rappelle à cette fin les doubles visées rhétoriques de l’Open Data : une basée sur la liberté, la transparence et la participation, une autre centrée sur l’accès citoyen aux données publiques. Ces visions synergiques contribuent aux transformations des métropoles engagées dans le développement économique de leurs territoires, catalysées par le portail Open Data. Ce dernier se révèle d’une grande importance : en tant que « lieu de convergence des acteurs du territoire » (p. 14) et « guichet unique d’accès aux données d’un territoire » (p. 31), il transcende son rôle de facilitateur de réutilisation des données en se positionnant au cœur des stratégies de développement et de promotion du territoire ainsi qu’au centre de la transition numérique des villes.

7Le citoyen joue ici un rôle atypique : bien que non intégré aux activités économiques engendrées par l’Open Data, son influence sur le fonctionnement du portail lui-même est décisive, tant sur les thématiques déployées (dont la plus présente est celle de l’environnement) que sur les modalités de transmission des données (en particulier par l’usage de visualisations). Cet exemple parmi d’autres présentés dans ce chapitre révèle une tendance des métropoles à ajuster la structure de leurs portails afin de répondre au mieux aux besoins des acteurs de leur territoire.

8Dans le deuxième chapitre (pp. 35-66), Valentyna Dymytrova et Françoise Paquienséguy s’intéressent au rôle des médiations des données urbaines dans une « construction collective de la ville et à son appropriation par des citoyens-usagers » (p. 37) par l’étude des discours et de l’éditorialisation de deux types de productions. Le premier type concerne les applications mobiles traitant des transports et des mobilités qui s’accompagnent de promesses (optimisation du trajet, personnalisation de l’information et facilitation de la vie) (p. 40), incarnées au travers de fonctionnalités dont l’appropriation est facilitée par un ensemble de choix graphiques et chromatiques réfléchis. Bien plus que de proposer une expérience personnalisée de mobilité, elles « normalisent et encadrent les comportements et les modalités d’agir des citoyens-usagers » (p. 43). Le second type désigne les productions développées par les data journalistes qui intègrent une certaine pédagogie à l’attention de l’utilisateur par la mise en valeur de datavisualisations, la mise à disposition d’articles de fond et une explicitation des méthodologies suivies.

9Les autrices questionnent ensuite le concept de médiation urbaine selon trois modalités : les applications comme acteur-réseau (p. 51), les médiations basées sur les chaines de traitement des données (p. 53) et les médiations au service de l’économie de l’attention (p. 55). Elles analysent en outre la question de la transparence et des héritages idéologiques qui imprègnent les applications (p. 57). Dans la conclusion de leur chapitre, elles mettent en garde contre une appropriation de la ville sur un mode serviciel centré seulement sur les besoins individuels ainsi que sur un idéal de performance, et s’interrogent sur la portée politique de tels usages.

10Dans le troisième chapitre (pp. 67-86), Isabelle Hare explore « la pertinence des attendus scientifiques et des discours projetés sur l’Open Data et ses usages » (p. 60) à travers l’hypothèse d’une inadéquation entre le monde projeté de l’Open Data et la réalité des pratiques professionnelles de la donnée (p. 68). Dans ce cadre, elle s’attelle à déconstruire les « discours communs » et les amalgames en rappelant tout au long du chapitre les différences fondamentales entre le Big Data et l’Open Data, souvent associés à l’imaginaire entourant la smart city. Cette dernière « s’appréhende à travers la donnée » (p. 70) et plus précisément par les données urbaines dont les supposées objectivité et neutralité permettraient de mieux saisir les réalités qui la traversent.

11Or, l’accessibilité desdites données se confronte à de nombreux problèmes situés en amont du processus de leur mise à disposition : usages non homogènes des formats et langages informatiques (p. 74), difficulté d’appropriation des outils pour traiter les données sur l’ensemble de leur cycle de vie (pp. 76-78) et non familiarité avec le web sémantique (p. 78). Ces difficultés sont redoublées de problématiques financières, résultant du coût matériel d’hébergement et traitement des données, qui ne permettent pas de soutenir un changement des habitudes professionnelles (p. 80). Une réorganisation technique et professionnelle mais surtout un engagement politique sont recommandés par l’autrice pour répondre à ces enjeux.

12Dans le quatrième chapitre (pp. 87-120), Valérie Larroche et Marie-France Peyrelong tissent une relation entre « communs » et Open Data. Dans ce but, elles présentent les deux grandes missions de l’ « Etat-Plateforme », que sont la mise à disposition des données collectées par les acteurs publics et le soutien au service public par la création de « services innovants » (pp. 90-91). Elles introduisent ensuite la notion de « dispositif d’éditorialisation » défini comme « les espaces qui regroupent des signes, des activités et des opérations associés au processus de production et de circulation des données urbaines » (p. 91).

13Dans la première partie du chapitre, plusieurs portails éditoriaux sont ainsi étudiés : les autrices y précisent les difficultés inhérentes du traitement des jeux de données et préconisent l’interaction entre acteurs pour permettre la fonctionnalité de tels dispositifs. Dans la seconde partie du chapitre (pp. 100-111), elles reviennent sur la notion de « commun » à partir de l’analyse d’entretiens et de travaux universitaires : y sont évoquées ses caractéristiques définitionnelles et juridiques ainsi que sa dimension numérique. Dans la dernière partie du chapitre (pp. 111-118), la place des « communs » dans l’éditorialisation des Open Data est commentée. En premier lieu, une distinction est faite entre « biens communs » et « biens publics », suivie par une analyse des espaces de co-working et par une interrogation des articulations possibles entre puissance publique et « communs ». Les chercheuses concluent en insistant sur la nécessité d’une appropriation des « communs », sources possibles d’« innovations fructueuses » (p. 118).

14Dans la conclusion (pp. 123-136), Françoise Paquienséguy souligne la place centrale des sciences de l’information et de la communication (SIC) à même de proposer des traitements originaux et pertinents des thématiques exposées dans l’ouvrage. A cet effet, elle rappelle les caractéristiques fondatrices de cette discipline et évoque un certain nombre de questionnements auxquels elle est confrontée. L’autrice insiste en particulier sur le « déjà-là » des données, cette embarcation de réalités qui tend à être oubliée par nombre d’acteurs et examine comment prendre cette variable en compte. Une variable centrale que l’on retrouve lors de l’éditorialisation des données que Françoise Paquienséguy étudie en fin de chapitre. Elle y convoque les travaux de Marcello Vitali-Rosati et liste les questionnements qui se posent aux chercheurs des SIC.

15En réinterrogeant les aspects définitionnels des données urbaines ainsi que leurs usages, cet ouvrage nous permet de déconstruire les imaginaires cristallisés autour de concepts intégrés à l’écosystème des données, dont l’Open Data et le Big Data sont les figures de proue, offrant ici une prise de recul critique nécessaire. Le questionnement de la place des acteurs dans cet écosystème amène à une meilleure représentation des métiers et des habitus professionnels, explicitant des choix de traitement parfois perçus comme opaques.

16Cette analyse des traitements des données nous rappelle la place importante du citoyen dont l’influence sur les dispositifs est palpable, amenant les villes à les réorganiser comme nous avons pu le constater dans le premier chapitre de cet ouvrage. Ces choix circonstanciels présentent ainsi un paysage de l’Open Data varié dont les pratiques hétérogènes amènent à évoquer la gouvernance des données. Bien que n’étant pas le sujet premier de l’ouvrage, l’évocation de cette thématique, primordiale pour une structuration et une harmonisation pérennes des traitements des données, apporte des pistes de réflexion intéressantes sur les leviers à actionner pour son édification.

17En raison de la complexité et de la diversité des contenus informationnels exposés, la lecture de cet ouvrage est principalement réservée aux experts (universitaires, ingénieurs, etc.) disposant d’une connaissance solide des sujets abordés. En s’appuyant sur les retours d’expériences présentés, ils pourront affiner leur savoir afin de développer et/ou améliorer des projets liés aux traitements des données auxquels ils collaborent.

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Pour citer cet article

Référence électronique

Ugo Verdi, « Dymytrova Valentyna, Hare Isabelle, Paquienséguy Françoise, & Peyrelong Marie-France (Éds.). Données urbaines et smart cities »Revue française des sciences de l’information et de la communication [En ligne], 27 | 2023, mis en ligne le 01 décembre 2023, consulté le 18 janvier 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/rfsic/15508 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/rfsic.15508

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Auteur

Ugo Verdi

Ugo Verdi doctorant en sciences de l’information et de la communication au sein du laboratoire MICA de l’Université Bordeaux-Montaigne.

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